Telle fut ma première rencontre avec Lise de La Salle : une photo,
une chevelure d'or et les yeux bleus nacrés d'une princesse surgie d'un
conte de Perrault. Non ! Luc et Rockin', ne rigolez pas, je ne suis pas de
nouveau subjugué par le mythe de la femme enfant, surdouée du clavier,
attitude qui résumerait sa personnalité à un miracle psychomoteur lui
permettant de jouer Liszt à 14 ans ! Lise est une vraie MUSICIENNE,
une interprète rigoureuse, saisissant avec finesse l'esprit qui habite les
difficiles partitions qu'elle aborde. Il ne s'agit donc pas d'une gamine
savante dont la précocité, certes évidente, justifierait à elle seule
une quelconque médiatisation.
Suivons-la dans un programme Chopin, compositeur qui n'a pas encore
eu sa place dans le Deblocnot'.
Frédéric Chopin
Frédéric Chopin voit le jour le 1 mars 1810 à Żelazowa Wola,
en Pologne, près de Varsovie. Cette naissance en fait un compositeur du
romantisme et d'ailleurs sa vie elle-même va être totalement Romantique.
Romantisme, romantique, oui une vie tellement romanesque qu'elle dépasserait
le cadre de cette chronique si on ne se limitait à quelques repères
essentiels.
Né dans une famille à l'esprit musicien (les parents ont acheté un
piano), l'enfant se révèle doué et très précoce. Si on observe que son
professeur Wojciech Żywny est un violoniste âgé qui ne jure que par
Bach et les compositeurs du siècle des lumières, on peut presque
considérer que Chopin est un autodidacte de génie, le maître laissant à
l'élève une grande liberté pour apprendre à son rythme. Cette méthode très
en avance sur son temps va donner le résultat que l'on connaît.
En 1826, l'adolescent entre au conservatoire de
Varsovie auprès de professeurs attirés par la modernité à une
époque où la querelle classique-romantique fait encore rage. Il compose sa
première sonate en 1828, l'obsession du musicien pour la perfection
dans la maitrise de son art y semble déjà présente.
De 1830 à 1831, son séjour dans une Vienne sous la coupe
des Strauss le déçoit, les polonais n'y sont pas les bienvenus, un seul
concert non rémunéré et… c'est le départ pour Paris… Il y
séjournera de 1831 à 1848 à la fois interprète et
compositeur. L'homme est de santé fragile (vraisemblablement atteint de
mucoviscidose) et sa vie affective tellement compliquée que je n'évoque
que sa longue liaison tumultueuse avec George Sand et les nombreux
séjours à Nohant où il compose au calme. Il meurt épuisé par la
maladie le 17 octobre 1849 à Paris.
Chopin est synonyme de "Piano". Il n'a composé que pour cet instrument.
Le catalogue remplit une douzaine de CD. Les œuvres sont écrites certes au
fil du temps mais regroupées en styles précis : polonaises,
scherzos, mazurkas, préludes, études,
valses, nocturnes et les ballades, sujet du jour. Il
existe quelques rares morceaux isolés comme la Barcarolle.
LISE DE LA SALLE
Lise de la Salle est née en 1988 à Cherbourg.
La vidéo en fin d'article d'une interview sur Antenne 2 nous apprend
beaucoup sur elle et sur son amour inné du piano. Elle commence à
4 ans son apprentissage et donne son premier concert à Radio France
à 9 ans ! Elle bénéficie d'un environnement familial épanouissant,
sa grand-mère lui ayant offert un disque Chopin à l'âge où, pour les
chères têtes blondes, Dragonball Z crachait son venin sur le petit écran !
Ah, on les adore quand même…
Elle poursuit en parallèle un début de carrière internationale et son
perfectionnement au conservatoire supérieur de Paris où, en 2001,
elle remporte le Premier Prix à l'unanimité du jury, dans la classe de
Pierre Réach. Elle se perfectionne encore auprès de
Bruno Rigutto et Geneviève Joy-Dutilleux, épouse du
compositeur Henri Dutilleux.
Depuis 2001, elle est invitée pour de nombreux concerts en récital
ou comme soliste d'œuvres concertantes dans tous les pays du monde. Elle a
déjà obtenu la reconnaissance de son art en interprétant des compositeurs
aussi difficiles (la concurrence est rude dans ces répertoires) que Bach,
Liszt, Rachmaninov et Chopin. Chopin pour lequel elle avoue avoir attendu
une maturité bien affirmée avant d'aborder l'univers romantique et secret
du compositeur. Sa discographie est passionnante et a été bien récompensée
par la critique : Ravel, Rachmaninov, Chostakovitch, Liszt, Prokofiev,
Schumann, Bach…
LES 4 BALLADES
Ce qui caractérise la forme "ballade", c'est précisément que, de forme,
il n'y en a pas. Nous sommes faces à un style où toutes les libertés
semblent permises en dehors des règles d'harmonie et de solfège.
La "ballade" trouve ses racines dans le moyen-âge, les chants de
troubadours. Elle devient plus tard un genre littéraire : "la ballade des pendus" de Villon... Les poètes de l'époque Romantique vont relancer la mode
comme Victor Hugo avec son recueil "odes et ballades", et jusqu'à nos jours avec par exemple la "Ballade de Sacco et Vanzetti" chantée par Joan Baez et Georges Moustaki. L'inspiration
de ces ballades a donc souvent une connotation épique.
Chopin
va transcender le style en musique. Chaque ballade se réfère très
librement à une épopée historique et légendaire, filiation que
confirmera son ami Robert Schumann. On évoque ainsi des sources
littéraires dans les poèmes d'Adam Mickiewicz qui tenait salon à
Paris pour nombre d'immigrés polonais comme Chopin.
1 –
La première Ballade s'inspire donc du poème "Wallenrod". Cet épopée fut écrite par Mickiewicz
en révolte face à la scission de la Pologne et de la Lituanie par la
Russie, la Prusse et les Habsbourg à la fin du XVIIIème siècle : une
histoire homérique d'un maure élevé par les chevaliers teutoniques et
qui se révolte ensuite ; vengeance, trahison, une jolie femme et un
suicide du héros. Plus romantique… Et puis, en s'inspirant de ce poème,
Chopin se voulait-il patriote ?
Cette première Ballade de 1831, bouleversante, est au centre
musical du film Le Pianiste de
Roman Polanski
(voir la chronique de Vincent).
"Lento" surmonte la portée, Chopin nous invite d'emblée à une
aventure grave et dramatique. Une première note franche
("pesante"), puis se succèdent quelques sombres arpèges, à la
fois interrogatifs et secrets ("diminuendo"). Un silence les
prolonge habité par les seules résonnances des cordes. Le piano et son
maître méditent avant le moderato du premier motif. Motif A de la forme
sonate ? Non plutôt leitmotiv imaginé par un jeune homme de 23 ans qui
veut échapper à la forme pour donner libre cours à l'expression de sa
pensée, à l'évocation du destin de son personnage. Intériorisé puis plus
héroïque, parfois violent, le discours musical se développe-t-il en écho
aux péripéties du poème ? Possible.
L'écoute à l'aveugle est éloquente ! Ma chère Maggy a subi une écoute
comparative entre Lise de La Salle et le grand pianiste polonais Kristian
Zimerman, signataire d'une version de référence (sans savoir qui joue,
mais sachant que l'exercice confronte un homme et une femme). Elle a
systématiquement inversé les deux sexes, comprendre "tempérament" ! La
magie et la force du jeu de la jeune artiste, tant sur la plan technique
qu'émotionnel, semble ainsi démontrées. La pianiste se fond dans
l'âme tourmentée de Chopin. Oh, pas ce cliché à propos de
l'hypersensibilité de Chopin, un trait de caractère trop souvent attribué
au compositeur soi-disant introverti. Lise fait vibrer avec puissance les
mélodies, notamment la tempête du développement et de la conclusion, mais
sans esbroufe, avec une élocution masculine certes, mais pas celle d'un
virtuose narcissique. Elle substitue Chopin à elle-même, prête ses mains à
l'esprit du compositeur pour mieux transfigurer sa pensée. Lise de La
Salle nous fait ainsi revivre la propre odyssée de Chopin à travers cette
œuvre qu'il affectionnait.
2 – La seconde Ballade date
de 1839 et pourrait s'inspirer de la légende de "l'Ondine du lac Switez" mais aussi des "Kreisleriana" de son ami Schumann à qui la ballade est dédiée.
Kreisleriana qui mettent en
scène le personnage truculent de
"Johannes Kreisler" inventé par E.T.A. Hoffmann (l'auteur de contes). Les premières notes
de l'unique et sereine ballade en mode majeur évoquent un lointain
carillon. La musique ondoie paisiblement dans l'introduction. Lise de la
Salle aborde hardiment mais sans violence le passage où les flots se
déchainent tandis que les ondines tentent d'échapper à des soudards
russes... Son jeu voluptueux et sans maniérisme retrouve la féminité dans
cette page poétique. Ondulation des eaux, des ondines, des deux,
laissons-nous bercer entre sensualité et vigueur, et les réminiscences des
facéties de Kreisler. Magnifique jeu de vague et de légèreté, de
malice.
3 – La troisième Ballade date
de 1841 et s'inspire de la légende de la "Ondine" de Mickiewicz . Lise de la Salle nous propose une lecture à la
fois tendre et enfiévrée de ce conte narrant les élans émus et exaltés
d'un chevalier pour une nymphe appelée Ondine. Dans cet univers de nouveau
aquatique, Chopin a choisi d'adoucir le trait avec des alternances moins
brutales dans la mélodie. Lise de La Salle adopte un jeu quasi ludique,
très legato, pour éviter tout heurt dans la narration des ébats
amoureux évoquées dans cette pièce aux accents joyeux.
4 - La quatrième Ballade date
de 1842. Plus élaborée et plus longue, elle échappe à une influence
littéraire précise. D'une grande difficulté technique due aux hardiesses
d'écriture et d'harmonie, elle se présente comme une méditation
intériorisée, les sentiments de passion, de joie et de tristesse se
bousculent dans un autoportrait de l'âme de Chopin. L'interprétation est
sublime, une osmose entre la pianiste, l'instrument et l'âme anxieuse
presque résignée de Chopin. On semble proche par le touché délicat d'un
immense nocturne dans la longue introduction. Lise de la Salle prend son
temps, le temps de laisser le flux mélodique s'affranchir de tout
pathétisme outré. Une telle musique ainsi habitée ne se commente pas, elle
doit nous pénétrer, nous guider dans le plus profond de la psyché du
compositeur et de son interprète.
LE CONCERTO N°2
Ce disque généreux se poursuit avec une interprétation de rêve du
concerto N°2. Il s'agit d'un concert donné à Dresde en septembre
2009. Lise de La Salle confirme son aisance tant au studio qu'en
"live".
Le concerto pour piano n°2 est en fait le premier composé par Chopin en
1829. Il s'agit d'une œuvre de jeunesse. On pourrait penser que
l'inexpérience du grand adolescent de 19 ans et son manque
d'attirance pour l'orchestration, expérience qu'il ne renouvellera que
pour un second concerto, aboutissent à une œuvre mineure. À voir. Même
si la comparaison avec les concertos de la maturité de Mozart ou ceux de
Beethoven n'est pas à l'avantage de l'ouvrage, des musiciens inspirés,
et c'est le cas ici, savent mettre en avant l'affrontement du calme et
de la tempête qui caractérisera toute l'inspiration romantique du
compositeur. Chopin, comme Mendelssohn (dont le 1er concerto
est contemporain de celui de Chopin), ne connaissait pas ces œuvres des
grands maîtres encore peu jouées à l'époque. Le mérite est d'autant plus
grand. L'œuvre est de forme classique, Maestoso, Larghetto et Allegro
vivace.
Fabio Luisi impulse une grande nuance dans l'introduction
orchestrale, limpide et surtout… pas trop solennelle. Il rappelle ainsi
que nous écoutons la musique d'un jeune homme et non le déferlement
majestueux du concerto l'Empereur de Beethoven. Le piano de Lise de La
Salle fait son entrée comme prolongement logique de l'ouverture. Souvent
ce concerto est perçu comme une pièce pour piano soliste avec un
accompagnement orchestral. L'orchestre de la
Staatkapelle de Dresde assure un décor d'une grande poésie au
piano. On reste stupéfait par l'énergie – pas la force – du jeu de la
pianiste dont le staccato-legato associe virtuosité et précision mais
sans jamais "forcer" la frappe qui ne ferait que conduire au mauvais
goût. Et si Chopin avait trouvé ses interprètes du XXIème siècle ?
On retrouve dans le Larghetto, cette fluidité du discours, ces notes
enchantées car enchaînées avec grâce et soutenues par les somptueuses
cordes de Dresde. Quelle chance nous avons que ce concert ait eu lieu
avec cet orchestre (un des meilleurs de la planète et vieux de… 460 ans)
! Ce mouvement assez court semble prendre une ampleur que l'on ne lui
soupçonnait pas. Des minutes sans longueur de rêverie interrompue par un
développement plus pathétique certes, mais là encore sans aucune
outrance du fait de la justesse subtilement "piqué" du phrasé
pianistique de Lise de La Salle.
Le final allegro conserve toutes les qualités du jeu concertant déjà
évoqué. L'harmonie, plus présente dans ce mouvement, conduit de
manière colorée à la coda avec une allégresse soutenue mais toujours
sans épate.
Discographie et Vidéos
Vous avez remarqué que cette semaine, vous avez échappé à la discographie
alternative. Bien entendu, il existe moult versions passionnantes des
balades sous les doigts d'Arthur Rubinstein,
Maurizio Pollini ou Krystian Zimerman souvent cité comme
référence moderne, au geste plus rapide, plus ample que
Lise de La Salle mais finalement plus froid.
Si vous n'êtes pas collectionneur, inutile de vous casser la tête, le
disque de la jeune pianiste atteint une forme d'idéal !!
Les ballades N°1 et 4 :
Puis Lise de La Salle interprète et nous présente les ballades et le
concerto...
Je ne connais rien au classique, qui reste pour moi une musique très marquée socialement et culturellement (raisonnement regrettable, je sais, mais je ne vais pas me refaire à mon âge). Je suis toutefois impressionné par l'érudition du commentaire. Juste une question: pourquoi les interprètes sont-elles toujours (ou presque) de frêles jeunes filles blondes, diaphanes et évanescentes? Serait-il possible de mettre leurs numéros de téléphone?
RépondreSupprimerJe me suis fait la même remarque concernant la nouvelle génération des virtuoses où les jeunes femmes dominent. Hasard ? Lise est la seule blonde et l'écoute de ses explications très posés sur son approche de Chopin la montre tout, sauf diaphane...
RépondreSupprimerLe classique est de moins en moins marqué socialement même si historiquement on doit l'admettre : Folles journées de Nantes, places de concerts très peu chères (15 €) par rapport à bien des pointures du Rock à Bercy...
Heuuu, non Shuffle, je n'ai pas les N° de téléphone :o)
Merci pour le crédit donné à ma chronique, à Jeudi...