samedi 7 janvier 2012

GERRY HEMINGWAY "The Whimbler" (2005) par FreddieJazz

Gerry Hemingway est un compositeur et percussionniste de talent, hélas sous-estimé, voire totalement méconnu. Et c'est bien dommage. Pourtant, que l'on se souvienne... Ne faisait-il pas partie du fameux quartette d'Anthony Braxton, il y a une vingtaine d'années (avec Marylin Crispell et Mark Dresser) ? Dans ce projet paru chez Clean Feed en 2005, il reconstitue son quartette "américain". L'on retrouve ce géant du sax ténor qu'est Ellery Eskelin et Herb Robertson à la trompette (il remplace le tromboniste Ray Anderson, cf. l’album précédent, Devil’s Paradise). Ce dernier, carrément fougueux et imprévisible, est issu de la scène avant-gardiste de New-York, et pour le modeste chroniqueur que je suis, ça a été une sacrée chance de le voir en concert, la première fois avec le collectif "Nu Band", la seconde aux côtés de Joe Fonda et Michael Jeffry Stevens). Enfin Mark Hélias est à la contrebasse (mais il officie également à la basse électrique, du moins sur quelques plages, pour servir des thèmes plus groovy). Ce quartette présente donc neuf pièces originales, d'une puissance, et d'une qualité qui laissent carrément pantois. La qualité de l'enregistrement y est aussi pour beaucoup.

Première impression donc, avec ce collectif de quinquas à qui on ne l’a fait pas: une maturité inouïe, une virilité qui ne dira jamais son nom, une écriture précise, beaucoup de liberté, une cohésion sans faille, mais aussi une légèreté apparente pour un quartette qui sort littéralement des sentiers battus. Dès le premier thème, "Waitin", la maestria de l'ensemble, comme la technique du batteur, ne fait aucun doute. La précision de ses frappes, sa connaissance et sa réactivité sur les toms et la ride, cette singularité qui le singularise, et enfin la virilité de sa musique placent ce disque parmi ses plus grandes réussites en leadeur. "Rallier" déboute tout sur son passage. La prise de risque est monstrueuse. Les quatre comparses livrent un scénario collectif des plus passionnants, tout en rupture de tempo. Ellery Eskelin donne tout ce qu'il a. La rythmique appuie efficacement les solistes, sans tomber dans la redite. Avec "The Current Underneath", Hélias délaisse sa contrebasse pour la basse électrique. Le thème, tout en rythmes syncopés, propose une radicalité en terme d'interaction. Non pas que ce soit inécoutable. L'ensemble est bel et bien cohérent. Mais, c'est encore une fois la puissance du son, ces métriques impeccables qui font tout la réussite de ce thème. Dans "Pumbum", après une intro des plus remarquables, le quartette prend une bifurcation de toute beauté, dans un swing détonnant, tout en accélération, entre la trompette imprévisible de Herb Robertson et le sax velouté d'Eskelin qui ponctue les échanges. Bref, c'est le disque de la maturité, le meilleur exemple du jazz avant-gardiste de ces dix dernières années.

Avec THE WHIMLBLER, Hélias revient à la basse électrique, renvoyant à des années lumières Marcus Miller et consort. Sur ses ostinatos de basse, et une thématique bien identifiable, le thème sonne comme un groove énorme. Là encore, l'interaction est si forte que la magie opère. Aucun thème ne se ressemble, et ainsi, quand déboule "Curlycue", la pièce suivante, l'on n'est pas au bout de nos surprises. Ces gars-là proposent un jazz bien achalandé, roboratif, puissant et musqué. On est dans la création. Ces gars avaient quelque chose à dire. Mais quelle mouche les a donc piqués ? Les thèmes présentent plusieurs styles en termes musical (swing, groove, impro, calyspo, free). Et chose étonnante, la musique reste toujours accessible, sans être simpliste. Avec "In The Distance", retour au calme. Cette balade s'inscrit quasiment dans l'improvisation totale. Certains la jugeront peut-être inutile, mais elle est savamment dosée (moins de quatre minutes). Seulement, nos quatre comparses travaillent sur le matériau. Et l'écoute mutuelle est tout simplement prodigieuse. Une sorte de flottement, avant de conclure en toute beauté ce disque roboratif: "Kimkwella", une pièce où l'on aura le souffle coupé : là encore, on est conquis. Flanqué derrière les riffs collectifs, le jeu de Hemingway est tout bonnement audacieux. Une sacrée leçon de batterie. L'une des grandes réussites musicales de ces dix dernières années.

Malheureusement, aucun extrait vidéo de ce disque n'est disponible en ligne. Mais album en écoute sur Deezer, en suivant ce lien : The Whimbler par Gerry Hemingway Quartet 








1. Waitin 07:54
2. Rallier 06:31
3. The Current Underneath 09:07
4. Pumbum 06:02
5. The Whimbler 08:16
6. Spektiv 05:59
7. Curlycue 11:30
8. In The Distance 03:54
9. KimKwella 05:46

1 commentaire:

  1. Gerry Hemingway sous-estimé? Par qui? Pas par ceux qui partagent la scène avec lui depuis de longues années, ni par les amateurs de musiques improvisées, scène/genre dont il est l'un des représentants emblématiques. Méconnu? Du grand public, certes, come 99,99 % des artistes d'hier et d'aujourd'hui. Mais il n'est ni sous-estimé, ni méconnu... de ceux qui le connaissent! Ma voisine de bureau ne jurant que par Yannick Noah, Johnny Hallyday et les Classiques de la Pub, c'est sûr, elle ne va pas se pencher sur le cas Hemingway. Le travail de Jerry, et de bien d'autres, n'a pas la célébrité pour but, et n'est certainement pas en quête d'un fort retentissement commercial. Cette musique est pour ceux qui l'écoutent et la font vivre, et pour ceux qui la font, voilà tout. A. Nonyme

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