vendredi 4 mars 2011

AU-DELA (2011) de Clint Eastwood, par Luc B.


On n’attendait pas Clint Eastwood sur un sujet pareil. Et lui, qu’en attendait-il ?

Le réalisateur dirige Frankie McLaren
L’histoire est celle de Marie Lelay, journaliste politique de France 2, qui voit sa vie et sa carrière bouleversée par le tsunami asiatique de 2004. Elle en réchappe, non sans avoir eu un aperçu de l’au-delà (la lumière blanche au fond du couloir, deuxième porte à gauche). Ensuite, à Londres, le jeune Marcus, inconsolable après la mort de son frère jumeau, fugue ses familles d’accueil et s’évertue à entrer en contact avec lui, par médiums interposés. Et enfin, George Lonegan, médium américain à succès, qui tente d’oublier ce don, qui pour lui est une malédiction, et devient manutentionnaire sur le port de San Francisco (comme Eastwood lui même, et son père avant lui).

Bien sûr, ces trois histoires sont liées, mais leur traitement à l’écran n’est pas homogène. Celle qui retient toute notre attention est celle de George Lonegan, autrement dit, la partie américaine du film. Avant tout parce que Matt Damon met tout son talent au service de son personnage. Et parce que l’œil bienveillant et humaniste d’Eastwood nous rend ce personnage plus attachant. Lonegan pourrait gagner beaucoup d’argent grâce à ses dons (ce qui arrangerait bien son frère) mais sa vie est insupportable, constamment remplie de visons de morts, des traumatismes des autres, de peur, de misère affective, dès qu’il touche les mains des autres. Il vit dans un petit deux pièces, menacé par un plan de licenciement, et se réfugie dans la lecture de Dickens et dans les cours de cuisine italienne. Et là, Eastwood réussit une scène magique. Dans ces cours, George rencontre Mélanie, à qui il doit faire goûter à l’aveugle des produits. C’est à la fois drôle, tendre, délicieusement érotique, mais dramatique aussi lorsque qu’effleurant la main de Mélanie, des visions surgissent. Quel type de relation ces deux-là pourront-ils construire lorsque l’un connait tout de l’autre ?

Que fait Marie Lelay, traumatisée par un tsunami, de retour à Paris ? Elle replonge dans le bouillon !
L’histoire de Marie Lelay est plus édifiante. Cécile de France n’est pas en cause (pourquoi l’avoir affublée d’une coiffure faite de Yorkshire ébouriffés ???) mais son profil ne tient pas vraiment la route. Elle semble davantage sortie d’une antenne locale de France 3 Rosporden, et son histoire sentimentale avec son réalisateur sent le réchauffé. Bref, elle n’est pas très intéressante. Mais cela nous vaut tout de même une conférence de rédaction sur l’itinéraire politique de François Mitterrand, bénéficier d’un bon tiers de film en français (z'avez reconnu Marthe Keller ?) et pour une fois sans Paris de pacotille. Et sur la partie londonienne, on pourra objecter qu’Eastwood en fait sans doute trop avec le jeune Marcus, affublé d’une maman junkie (avait-il vraiment besoin de cela en plus ?!). Je me souviens du magnifique portrait de gamin dans UN MONDE PARFAIT (1993), mais là, Eastwood chez les prolos anglais semble moins à son aise qu’un Ken Loach. Il y a quand même de très belles scènes (le métro, les visites chez les médiums charlatans).

Cours Forrest !
Dans AU-DELA, ce qui semble coincer, c’est davantage le scénario, car franchement, sur le travail de mise en scène, il n’y a pas grand-chose à redire. Eastwood connait son boulot, toujours le plan juste, la maîtrise du rythme, et la marque des grands : ne pas rater deux ou trois scène essentielles du film. A commencer par la première, celle du tsunami. Eastwood donne une leçon de point de vue. Il suit Marie, c’est le but de la scène. C’est elle l’héroïne, pas la grosse vague qui dévaste tout, et qui aurait pu être filmée sous 15 angles différents, par-dessus, par-dessous, avec moult victimes anonymes, chiens égarés, bébés hurlants comme dans les films catastrophes. Pas de surenchère à la 2012, genre l’Everest sous les flots ! Non, cette scène est extrêmement impressionnante parce qu’elle est courte, et juste. La conclusion du film est rapide, ne s’enlise pas dans des effets sentimentaux. Et puis il y a ce petit côté thriller, avec ces personnages qui enquêtent, cherchent, ou fuient leur passé, clin d’œil à une carrière passée de réalisateur de polar, de western.

Bryce Dallas Howard (Mélanie) et Matt Damon
Ce film se suit franchement avec plaisir, mais en sortant de la salle, on se dit : pour nous dire quoi ? Pour en venir où ? Ce n’est pas trop gnan-gnan, ce n’est pas de la psycho New-Age à deux balles, pas de prosélytisme religieux (l’idée de l’au-delà judéo-chrétien est très vite évacuée d’un revers de main), pas d’ésotérisme de foire, les charlatans de tout poil ont leurs becs cloués en trois scènes ! Le don de George Lonegan est lui-même expliqué de manière très rationaliste, c’est davantage un chewing-gum qui lui colle à la semelle dont il aimerait se débarrasser pour vivre normalement. Pas de prêchi-prêcha, point de thèse fumeuse. Alors quoi ? Il y a un début de piste dans un échange entre Marie Lelay et son éditeur, qui lui reproche le sujet de son livre : « l’au-delà ? mais écris-le en anglais, fais-le éditer aux USA ! Nous on veut de la vraie investigation ! » A quoi elle répond : « je te parle d’enquête, d’expérimentation scientifique, de prix Nobel que les lobbies religieux veulent faire taire ! ». Qu’Eastwood soit fâché avec les soutanes, on le sait.  Mais c’est tout ? Alors, quid du grand secret ? Où le réalisateur voulait-il en venir, si ce n’est évoquer la mort, un de ces thèmes récurrents ces dernières années, sous un angle encore différent ?

AU-DELA n’est évidemment pas le meilleur Eastwood, mais cela n’en fait pas un mauvais film pour autant. De toute façons, un Eastwood moyen vaudra toujours mieux que les meilleurs Ron Howard, Robert Zemeckis ou Joël Shumacher... (et paf ! c'est tombé sur eux, on aurait pu en citer 10 fois plus !). C’est un pur mélodrame, genre qu’affectionne le réalisateur, toujours aussi sensible et précis dans les scènes intimistes. On est passé à côté d’un grand mélodrame d’investigation métaphysique athée (un nouveau genre !).





AU-DELA / HEREAFTER (2010)
 




Produit et réalisé par Clint Eastwood (Malpaso Compagnie) + Kathleen Kennedy/Steven Spleilberg.
Scénario : Peter Morgan.
Musique : Clint Eastwood
Avec : Matt Damon, Cécile de France, Frankie McLaren, Bryce Dallas Howard, Thierry Neuvic, Derek Jacobi, Marthe Kheller…
couleur  -  2h08  -  format scope 2:35

8 commentaires:

  1. Que tout ceci est bien dit !
    Et avec bien plus d'élégance que je ne pourrais le faire, ne fut-ce dans un millénaire.
    Maître Luc, je bois tes mots comme un Chateauneuf-du-Pape (le seul truc de curé que j'encaisse) mais sans la gueule de bois sous-jacente.
    Hips !
    (baille ze ouais : excellente analyse, pertinente comme d'hab')

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  2. Shuffle master4/3/11 19:51

    Mmouais. La question est: Eastwood ne tourne-t-il pas trop? Ses dernières productions, Gran Torino, notamment, sont un peu faiblardes. Celle-ci, apparemment, d'après ce que tu en dis et ce qu'en ont dit la majorité des critiques, ne laissera pas un souvenir impérissable. Eastwood, c'est le Chirac du cinéma: parce qu'il est vieux et qu'il commence à radoter, on lui passe presque tout (autre similitude: on les a traités tous les deux de gros cons fascistes à une époque).

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  3. Même dans un moment de déprime intense, je n'aurais songé à relier Eastwood et Chirac de quelques manières que ce soit ! Eastwood a toujours tourné beaucoup, régulièrement. Il tourne vite, pas cher, toujours avec la même équipe. Il a 80 balais, et doit se dire qu'il n'a plus que trois ou quatre films devant lui... Un facteur non négligeable à mon sens...

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  4. "De toute façons, un Eastwood moyen vaudra toujours mieux que les meilleurs Ron Howard, Robert Zemeckis ou Joël Shumacher..." : tout à fait exact !
    Et ne parlons même pas d'un Roland Emmerich, qui satisfait, enchante (??), pourtant une foule étonnante avec ses films à la limite de la propagande.

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  5. Le problème avec tes chroniques, Luc, c'est qu'on ne peut plus rajouter grand chose...tout est dit et bien dit. En tout cas, sur ce film, avis entièrement partagé à une nuance près ( ah quand même !): j'ai trouvé par moment le film "gnangnan" surtout côté Cécile de France et la musique de la dernière scène est pour le moins lourdingue. Un beau film malgré tout.

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  6. Un problème auquel je tacherai de remédier, en arrêtant de voir les films, ou lire les livres, avant d'en parler !
    Merci du passage, Nath.

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  7. ça n'en avait peut-être pas l'air, mais mon précédent commentaire était un compliment...ça m'ennuierait beaucoup que tu arrêtes de voir des films et de lire des livres à cause de lui.

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  8. Mais je l'ai pris comme tel ! Merci encore. Ma réponse était une boutade...

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