dimanche 20 février 2011

BACH - L'art de la fugue - Akademie für Alte Musik de Berlin - par Claude Toon

En trois mots pour les habitués non classiquophiles du Deblocnot’...

Jean-Sébastien Bach, nom synonyme de « musique classique » (1685-1750). L’époque nous renvoie de la fin du règne de notre Roi Soleil jusqu’à Louis XV. Bach appartient donc au siècle des Lumières, détail important au regard de l’inventivité d’humaniste du compositeur.
Bach, c’est plus de mille partitions : des cantates religieuses, protestantes ou catholiques suivant le job du moment, des oratorios (dont 2 passions) ; et puis moult chefs d’œuvres instrumentaux, concertos brandebourgeois, suites pour violoncelle, Clavier bien tempéré (pour les plus connus), etc. et enfin, deux partitions étranges, voire mystérieuses, l’Art de la Fugue et l’Offrande Musicale.


L'Art de la Fugue.

Expression quasi scolaire qui résonne comme le titre d’un pensum pour élève de conservatoire, classe de composition, option contrepoint. Pourtant, derrière ce label abscons, se cache l’une des plus belles œuvres musicales écrites en occident. Une partition pure, dédiée à aucun instrument ou ensemble précis ; une seule exigence : pouvoir jouer 4 phrases mélodiques simultanément, tout seul ou en groupe.

Un peu de musicologie facile.

Fugue : il s’agit d’introduire un thème (sujet) puis de le répéter (réponse) suivant des règles de transposition, tout en le superposant à un ou plusieurs contresujets de manière à respecter l’harmonie. Exemple ultra célèbre : le canon de Pachelbel. On a l’impression à l’écoute que la musique se pourchasse et se traque elle-même. Elle se fuit (Fuga, Fugere en latin). C’est difficile à écrire, mais curieusement très agréable et facile à écouter grâce à l’effet pseudo répétitif et rythmique obtenu. Contrepoint : terme générique pour tous les types de fugues.

L’idée géniale du Cantor (titre du poste occupé par Bach à Leipzig) était d’écrire toutes les formes de contrepoint (fugues, canon) à partir d’un seul Thème initial que voici :
Rien d’incroyable me direz-vous face à ces quatre mesures aisées à entonner (essayez, c’est facile) ou à jouer sur un clavier ou le xylophone du gamin. Mais là où Bach fait très fort, c’est en utilisant ce thème dans 19 fugues, très exactement 287 fois ! Directement, inversé ou en miroir. Bref, en un mot, trituré en respectant les codes du contrepoint dans toutes les possibilités imaginables (2 à 4 voix). Toutes les fugues ont, de fait, un air de famille mais aucune ne se ressemble vraiment, surtout quand des musiciens leur apportent une vie par leurs choix d’interprétation. Je n’irai pas au-delà dans le solfège, car il y a plus palpitant.
Pour ajouter aux mystères d’une composition déjà ésotérique, la partition reste inachevée, ou plutôt s’arrête brutalement au milieu d’une portée !


Pourquoi ? Il faut mener l’enquête...

Manuscrits perdus et autres théories occultes…

Le mélomane est toujours frustré à l’instant où la musique cosmique s’arrête brutalement. (Impression de coupure du son.) Est-ce là le germe de la légende concernant l’ouvrage et le mythe du manuscrit perdu, volé, détruit ? La partition posthume, léguée dans un désordre total à son fils, ne comprend que 19 fugues. Il pourrait y en avoir plus (24). Curieusement la dernière est inachevée et s’interrompt au milieu de la ligne, comme abandonnée ! Les parchemins des 18 premières, examinés par des scientifiques, datent d’avant 1750, mort de Bach, et même de 1742. Commencée très tôt (1740), Bach aurait donc terminé l’écriture à sa guise. D’où sort cette dernière et longue fugue tronquée ?

• Et si celle-ci, de tonalité différente et sans le sujet principal (les 4 mesures ci-dessus), possédant un troisième sujet sur les notes BACH (notation saxonne : Si bémol, La, Do, Si) était un « alien musical », ajouté en complément lors de la première publication en 1751 ?

• Des mathématiciens ont vaguement démontré qu’une fugue aussi complexe ne pouvait jamais se terminer. Mouais…

• La mention écrite par Carl Philipp Emanuel Bach sur cette page incomplète affirme que son père est mort en écrivant cette fugue. Ne serait-ce pas plutôt une épitaphe tardive en mémoire de son père, une légende romantique avant l’heure ?

• Autre théorie : Bach aurait laissé volontairement le soin à l’interprète d’improviser ou d’écrire la suite.

• Enfin, adepte de la numérologie, Bach aurait dissimulé, des codes liés à ses modes de composition dans celles qui sont achevées.

Le plus grand mystère reste, à mon sens, l’incroyable beauté de ce cycle et la possibilité d’adaptation infinie offerte à tous les instrumentistes et musicologues. Prouesse intellectuelle, certainement, mais plus encore : don d’une œuvre qui ne peut souffrir de l’usure du temps car, d’un orchestre baroque à un groupe de jazz, ou encore à une habile transcription sur synthétiseur, la magie opère. On aimera telle ou telle option, c’est tout. Le thème principal invitant au calme et la méditation, on pourrait même parler de New Age depuis le XVIIIème siècle.

Pour revenir sur terre, depuis 1952 et les travaux du claveciniste et chef d’orchestre Gustav Leonhardt, il est vraisemblable que cette partition de musique est complète, dédiée au clavier, et que la fugue ultime est un ajout ultérieur hors sujet. Pourtant, nombre de musicologues, musiciens ou chefs d'orchestre ont cherché à transcrire ces fugues et canons pour diverses formations instrumentales.

Parlons disques et notamment de la nouvelle parution qui permet de montrer que l’Art de la Fugue semble jouir d’une éternelle jeunesse.

Discographie personnelle

Je reste toujours très ému à l'écoute des recherches métaphysiques d’Hermann Scherchen dirigeant les transcriptions :

• de Roger Vuataz à Beromünster pour 3 groupes de cordes et un de bois (registration d’un orgue),


de lui-même à Vienne ou à Lugano (Vinyles réédités mais rares).
Bien entendu, le clavier a été magistralement servi, par :
• Gustav Leonhardt au clavecin.
• André Isoir à l'orgue.
Les ensembles baroqueux, notamment avec la gravure de Reinhard Goebel avec son Musica Antiqua Köln.

• Glenn Gould à l’orgue est un peu en décalage de son univers habituel au piano.



Mais, l'Art de la Fugue, œuvre magique et sublime, peut toujours surprendre grâce à des artistes novateurs… En ce début d’année, bonne surprise :

Une belle nouveauté discographique:

Si on considère la liste ci-dessus non limitative, pouvait-on attendre une réussite marquante de ce nouvel enregistrement ?

Stefan Mai, violoniste, Xenia Löffer, hautboïste et Raphael Allpermann, organiste et claveciniste, nous proposent une nouvelle approche innovante et lumineuse.

L'idée repose sur le jeu par groupe d'instruments solistes, à tour de rôle, complices d'un ensemble plus vaste : l'Akademie für Alte Musik de Berlin, une vingtaine de musiciens qui a déjà de très belles gravures à son actif. Les artistes jouent sur des instruments d’époque.

Suivant les enregistrements, chaque interprète choisissant un ordre personnel, il serait vain, voire ennuyeux, d'énumérer les options retenues pour chaque contrepoint.

Parfois monotone quand peu inspirée, la présente interprétation retient une alternance très variée dans son déroulement. Orgue ou clavecin, violon et cordes ou hautbois-basson et même l’intervention de quelques cuivres, assurent cette alternance. Ainsi dans les fugues 12 et 13 et leurs miroirs, le jeu suivant nous est proposé :

Contrepoint 12a : cordes ; 12b : clavecin, 13a : 2 hautbois et basson ; 13b : violon, alto et violoncelle.

Au-delà du solfège, de la forme et des notes, il y a la musique. Le jeu de tous les instrumentistes est très fluide et, étant un peu plus introverti que Goebel, il gagne en spiritualité, ce qui chez Bach n'est jamais hors de propos. Ponctué par les interventions de l'orgue et du clavecin, le discours musical apparaît comme un livre dont on tourne les pages, où chaque page montre une enluminure musicale inattendue. C'est, une fois de plus, une œuvre d'une beauté surnaturelle.

Pour atténuer la frustration en fin de la dernière fugue, Hermann Scherchen jouait sur le rubato en ralentissant les dernières notes. L’œuvre débouchait sur l’infini.

Dans cet enregistrement, c’est une diminution de l’effectif instrumental qui permet à la musique de s’éteindre tout en douceur. Autre sensibilité, autre technique.

En outre, là où à Vienne Scherchen concluait habilement par un choral, pour cette version, c’est un petit choral introductif interprété à l’orgue par Raphael Allpermann qui nous invite à la sérénité nécessaire à l’écoute de la première fugue jouée par tout l’orchestre.

Même si elle ne remet aucunement en cause la belle discographie ébauchée avant et surement à étendre, nous sommes face à une recréation imaginative qui vient la compléter avec bonheur.
Un disque enchanteur par ses chaudes couleurs. Il permet de plus une découverte de l'Art de la Fugue pour celles ou ceux qui ne connaissent pas l’œuvre.





COUP DE GUEULE : un éditeur intelligent (Naxos, Abeille musique ?) rééditera-t-il un jour l’enregistrement Hungaroton de 1972 de Frigyes Sandor à la tête de l’orchestre de chambre Ferenc Liszt, d’une spiritualité inouïe ?

Pour ceux qui n’ont ni xylophone, ni clavier ou n’osent pas chanter, voici une vidéo de Glenn Gould interprétant le premier contrepoint… C’est gestuellement emphatique, trop lent, limite narcissique, forcément, mais d’une belle clarté pour saisir l’enchevêtrement des sujets entre eux:

Enfin, une large sélection du disque proposé ce jour par Akademie für Alte Musik de Berlin :

 

4 commentaires:

  1. Puisque l'on parle de Bach, profitons-en pour rappeler sa considérable influence sur bon nombre de jeunes musiciens de la musique populaire des 60's et 70's. Les plus célèbres étant certainement les Beatles. On peut citer également Deep-Purple (du moins Lord et Blackmore), ELP, Procol Harum, une bonne partie de la scène cultivée du Rock-Progessif, et même plus tard le néo-classic-Heavy-Metal au travers les fondues de la PVEGV (prouesse-vertigineuse-d’exécution-à-grande vitesse) tel que Malmsteen, Becker, Freidman, McAlpine, etc...
    En fait, l'héritage de Bach a subit un pillage en règle par une flopée de jeune musiciens dont la culture ne se limitait pas à Elvis, Muddy, Django et/ou Sheila.

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  2. Shuffle master20/2/11 12:45

    Ganz klar. Enfin un article sérieux dans ce blog de baltringues. Bon, je résume pour ceux qui n'ont rien compris. Bach, non content d'être allemand, est un extraterrestre et un mauvais père (cf les nombreuses fugues de son fils, excédé que son géniteur lui détruise tous ses xylophones en jouant des trucs auxquels personne ne comprend rien). Personnage louche, il ne semble trouver de bonnes compagnie que dans celle des Teutons et de piètres musiciens, dont Herbert Léonard. Il aimait cependant les westerns, comme l'ilusttre une de ses oeuvres: règlement de comptes à OK Choral. Bon, le personnage est certes peu sympathique, mais il convient de séparer l'homme et l'oeuvre, et entre deux morceaux de hard-rock-blues-psychédélique, il peut fournir une agréable transition. Des questions?

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  3. Oui!
    Barbara, l'arrière petite fille, a-t- elle épousé Ringo en partageant les gouts de son aïeul pour les westerns?

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  4. Shuffle master20/2/11 20:37

    Cette question dépasse mes compétences. Je laisse le rédacteur répondre. Ou Rockin qui me paraît également qualifié.

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