samedi 26 février 2011

MATT BAUDER "DAY IN PICTURES" (2010) par Freddiejazz





Matt Bauder au sax ténor
Depuis longtemps déjà, l’arbitre avait sifflé la fin du temps réglementaire, et nul n’aurait pu dire où en étaient les prolongations… Ces mêmes mots, ces mêmes formules, pour reprendre une expression d’Alain Fleischer, me viennent maintenant à l’esprit pour évoquer ce disque lui aussi soigneusement réglementé, organisé et programmé: DAY IN PICTURES de Matt Bauder, sorti en 2010 sur le label Clean Feed est un disque qui s'inscrit dans le prolongement d'un jazz traditionnel, bien identifiable en termes mélodiques et rythmiques. Prolongations ou prolongement, chacun choisira sa formule. D’ailleurs, au cours de son émission "Open Jazz" (que votre serviteur ne manque pas d'écouter, quand il en a le temps - c'est tous les jours sur France Musique, à partir de 19h), Alex Dutilh lui-même prononcera ce mot, "prolongement", tandis qu’il nous faisait découvrir deux ou trois thèmes de cette galette. Et effectivement, notre sax ténor venu du fin fond du Texas, ce jeune homme à peine âgé d'une trentaine d'années, prolonge ici l’idiome d’un jazz très classique, celui qui renvoie à ce qui se faisait dans les années 50 et 60. Non pas que ce soit un projet qui verse dans la parodie ou le pastiche, même si dans les notes de pochette Bauder y cite Jimmy Heath comme l’une de ses premières influences. Non. Seulement le disque s’inscrit bien dans le prolongement de ce que faisait Stan Getz, Ben Webster, Coleman Hawkins et dans une certaine mesure, Miles Davis (l’on songe parfois au premier grand quintette du sorcier noir, avec John Coltrane et Bill Evans). La réussite de l’album ne fait aucun doute (les compositions sont belles, variées, homogènes), mais l’on a parfois le sentiment que les musiciens n’ont pas voulu prendre trop de risques (vous me direz, dans KIND OF BLUE, non plus). Au final, l'on a un disque plutôt bien foutu et même très beau (le son de l'ensemble, loin de tout bruitisme, est d'une limpidité qui laisse rêveur). Composé de sept pièces toute aussi originales les unes que les autres, Day In Picture ne s'étend pas, ne tombe jamais dans la démonstration, pontifie encore moins. En 45 minutes, l'essentiel est dit. Bauder s'est refusé à inclure des standards, parce que la création et l'inspiration sont pour lui plus importante. Cela dit, l’on pourra toujours trouver quelques références ici et là (par exemple, l’intro de « reborn not gone », plage 4, renvoyant à « gone, gone, gone » de Gil Evans avec Miles Davis, cf. PORGY AND BESS). D'autres clins d’yeux au jazz des années 50 ne manquent pas...



Tomas Fujiwara (photo de Claudio Casanova)
Enfin, Matt Bauder, avec ses grosses lunettes noires (une belle photo illustre son portrait à l'intérieur du digipack), possède quand même un gros son, qui sait se faire suave et romantique dans les balades (écouter le magnifique « Parks after Dark ») mais aussi très « out », voire "suspendu", dans des morceaux plutôt mid tempo (ainsi l’ouverture dans « Cleopatra’s Mood »). Dans ce premier thème, sur une rythmique feutrée, cette façon de traiter le délinéament du phrasé est simplement prodigieuse. Du suspense, et quelques surprises, donc.. Et surtout un artiste qui, malgré ses références, n’essaie d’imiter qui que soit, seulement joue ce qu’il a en lui… Le trompettiste qui officie à ses côtés, Nate Wooley, est dans la sobriété, le son est ciselé, et sa trompette lumineuse. Ni trop bop, ni trop mainstream. Juste au service de la musique. Habitée. Quant à la rythmique, elle aussi est très sobre, voire archi classique. Mais ça n’est pas un problème. Composée d’Angelica Sanchez au piano (la compagne de Tony Malaby), de Jason Ajemian à la contrebasse et enfin de Tomas Fujiwara à la batterie, celle-ci intègre une sincérité et même une fraîcheur intègre, qui touche d’emblée l’auditeur. Les voicings de Sanchez sont de toute beauté. Pas de note superflue ni d’esbroufe, comme on peut en trouver aujourd'hui dans des disques résolument tournés vers le postbop. Bref, si ce disque n’a rien de révolutionnaire (dans la forme comme dans le fond, quintette tout acoustique, jazz contemporain, rappelant vaguement ce qui se faisait dans les années 50), c’est tout de même d’un haut niveau technique. Les musiciens ont dans leurs bagages autant de mélodies venues d’ailleurs (l’imaginaire fonctionne à plein régime) que de rage contrôlées et d’énergie douce amère, habités et inspirés qu'ils sont. Les sons capturés se prolongent parfois dans une certaine nostalgie, mais sans aucune sensiblerie, l'on est plutôt dans l'humilité, la poésie et le recueillement. Et quand les instruments se mêlent à des harmoniques et des notes parfois complexes, en tout cas dans des mélodies qui innervent un swing qui leur est naturel, l'on se dit que oui, ce disque est une réussite. Matt Bauder, retenez ce nom. Je ne crois pas me tromper en disant qu'il s'agit d'un artiste de jazz à suivre de très près...
Matt Bauder en trio, dans une version de "Cleopatra's mood". On reconnaitra Tomas Fujiwara à la batterie (furtivement). Dans cette session, le bassiste n'est pas Jason Ajemian.    







« DAY IN PICTURES » de Matt Bauder (2010, Clean Feed)
1. Cleopatra's Mood 7:14
2. Parks After Dark 11:17
3. January Melody 4:55
4. Reborn not Gone 6:22
5. Bill and Maza 13:14
6. Two Lucks 8:55
7. Willoughby 2:40





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