Ca commence par l'élégant Max Roach qui se lance dans un solo de batterie, la classe intégrale. Plus tard rejoint par la chanteuse Abbey Lincoln. Leurs interventions donneront
la pulsation de ce long documentaire (2h30), au montage rythmé par les hymnes
bebop. On retrouvera le duo (sur scène et à la ville, comme on dit) avec une cinquantaine de militants,
faisant irruption dans l'hémicycle de l’ONU pour protester contre l’assassinat de
Patrice Lumumba. Invectives, empoignades, baston générale, images surréalistes.
Ce
formidable SOUNDTRACK TO A COUP D’ETAT, couronné à Sundance, raconte d’abord rapidement la
décolonisation, la création à l’ONU du groupe des pays non-alignés, puis se
focalise sur le Congo, et les rêves d’indépendance initiés par Lumumba, futur
premier ministre. Le Congo est une colonie belge, au sol riche de minerais,
notamment dans la province du Katanga, au sud, dont on extrait l’uranium destiné
aux bombes atomiques américaines.
L’Union Minière du haut Katanga, qui
pratiquement privatisé la zone, le gouvernement belge et son bon roi Baudoin, ainsi que les Américains,
n’ont aucune envie de voir le Congo devenir indépendant. D’autant que le soviétique Nikita
Khrouchtchev fait les yeux doux aux indépendantistes. Le film raconte comment
Patrice Lumumba et Joseph Kasa-Vubu (futur président de la République du Congo)
vont obtenir l’indépendance, et comment le camp adverse va tenter de faire
capoter le projet. Et comment les Américains vont amadouer les foules
africaines en envoyant sur place leurs stars noires : les jazzmen.
Mises à
part quelques interventions de l’écrivain In Koli Jean Bofane qui lit des extraits
de textes, SOUNDTRACK TO A COUP D’ETAT est entièrement constitué d’images d’archive,
la plupart issues de sessions à l’ONU. Le réalisateur belge Johan Grimonprez
convoque énormément d’intervenants. Politiques, diplomates, activistes
(Malcom X entre autres), agents de la CIA, barbouzes et mercenaires de tout
poils, et bien sûr les musiciens, notamment Dizzy Gillespie ou Louis Armstrong,
dont l’avion était truffé de mecs de la CIA à son insu ! On voit une archive géniale de Gillespie en concert, annoncant : "Et maintenant, il est temps de présenter les musiciens"... et il engage son bassiste à aller serrer la main du batteur, le pianiste saluer le saxophoniste... Une large place du narratif est laissée à la militante et féministe Andrée Blouin qui aurait mérité un film pour elle seule.
Il n’est pas toujours
aisé de s’y retrouver parmi les protagonistes, le tempo est frénétique. Mais la
réalisation, souvent ludique, essaie à chaque fois de nous éclairer. Notamment
par des inserts en grosses lettres colorées qui couvrent tout l’écran (on pense aux pochettes Blue Note) portraits et
fonctions des intervenants, qui donnent une narration très vivante. Ce ne sont
pas des archives mises bout à bout, elles sont véritablement mises en scène. Le
travail sur le montage est hallucinant, qui n’échappe pas, parfois, à la
facilité, lorsque Khrouchtchev tambourine son pupitre à l’ONU sur fond de chorus
de batterie de Max Roach ou Art Blakey.
On peut faire dire beaucoup de choses à des images grâce au montage. Michael Moore ne s’en est pas privé, en son temps. Le
télescopage d’images peut faire sourire parfois, le ton est incisif, satirique
bien souvent. Génial moment du discours de Patrice Lumumba devant le roi des Belges,
qui attend respects et compliments, mais se retrouve sous une salve de
reproches. On le voit se pencher vers un conseiller, quand un sous-titre
lui fait dire « Il était vraiment censé dire ça ? ».
Est-ce réellement ce qu’il s’est dit, où la réplique a-t-elle été collée au bon
endroit ?
Ou lorsque Eisenhower promet, à la tribune de l’ONU, tout son
soutien à la nouvelle république du Congo, et le plan d'après, la CIA
fomente l’assassinat de Lumumba. L’agent interviewé expliquant obéir aux ordres
directs du président américain. Et pendant ce temps-là, Nina Simone hurle son
blues... Le spectateur est d'abord enthousiaste devant ces rêves de liberté, le souffle de la narration est contagieux, mais rapidement on va siffler la fin de la récré. Allez zou, on vous a laissés rigoler, mais maintenant l'Homme Blanc reprend le manche.
Le film montre, jusqu’à l’écœurement, la collusion entre politiques et
industriels, le cynisme absolu des Belges, qui même l’indépendance actée persistent à vouloir régir le pays, placer leurs hommes aux bons postes. Et
penseront illico à éliminer Patrice Lumumba, le nouveau héros tiers-mondiste. C’est là qu’entrent en scène les barbouzes
et un certain colonel Mobutu. Et on ne rigole plus du tout.
Pendant toute cette période, les musiciens noirs américains s’interrogent
sur le rôle qu’on leur donne. Propager la bonne parole occidentale, alors qu’ils
sont eux-mêmes confrontés au racisme et à la ségrégation aux Etats Unis. Un
grand monsieur comme Duke Ellington avait déjà servi de caution. Les Etats Unis
l’avait envoyé aux quatre coins de la planète pour contrer le succès des Chœurs
de l’Armée Rouge, qui consolidaient l’influence soviétique partout où ils se produisaient.
Il
ne faut pas être effrayé par la durée du film. Si les 10 premières minutes donnent l'impression de partir dans tous les sens, ce qui illustre aussi l'effervescence et le chaos qui
régnait à cette époque, on est vite happé par l’Histoire en marche, les évènements, les personnages hauts en couleur, et
par cette mise en scène énergique qui soutient l’ensemble.
Il faut imaginer Grimonprez comme un leader de
Big Band, qui maintient le tempo et le swing de sa rythmique, et fait entendre chaque soliste.
- Ah Claude, suite de la saga des disques légendaires… Je viens
d'écouter les deux vidéos de répétition. Le M'sieur Toscanini, il
n'était pas un peu… cinglé ?
- Tu es bien insolente Sonia vis à vis de l'un des chefs les plus
célèbres du XXème siècle… Mais il est vrai que Louis de Funès alias
Stanislas Lefort répétant Berlioz est un moment de détente et de calme
par rapport aux cyclones verbaux des vidéos… hihi…
- Drôle de type, pas cool pour les musiciens ! Pourquoi cet ensemble
Brahms de 1952 ?
- Cette année-là, l'orchestre de studio Philharmonia n'a que cinq ans
et son créateur Walter Legge sillonne le monde pour débaucher ou inviter
les plus grands maestros pour constituer un début de catalogue
discographique haut de gamme sensé doper les ventes de galettes EMI…
- Et ça marche ?
- Oui. Curieusement on croyait cette intégrale oubliée car enregistrée
en Live. Le label Testament l'a remasterisée et éditée. Brahms que
certains prétendent sirupeux vont changer d'avis… J'avoue que de nos
jours, aucun orchestre n'accepterait un tel chef colérique à sa tête
sans déclencher une grève illimitée…
Vidéos : Les répétitions volcaniques de Toscanini et de Stanislas
Lefort
Avant de découvrir l'épopée des disques du maestro italien colérique mais
génial, voici deux échantillons de ses célèbres répétitions homériques. Le
son est ingrat (orchestre de la NBC années 40) mais ça donne
une idée du style hystérique des vociférations du maître. En prime
Louis de Funès dirige
Berlioz… J'ignore si les instrumentistes conspués puissance dix s'amusaient autant
que les spectateurs du film de Gérard Oury ? Le portrait du maestro
moustachu et frisotant (Fusain et craie sur papier) date de
1934 et est signé
Samuel Johnson Woolf (1880-1948).
Dans l'ordre de la playlist : Les premières mesures de Mort et transfiguration
de
Richard Strausssuivi de la 2ème symphonie de Brahms, précisément. Et Stanislas Lefort qui gesticule plus qu'il ne
dirige, mais toujours un plan séquence Berliozien hilarant 😅 .
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Partie 1: La discographie évènementielle
😊Ça ne veut rien dire, mais ce style rhétorique étant à la mode, ça
jette !
Toscanini vers 1950
Il y a deux semaines, une introduction détaillée précisait les règles de la
nouvelle rubrique "Disque légendaire". Pour inaugurer cette saga, je vous invitais à écouter la
9ème symphonie
de
Mahler
écrite en 1910 et dirigée ici en 1938 à Vienne par
Bruno Walter
qui en avait assuré la création en 1912 ! Composition "dégénérée"
suivant les critères nazis et chef juif. Deux mois plus tard, débute
l'Anschluss et la horde des criminels et butors nazis achevait de laminer
des siècles de culture…
Walter
brocardait le régime inique par une direction hallucinée, mélancolique, et
surtout sarcastique voire funèbre. Pressé dès 1940 en Angleterre, ce
disque apparaît tel un réquisitoire musical contre une barbarie qui conduira
à l'indicible…
(Clic)
Un an après un premier refuge en France Walterpartait pour les USA où son confrère Toscanini l'attendait comme ami et chef d'opéra réputé. Si ce concert ultime à Vienne fustigeait la bestialité, tel un acte de
révolte politique, les disques mythiques sont en fait déjà nombreux dans
l'index du blog, mais souvent par leur grande qualité artistique dans une
discographie parfois pléthorique.
Certaines gravures peuvent avoir vu le jour dans diverses circonstances
inhabituelles. Pour ce second épisode, place au pittoresque
Arturo Toscanini
qui traversa l'Atlantique pour Londres pour proposer au public du
Philharmonia
les quatre symphonies de
Brahms
en deux soirées !!! Quoi de surprenant et zarbi dans cette affaire ? Qu'une
interprétation flamboyante captée sur des bandes magnétiques de radio ait
végété pendant cinquante ans dans un placard 😞. Comme demanderait Sonia ou
Nema, que s'est-il passé pour que les discophiles amateurs de
Brahms
(j'en suis) soient privés d'apprécier ces deux soirées jusqu'en l'an
2000 ?
Merci au label Testament d'avoir ressuscité cet évènement (il
existait semble-t-il de rares disques pirates au son pourri).
Partie 2 : Walter Legge : du phonographe de papa à producteur de
disques…
1961 : En jury de concours de chef, quelques dirigeants :
O. Klemperer, Sir A. Boult, Walter Legge et C.M. Giulini
Plusieurs évènements se sont conjugués pour empêcher la commercialisation
de cette intégrale
Toscanini. Je proposerai une théorie personnelle dans ce qui suit.
J'invite le lecteur à parcourir un "préquel" à cette série
d'articles ne se limitant plus à présenter le contexte créatif d'une œuvre
et de son ou ses interprètes et comportant une analyse-guide pour les
néophytes.
En août 2025, une chronique sur l'histoire de la reproduction sonore
depuis les inventions de Charles Cros et Edison à la fin du
XIXème siècle parcourait les diverses évolutions technologiques
jusqu'à la mise en vente en 1954, par RCA, des premiers
disques stéréophoniques. Des galettes LP 33T dont la qualité sonore n'a
guère évolué depuis, notamment en numérique, parfois bien au contraire. Le
billet se concentrait sur les enregistrements des
deux concertos
de
Brahms
sous les doigts d'Arthur Rubinstein.
Dans cette course vers la perfection audiophile, une personnalité hors du
commun se distinguera au XXème siècle. Ni compositeur, ni
instrumentiste, Walter Legge, né en 1906, mettra ses talents
de technicien, de producteur, d'homme d'affaire et de négociateur persuasif
avec les vedettes du Show-biz classique au service de la discographie
d'exception.
Comme pour tous les personnages hyperactifs, conter la vie de
Walter Legge par le menu nous écarterait trop du sujet du jour :
Toscanini
–
Brahms
–
Philharmonia. N'y voyez pas de la paresse, mais plutôt qu'une biographie déséquilibrée
de mon cru, je suggère l'écoute de cinq épisodes d'une heure sur
France Musique, en streaming (France-Musique) Il y a aussi un article dans Wikipédia. Voici un court résumé à
lire si ces deux options gourmandes en temps ne vous séduisent pas… petit
résumé :
~~~~~~~~~~~
1909 : naissance de Walter Legge dans une famille de tailleur
installée dans la banlieue de Londres. Le jeune Walter se révèle sans
doute un élève brillant dès sa petite enfance car il réussit le concours
d'entrée à
Latymer Upper School (cycle
collège-lycée). Cet établissement privé, fondé en 1624,
s'enorgueillit avec raison d'une réputation d'excellence et même d'élitisme.
L'adolescent brille en latin, et en français, surement dans d'autres
disciplines littéraires, mais ne suit aucune formation musicale alors que
l'école dispose d'un bon "conservatoire" (de nos jours en tout cas).
Musicalement, grâce au phonographe familial, l'enfant se passionne tôt pour
la musique classique malgré, on s'en doute, la maigreur des catalogues
discographiques. Son père l'encourage avec succès à écouter
Richard Wagner
et Walter apprend ainsi l'allemand. Une initiative qui dopera sa
carrière de producteur lors de la fondation du
Philharmonia. Toujours en autodidacte, il travaille le solfège et le déchiffrage des
partitions. Il ne jouera d'aucun instrument (peut-être la longue durée et le
travail ingrat pour maîtriser violon, piano ou autres l'a démotivé).
Artur Schnabel (1882-1951)
Sir Thomas Beecham (1879-1961)
1927 : Walter est recruté par la firme "His master's voice". Il a 21 ans. En regard de sa vaste culture générale, on lui confie la
rédaction du journal interne de la firme. Rédacteur, discophile passionné,
sa puissance de travail et son sens du management lui permettent d'accéder
dès 1933 à la fonction de producteur…
1929 : Pour Walter, rien de mieux qu'assister à de nombreux
concerts et de parcourir l'Europe et notamment fréquenter les capitales
musicales que sont Berlin et Vienne… Il se rend à Berlin en 1929 où,
pour une série de concerts, se sont réunis cinq maestros parmi les plus
célèbres et talentueux. Sur la photo : Bruno Walter (Directeur de l'Opéra de la ville de Berlin), Arturo Toscanini (codirecteur de l'Orchestre philharmonique de New York
et invité régulier de Berlin), Erich Kleiber (chef d'orchestre de
l'Opéra d'État de Berlin),Otto Klemperer (le géant, 😊chef d'orchestre de la filiale de l'Opéra d'État de Berlin au Kroll Theater*) et Wilhelm Furtwängler (chef d'orchestre de l'Orchestre philharmonique de Berlin). Tous ces maestros ont été invités dans au moins une chronique
(Index). Comment Pour Walter Legge ne pas avoir envie de faire
partager leur art avec un large public par le disque encore bien
confidentiel et au son médiocre ?
1933 – 1945 : Dans la décennie qui suit sa promotion chez
HMV devenu EMI, la grande dépression puis la seconde guerre
mondiale ne profitent guère à l'industrie du disque. Walter Legge,
jamais à court d'idées, invente à la fois le disque en souscription
(paiement d'avance pour un projet consensuel de la part des mélomanes) et
concentre les productions sur des très grands classiques interprétés par des
très grands et renommés artistes en espérant assurer de très grandes
ventes…
Deux réalisations deviendront légendaires : l'intégrale de l'œuvre pour
piano de
Beethoven
sous les doigts d'Artur Schnabel (captée pendant les années 30) et la
Flûte enchantée
de
Mozart
à Berlin en 1937 sous la direction du pittoresque so british
Sir Thomas Beecham, avant la fureur guerrière. Le maestro invitera Legge à participer
comme conseiller technique à l'enregistrement…
(YouTube). Concerto N°5
de Beethoven en 1932 par Artur Schnabel et Malcolm Sargent (YouTube). 10 faces !!!
(*) Pendant le république de Weimar, Klempererprogramme de nombreux ouvrages modernesdePaul Hindemith et
Arnold Schoenberg, Kurt Weil…
Cette orientation moderniste sera interdite comme "art dégénéré" et son
chef de confession juive sera évidemment chassé en 1933 à
l'arrivée des nazis qui réquisitionneront le théâtre pour en faire le
nouveau Reichstag après l'incendie du bâtiment officiel…
Partie 3 : Walter Legge le père fondateur du Philharmonia
Pendant le conflit planétaire, Walter Legge n'a pas les budgets
pour de nouveaux projets d'envergure. Par ailleurs, la venue de grands
artistes germaniques est compromise, j'y reviendrai… Il est réformé à
cause de sa mauvaise vue mais participe à sa manière au soutien moral des
troupes britanniques en organisant des concerts sur tous les théâtres
d'opération de la planète !
Sir Thomas Beecham, lui propose d'utiliser la logistique de l'ENSA (Entertainments National Service Association), un organisme chargé de divertir les combattants ; le répertoire est
plutôt orienté variété disons… populaire, les comiques troupiers 😊.
Walter Legge s'assure la collaboration du pianiste
Solomon
et des maestros Sir
Adrian Boult
et
John Barbirolli, concerts diffusés par la BBC.
Magnétophones 1945
Depuis sa prise de fonction chez EMI, Walter Legge s'est
intéressé aux progrès des technologies discographiques : le remplacement de
l'enregistrement par pavillon par micro(s) vers 1927, le magnétophone
à bandes à oxyde de fer (1936-1941), donc des techniques de gravure
plus performantes grâce aux montages… même si les bandes sont lourdes,
chères et fragiles…
En ces années d'après-guerre Walter Legge reste insatisfait des
limitations imposées par la technique. Il est difficile de proposer un
catalogue varié : la faute au retournement du disque toutes les cinq
minutes… 10 faces pour le
concerto
"Empereur" par
Artur Schnabel
et
Malcom Sargent, et 40 faces pour
la flûte enchantée
de 1937 (sans les récitatifs) 😊. On comprend qu'en art lyrique, des
récitals de chanteurs célèbres soient privilégiés à des intégrales. Même en
ne proposant que des œuvres du grand répertoire parmi les plus appréciées,
le disque reste un produit réservé à la classe aisée. Avant l'usage fin des
années 40 des magnétophones, on usine dans la cire cassante des concerts en
live et quelques interprétations de musique de chambre jouées en petit
comité.
De ce constat frustrant naîtra une idée géniale. Pour la musique
symphonique et l'opéra, l'enregistrement dans un grand studio permettrait de
peaufiner la qualité des interprétations, faire des reprises lors des
couacs. Impossible que Walter Legge ne soit pas au courant des
recherches sur les microsillons. Columbia a commercialisé le premier
33T LP en 1948, le
concerto pour violon
de
Mendelssohn
joué par
Nathan Milstein
et
Bruno Walter
en 1945. La durée par face atteint 25-30 minutes et la bande passante
s'élargit notablement, d'où une belle fidélité des timbres instrumentaux
dues aux harmoniques enfin audibles.
Richard Strauss dirige le Philharmonia en 1947
Walter Legge décide de créer un orchestre dédié à la prise de son en
studio, finis les toux et bruits divers et les ingénieurs du son qui n'ont
pas la possibilité des reprises… Très malin, il imagine une procédure :
l'orchestre répète et donne un ou deux concerts, il est alors fin prêt pour
la captation sans réitérer les répétitions. Legge convainc des
musiciens de se lancer dans l'aventure en touchant des gratifications voire
rien, pas de contrats, certains sont encore militaires et ont été repérés
lors des activités de l'ENSA !
Sir Thomas Beecham
ouvre le bal le 27 octobre 1945 (son cachet : un cigare).
L'excentrique maestro est milliardaire (Le laboratoire pharmaceutique
Beecham fondé par son grand-père, devenu Glaxo… etc.). Il
refuse de prendre en charge le
Philharmonia
nouveau-né pour fonder sa propre phalange, le
Royal PhilharmonicOrchestra
en complicité avec le jeune chef
Malcom Sargent. L'ambitieux
Beecham
a atteint son but. Il n'abandonne pourtant pas Legge, les deux hommes
s'échangent leurs instrumentistes…
Après la venue de quelques chefs expérimentés comme
Richard Strauss
pour une soirée, il tente de séduire un faiseur de miracle à temps complet.
Le gagnant sera
Herbert von Karajan. Le chef autrichien dénazifié en 1947 est persuadé de correspondre
à ce profil, on s'en doute😊.
Partie 4 : Walter Legge ou l'art de réunir des castings
prestigieux
La photo ci-dessus de 1929 réunissant cinq demiurges de la direction
d'orchestre est un beau mais triste souvenir de l'époque où l'Allemagne et
l'Autriche dominaient le monde musical du postromantisme et de la révolution
stylistique du XXème siècle…
Furtwängler déprimé pendant son procès
Après la capitulation, les monceaux de gravats, ceux des logements et des
salles de spectacles entre autres et les millions de morts donnent une image
du désastre de la vie artistique en Allemagne si intense avant 1933.
Bruno Walter
et
Otto Klemperer, juifs, ont dû fuir aux USA (voir article précédent pour
Walter) ; quant à
Klemperer, il a joué aux USA le pigiste cabochard et a subi l'excision d'une tumeur
cérébrale qui l'a laissé hémiplégique mais toujours talentueux ("je dirigerai avec les genoux", humour juif).
Kleiber
a poursuivi sa carrière en Argentine après 1937. Il ne tolérait pas
que Goebbels lui interdise de jouer
Wozzeck, opéra sérialiste et antimilitariste du compositeur
juifAlban Berg.
Seul
Furtwängler, bien que détestant l'idéologie nazie, a pu diriger jusqu'en 1945 à
Vienne pulvérisé par les bombes russes d'un côté, pourchassé par
Himmler de l'autre, le Reichsfürher étant persuadé que le vieux
maestro était impliqué dans l'attentat de Juillet 44. Il trouvera asile en
Suisse en février 45 grâce à un douanier bienveillant face à ses
faux-papiers !
Toscanini
souvent présent à Berlin ou à Londres avant les années 30 est accueilli aux
USA après avoir mis sa vie en danger en insultant le Duce et le Führer à
parts égales…
Les alliés ont imaginé le concept de "responsabilité collective" de tous les allemands pour juger à tout va : les vrais démons à Nuremberg
mais aussi des intellectuels simplement restés fidèles à leur pays
martyrisé. Il est vrai que la découverte des charniers de Buchenwald ou
Bergen-Belsen n'aidait par à la mansuétude vis à vis de tout un peuple
fanatisé et complaisant.
Furtwängler
eut à subir un procès en dénazification. Tout cette affaire est à lire dans
la chronique dédiée à sa
seconde symphonie
écrite dans cette période terrible
(Clic). Il fut soutenu dans cette épreuve par nombre de grands-maitres juifs
exilés tel
Schoenberg
qui lui conseilla de rester pour "sauver l'honneur de la musique allemande". Vaguement "acquitté" comme simple "suiviste" en 1946, il fut
néanmoins rejeté par la communauté musicale notamment aux USA où une tournée
en 1948 donna lieu à des polémiques ; on est surpris à lire la liste
des protagonistes, beaucoup d'anciens amis 😞mais des soutiens réels
heureusement
(Wikipédia).
Herbert von Karajan
qui aurait vendu son âme au diable pour assouvir sa passion absolue de
diriger, bien que détesté par Hitler, subit le même sort. Son
opportunisme ne joua pas en sa faveur.
Walter Legge travaille avec Herbert von Karajan
Walter Legge profitera de l'inactivité temporaire de ces parias pour
les débaucher afin de démarrer son projet
Philharmonia
avec brio. En 1948,
Wilhelm Furtwängler
et
Herbert von Karajan
(le premier méprisant le second au point de l'appeler Msieur K.)
donnent les premiers concerts suivis d'enregistrements en studio. On ne peut
pas tout citer, sauf des moments historiques :
Kirsten Flagstad
et
Furtwängler enregistrent en studio en 1952Tristan et Isolde
en… microsillon ! (Pour certains Le must indétrônable -
Clic) ; ça se discute). Le 22 mai 1950 et avec la même soprano
norvégienne le chef assure la création des
quatre derniers Lieder
de son ami
Richard Strauss*. (Nommés président et coprésident de la
Chambre de la musique du Reich de Goebbels en 1933, ils en sont exclus sans déplaisir en
1935 pour refus actif d'antisémitisme.)
(*) captation inécoutable hélas !!
Elisabeth Schwarzkopf
donnera les premières versions de ce testament au son correct (Strauss
est mort en 1949) … en 1953 avec Otto Ackermann.
Elisabeth Schwarzkopf, sympathisante nazie et proche de Hans Frank☠ et de
Goebbels réussira à passer sans ennui entre les gouttes de la
dénazification. Comprend qui pourra !!! Elle deviendra
Mme Legge en 1953. Un de ses meilleurs amis et
accompagnateurs favoris était :
Furtwängler
! Vraiment une époque bizarre.
- Dis Claude et Toscanini dans Brahms…
- Hein ? Heu ? Disons que je préparais le terrain, mais tu as raison,
j'y viens comme un acteur parmi d'autres des premières années du
Philharmonia. Une autre chronique plus ciblée lui sera consacrée en
dédommagement…
Otto Klemperer... le commandeur
Après ces débuts prometteurs, Legge désigne
Herbert von Karajan
comme chef principal. Il trouva un mentor artistique précieux pour ne pas
dire indispensable pendant et après la période de disgrâce du chef
autrichien acquitté en … 1948 (une difficulté : que
Karajan
et
Furtwängler
ne passent pas la même porte en même temps 💣 !)
En 1955,
Herbert von Karajan
obtient le poste de directeur de la
Philharmonie de Berlin
après un quart de siècle d'intrigues ;
Sergiu Celibidache
perd son job partagé avec
Furtwängler
de retour entre 1952 et 1954, date de sa mort… Karajan reste un fidèle du
Philharmonia
jusqu'en 1960 et constitue une discographie que d'aucun préfère à
celle pour DG, un style éloigné du legato hédoniste des années 60-70,
élégant assurément mais parfois entaché de pathos. Karajan
très modeste promettait de faire de cet orchestre le meilleur du monde… Vu
de l'Angleterre, avouons que le contrat sera quasiment rempli, sachant que
le chef travaillera de la même manière à
Vienne
et à
Berlin…
En 1959,
Otto Klemperer
revenu handicapé mais actif des USA,devenu ami de Legge
est nommé chef à vie de l'orchestre. Il règnera avec autorité jusqu'en
1973 constituant un catalogue de référence du classique au romantisme
de
Bach
à
Mahler…
En 1964, Legge
trop conservateur dans sa programmation sent SON orchestre décliner, perdre
des clients chez les disquaires. Il préfère démissionner et dissoudre
l'orchestre !
C'est sans compter sur le désaccord total des musiciens et d'un quarteron
de maestros célèbres :
Otto Klemperer, le jeune
Carlo-Maria Giulini
et
John Barbirolli
s'opposent à ce gâchis tout comme Sir
Adrian Boult qui, lors d'un discours de vingt minutes exhorte le public à poursuive
l'aventure grâce à une floppée de concerts joués à guichet fermé… Pari
gagné, le
New Philharmonia orchestra
voit le jour…
Legge
est en rage, mais ceci est une autre histoire… Triste final pour cette
folle entreprise…
Partie 5 : Toscanini et la disparition mystérieuse de ses symphonies de Brahms
- Mais dis donc Sonia, c'es quoi ces hurlements en italien dans le
bureau du Toon ?
- Houlà M'sieur Pat, c'est le fantôme d'Arturo Toscanini qui invective
Claude pour avoir attendu le 3000ème mot pour parler de
lui…
- Mouais, il est vrai que ce récit de la vie musicale entre 1920 et
1964 est passionnant… Attends Sonia… ça semble se calmer…
- D'autant qu'on attend avec impatience l'affaire à la Dan Brown de ces
disques… Il y a une pochette pourtant…
Toscanini souriant !!! (1952)
La Scala en 1900
Le Metropolitan Opera vers 1920
Toscanini à Londres en 1952
Je viens de me prendre la rincée du siècle… Enfin, le maestro spectral m'a
laissé une bouteille de chianti… comme quoi ! Mes articles récents abordent
désormais un sujet de réflexion sur l'histoire de la musique et un disque
réalisé ou édité lors d'un événement pas banal. Aujourd'hui, la visite
éclair du maestro italien à Londres pour soutenir le début en fanfare du
Philharmonia. Hors de question d'écrire une biographie détaillée de cet homme
stupéfiant. Voici quelques repères biographiques, un autre article doit être
envisagé…
Toscanini
aimait les nouveautés techniques lui aussi… ces disques sont légions…
Remontons le temps en 1867.
25 mars 1867 : Naissance à Parme. Le père de famille comme celui de
Walter Legge est tailleur ! Garibaldien (disons social-démocrate,
anticlérical…) et fredonne gaiement des airs de bel canto.
1876 - 1885 : Poussé par son père vers le
Conservatoire Arrigo Boito de Parme,
Arturo
obtient une bourse par concours. Il démontre des dons exceptionnels, dont
une mémoire eidétique qui favorisera sa connaissance au # près de centaines
de partitions… Il étudie le piano, le solfège, l'harmonie et le violoncelle,
son instrument de prédilection. Les conditions de vie sont spartiates, la
discipline rigoriste, les dortoirs dignes de ceux d'une caserne, la
nourriture frugale. Il supporte cette austérité, mais il y a plus douloureux
: ses parents ne lui rendent jamais visite et ne viendront jamais assister à
ses premiers concerts.
Certains psychologues attribuent ses futures crises caractérielles à ce
déficit affectif cruel.
Arturo
apprend trop jeune à affronter la solitude, à s'imposer sans soutien.
1886 : premiers concerts comme violoncelliste et maestro. Il se rend
à Rio de Janeiro comme violoncelliste pour une représentation de
Aïda. Il doit remplacer le chef
Superti, inapte et hué par le public (Arturo
connait la partition par cœur, inutile de répéter). Il confirme son génie
et… son irascibilité. La critique publie "la naissance d'un chef" !
1886-1898 : violoncelliste puis chef, il se produira sans relâche
dans le répertoire vériste et assure quelques créations. 1895 : À
Turin, il fait creuser une fosse d'orchestre et peut ainsi programmer
Wagner
en Italie :
Götterdämmerung
et
Tristan. Le vigoureux orchestre wagnérien, ne couvre plus les voix… Les dames
doivent retirer leurs chapeaux pour ne pas gêner la vue de la mise en scène.
Le public accepte facilement cette nouvelle donne imposée par
Arturo. 1896 : création de
La Bohème, dePuccini.
1898 : Depuis un an, la municipalité de Milan a fermé
La Scala
faute de budget ! Divers donateurs de la noblesse permettent sa réouverture
sous la direction à poigne d'Arturo Toscanini. Le maître a 31 ans mais comprend que le style des spectacles doit
s'adapter pour rendre la vénérable institution rentable. La programmation a
pourtant évoluée : tout
Verdi, certes, mais
Berlioz,
Massenet,
Gounod
et
Wagner, etc. y sont joués dans des conditions inappropriées.
Toscanini
applique les innovations expérimentées à Turin : On joue l'œuvre en continu
(finies les soirées mondaines avec des pseudo entractes), obscurité dans la
salle, pas de bis en fin de représentation, pas de chapeau, pas
d'interprétation prétentieuse des chanteurs… pas… pas de… L'opéra… c'est du
sérieux 😊. Il n'obtiendra la fosse d'orchestre qu'en 1907 !
Puccini
débute et fait scandale… Ah la nouveauté… les pour, les contres…
Toscanini
opiniâtre ne lâche rien malgré un salaire symbolique. Malgré tout, certains
soirs les mauvaises habitudes resurgissent : les bis, la phobie de
Toscanini
qui claque la porte en 1902…
1906-1908 : Il accepte de revenir, mais complots et conflits d'ego
reprennent. Il crée enfin
Wagner
et
Debussy
grâce à la fosse enfin achevée, se brouille avec
Richard Strauss
et claque la porte de nouveau plus par lassitude qu'aigreur. Les critiques ?
Il est blindé…
1908 – 1915 :
Arturo
accepte la direction artistique du
Metropolitan opéra de New-York
malgré une hostilité de critiques yankees, et la codirection de la
PhilharmonieNew-Yorkaise
alors sous la coupe de
GustavMahler.
1919-1929 :
La scala, le retour épisode III : À 53 ans, son autoritarisme s'accentue encore au
bénéfice de la qualité des spectacles.
1929 : Depuis 20 ans, le fascisme a gangréné l'Italie et en
Allemagne le nazisme débute sons ascension. Socialiste dans l'âme,
Toscanini
avoue une petite séduction pour les premières lois sociales du Duce.
Mais en 1922, après la marche sur Rome et le début de la dictature de
Mussolini, il n'a pas de mots assez durs contre le
Duce jusqu'à l'insulte. Il refuse de jouer l'hymne fasciste à la
Scala ou ailleurs… "C'est la scala ici Monsieur, pas une guinguette". (Le dire en hurlant). Un soir, il est presque lynché par des faisceaux
italiens. Partir en Allemagne ? Pays allié où il a dirigé souvent y compris
à
Bayreuth
en 1930 serait possible. Mais avec Hitler qui approche du
pouvoir ?... Même pas en rêve. Il doit sauver sa peau, celle de sa femme et
de ses quatre enfants… Toscanini
l'humaniste.
1928-1936 : Toujours en contrat avec la philharmonie de New-York,
Toscanini
s'installe définitivement aux USA.
1937-1954 : Le groupe audiovisuel NBC crée un orchestre pour
Toscanini
âgé de 70 ans. Admiré par
Pierre Monteux
et d'autres maestros de renom, passionné d'évolutions techniques, considéré
comme le meilleur chef et le plus innovant de la planète malgré ses sautes
d'humeur délirantes… il constitue avec NBC et RCA une
discographie issue de concerts diffusés à la radio… On reparlera. Il
s'éteint épuisé en 1954 à 87 ans…
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Avec le
NBC orchestra
conçu exclusivement pour lui,
Toscanini
interprétait souvent
Brahms, notamment au début des années 50. La Columbia utilisait des
micros RCA très performants. Le label RCA ayant
l'exclusivité de la publication…. Il est invité à Londres en
1952 pour ajouter une "perle" à la discographie du
Philharmonia. À la fin de sa vie
Toscanini
ne quittait guère les USA que pour diriger à
La Scala. Pourtant il accepte et vient en Angleterre pour la dernière fois de sa
vie pour donner les
quatre symphonies
en deux soirées en concert public.
Le chef italien proposait un
Brahms
étincelant et bouillonnant, débarrassé des oripeaux d'un romantisme
grassouillet. Le compositeur allemand ne revendiquait il pas un modèle de
composition postclassique en plein siècle romantique, un héritage plus
beethovénien que wagnérien ?
Pourtant les disques ne seront jamais fabriqués !
Comme à l'accoutumée, les concerts diffusés en Live avec le
Philharmonia
tiennent lieu de répétitions avant les captations en studio pour
débarrasser le son des bruits parasites, voire reprendre des passages
insatisfaisants. Imparfaits mes concerts ? Une notion qui pouvait n'avoir
aucun sens pour
Toscanini
et par ailleurs une méthode contraire aux pratiques de la NBC.
Aucun témoignage ne donne d'explication à l'absence du maestro dans le
studios n° 1 d'Abbey Road, au
Kingsway Hall, au
Royal Albert Hall, ainsi qu'au
Royal Festival Hall (où avait eut lieu
le concert !), choix dépendant de la taille de l'orchestre et du planning.
Questions : La défection ou le refus de repasser sans changer de
salle par l'épreuve "studio" a-t-il irrité Walter Legge ?
Herbert von Karajan, directeur artistique, a-t-il mis un veto à l'écoute de cette
interprétation opposée au style germanique élégiaque à la mode pour la
musique de
Brahms. Pensait il graver une intégrale de son cru en mono ? ce qu'il fera vers
1957 ? C'était sans compter l'interprétation d'Otto Klemperer
en 1958, en stéréo de qualité, une vision très haut de gamme et
dans la tradition "pseudo romantique"… Elle demeure la version toujours
rééditée régulièrement du catalogue…
J'avais promis une théorie, choisissant ce mot car, on l'aura compris, je
ne sais absolument pas pourquoi il a fallu attendre l'an 2000 pour
entendre ces exécutions raffinées et épiques. Je ne précise aucun détail
sur le jeu assez extraordinaire de clarté et de conviction de
Toscanini. Écoutons simplement…
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que
conseillée.
Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la
musique…
INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool.