mardi 16 décembre 2025

DEEP PURPLE : ”The Mark 2 Purple Singles“ (1979) - par Pat Slade



Le temps passe, nous vieillissons et nous nous retournons quelques fois sur nos albums adorés.



Un best of  Violet Foncé





Je vais parler de mes souvenirs, quand tu es en retraite qu’il ne te reste plus un temps infini à venir et que le plus gros du chemin est fait avant de bouffer les pissenlits par la racine (Défaitiste et pessimiste ?? Non, non ! juste lucide !) et bien tu te retournes quelques fois et tu regardes par-dessus ton épaule pour regarder les choix que tu as fait dans ta vie. La plus grosse partie sera dédiée à la musique, le classique m’apprendra les harmonies, la chanson française la poésie et le rock la rythmique. Après treize ans et six cent soixante deux chroniques (Bien loin derrière Claude Toon et Luc B et Bruno les piliers du blog). Et puis dans les colonnes du Déblocnot, Claude va ouvrir une nouvelle brèche ”Les Disques Légendaires“ Quelle très bonne idée !! Je m’engouffre dedans mais sous un angle différent avec les compilations.

Deep Purple n’a jamais été mon groupe préféré, le jeu de guitare de Jimmy Page et Led Zeppelin a toujours eu plus d’influence à mes yeux que celui de Ritchie Blackmore. Pourtant, comme je dis toujours, il faut gouter à tout avant de porter un jugement. A l’adolescence j’ai appris l’orgue et la guitare électrique en autodidacte, tout à l’oreille (elle n’est ni parfaite ni absolue et avec l’âge elle devient paresseuse) et le premier morceau que tout guitariste apprend à jouer comprend les accords de l’intro de ”Smoke on the Water“. Mais sur quel album trouver la version qui t’aidera à progresser dans ta quête ? Cela se choisira au visuel de la pochette. Pour être franc, je n’aime (toujours pas) le visuel de ”In Rock“ ni celle de ”Machine Head“. En définitive leurs pochettes  sont en générale particulièrement laides à la différence de celles de Led Zeppelin qui ont beaucoup plus de recherche dans  le graphisme.

Faute d'une image qui m’apporterait quelque chose de satisfaisant, il n’y a plus qu’à chercher le contenu de chacune des galettes. ”In Rock“ avec ”Child in Time“ et ”Machine Head“ avec ”Smoke on the Water“ et ”Highway Star“. Mais sur quel album trouver tout ces titres compilés de l’époque Mark II ?? Le légendaire ”Made in Japan“ comme le ”Mark I & II“ étaient alléchants mais, à l’époque, je n’avais pas les moyens de m’offrir ces doubles albums alors il me fallait trouver un compromis économique et ils auront la bonne idée de fractionner l’album, et ce sera ”The Mark 2 Purple Singles“ qui sortira en 1979 qui trouvera grâce à mes yeux. Des classiques comme ”Smoke On The Water“, ”Black Night“, ”Child in Time“, ”Woman From Tokio“, ”Never Before“, ”When A Blind Man Cries“ et ”Painted Horse“ un morceau qui peut aussi servir tout comme ”Smoke on the Water“ pour se former au maniement de la six cordes. ”The Mark 2 Purple Singles“ une très bonne compilation avec un prix modique mais avec une pochette toujours aussi aide.

J’ai toujours trouvé les albums live de Deep Purple très bons comme le ”Made in Europe“, le ”Made in Japan“ bien sûr mais surtout le ”Live in London“ de 1982 et ”Nobody’s Perfect“ de 1988 l’album de la tournée The House of Blue Light que j’avais pu voir l’année précédente à Bercy et qui sera un concert catastrophique (Lire la chronique de l’album ”Perfect Strangers). ”The Mark 2 Purple Singles Un disque école pour guitaristes en herbe et sans trop le sou ou pour ceux qui voudrait connaitre la grande époque du groupe de l’époque Mark II. 

Pour ma part entre Deep Purple et  Led Zeppelin c’est comme les Rolling Stones et les Beatles. Pour savoir ceux que je préfère, un petit indice, j’ai un tatouage du Zeppelin.



dimanche 14 décembre 2025

LA SOIF DU BEST-OF


LUNDI : Marcelloooo ! appelait la féline Anita Ekberg les pieds dans sa fontaine. Avec Claude, deux Marcello pour le prix d’un, les frères Benedetto et Alessendro, compositeurs baroques, dont le Toon nous a fait écouter des « Concertos pour hautbois » et des « Sonates pour flûtes ».

MARDI : Pat a réécouté les immenses Creedence Clearwater Revival, et quoi de mieux qu’un « Live in Europe » en forme de best-of où tous les classiques de Fogerty (ou presque) s’y trouvent sublimés, même si les bandes ont été sérieusement retouchées ici ou là.

MERCREDI : Donnas, donnas, donnas moi… Dieu vous le rendra, chantait Enrico Macias, en hommage à The Donnas, un girls band qui a tapé dans l’oeil de Bruno, leur « Spend the night » enfile une collection de perles punk-rock copieusement assaisonnées de hard-rock.


JEUDI : Benjamin se lance dans une nouvelle série dédiée au « Folk rock » et forcément, à tout seigneur tout honneur, il entame avec Bob Dylan, qui le 25 juillet 1965 a fait un truc dingue : il a branché sa guitare !

VENDREDI : c’est les yeux embués de larmes que Luc est allé revoir « La Soif du Mal », dans une version fidèle aux projets d’Orson Welles, un Film Noir que le génial réalisateur hisse au rang de tragédie humaine, d’une puissance visuelle éblouissante. Chef d’oeuvre de l’art, et pas simplement du septième !

👉 La semaine prochaine, ça va cogner dur avec les singles de Deep Purple (le groupe le plus chroniqué de ces colonnes ?), puis une perle oubliée des 70’s – rien n'a filtré encore du bureau de Bruno, sauf l'odeur du chou farci qu'il cuisine sur son réchaud pour la semaine - Andreas Staier viendra interpréter deux concertos de Mozart, et plein de z'animaux au cinéma dans un dessin animé de Jared Bush.


Et puis, avec retard, un dernier salut à Steve Cropper (84 ans) guitariste de légende, mais pas parce qu'il se roulait par terre, enflammait sa gratte ou balançait des soli de 10 minutes avec les dents. Il a fait mieux que ça, il a forgé un son, celui des studios Stax, avec le groupe The Mar-Keys (qui n'ont jamais accompagné Jacques Brel... j'vous laisse deux secondes pour trouver la blague...) puis Booker T and the MG's. Producteur, compositeur, arrangeur, n'en jetez plus. Son nom est associé à Otis Reding (qui composait sur une seule corde à la guitare, c'est Cropper qui s'occupait de façonner le reste) et à Sam & Dave (autres compositeurs maison), ou Wilson Pickett, Eddie Flyod. On le voit évidemment dans le film The Blues Brothers, aux côtés de son pote et bassiste Donald "Duck" Dunn. Lister les disques où apparait Steve Cropper reviendrait à recopier le bottin mondain des musiciens. Ce serait plus rapide de lister ceux où il n'intervient pas !  

vendredi 12 décembre 2025

LA SOIF DU MAL de Orson Welles (1958) par Luc B.



Sacrilège de parler de LA SOIF DU MAL sans évoquer recta ce premier plan séquence d’anthologie ! Qui a fait de nombreux petits ensuite, on ne dénombre plus, depuis, les films qui démarrent par un plan séquence, exercice de style qui vous pose-là un réalisateur, un plan que Brian de Palma avait singé (en split screen) dans PHANTOM OF PARADISE.

Ce n’est pas de la virtuosité gratuite. Le film débute par un gros plan sur des mains qui règlent la minuterie d’une bombe, placée ensuite dans le coffre d’une voiture. Le cadre s'élargit avec un panoramique très rapide, un couple arrive et monte dans la voiture, qui démarre. La caméra, montée sur un camion grue, s’élève au-dessus des immeubles pour rattraper le véhicule et le suivre sur une avenue encombrée de monde. Puis la caméra redescend pour accrocher le couple Vargas qui passe à pieds, on les suit un moment, on retrouve ensuite la voiture piégée, bloquée au poste frontière. Le conducteur s'impatiente, la passagère s'agace un "tic tac", ils repartent enfin, la voiture sort du cadre, on revient sur les Vargas, et... BOUM !

On a vu au départ que la bombe était réglée pour exploser dans 3’30. C’est aussi la durée du plan. Donc Welles joue sur le temps réel, il donne l’information au spectateur, et crée le suspense. Ca va péter, on sait quand, mais pas où, car la voiture ne cesse d’être bloquée dans la circulation.

Le plan séquence trouve ici sa pleine justification. Mais y’a une deuxième raison. A cette époque, Welles était tricard à Hollywood depuis 10 ans (et en sera banni définitivement après ce film). Il décroche le rôle d'un flic pourri, Hank Quinlan, dans une production Universal, dont la star est Charlton Heston. Qui convainc le studio de confier à Welles la réalisation du projet. Celui-ci va réécrire le scénario (il transpose l’action à la frontière et fait de Vargas un mexicain) mais il sait qu'il doit donner des gages. Grâce aux plans séquence, précisément répétés puis filmés en one shot, il prend de l’avance sur le plan de travail. Les producteurs rassurés lui foutent la paix, d’autant que Welles, malin, délocalise le tournage à Venice, banlieue de Los Angeles, où les nababs du studio ne mettaient jamais les pieds. Et a essentiellement tourné de nuit, profitant de ses journées pour écrire et donner le script au dernier moment, pour être certain que personne ne puisse interférer. 

Tournage idyllique, mais ça va se gâter ensuite... Revenons à cette explosion inaugurale. Nous sommes à Los Robles, ville frontalière entre le Mexique et les Etats Unis, gangrénée par la violence. La voiture piégée venait du Mexique, le secteur de Mike Vargas (Charlton Heston) mais a explosé côté américain, secteur de Hank Quinlan. Les deux flics vont devoir mener conjointement l’enquête.

Hank Quinlan est un des personnages les plus fameux du Film Noir. La corruption et la mauvaise foi élevées au rang d’art majeur. Welles lui donne une puissance phénoménale, engoncé dans des prothèses, coussins sur le bide, faux nez, vieilli (il n'a que 42 ans à l'époque), filmé en fortes contre-plongées qui accentuent son aura maléfique. Qui n’a aucune envie de voir Vargas mettre le nez dans ses sales affaires. Quinlan utilise le malfrat local Joe Grandi (Akim Tamiroff, pathétique avec son toupet vissé sur le crane !) pour intimider Vargas. Et pour que le message passe mieux, autant s’en prendre aussi à sa femme (Janet Leigh, oh bon sang, la belle femme !).

Le tournage est rondement mené, mais Universal, méfiant, écarte Welles du montage, exige d’Harry Keller (réalisateur maison) qu’il tourne de nouvelles scènes. Toujours pas satisfait du résultat, Universal coupe 15 minutes. C’est cette version que j’avais vue il y a des lustres, un format 4:3 d'1h35. Welles avait écrit un mémo de 50 pages décrivant le montage qu’il souhaitait. En 1998, le document est retrouvé, confié à Walter Murch, monteur de Coppola, qui retravaille le montage en suivant les indications de Welles, mais aussi en intégrant quelques re-take de Keller. LA SOIF DU MAL dite "version Murch" retrouve son format d’origine en 1:85, elle ressort en salle, c'est le moment d'y aller. 

Le lettrage du générique est remis à la fin, et non au début, pour ne pas gâcher le plan séquence, la musique de Henri Mancini (pourtant superbe) en est aussi retirée, au profit des ambiances et musiques sortant des bars, des radios, de l'autoradio de la voiture. Chez Welles le son est aussi primordial, pas une simple illustration musicale plate, mais en relief, au fur et à mesure que la caméra arpente l'avenue, et que la voiture se déplace. Le montage restauré restitue surtout l’alternance des péripéties Mike Vargas / Susan Vargas. Welles avait conçu son film comme deux histoires parallèles, aux incessants allers-retours.

Bon, on ne va pas pinailler, quelque soit sa version LA SOIF DU MAL est un chef d’œuvre, le film qui enterre définitivement le Film Noir. Aldrich (EN QUATRIEME VITESSE) ou Kubrick (L’ULTIME RAZZIA) avaient déjà fissuré l’édifice en corrompant ses codes, Welles tire la dernière balle, fatale, le public se détournera du genre, avant qu’il ne renaissance dans les 90’s.

Car c’est un film violent, qui montre frontalement la dégueulasserie du monde. Ce que subit Susan Vargas est effrayant. Les scènes du motel sont osées pour l’époque, on y parle ouvertement de drogue, de viol, la pauvre est harcelée puis violentée par une bande de loubards payée par Grandi. On reconnaitra Mercedes McCambridge (de JOHNNY GUITAR) en lesbienne lubrique qui exige de rester dans la chambre pour jouir du spectacle. On se dit que décidément, Janet Leigh n’a pas d’bol avec les motels, deux ans plus tard dans PSYCHOSE elle s’y fera trucidée sous la douche !

Welles a recours aux artifices du film d’épouvante, dans cette autre scène impressionnante où Quinlan étrangle Joe Grandi, au-dessus du lit où Susan est encore dans les vapes, avec ce plan du cadavre les yeux exorbités. Le montage alterné joue à fond, puisque Mike Vargas passe justement devant l’hôtel au moment où sa femme hurle au secours sur le balcon, risée des badauds. Elle le voit, l’appelle, il n’entend pas.

Parmi les grands moments du film (mais y en a-t-il de faibles ?) ce dialogue entre Vargas et le procureur dans une voiture lancée à toute berzingue dans les rues de Los Robles, filmé en un seul travelling arrière (le genre d'idée qui vous fait gagner trois jours de tournage). Ou la perquisition chez le suspect Sanchez, encore un plan séquence éblouissant dans l’étroitesse des lieux où se bousculent les personnages. Et la filature où Vargas suit Quinlan pour enregistrer ses aveux à son issu.

Tout respectueux de la loi qu'il soit, Mike Vargas n’est pas exempt de défauts. Il persuade Menzies de trahir son ami, il tabasse allégrement la bande à Grandi dans un bar, et surtout, par orgueil, fait peser de grands dangers sur sa femme (le couple est censé être en voyage de noce !). C’est un besogneux, rigide et procédurier : « Notre travail est censé être dur, le travail de la police n’est facile que dans un Etat policier ». Le film est une confrontation entre deux représentants de la loi. Quinlan concevant parfaitement fabriquer de fausses preuves pour étayer ses intimes convictions. Un film ambigu, sujet à interprétation : Sanchez est-il effectivement coupable ? Quinlan le salopard aurait donc raison depuis le début ? La fin justifiait elle les moyens ? Welles disait que si on voulait connaitre ses idées sur la justice, la politique, il suffisait d'écouter le personnage de Vargas, qui parle à travers lui.

Le film est servi par une photographie très contrastée, les images sont dures, acérées, la nuit transpercée de flashs, comme des lames de couteau. Welles choisit des axes audacieux, baroques, glisse sa caméra dans les moindres recoins, le décor naturel de Venice devient un théâtre oppressant. La compréhension des images n’est pas immédiate, ce qui renforce l’opacité du récit et le vertige. La fin est dantesque, située dans un décor de fin du monde, la pourriture Quinlan croupit littéralement dans les immondices, déchet parmi les déchets.

Personne ne le regrettera, sauf peut-être Tana, dont le personnage est toujours introduit à l'écran par un air de piano mécanique, « Fesche Lola ». D'où vient cette chanson ? Du film L'ANGE BLEU, chantée par Marlene Dietrich. Et ça tombe bien, qui interprète Tana ? Marlene Dietrich... Elle avait joué avec Welles dans HOLLYWOOD PARADE (1944), ils étaient jeunes, ils étaient beaux, ils étaient minces. Dietrich est toujours belle et mince, Welles s'amuse à confronter leurs physionomies, d'où cette réplique private-joke : « You should lay off those candy bars » (tu devrais arrêter les barres sucrées). Autre réplique culte, derniers mots du film : « He was some kind of a man… ». Bon sang, on est presque ému par cette ordure !

Marlène Dietrich, n'a que deux petites scènes, mais quelles scènes ! Qui participe à l'aura intemporelle du film. Quinlan et Tana ont été amants, on le suppose, c’est chez elle qu’il trouve un peu de repos. Il lui demande de lui tirer les tarots : « - Dis-moi mon avenir ? – Tu n’en as pas, tu l’as épuisé ». Superbe ! Welles n'avait pas donné d'indication particulière à l'actrice, qui est arrivée sur le plateau avec un costume de bohémienne qu’elle s’était confectionné. Personne ne l’a reconnue ! 

Et puisqu’on donne dans l’anecdote, Janet Leigh a tourné avec un bras dans le plâtre, habillement dissimulé par des accessoires, un vêtement sur le bras, ou des astuces de cadrage. Et puis on aperçoit l'ami Joseph Cotten, juste une figuration.

Le film a été un échec commercial, et Welles renvoyé à ses petites productions européennes, courant après les cachets pour financer sa pellicule. Le public qui attendait le bon p'tit polar du samedi soir en famille n’était pas prévenu d’un tel choc visuel, d’une telle noirceur, d'une telle galerie de personnages écœurants, tyranniques, de cette dimension tragique qui transcende le film. 

D’ailleurs, à ce niveau, ce n’est pas un film, c’est une œuvre d’art !


Noir et blanc  -  1h51 – format 1 :1.85 (version 1998) 

Comme c'est bientôt Noël, pas une ni deux mais quatre vidéos ! La bande annonce d'origine, puis version restaurée, le plan séquence d'introduction, et sa relecture par de Palma.    



jeudi 11 décembre 2025

LE FOLK ROCK - épisode 1, par Benjamin.


Mais qui est donc ce jeune homme taciturne qu’un conducteur altruiste prit en stop au détour d’une route New Yorkaise. Lorsque le conducteur tenta d’engager avec lui une conversation, où il ne répondit qu’avec une brièveté vexante, le jeune homme ne tenta même pas de cacher son manque d’intérêt pour son bienfaiteur. Ceux qui aiment parler n’ont il est vrai pas grand-chose à dire, leurs propos ne sont que l’exutoire de leurs angoisses.

La politesse eut pourtant voulu qu’une certaine sympathie s’instaure entre le voyageur et son bienfaiteur, qu’il paie en quelque sorte en chaleur humaine le service qu’il ne pouvait rémunérer. Au lieu de cela, il traitait le conducteur avec une froideur donnant l’impression qu’il voyait sa présence ici comme une faveur qu’il lui faisait. Le visage juvénile et concentré sur de mystérieuses écritures, le jeune homme ressemblait à un ado ayant fugué pour rejoindre sa petite amie. Arrivé à New York, le jeune snob partit sans dire un mot, accentuant ainsi l’admiration instinctive que son conducteur ressentait pour lui.

Les gens sont ainsi fait que, si une bonté trop généreuse leur donne du mépris pour leur bienfaiteur, le culot d’un profiteur méprisant est souvent pour eux le signe d’une certaine noblesse. Comme le disait si bien Louis Ferdinand Céline, un bon culot suffit à presque tout, et notre voyageur fut loin d’en manquer. Malgré son visage d’adolescent, il marchait avec l’assurance d’un homme mûr et la tranquillité de celui qui sait où aller. Le jeune homme se nommait Bob Dylan et, lorsque quelqu’un lui demandait où habitait sa famille, il répondait ne pas en avoir, avec une absence d’émotion troublante. Dylan se dirigeait vers le Gaslight, café aux airs de cave ancienne où la poésie de la folk avait remplacé le swing revigorant des dieux du jazz.

Là-bas, une horde conservatrice ressassait les classiques d’un répertoire qu’elle voulut immuable. Dylan, lui, avait dans la tête un monde fait de récits kerouacquiens et de poésie beat et Rimbaldienne, toute cette culture formant la source lumineuse de ses propres récits mélodieux. Pour le folk, les première chansons dylanniennes furent aussi importantes que les premières compositions des Beatles le furent pour le rock. Passons rapidement sur la naissance de son amitié avec Johnny Cash et l’influence de Suze Rotolo, là n’est pas notre préoccupation actuelle. D’ailleurs, notre récit commence sur la triste sortie de Suze Rotolo du mythe dylanien, drame comme il s’en écrivit des dizaines depuis la parution des tragédies Shakespeariennes.

Placée au milieu du public de Newport, Suze vit la naissance d’un nouvel amour tuer le sien. Le grand Bob bénéficia toujours de la bonté des femmes, ce sont elles qui l’hébergèrent lorsqu’il arriva à New York dans ses guenilles de clochard céleste. Joan Baez était la reine d’une musique dont il fut sacré roi, leur union était aussi inévitable que gravée dans le marbre de l’histoire. La chanteuse avait également les moyens d’ouvrir à Dylan les portes de l’Angleterre, la seconde terre du rock. Dylan aima toujours le rock et le blues, les riffs de Chuck Berry et Muddy Waters firent autant partie de sa culture que les mélodies de Woody Guthrie. A une époque où internet et la télévision n’avaient pas encore fait de la culture une soupe fade et cosmopolite, le barde ne sut à quoi s’attendre en arrivant sur les terres de la perfide Albion.

Moins traditionaliste que la musique de son pays, la pop anglaise taillait au rock des costumes aussi gracieux que flamboyants. Avec « You really got me » les Kinks prédirent l’invasion des hordes zeppeliniennes. Partant de la même base rhythm’n’blues, les Who instaurèrent un culte de la sauvagerie sonore préparant les premiers pavés punks.

Puis il y avait les Stones, qui n’étaient pas encore revenus de leurs errements psychédéliques, qui ne leur fit toutefois pas perdre ce swing évoquant les grands espaces américains. Si le grand Bob côtoya également les Beatles, ceux-ci n’eurent sur sa musique qu’une influence minime. Emballer ses vers inspirés par Rimbaud et Dylan Thomas dans des mélodies aussi modernes que les leurs aurait été comme demander à Kubrick de produire un film de Charlie Chaplin. La prose dylanienne visait la postérité, nulle belle plante ne survit si longtemps si elle n’est pas profondément enracinée dans sa terre natale. La terre de Dylan fut la musique américaine dans sa fascinante diversité de traditions.

Voyant Mick Jagger et Roger Daltrey soulever les foules et mettre en transe des hordes de gourgandines, il envia secrètement leur charisme sauvage. Lui ne sut jamais que claudiquer sur scène avec une raideur de pantin désarticulé, ses mots seuls fascinaient une foule le gratifiant de la charge austère de guide d’une génération. Ce rôle, le barde l’avait toujours refusé, il ne voulait pas plus guider sa génération que la laisser l’aliéner. « Celui qui n’est pas occupé à naître est occupé à mourir » chanta t-il avant d’incarner son précepte de la façon la plus révolutionnaire. 

Enregistré dans l’urgence « Bringing it all back home » fut le plus cruel coup porté à l’immobilisme folk. Nul n’ignorait que, si le grand public prenait goût à l’union du folk et du rock, le folk acoustique croupirait à jamais dans les caves de l’underground. Alors, au lieu des cris d’admiration, Dylan eut droit aux cris de haine. Les lettres d’admirateurs devinrent des lettres de menaces, les louanges se transformèrent en injures. Ce que Dylan préparait n’était pourtant pas une révolte avant-gardiste, mais une prolongation de la tradition par des moyens nouveaux.

C’est dans ce cadre qu’il convoqua Mike Bloomfield à l’enregistrement de « Highway 61 revisited », l’homme s’étant imposé comme le plus légitime fils des chanteurs de Delta blues. Ainsi sortirent les fabuleux « Bringing it all back home », « Highway 61 revisited » et « Blonde on blonde ». Sur ce dernier, le swing terreux du Band prédisait discrètement un virage country qui fit autant scandale que la fièvre électrique qui le précéda. A l’écoute de ces enregistrements, la direction du festival de Newport avait prévenu Dylan, sa folie électrique ne sera pas tolérée dans cette Mecque de la poésie acoustique. Qu’importe la mort du folk se dit alors le barde, sa muse exigeait qu’il l’étreignit avec l’énergie des rockers les plus dévergondés.

Propulsé par cette puissance binaire honnie des ayatollahs de la tradition folk, le poète se sentit un peu plus proche du charisme d’Elvis qu’il admirait tant. Il tournait pourtant également la page des rockers acéphales, greffait un cerveau au corps glorieux du rock’n’roll, incitait les rockers à penser. Aussi grandiose que fut cet épisode du mythe dylanien, il serait caricatural d’en faire le seul père de la révolution folk rock. 

Dans le même temps, fuyant la chaleur californienne pour la fraîcheur obscure des salles de cinéma, une bande de jeunes musiciens s’apprêtait à vivre la plus grande révélation de sa vie. Les films des Beatles furent la version anglaise des nanars d’Elvis, de sympathiques navets plus proches du grand plan de publicité que de la véritable œuvre cinématographique. Qu’importe pourvu que, propulsé par la puissance d’une sonorisation moderne, les chœurs de « Love me do » et « A hard day’s night » donnent l’impression de vivre un événement historique.

A suivre… avec les Byrds

Cet article, et bien d'autres, est à relire dans le bouquin de Benjamin, en vente ici :  Le Roman du Rock

Extraits du festival Newport 65' avec un titre folk, l'autre rock (un inédit, seuls quelques initiés connaissent) et plus tard avec The Band.