Headpins est une des nombreuses fiertés musicales du pays à la feuille d'érable. Pourtant, son parcours fut celui d'une comète. Une comète qui s'abîma, partit en lambeau avant d'exploser en plein vol.
A l'origine, ce ne devait être qu'un projet parallèle et éphémère de deux musiciens entrés tardivement dans le groupe Chilliwack. Probablement le premier groupe de Vancouver a se targuer d'un succès national notable, et surtout à taquiner les charts du proche voisin. Le multi-instrumentiste Brian MacLeod (guitariste, chanteur, claviériste, batteur et producteur), également auteur-compositeur, et le bassiste Ab Bryant (ex-Prism) rêvaient de vibrations crues et heavy. Malheureusement pour eux, Chilliwack ne mangeait pas de ce pain-là. Son credo étant plutôt un rock mainstream, soft, policé, préfigurant un rock FM et frisant souvent la guimauve. Le premier pouvait flirter avec le rock progressif, mais c'était bien des années en arrière, en 1970, un temps apparemment révolu pour son leader et principal compositeur, Bill Henderson.
Ainsi, même si les deux intéressés, Brian et Ab, ne voulaient pas quitter une formation viable et stable, bien assise commercialement parlant, ils développent rapidement une certaine frustration à ne pas pouvoir incorporer quelques éléments ouvertement heavy, et à se lâcher en concert sur de brûlantes pièces de hard-rock. Ne voulant pas quitter la proie pour l'ombre, - ne pas se dispenser d'un certain confort financier -, tous deux décident de monter parallèlement un projet où ils pourraient monter le son, pousser leurs amplis pour faire résonner le tonnerre. Un heavy metal thunder dominé par une maîtresse-femme. (Serait-ce un choix dicté par l'exemple de Heart, le groupe phare de Vancouver ?).
Une première mouture voit le jour en 1979, avec le futur batteur de Loverboy, Matt Frenette, et Denise McCann. Une chanteuse puissante ayant déjà à son actif trois disques... de disco. Et pas du meilleur (enfin, le dernier, « Tattoo Man » contient tout de même une très belle et douce ballade). Évidemment, en dépit des efforts de Brian et Ab, la sauce ne prend pas. Malgré d'indéniable qualités vocales, Miss Denis McCann, très prochainement madame Randy Bachman, ne semble pas être la personne adéquate pour illuminer le hard-rock (trop ?) carré de Brian MacLeod. Le groupe reste ainsi jusqu'en 1981, sans décoller, sans intéresser la moindre maison de disques. Jusqu'à la rencontre de miss Dary Phyllis Mills. Une damoiselle de 22 ans, pleine d'énergie, sûre d'elle, doté d'un gosier vigoureux d'où s'échappe un souffle brûlant et particulièrement éraillé. Ils avaient enfin trouvé la bonne personne.
Rapidement, Headpins, qui entre-temps a troqué son batteur avec celui de Loverboy, Bernie Aubin, entre en studio. Celui du Little Mountain Sound de Vancouver, déjà considéré comme l'un des meilleurs d'Amérique du Nord. En 1982, « Turn It Loud » inonde le marché canadien où son succès, pour un premier essai, est retentissant. Même les USA se laissent tenter, grâce à la diffusion assidue du clip de « Don't Make Ya Feel ». Vidéo ridicule, comme la plupart à l'époque, mais la chanson accroche – et Darby y dévoile pour l'occasion ses jolies jambes, chose qu'elle évitera de faire en concert. Même si elle se produit souvent en Spandex ou lycra – tout comme ses pairs masculins. Les vibrations électriques du quartet, relayées par une presse spécialisée enthousiaste, atteignent aussi l'Europe.
Pourtant, dans l'ensemble, la musique de Headpins est plutôt conventionnelle, s'obstinant dans une formule carrée, assez simpliste, appuyée par une batterie quasi métronomique. La production propre et tranchante fait la part belle à la guitare de McLeod, qui s'emploie à développer des riffs rudimentaires avec une tonalité heavy-metal, entrecoupés de quelques succincts et efficaces chorus, dont quelques nappes de claviers tentent parfois d'atténuer le tranchant et la froideur. En ce sens, le groupe se rapproche des Angelins de Quiet Riot. Toutefois, l'apparente sincérité, l'engagement du groupe et, surtout, la formidable voix de Darby Mills font que les esgourdes (velues) se laissent séduire – sans tomber non plus en pâmoison. Bien probable que le succès n'aurait pas été aussi fort sans la présence de Mills. D'autant que la miss se révèle sur scène être une véritable frontwoman, une bête de scène éclipsant ses compagnons.
La chanson éponyme, qui ouvre l'album, est un parfait exemple de cette simplicité qui devrait être plus raisonnablement le fruit du labeur de jeunes et appliqués apprentis que de musiciens affirmés. Ce qui, en ce début des années 80, et plus particulièrement sur le Sunset Strip, est d'ailleurs assez courant, sans que cela ne nuise à leur succès ; au contraire. Mötley Crüe en tête, suivi des WASP, Quiet Riot, Poison. Mais là où ces derniers s'en tirent généralement avec un son plus dirty, rock'n'roll, en se parant d'un son net, tranchant comme un scalpel, Headpins pourrait paraître plus froid. A croire que McLeod a voulu fusionner un heavy-rock franc du collier avec la rigueur germanique des Scorpions et Accept ; voire avec la tonalité métallique de Judas Priest. Mais il y a ce joker sorti de nul part en la personne de Darby Mills. Une voix incroyable de Méduse défiant ses victimes avant de les figer pour l'éternité, de chef Valkyrie exhortant à la bataille. Dee Snider féminin en plus mordant, avec une touche féline en sus (la chanson « Turn it Loud » est d'ailleurs du même sang que celle des Twisted Sisters).
« Breakin' Drums » clôture l'album comme il a débuté, avec un hard-rock des plus carrés, mais, avec moins d'entrain. Mais au milieu, Headpins varie un peu les plaisirs. Après un « Keep Walkin' Away » appuyé et un brin metal, proche d'un Rock Goddess, et un « Don't Ya Ever Leave Me » aux refrains mélodiques, la troupe s'offre avec « People » un rock'n'roll bien trempé et énergique.
« Don't It Make Ya Feel », Metal un poil chaloupé et Glam, simple et efficace, est la pièce adéquate pour épingler les oreilles. D'où son exposition soutenue sur les ondes télévisées et radiophoniques. « Winnin' » ralentit le tempo qui, jusque là, restait ancré dans le mid-tempo – à l'exception de « People » -, longeant les frontières du slow (typé heavy), sans y tomber. La chanson cultivant plutôt une atmosphère sombre et oppressante, à peine relevée par un refrain AOR préfigurant son album solo de 91.
Plus anodin, « You Can't Have Me » pourrait être la rencontre d'un Krokus féminin avec le glam du Sunset Strip.
Le disque est un franc succès, tout comme les tournées qui suivent. En première partie de poids lourds, ou en tête d'affiche pour de petites salles nationales. McLeod et Bryant étant déjà pris pour une tournée avec Chilliwack, ce sont des musiciens remplaçants (nommés « l'équipe B » par les fondateurs) qui assurent la tournée. Mais l'accueil est tel que pour la suivante McLeod et Bryant rappliquent pour profiter du succès. L'année de sortie de l'album, le groupe est élu "meilleur espoir" aux Juno's. L'année suivante, le Shure Music Express Award le classe "meilleur nouveau groupe", tandis que Darby est élevée au rang de "meilleure chanteuse" de l'année.
En 1983, le groupe se fend d'un second album, "Line Of Fire", plus raffiné et abouti, où Darby Mills se révèle encore plus compétente et indispensable. Un album un doigt plus mélodique, moins basique et rageux - même si Darby Mills garde ses intonations de furie en chasse. Ce qui en fait grincer des dents certains qui craignent une dérive vers des rivages plus softs, plus radio-friendly. Pourtant, il est probablement meilleur et se présente en parfait complément. Toutefois, leurs craintes s'avèrent fondées avec le troisième sorti en 1985, "Head Over Heels". Un disque réalisé dans la douleur avec une direction franchement plus commerciale encouragée ( forcée ? ), par une maison de disques aux abois, proche de la faillite. Une erreur car le disque se vend mal - d'ailleurs, à l'heure actuelle, il n'y a jamais été réédité. C'est la bérézina, et en 1986, Darby Mills apprend par télégramme qu'elle ne fait plus partie du groupe... (des leaders bien courageux... mais d'autres versions disent plutôt que c'est Darby qui aurait quitté la troupe). En 1989, McLeod essaye de relancer le groupe avec une nouvelle chanteuse, Chrissy Steele. Des McLeod compose de nouvelles chansons avec Steele (avec l'aide de l'auteur-compositeur et producteur Tim Feehan), mais il s'effondre sur scène. Hospitalisé, on lui décèle un cancer du cerveau et une tumeur dans la cage thoracique. Il décède le 25 avril 1992 ; il n'avait que 39 ans. L'album qu'il avait commencé à réaliser avec Chrissy Steele, sortit sous le seul nom de la chanteuse quelques mois avant son décès.
Headpins reprend du service quelques années plus tard, en 1994, avec le retour de Darby Mills au chant. Sans vraiment songer à enregistrer du matériel neuf, juste pour le plaisir d'interpréter, faire vivre le répertoire de Headpins sur scène. Le groupe se produit encore, mais désormais Darby qui a préféré entamer une carrière solo (Darby Mills Project) - les deux chanteuses qui se sont succédées depuis le départ de Mills, sont des clones vocaux.
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