mardi 29 octobre 2024

SIXIÈME SENS de M. Night Shyamalan (1999) par Pat Slade


Le paranormal a toujours été un sujet qui me passionne et je me devais parler de ”Sixième Sens“ à ne pas confondre avec ”Le Sixième Sens“ le film de Michael Mann de 1986.


Quand les morts ont besoin d’aide



J’avais déjà par deux fois abordé le sujet du paranormal en chroniquant le livre de Matthew ManningD'où me viennent ces pouvoirs ?“ et le film ”La voix des morts“. Je récidive avec le sujet sensible du sixième sens qui est une référence parmi les perceptions extrasensorielles, c’est-à-dire qui n’est pas l'un des cinq sens physiologiques et que l’on nomme aussi la proprioception qui recèle encore bien des mystères. Le sixième sens pourrait se rapprocher du troisième œil qui est associé à des notions de clairvoyance donc de la faculté de percevoir des phénomènes autres qu’avec les sens habituels. Je n’ai pas le sixième sens et pourtant je peux savoir certaines choses sur les gens, je pratique le pendule et je peux prédire s’il y a du bon ou du mauvais qui tourne autour d’une personne.  

Sixième Sens“ : un film sombre et fantastique, j'ajouterais qu’il pourrait illustrer un événement dans la vie réelle, aller savoir... mais les sceptiques et les incrédules resteront dubitatifs sur la question même après avoir vu le film. 
Tout commence par un drame. Le Dr Malcolm Crowe (Bruce Willis) psychologue pour enfants rentre un soir chez lui avec sa femme après avoir reçu une récompense quand il s’aperçoit qu’un homme à moitié nu et mentalement perturbé s’est introduit chez lui. Ce dernier lui reproche de l’avoir abandonné, de ne pas l’avoir aidé. Malcom recherche dans ses souvenirs pour retrouver l’identité de l’intrus quand l’homme sort une arme et lui tire dessus pour ensuite se suicider. Six mois plus tard on le retrouve assis sur un banc à prendre des notes et à attendre quelqu’un. De la maison en face sort Cole Sear (Haley Joel Osment) un jeune garçon de neuf ans qui lui rappelle l’homme qui lui a tiré dessus au même âge. Il va faire entreprendre une psychanalyse de l’enfant qui à un secret très particulier.

H.J Osment - T.Colette
Son secret ? Il a des visions étranges, visions qu'il est le seul à percevoir. Sont-elles les conséquences de pouvoirs extrasensoriels ou d'une psychose à identifier. Ainsi, alors  qu’il est dans la cuisine avec sa mère, au moment ou elle s’absentera l’espace de dix secondes, à son retour elle retrouvera tous les placards et les tiroirs ouverts, visions et psychokinésie ??? Cole ne veux pas parler de son secret, mais il le dévoilera au Dr Malcolm Crowe, qui arrivera à gagner sa confiance. Cole voit des morts, que ce soit chez lui ou dans d’autres endroits, morts qui ne savent pas qu’ils sont décédés et continuent de vivre comme si de rien n’était  Cole est une véritable encyclopédie des phénomènes paranormaux, ce qui le terrorise. Il fait de l’écriture automatique (Les esprits peuvent se manifester par l’écriture), déplacement d’objet et peut avoir des contacts verbaux et physiques avec les apparitions et tout cela au grand dam de sa mère (Toni Collette) qui après avoir vu une lumière blanche sur toutes les photos de son fils se retrouve très perplexe. On le serait à moins !!

Refusant tout d'abord de croire à son histoire, le Dr Crowe en conclut qu'il ne peut pas aider le jeune garçon. Mais un soir, en réécoutant les enregistrements sonores de celui qui lui a tiré dessus, et en montant le volume, il entendra une voix : une TCI (Transcommunication Instrumentale). Il se rend à l’évidence que les deux garçons ne lui ont pas menti. La seule solution qu’il donnera à Cole sera d’écouter leurs doléances et de les aider. L'initiative s'avère bientôt payante puisque Cole reprend peu à peu confiance en lui, et finit par accepter ce don : il aide ainsi l'esprit d'une fillette à révéler qu'elle est morte empoisonnée par sa belle-mère

B.Willis - O.Williams
Toute cette histoire obsédante se déroule au détriment de sa vie de couple. Sa femme ne lui parle plus et semble l’ignorer complètement, ne pas le voir... Après avoir fini un échange auprès de Cole, il rentre chez lui et trouve sa femme endormie, elle laissera échapper un anneau qu'elle serrait dans sa main sa main et qui n’est rien d’autre que l’alliance de Malcolm... Il interroge à voix basse son épouse endormie, qui dans son sommeil l’entend, et lui parle pour la première fois depuis des mois et c’est à ce moment qu’il comprend...  
 

Il y a une scène que j’aime beaucoup, c’est quand Cole et sa mère  (qui est toujours plongée dans le scepticisme) sont en voiture et que, pris dans un embouteillage, Cole lui dit que c’est un accident avec une cycliste qui à été tuée et quand sa mère lui demande comment il le sais, Cole lui répond que la victime est à coté de lui derrière la vitre ! Après il parlera avec sa mère de l’histoire d’un médaillon qui a disparu et qui appartenait à sa grand-mère ; il fera des révélations que personne d’autre que sa mère ne pouvait connaitre. Une très belle scène, très touchante et dramatique. 

Manoj Nelliyattu Shyamalan 
 Sixième Sens“ est le troisième film de Manoj Nelliyattu Shyamalan qui réalisera ensuite ”Incassable“ encore avec Bruce Willis. Le film est considéré comme un thriller, mais pour moi c’est un drame-fantastique, un nouveau genre. Avec quatre claps de satisfaction pour l’histoire et le jeu des interprètes. Une autre chose qui attire l’œil ce sont les couleurs du film, les teintes rouge représente le monde des vivants alors que les teintes brune presque sépia celui des morts.


 

dimanche 27 octobre 2024

BEST OF DE LA 5000ème


Il y a des dates qui marquent l'histoire : le big bang (il y a une quinzaine de milliard d'années environ), l'an 0 et la naissance du Christ, la bataille de Poitiers en 732, celle de Marignan en 1515, etc., etc. Et surtout, n'oublions pas deux autres événements fondamentaux dans l'histoire de l'humanité : 14 juin 2010 (17H48) la parution du 1er article du Deblocnot signé Rockin' et aujourd'hui, 27 octobre 2024, publication du 5000ème article, un Best Of résumant une semaine à cinq articles… rédigé à quatre mains…

D'après Claude, l'affaire frôle les 15 000 à 20 000 pages A4, police de caractères verdana taille 11, environ 30 000 illustrations et des milliers de vidéos… (Un tiers pour notre musicologue expert et ses chroniques classiquophiliques fleuves ; à la retraite on a le temps de détailler 😊).

Sonia et Pat sont arrivés à 6H du mat pour préparer une fête d'anniversaire. Ils ont installé deux écrans géants dans le hall (la salle de réunion étant un peu juste). Sur l'un s'affichera le texte du résumé des billets de la semaine passée. Sur l'autre nous aurons le plaisir d'être en duplex avec Bruno depuis Ajaccio.1 Le moment le plus émouvant sera le discours de Luc rendant hommage à ses quatorze années passées de travail éditorialiste et à ses acteurs : les rédacteurs… (Les rédacteurs : on dirait un titre de comédie américaine.) Le traiteur2 est arrivé vers 9H, rejoints par Nema M. les deux volontaires désignés ont dressé le buffet…

(1)         Luc a refusé de payer son billet d'avion même en classe économique. Déjà qu'il a du payé des billets TGV en 1ère classe pour Rockin et Foxy Lady plus quatre nuitées (deux chambres séparées) en hôtel ***. Vincent est monté à Paris en vélo hébergé chez Claude.

(2)         Payé évidement par deux mécènes au grand soulagement de Luc, un artiste classique appréciant les critiques sur deux de ses disques de piano (qui souhaite rester anonyme) et Bruce Springsteen. Merci à eux. ($)

 

Vers 11H00, la plupart des invités sont présents. Le webmaster affiche le résumé sur l'un des écrans. Les lecteurs les plus fidèles le consultent déjà en ligne. Certains se sont levés à l'aube, dimanche ou pas … Luc prendra la parole vers 12H.

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Leif Segerstam, un fan du blog,
maestro fort en gueule auquel
le Toon a rendu hommage cette semaine.

LUNDI : Nema partage son opinion positive sur le roman Double Fond de Elsa Osorio qui nous plonge dans un thriller historico-policier de 2018. D'un crime mystérieux près de Saint-Nazaire de nos jours, l'autrice argentine nous renvoie à la terreur de la Junte en Argentine dans les années 70.

MARDI : Pat Slade nous présente le dernier né (sic) des albums de son pote Francis Decamps, "Le Didou naît". Francis, déjà quarante albums au compteur, d'Ange à Gens de la Lune, mais cette fois c'est en solo.

MERCREDI : Propulsé du jour au lendemain sous les projos grâce à un enregistrement live, en 1979 Cheap Trick doit encore faire avec la méfiance de leur maison de disque.  Leur nouvel opus, "Dream police", contient son lot de pièces heavy-rock abrasives, et rassure tout le monde. Bruno en est convaincu.

JEUDI : Claude est en Finlande. Ok, l'orthographe nom du compositeur Einojuhani Rautavaara terrifie 😊, mais ce n'est pas le cas de sa Symphonie N°3 de 1961, une musique qui, bien qu'utilisant toutes les techniques musicales, du grégorien au modernisme absolu, adopte un style facile à écouter, robuste, poétique et féérique. RIP Leif Segerstam, maestro mort pendant la rédaction du billet 😥.

VENDREDI : Luc a lu voire relu Une journée d’Ivan Denissovitch de Alexandre Soljenitsyne paru en 1961. Comment un manuscrit anonyme reçu par une revue littéraire a ébranlé les fondations du communisme sous l’ère Khrouchtchev. Un récit clinique d’une journée lambda d’un zek (Prisonnier du goulag en URSS) : le premier roman (largement autobiographique) d’un futur prix Nobel. 

 


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12H30 Claude s'apprête à annoncer le discours de Luc… Il essaye le micro Pop pop pop…

- Vincent. On entend que dalle…  monte le son un peu plus mais pas genre AC/DC

- Ok Claude, vas-y… essaye…

🔊1 2 3 😬 1 2 3 😣  1 2 3

- Merci… à toi Luc…

- Merci Claude. Mes très chers amis, dans lesquels j’inclus nos milliers de lecteurs quotidiens, mes très chers amis, ce n’est pas sans émo…

- Oui Pat ? Le Bourgogne ? Il est rangé à côté du Bourgueil, normal, ordre alphabétique… Mes chers compagnons, je…

- Oui Sonia ? Non, ce ne sont pas des donuts, mais des babas au rhum. Et oui tu peux en prendre un. Mes amis, je…

- Hein ? Bah tu le refiles à Claude si tu n’aimes pas. Mes amis disais je, 5000, oui, 5000, ah si on nous avait dit…

 ziiiiiiiiizuuuuuuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii

- Ah zut, on a perdu la liaison avec Ajaccio, ces cons-là ont fait péter le transfo ! Claude, tu peux arranger ça ? Hein, comment ça c’était à prévoir, on n’allait pas créer une rubrique juste pour les trois disques de I Murvini, faut pas charrier… Donc, nous disions... Vous voir, et pour certains, vous revoir ici, dans ce temple de la culture m’émeut... 

- M'émmmeeeuuuhhh... oh la vache !

- Très amusant, Pat, si si. Heu, oui Sonia, tu peux entamer les crêpes, Rockin’ en a fait une palette entière. Mes amis… 

(plus fort, on n’entend rien au fond !!!)

- Vincent, on est huit dans la salle ! 

(moins fort ! on entend tout au fond !)

- Benjamin, tu finiras ton Montherlant plus tard. Donc, le Déblocnot’ c’est avant tout, comment dire, une grande et belle famille que nous avons su… Bah Foxy et Nema, vous allez où ? Papoter dehors ? Mais j'ai pas fini, je n'ai même pas commencé ! Et Pat, tu vas où, p'tain, tu t’en grilleras une plus tard.

("𝆺𝅥𝅯 L'amour est 𝆹𝅥𝅮 un oiseau rebelle 𝆺𝅥𝅯, que nul ne peut apprivoiser 𝆹𝅥𝅮𝆹𝅥𝅮𝆹𝅥𝅮𝆹𝅥𝅮, et c'est bien en vain 𝆺𝅥𝅯...")

- C'est quoi encore ça ? Merde, baisse ta sono Claude, on s'en fout de Carmen ! Mais naaan, reste, fais pas la gueule... Bah du coup Sonia… tu te tires aussi ? Par solidarité ? Justement, je souhaitais insister sur cette idée fondatrice, le socle de... 

ziiiiiiiiizuuuuuuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii 

- Ah, on a retrouvé la liaison, allo Bruno ? Tu dis quoi ?

("U to discorsu hè noioso, sò eiu chì paga a fila, ne surtu !!" Bip, bip, bip...)

- Heureusement je peux compter sur toi, Rockin', mon ami, mon frère, mon semblable, le sang de mon sang, s'il n'en reste que deux, nous ser... Bah tu remballes tes crêpes ? Ah oui c'est vrai, ton bled, c'est trois jours de cariole... Tu sais qu'on a inventé le train entre temps... Oh et puis merde ! Je vous servirai mon laïus pour la 10000ème. Attends moi Pat, j't'en tapes une, t'as goûté le Saint-Véran ? Tiens, prends deux verres... 

 

12H35 la fête commença et…vous imaginez la suite...

 🍹🍺🍷🍩🍪🎂🍰🍗 🍹🍺🍷🍩🍪🎂🍰🍗

 

👉 On se retrouve dès mardi pour une première séquence ciné avec Le 6ème sens, film étrange commenté par Pat, la légende du groupe Statu Quo sous la plume de Benjamin, une seconde séquence ciné avec Luc qui a vu L'amour Ouf… et, comme toutes les semaines, le billet mystère du mercredi de Bruno…

 

vendredi 25 octobre 2024

TEST HUMORISTE

 SANS CONTENU

UNE JOURNÉE D’IVAN DENISSOVITCH de Alexandre Soljenitsyne (1961 - 1973) par Luc B.


C’est un très court roman, à peine 200 pages, mais qui a fait l’effet d’une bombe. Pat y a fait allusion dans son article sur le film « Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes ». Une chance, tu parles… L’auteur, alors encore inconnu, est Alexandre Soljenitsyne, (en photo, prisonnier) qui recevra le prix Nobel de littérature en 1970. Ce roman, son premier, est évidemment très autobiographique. Il décrit la journée d’un prisonnier du goulag, Soljenitsyne ayant lui-même été arrêté et condamné en 1945 à huit ans de camp de travail, pour avoir oser critiquer le régime de Staline dans une lettre adressée à des amis. Comment ça ? Les autorités lisaient le courrier des gens ?! Ça s'fait pas.

La manière dont a été édité ce bouquin est un roman en soi. Un manuscrit, dactylographié recto verso, sans paragraphe, est déposé anonymement à la revue littéraire Novy Mir, à Moscou, en novembre 1961. Intriguée, la secrétaire jette un œil dessus, en tombe de sa chaise, et transmet à son rédacteur en chef, Alexandre Tvardovski, lui même écrivain journaliste. Rappelons le contexte.

Staline est mort en 1953. Il est de bon ton pour son successeur Khrouchtchev de dézinguer le bilan du Petit père des peuples. Dézinguer, mais pas trop quand même… Des millions de prisonniers sont libérés des camps de travail, absous par des tribunaux de fortune des crimes qu’ils n’avaient même pas commis !

Le mystérieux manuscrit arrive à point nommé. Reste à retrouver son auteur, et soumettre le texte aux autorités. Tvardovski va biaiser, l’envoie à l’éminence grise de Khrouchtchev, en court-circuitant la commission du Comité Central du PC. Le gars suggère évidemment des coupes (la version intégrale ne sortira qu’en 1973), et ensuite le lit à Khrouchtchev, qui adore, exige une parution immédiate dans la revue Novy Mir, et que les meilleurs passages paraissent dans la presse. Le Comité de censure s'étrangle devant cette procédure inédite, mais puisque le chef suprême avait parlé, dont acte !

UNE JOURNÉE D’IVAN DENISSOVITCH n’est pas la chose la plus facile à lire, parce qu’il est truffé de termes russes non traduits en français. On s’y habitue. Ce qui frappe d’entrée, c’est le style. Rédigé comme un journal de bord, à la troisième personne, dans un langage parlé, souvent argotique, qui apostrophe le lecteur, avec des fautes dans les constructions de phrases, des « comme qui dirait »

C’est ce style qui rend le récit ultraréaliste, et le fait que l’histoire ne se concentre que sur une journée, du lever au coucher. Chaque étape d’une journée de prisonnier est scrupuleusement racontée, et si parfois certains passages semblent redondants, c’est parce que cette journée d’Ivan, matricule CH-854, est rythmée de la même manière, et que tous les jours se ressemblent. Voici la toute fin : « Des journées comme ça, dans sa peine, il y en avait, d’un bout à l’autre, trois mille six cent cinquante trois. Les trois de rallonge, c’était la faute aux années bissextiles ».

Le roman n’est pas dénué d’humour, d’ironie, dans les conversations. Ce qui en a heurté certains, trouvant que cette apparente légèreté édulcorait l'enfer du goulag. Il y a le réveil, à 5 heures du matin, des coups de marteau frappés dans la tuyauterie. Hors de question de traîner sur sa paillasse, sinon c'était trois jours au cachot. Puis c'est l’appel, en rang par cinq, et là encore on évite de faire le mariole, sinon on recompte tout le monde, et ça prend des heures. Du temps en moins pour le petit déjeuner fait de soupe claire où se battent trois bouts de gras. Puis le départ des prisonniers au travail. Ivan essaie d'y échapper en passant à l'infirmerie, en vain. Son groupe est délégué à la reconstruction d'un bâtiment. Longue marche, en rang, sous le blizzard. Ivan sait y faire avec une truelle. D’ailleurs, il planque son outil pour être certain de le retrouver le lendemain et de bosser dans de bonnes conditions. Gâcher du ciment sous -40°C c’est pas simple. Il faut travailler vite, avant que ça gèle, et travailler bien, une brique de travers et c’est tout le mur qui sera à refaire.

Là où ce roman est passionnant, c’est dans les petits détails. L’auteur sait de quoi il parle, inutile de dire que ça sonne « vrai ». La gestion du froid, les couches de givre ou de glace sur les vitres, le soleil qui peine à percer (qui pourrait nous faire gagner deux ou trois degrés), comment empiler des couches de vêtements, ceux autorisés. La manière dont on scrute le gars qui fume, pour récupérer le mégot et en tirer une dernière taffe. Et la gestion de la faim. Soljenitsyne décrit comment la moindre boulette de pain peut vous sauver la mise. Toutes les ruses pour être dans les premiers servis (scène dantesque au dîner du soir), la cuillère qu’Ivan cache dans sa botte, précieux sésame, les techniques pour avoir du rab, pour planquer sous le matelas une portion à manger plus tard, hors des regards. 

Et se méfier des autres, y'a pas d'amitié entre co-détenu, si tu tournes la tête, tu retrouves ton écuelle vide. Longer les murs, ne jamais croiser le regard d'un capo qui pourrait se méprendre et frapper, se fondre dans le décor, disparaître, et apprendre à faire avec la corruption généralisée qui gangrène tous les étages de la hiérarchie. 

Il y a une scène où Ivan attend dans la file d’attente pour la distribution des colis, il a pris la place d’un autre. Il rend service, pas par amitié, mais par calcul, parce qu’il espère en retour un p’tit morceau du colis, une tranche de porc, une miche de pain. 

Par certaines conversations, ou récits de prisonniers, Soljenitsyne via des flashback raconte un peu comment ces hommes se sont faits condamner. Pour Ivan, comme des milliers d'autres, c'est en revenant des camps de prisonniers allemands, pendant la guerre. Rentré au pays, après des semaines de marche, il a été fiché comme lâche, traître, terroriste infiltré. Un bon soldat soviétique ne revient pas du front, il y meurt, héroïquement, s'il en réchappe c'est suspect. 

Les matons ne sont pas commodes, mais la direction du camp a tout intérêt à ce que les prisonniers restent en relative bonne santé pour être productifs. Le roman décrit l’organisation de sa propre survie, minute par minute, heure par heure, et ce, chaque jour. Aucun romanesque, pas de passages à tabac, de grande d'évasion, juste la description clinique de la vie d'un zek. La vigilance est de tous les instants, c'est exténuant, il faut se méfier de tout et de tout le monde, développer un sixième sens, et c’est cela qui est finalement le plus épuisant.

UNE JOURNÉE D’IVAN DENISSOVITCH a été une déflagration à une époque où le Parti Communiste, chez nous notamment, était au plus haut (voyez l’article de Pat sus nommé). La réalité du stalinisme nous éclatait à la gueule. Beaucoup d’intellectuels ou d’artistes ont coupé les ponts avec cette idéologie à ce moment, certains se sont dit que le maoïsme c’était vachement mieux… Avec ce livre, les russes ont pu enfin parler de l'époque du goulag, sujet qui restait tabou, ils ont été autorisés à mettre des mots sur cette réalité enfouie.

Ce roman est en tout cas une bonne porte d’entrée dans l’univers d’Alexandre Soljenitsyne, LE PAVILLON DES CANCÉREUX ou L’ARCHIPEL DU GOULAG, sont beaucoup plus mastoc, j’avoue humblement ne plus en avoir trop de souvenir, mais IVAN DENISSOVITCH, par son style, sa radicalité, sa description clinique du goulag, ne peut pas laisser indifférent.


Éditions Poche 10/18, traduction Lucia et Jean Cathala, 189 pages.

J'ai trouvé cette bande annonce pour une adaptation ciné, que je ne connais pas, mais je ne suis pas certain que les images très léchées rendent l'apprêté du texte.