mercredi 6 novembre 2024

HEADPINS " Turn It Loud " (1982), by Bruno



   Headpins est une des nombreuses fiertés musicales du pays à la feuille d'érable. Pourtant, son parcours fut celui d'une comète. Une comète qui s'abîma, partit en lambeau avant d'exploser en plein vol.

     A l'origine, ce ne devait être qu'un projet parallèle et éphémère de deux musiciens entrés tardivement dans le groupe Chilliwack. Probablement le premier groupe de Vancouver a se targuer d'un succès national notable, et surtout à taquiner les charts du proche voisin. Le multi-instrumentiste Brian MacLeod (guitariste, chanteur, claviériste, batteur et producteur), également auteur-compositeur, et le bassiste Ab Bryant (ex-Prism) rêvaient de vibrations crues et heavy. Malheureusement pour eux, Chilliwack ne mangeait pas de ce pain-là. Son credo étant plutôt un rock mainstream, soft, policé, préfigurant un rock FM et frisant souvent la guimauve. Le premier pouvait flirter avec le rock progressif, mais c'était bien des années en arrière, en 1970, un temps apparemment révolu pour son leader et principal compositeur, Bill Henderson.

     Ainsi, même si les deux intéressés, Brian et Ab, ne voulaient pas quitter une formation viable et stable, bien assise commercialement parlant, ils développent rapidement une certaine frustration à ne pas pouvoir incorporer quelques éléments ouvertement heavy, et à se lâcher en concert sur de brûlantes pièces de hard-rock. Ne voulant pas quitter la proie pour l'ombre, - ne pas se dispenser d'un certain confort financier -, tous deux décident de monter parallèlement un projet où ils pourraient monter le son, pousser leurs amplis pour faire résonner le tonnerre. Un heavy metal thunder dominé par une maîtresse-femme. (Serait-ce un choix dicté par l'exemple de Heart, le groupe phare de Vancouver ?).


     Une première mouture voit le jour en 1979, avec le futur batteur de Loverboy, Matt Frenette, et Denise McCann. Une chanteuse puissante ayant déjà à son actif trois disques... de disco. Et pas du meilleur (enfin, le dernier, « Tattoo Man » contient tout de même une très belle et douce ballade). Évidemment, en dépit des efforts de Brian et Ab, la sauce ne prend pas. Malgré d'indéniable qualités vocales, Miss Denis McCann, très prochainement madame Randy Bachman, ne semble pas être la personne adéquate pour illuminer le hard-rock (trop ?) carré de Brian MacLeod. Le groupe reste ainsi jusqu'en 1981, sans décoller, sans intéresser la moindre maison de disques. Jusqu'à la rencontre de miss Dary Phyllis Mills. Une damoiselle de 22 ans, pleine d'énergie, sûre d'elle, doté d'un gosier vigoureux d'où s'échappe un souffle brûlant et particulièrement éraillé. Ils avaient enfin trouvé la bonne personne.

     Rapidement, Headpins, qui entre-temps a troqué son batteur avec celui de Loverboy, Bernie Aubin, entre en studio. Celui du Little Mountain Sound de Vancouver, déjà considéré comme l'un des meilleurs d'Amérique du Nord. En 1982, « Turn It Loud » inonde le marché canadien où son succès, pour un premier essai, est retentissant. Même les USA se laissent tenter, grâce à la diffusion assidue du clip de « Don't Make Ya Feel ». Vidéo ridicule, comme la plupart à l'époque, mais la chanson accroche – et Darby y dévoile pour l'occasion ses jolies jambes, chose qu'elle évitera de faire en concert. Même si elle se produit souvent en Spandex ou lycra – tout comme ses pairs masculins. Les vibrations électriques du quartet, relayées par une presse spécialisée enthousiaste, atteignent aussi l'Europe.

     Pourtant, dans l'ensemble, la musique de Headpins est plutôt conventionnelle, s'obstinant dans une formule carrée, assez simpliste, appuyée par une batterie quasi métronomique. La production propre et tranchante fait la part belle à la guitare de McLeod, qui s'emploie à développer des riffs rudimentaires avec une tonalité heavy-metal, entrecoupés de quelques succincts et efficaces chorus, dont quelques nappes de claviers tentent parfois d'atténuer le tranchant et la froideur. En ce sens, le groupe se rapproche des Angelins de Quiet Riot. Toutefois, l'apparente sincérité, l'engagement du groupe et, surtout, la formidable voix de Darby Mills font que les esgourdes (velues) se laissent séduire – sans tomber non plus en pâmoison. Bien probable que le succès n'aurait pas été aussi fort sans la présence de Mills. D'autant que la miss se révèle sur scène être une véritable frontwoman, une bête de scène éclipsant ses compagnons.

     La chanson éponyme, qui ouvre l'album, est un parfait exemple de cette simplicité qui devrait être plus raisonnablement le fruit du labeur de jeunes et appliqués apprentis que de musiciens affirmés. Ce qui, en ce début des années 80, et plus particulièrement sur le Sunset Strip, est d'ailleurs assez courant, sans que cela ne nuise à leur succès ; au contraire. Mötley Crüe en tête, suivi des WASP, Quiet Riot, Poison. Mais là où ces derniers s'en tirent généralement avec un son plus dirty, rock'n'roll, en se parant d'un son net, tranchant comme un scalpel, Headpins pourrait paraître plus froid. A croire que McLeod a voulu fusionner un heavy-rock franc du collier avec la rigueur germanique des Scorpions et Accept ; voire avec la tonalité métallique de Judas Priest. Mais il y a ce joker sorti de nul part en la personne de Darby Mills. Une voix incroyable de Méduse défiant ses victimes avant de les figer pour l'éternité, de chef Valkyrie exhortant à la bataille. Dee Snider féminin en plus mordant, avec une touche féline en sus (la chanson « Turn it Loud » est d'ailleurs du même sang que celle des Twisted Sisters).


   « Breakin' Drums » clôture l'album comme il a débuté, avec un hard-rock des plus carrés, mais, avec moins d'entrain. Mais au milieu, Headpins varie un peu les plaisirs. Après un « Keep Walkin' Away » appuyé et un brin metal, proche d'un Rock Goddess, et un «  Don't Ya Ever Leave Me » aux refrains mélodiques, la troupe s'offre avec « People » un rock'n'roll bien trempé et énergique.

   « Don't It Make Ya Feel », Metal un poil chaloupé et Glam, simple et efficace, est la pièce adéquate pour épingler les oreilles. D'où son exposition soutenue sur les ondes télévisées et radiophoniques. « Winnin' » ralentit le tempo qui, jusque là, restait ancré dans le mid-tempo – à l'exception de « People » -, longeant les frontières du slow (typé heavy), sans y tomber. La chanson cultivant plutôt une atmosphère sombre et oppressante, à peine relevée par un refrain AOR préfigurant son album solo de 91.

   Plus anodin, « You Can't Have Me » pourrait être la rencontre d'un Krokus féminin avec le glam du Sunset Strip. 


     Le disque est un franc succès, tout comme les tournées qui suivent. En première partie de poids lourds, ou en tête d'affiche pour de petites salles nationales. McLeod et Bryant étant déjà pris pour une tournée avec Chilliwack, ce sont des musiciens remplaçants (nommés « l'équipe B » par les fondateurs) qui assurent la tournée. Mais l'accueil est tel que pour la suivante McLeod et Bryant rappliquent pour profiter du succès. L'année de sortie de l'album, le groupe est élu "meilleur espoir" aux Juno's. L'année suivante, le Shure Music Express Award le classe "meilleur nouveau groupe", tandis que Darby est élevée au rang de "meilleure chanteuse" de l'année.

     En 1983, le groupe se fend d'un second album, "Line Of Fire", plus raffiné et abouti, où Darby Mills se révèle encore plus compétente et indispensable. Un album un doigt plus mélodique, moins basique et rageux - même si Darby Mills garde ses intonations de furie en chasse. Ce qui en fait grincer des dents certains qui craignent une dérive vers des rivages plus softs, plus radio-friendly. Pourtant, il est probablement meilleur et se présente en parfait complément. Toutefois, leurs craintes s'avèrent fondées avec le troisième sorti en 1985, "Head Over Heels". Un disque réalisé dans la douleur avec une direction franchement plus commerciale encouragée ( forcée ? ), par une maison de disques aux abois, proche de la faillite. Une erreur car le disque se vend mal - d'ailleurs, à l'heure actuelle, il n'y a jamais été réédité. C'est la bérézina, et en 1986, Darby Mills apprend par télégramme qu'elle ne fait plus partie du groupe... (des leaders bien courageux... mais d'autres versions disent plutôt que c'est Darby qui aurait quitté la troupe). En 1989, McLeod essaye de relancer le groupe avec une nouvelle chanteuse, Chrissy Steele. Des McLeod compose de nouvelles chansons avec Steele (avec l'aide de l'auteur-compositeur et producteur Tim Feehan), mais il s'effondre sur scène. Hospitalisé, on lui décèle un cancer du cerveau et une tumeur dans la cage thoracique. Il décède le 25 avril 1992 ; il n'avait que 39 ans. L'album qu'il avait commencé à réaliser avec Chrissy Steele, sortit sous le seul nom de la chanteuse quelques mois avant son décès.

     Headpins reprend du service quelques années plus tard, en 1994, avec le retour de Darby Mills au chant. Sans vraiment songer à enregistrer du matériel neuf, juste pour le plaisir d'interpréter, faire vivre le répertoire de Headpins sur scène. Le groupe se produit encore, mais désormais Darby qui a préféré entamer une carrière solo (Darby Mills Project) - les deux chanteuses qui se sont succédées depuis le départ de Mills, sont des clones vocaux.


🎶📌
Echantillon autres groupes (heavy-rock) Canadiens (liens) :
🍁  LEE AARON 👉  " Fire and Gasoline " (2016) 👉 " Radio 1 " (2021)
🍁  GODDO  👉 "... Who Cares... " (1978)
🍁  BACHMAN  👉  " Heavy Blues " (2015)
🍁  The DAMN TRUTH  👉  " Now Or Nowhere " (2021)
🍁  ALDO NOVA  👉  " Subject " (1983)
🍁  MOXY  👉  " Moxy I " (1975)
🍁  SASS JORDAN  👉  " Rats " (1994)

mardi 5 novembre 2024

PIERRE DAC (1893 – 1975) par Pat Slade



Il y avait déjà longtemps que je voulais parler de mon maitre à penser, le roi des loufoques : Pierre Dac. Aujourd’hui, florilège de gros calembours parce que les mots rendent les cris vains.



Sérieux s’abstenir




Y a-t-il à notre époque un héritier du roi des loufoques et du prince de l’absurde ? Pierre Desproges aurait pu reprendre sa couronne s’il avait vécu plus longtemps.

Comme il l’écrira : ”Rien ne sert de penser, il faut réfléchir avant.“ alors je réfléchis comment je vais pouvoir parler de ce génie de l’humour. En premier lieu je vais revenir sur son histoire car il n’a pas tout le temps été le loufoque que l’on a connu.

André Isaac dit Pierre Dac
André Isaac, né en 1893, est issu d'une modeste famille juive, le père est boucher et la mère femme au foyer. La profession de son père aura une grande influence sur lui, car tout au long de sa carrière d'humoriste Pierre Dac s'inspirera du louchebem, l’argot des bouchers. Le louchebem, un argot réjouissant qu’avaient inventé les bouchers des halles de La Villette à Paris, au XIXe siècle pour parler entre eux sans se faire comprendre des clients qui parfois les emmerdent copieusement. On remplace la première consonne par un L, cette consonne est placé à la fin du mot que l’on termine par une sonorité en ”em“ le plus souvent mais aussi en oc, ouche, puche, qué, atte, oque ! C’est un argot comme le javanais ou largonji. Même s’il est un bon élève, c’est un enfant farceur, ce qui lui vaut d'être renvoyé du lycée après avoir accroché un hareng saur à la queue de l'habit de son professeur de maths, ce qui marquera en même temps la fin de ses études. Blessé deux fois pendant la première guerre mondiale il sera décoré et cité quatre fois à l’ordre de la nation, mais selon Jacques Pessis son biographe et légataire universel, tout ne serait qu’un histoire montée de toutes pièces, une longue suite d’hospitalisations et de périodes de convalescence pendant presque toute la guerre, le point de départ étant un accident pendant un exercice de tir en 1914. Sa fiche matricule n’indique aucune blessure de guerre, aucune citation ni aucune décoration.  
 
Après la Guerre, Pierre Dac vit de petits métiers à Paris, coursier, chauffeur de taxi, homme-sandwich. Dans les années 20, il devient chansonnier. Après s’être  produit dans de nombreux cabarets, nn 1935, il crée une émission humoristique de radio, La Course au Trésor, un jeu qui consistait à ramener dans un minimum de temps une liste de dix objets insolites (Cela allait d’une choucroute garnie à une photo de Tino Rossi dédicacé à la date du jour !), et en anime une autre, La Société des Loufoques, sur Radio Cité, émission qui remporte un grand succès. 
 
Deux ans après ses débuts à la radio, il fonde le journal ”L'os à moelle où il annonce la mise en place d'un Ministère Loufoque. ”L'os à moelle“ réunit une poignée de journalistes et dessinateurs tels que Roland Moisan, Jean Effel, Robert Rocca et bien d'autres. Le journal contient ainsi une multitude de décrets et autres petites annonces tous aussi loufoques les uns par rapport aux autres. ”A dater de samedi prochain et jusqu’au retour des hirondelles, le sens unique est institué entre Paris et Pézenas, aussi bien par la route que par les airs et la voie ferrés. Cette mesure toutefois ne concerne pas les piétons qui pourront circuler dans les deux sens, à condition d’avoir les cheveux en brosse et les genoux pointus. Tout contrevenant sera immédiatement déféré devant les tribunaux compétents et passible de peine allant de l’emprisonnement perpétuel à l’amputation de l’oreille gauche“. 

Monsieur ayant déjà eu des hauts et des bas demande place garçon d’ascenseur“,

Échangerions contre puits de pétrole mines au choix : mines de crayon, mines de rien, mines renfrognées, etc.“

Pierre Dac - Francis Blanche
Au bout de 109 numéros et 400 000 exemplaires à chaque édition, ”L'os à moelle cesse de paraître.  Lors de la Seconde Guerre mondiale, Pierre Dac se réfugie à Londres et devient animateur de l'émission ”Les Français parlent aux Français diffusée par la BBC (pom, pom, pom, pom !!!!!). Il parodie des chansons à la mode ”Les gars de la marine“ devient ”les gars de la vermine“ ”Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemandsur l’air de la cucaracha. A la fin de la guerre, il sera décoré de la  médaille de la résistance française, de la croix de guerre 1939-1945 avec une citation à l'ordre de l'armée et il sera chevalier de la légion d’honneur. Il entre dans la franc-maçonnerie où il sera membre de 1946 à 1952. Après avoir quitté la loge, il rédigera une parodie de rite maçonnique :” Grande Loge des Voyous, Rituel du Premier Degré Symbolique“. En 1949, la carrière d'humoriste de Pierre Dac prend un nouveau tournant en rencontrant Francis Blanche. Ensemble, les deux humoristes écivent de nombreux sketches dont le plus célèbre est sans doute le ”Le Sâr Rabindranath Duvalqu'ils joueront après un repas bien arrosé. Le tandem Pierre Dac / Francis Blanche est à l'origine d'une multitude d'émissions radios telles ”L.K.N.O.P.D.A“. ”Les kangourous n'ont pas d'arêtes“, ”Faites Chauffer la colle“, ”Malheur aux Barbus“, ”Le Parti d'en rire“ et surtout  ”Signé Furax“.  Il est l'inventeur du Schmilblick, qui ne sert absolument à rien et peut donc servir à tout. Il est rigoureusement intégral !“ Repris par Guy Lux et parodié par Coluche.   

Même s’il paraissait être un joyeux drille, il tentera à quatre reprises de se suicider. Depuis son retour en France à la Libération, il  souffrait de ne pas retrouver toutes les amitiés sur lesquelles il comptait, sur ce plan il n'enchaîne que des déceptions, à l'exception de son ami Francis Blanche. En 1964 il fait reparaître L'Os à moelle et en 1965, bien avant Coluche, il se présente comme candidat à la présidentielle avec le MOU (Mouvement Ondulatoire Unifié), il désigne Jacques Martin premier ministre et deux de ses futurs ministres, Jean Yanne et René Goscinny. Les discours grandiloquents seront édités dans l’organe officiel L’Os à Moelle avec son slogan : ”Les temps sont durs, votez MOU !“. 
 
 Tout comme  Coluche, sa candidature gène les hautes sphères de l’état, Un conseiller du général de Gaulle, en septembre, par téléphone, lui demande de se retirer. Par fidélité pour celui qui fut le chef de la France libre, il accepte en justifiant par la formule : ”Je viens de constater que Jean-Louis Tixier-Vignancour briguait lui aussi, mais au nom de l'extrême droite, la magistrature suprême. Il y a donc désormais, dans cette bataille, plus loufoque que moi. Je n'ai aucune chance et je préfère renoncer“. 

Malgré le succès, Pierre Dac est et  restera un homme modeste, presque effacé. Gros fumeur, il meurt sept mois après son complice Francis Blanche d’un cancer du poumon. En plus d’une œuvre littéraire bien fournie, il apparaitra aussi au cinéma (pour l’anecdote en forme de clind’œil, il apparait dans le film ”Allez France !“ de Robert Dhéry dans une pièce sous un escalier parlant pour Radio Londres !).

Celui qui disait ”La mort n’est, en définitive, que le résultat d’un défaut d’éducation puisqu’elle est la conséquence d’un manque de savoir vivrePierre Dac a repris Alphonse Allais à sa manière.

Pierre Dac mon maître…quatre vingt six ! (adapter à votre taille !    



dimanche 3 novembre 2024

UN BEST-OF QUI TUE DE OUF

 


MARDI : adepte du paranormal (un garçon par ailleurs très normal) Pat ne pouvait pas faire l’impasse sur « Sixième sens » avec Bruce Willis, le film qui nous a fait connaître M. Night Shyamalan, un des plus beaux twist du cinéma, impossible à raconter, il faut l’avoir vu, mais surtout revu !

MERCREDI : le hard-rock commençait à s’embourber, à devenir pachydermique, des jeunots vont secouer tout ça et apporter du sang neuf, la NWOBHM était née, Iron Maiden en chef de file, avec « Killers » fonceur et belliqueux, du métal dont on fait les meilleures lames.

JEUDI : ceux-là, on les adore, parce qu’ils produisent une musique simple et identifiable dès la première note. Benjamin nous raconte comment un petit groupe de pop psychédélique est devenu Status Quo, les maîtres du boogie-rock sur 12 mesures. On est prié de secouer sa crinière, pour ceux à qui il reste des cheveux.

VENDREDI : on ne pourra pas se plaindre d’en avoir plein les mirettes, Gilles Lellouche a vu les choses en grand pour son « L’Amour ouf », une débauche d’effets de caméra, distribution de luxe, pourtant, hésitant sur la direction à prendre, son drame romantique peine à convaincre.

👉 On se retrouve mardi, avec une chronique de Pat consacrée à Pierre Dac, de la musique romantique avec le Toon et une cantate "diabolique  😈" de Mendelssohn (Félix de son petit nom), Luc est allé voir la dernière palme d’or signée Sean Baker, et Bruno, très pudique, n’a pas souhaité communiquer l’objet de sa prochaine causerie.

Bon dimanche.

vendredi 1 novembre 2024

L'AMOUR OUF de Gilles Lellouche (2024) par Luc B.



Gilles Lellouche avait annoncé à ses producteurs qu’il souhaitait réaliser une fresque de 4 heures. Après le succès (mérité) de LE GRAND BAIN, tout lui était permis. Et puis on est passé à "au moins 3 heures". A Cannes, le métrage faisait 2h45, et six mois plus tard, en salle, on est redescendu à 2h40. Les mauvaises langues diront que c’est déjà 2h40 de trop ! Sauf qu’on ne s’ennuie pas une seconde, le souci n’est pas là. Jusqu’au dernier moment, Lellouche a corrigé son montage, ce n’est généralement pas bon signe. 

Annoncé comme un mélodrame musical et dansé, à part une courte scène, on ne voit pas l’ombre d’une chorégraphie. Tout cet aspect a été coupé. Malgré un budget conséquent et des années de boulot, l’impression qui domine devant L’AMOUR OUF, est un film bancal, inabouti. Le cul entre deux chaises. 

L’histoire est simple. Jackie et Clotaire se rencontrent au lycée, elle est bonne élève, lui un p’tit branleur. Coup de foudre. Clotaire plonge dans la délinquance, s’accoquine avec le caïd La Brosse, participe à un casse qui tourne mal. Case prison. 12 ans plus tard, que reste-t-il de son couple avec Jackie, que devient-elle, pense-t-elle encore à lui dans sa nouvelle vie bien rangée ? C’est mince, mais qu’importe, la mise en scène devrait transcender tout ça. On y reviendra… 

Le principal souci, est qu’on ne croit pas à l’histoire d’amour entre Clotaire et Jackie. Au début un peu plus, jolies scènes de virées en mob, beau moment avec la première éclipse de soleil, ce travelling qui suit l’ombre qui envahit la plage, plonge les spectateurs dans l’obscurité, et dans le même mouvement, recadre finalement les deux amoureux qui se bécotent sur le sable. Leur première fois est joliment filmée, à fleur de peau, au sens strict, très gros plans pudiques. La première partie du film est d’ailleurs la plus intéressante, il y a du drame mais de la légèreté, de l'humour, de l’insouciance. 

Alors oui, Jackie (Mallory Wanecque, version jeune, vue dans PAS DE VAGUE) cherche à revoir Clotaire, jolie scène avec la mère (formidable Elodie Bouchez) qui sans jamais l’avoir vue, la reconnaît. Clotaire, en sortant de taule, frappe à la porte de Jackie, qui n’habite plus ici, son père (Alain Chabat, pas mauvais, jolie scène quand sa fille avoue avoir séchée les cours) le fout dehors. Mais c’est tout, c'est peu, pour un couple censé avoir été fusionnel. Les amants sont virtuellement réunis lors de la seconde éclipse (qu’on imagine être celle de 1998*) avec un effet de superposition d’images, qui sonne un peu faux. 

On en a vu des grands films d’amour, et Lellouche aussi, grand cinéphile. Il parodie TITANIC avec ses amoureux à l'avant d'une locomotive, à défaut de la proue d’un paquebot. Il a sûrement vu LICORICE PIZZA de Paul Thomas Anderson, auquel on pense. Hélas de très loin, car contrairement aux héros de PTA, on n'est pas touché, ému, par le lien qui unit ces deux personnages. Gilles Lellouche hésite sur la direction à prendre. Le mélodrame ouvrier ? Pourquoi pas. Lellouche filme bien les usines du nord, les docks. Il filme un environnement, mais pas les gens dedans. La grève des dockers n’est qu’un prétexte pour le hold-up. Résumons : pas de drame prolétaire, pas de comédie musicale, histoire d’amour bancale. Qu’est ce qui reste ? Le polar. 

Mais là encore, on sent le poids des références. L’initiation au crime, renvoie à tellement de films, de LITTLE CÉSAR en 1931, jusqu’aux AFFRANCHIS, et surtout LES INFILTRÉS. La Brosse et Clotaire (Benoit Poelvoorde et Malik Frikah), c’est Nicholson et DiCaprio chez Scorsese. Les scènes de boite de nuit, c’est du Olivier Marchal, les poursuites du Cédric Jimenez, le casse lorgne vers Michael Mann. On a vu ça cent fois. Dans ce film d’amour, il y a moins de baisers ou de regards de biche (oh ma biche...) que de coups de barre à mine dans la gueule. Clotaire est devenu une brute (François Civil, monolithique, paradoxalement les jeunes acteurs ont plus de charisme que leurs aînés) assoiffée de vengeance, y cause pas, il cogne, mix de Joe Pesci et James Cagney

Les personnages sont trop stéréotypés, comme Jeffrey, le mari de Jackie, joué par Vincent Lacoste, bourge tête à claques en p’tit polo, lunettes fumées et décapotable, le père de Clotaire qui comme il est ouvrier frappe son gosse, Lionel, le copain noir donc forcément rigolo (Jean Pascal Zadi)… Étonnant lorsqu’on se souvient des personnages joliment et tendrement croqués du GRAND BAIN. Quid de l’amitié entre ces gamins, de la fratrie (Raphaël Quenard, sous employé aussi). On sent qu'il a fallu faire des choix au montage, l'aspect polar a été privilégié visiblement, pour une question de rythme. 

La mise en scène… Lellouche fait feu de tout bois ! Il donne à voir, presque trop. Y a-t-il un seul plan fixe en 2h40 ? Panoramiques à la vitesse grand V, figure de style redondante, travelling au ras du bitume, du drone en veux-tu en voilà, couleurs saturées, contre-plongées abyssales, les truands sont filmés comme dans un clip de gangsta rap. Y’a des idées (la fusillade filmée hors champ, uniquement en ombres projetées) c’est efficace, rythmé, on ne peut pas nier la volonté du réalisateur de vouloir faire du grand cinéma, de remplir l’écran. On aurait aimé qu'il se calme un peu, parfois. Il y a un joli twist narratif, le coup de fil sur le Nokia, juste avant un casse, on voit la scène deux fois, mais l’issue est différente. D'ailleurs, n'y avait-il pas moyen de mixer les époques, plutôt que deux récits juxtaposés ? 

On aimera la reconstitution des années 80, des p’tits détails justes, la compile sur cassette TDK, walkman, cabines France Télécom, les fringues. Lellouche convoque beaucoup de musique (d’où le budget colossal ?!), Cure, Prince, INXS, Soft Cell, Foreigner... le « Child in time » de Deep Purple fait un peu figure d’intrus !

L’AMOUR OUF est un film ambitieux, très personnel, Lellouche y a mis beaucoup, mais dans le désordre et sans dosage. Ca parlera sans doute à cette génération (90 % des spectateurs avaient moins de 20 ans) qui s’était retrouvée énamourée, devant le clinquant ROMÉO + JULIETTE de Baz Luhrmann.

* il n’y a pas eu deux éclipses totales du soleil visibles depuis la France à 10 ans intervalle, Lellouche le savait, mais est passé outre, pour la beauté du geste de cinéma !


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