mardi 4 novembre 2025

NIKITA (1990) de Luc Besson - par Pat Slade



Si je devais faire un classement de mes films favoris de Luc Besson, ”Nikita“ serait premier devant ”Subway“...




Nikita, une fille avec un gros flingue




J’aime le cinéma de Luc Besson depuis ”Le dernier Combat“ mais j’ai évité la série ”Arthur et les Minimoys“. Je suivrai ses réalisations jusqu’à ”Angel-A“ et reprendrai le fil avec ”Lucy“. Je n’ai pas encore vu son ”Dracula“.

 Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai regardé ”Nikita“ un film âpre, violent, parfois tendre, parfois drôle avec des répliques et des situations qui font mouche. Autant je ne suis pas un grand fan du ”Grand Bleu“ que j’avais trouvé bien fade, ”Nikita“ m’enthousiasmera. L’histoire, l’intrigue et surtout la distribution des rôles. A cette époque les premières images des films de Besson étaient pratiquement similaires ; dans ”Le grand Bleu“ l’image survolait l’océan, pour ”Léon“ ce sera Central Park à New-York, ”Le Cinquième Élement“ les étoiles, et pour ”Nikita“ le pavé humide d’une rue parisienne. Tout commence par une petite bande de toxicos en manque qui braque une pharmacie. Tout finit en fusillade avec la police et la dernière survivante, Nikita (Anne Parillaud), tuera un représentant des forces de l’ordre à bout portant. La demoiselle a du caractère, lors de son interrogatoire par la police, elle transpercera la main du flic (Roland Blanche) avec un crayon. Bien entendu elle est Jugée et condamnée à perpétuité. Pour faire court, elle sera ”éliminée“ de la surface de la planète pour devenir une espionne et une flingueuse pour les services secrets. Celui qui croit en son potentiel est Bob (Tchéky Karyo). Il n’est pas tendre avec elle. Quand elle essaiera de s’évader en le prenant en otage avec son flingue, il l’a désarmera facilement alors qu’elle cherchera à se suicider mais le coup ne partira pas et lui tirera une balle dans la jambe ! ”Règle n°1, jamais la première balle !“. Nikita est incontrôlable, avec le prof de judo elle ira jusqu’à lui mordre l’oreille et lui mettre un grand coup de pied.

Mes scènes préférées sont celles avec Amande (Jeanne Moreau), tu y découvres un personnage qui a de la douceur et une grande maitrise d’elle-même. Dès sa première rencontre avec Nikita elle essayera de créer une confiance mutuelle, elle essayera d’en faire une femme. Séquence 26 intérieur salle de maquillage. Nikita regarde Amande et puis ses mains ”Vous avez été à ma place avant ? Amande sourit de la perspicacité de la jeune femme. Alors qu’elle sort un tube de rouge à lèvre et le donne à Nikita, elle dira avec sa voix bien à elle, ce qui est pour moi la plus belle réplique du film : ”Laisse toi guider par le plaisir ; ton plaisir de femme et n’oublie pas ; il y a deux choses qui sont sans limite, la féminité et les moyens d’en abuser“.

Fondu enchainé. Nikita a 23 ans, pour son anniversaire Bob l’emmène dîner dans grand restaurant (Le Train Bleu à la Gare de Lyon) et c’est à ce moment précis qu’elle comprendra pourquoi pendant toutes ces années elle a été façonnée en tueuse. Un Desert Eagle dans le sac à main, une ou plusieurs cibles, et voilà la fameuse scène de la cuisine ou ça défouraille de tous les cotés. Après cet examen de passage, elle retrouve la liberté.  

Quelques jours plus tard, en faisant des emplettes au supermarché, elle va rencontrer Marco (Jean-Hugues Anglade), un garçon avec beaucoup d’humour qui tombera dans ses bras suite à un repas composé de raviolis en boite. Marco est le candide de l’histoire, coincé entre une tueuse au service de l’état et celui qu’elle lui présentera comme son oncle, Bob. Ce dernier leurs paiera un voyage à Venise uniquement pour que Nikita y exécute un contrat.

Sa dernière mission sera d’infiltrer l'ambassade d’un pays étranger. Elle capturera l’ambassadeur en le droguant et utilisera un agent de son équipe comme sosie. Mais tout ne va pas se passer comme prévu et ses supérieurs vont lui envoyer un nettoyeur. Arrive Victor (Jean Reno) un lointain cousin de “Léon” qui après avoir éliminé les gardes du corps mettra tous les macchabés dans la baignoire et les arrosera d’acide. Mais l’ambassadeur n’était que drogué et réagira violemment au traitement de Victor. Victor va descendre le sosie de l’ambassadeur devenu fou, Pour Victor : ”Y faut finir la mission“ Nikita et Victor partent pour l’ambassade après avoir pris les photos des dossiers. Nikita se retrouve face à deux molosses qui l’oblige à fuir. Le chef de cabinet (Jean Bouise) sort de l’ambassade pour savoir ce qui se passe avant que Victor ne le tue. Les gardiens de l’ambassade tire sur la voiture blessant Victor, il s’enfuit avec Nikita en traversant un mur. La voiture s’arrête à un feu rouge et Nikita se rend compte que le nettoyeur est mort.

 Marco  commençait depuis longtemps à avoir des doutes sur Nikita et il découvrira sa double vie et la vérité. Elle est maintenant recherchée par les services secrets pour dissimulation de secret d’ambassade. Bob ira voir Marco pour savoir où elle se trouve, mais cette dernière est partie, il lui donnera les microfilms. Bob : ”Elle va nous manquer hein ?“ Marco : ”OuiFIN

Je n’ai pas vraiment spoiler le film, si un peu me dit-on 😊. il y a beaucoup de scènes, exactement 89 séquences, il faut le voir. Luc Besson écrira ”Nikita“ pendant le tournage du film ”Le Grand Bleu“. Le coté sombre de l’histoire sera la disparition de Jean Bouise qui avait beaucoup tourné avec Besson dans ses quatre premier films.  Éviter le remake américain avec Bridget FondaNom de code : Nina“ qui n’est qu’une pâle copie, il existe d’autre remake dont un Canado-hongkongais ”Black Cat“, un indien ”Kartoos“, il sera aussi adapté pour la télévision. Fait assez rare, les scènes sont tournées dans l'ordre chronologique, Besson ayant peur que son actrice perde en route le sens de l'évolution psychologique de Nikita qui commence punk à vingt ans et finie en couple à trente. Éric Serra signera la musique pour sa cinquième collaboration avec Luc Besson. Neuf nominations au César 1991 et seulement Anne Parillaud obtiendra celui de la meilleur actrice. Je possède un livre sur l’histoire de ”Nikita“ par Luc Besson lui-même, il est agrémenté de magnifique photos, des anecdotes  et le dialogues complet scène par scène est retranscrit.


 ♫ ♪ Oh Nikita You will never know anything about my home,

I'll never know how good it feels to hold you

Nikita I need you so

Elton John


P.S :  Nous sommes le 31 octobre, le soir d'Halloween et je viens d'apprendre le décès de Tchéky Karyo à l'âge de 72 ans



dimanche 2 novembre 2025

UN BEST-OF PHÉNOMÉNAL QUI FOUT LA (ci)TROUILLE


MARDI : avant de devenir… ce qu’il est devenu, Francis Lalanne avait sorti de très bons albums, Pat adore les quatre premiers, et notamment ce troisième qui aligne ballades poétiques, nostalgiques, sur des arrangements dépouillés ou richement ornés.

MERCREDI : des bonbons ou un disque. Bruno a choisi, en cette période 🎃de nous présenter l’album « Phenomena » qui aurait dû être la bande-son d'un film qu’on attend toujours… mais reste la musique, rock-progressif FM sublimé par la voix intense de Glenn Hughes.


JEUDI : Benjamin nous a convié à une balade onirique, un « Voyage dans l’histoire visuelle et musicale du rock progressif » en compagnie des suédois de Änglagård.

VENDREDI : Luc a vu « Springsteen : Deliver me from nowhere » de Scott Cooper, centré sur la création de l’album Nebraska, né d’une grosse déprime. L’introspection n’évite pas un certain pathos, le film est plus intéressant lorsqu’il montre le processus de création.

👉👻 Une semaine prochaine très cinéma, même Bruno s’y met avec « Trick or Treat » de Charlie Martin Smith, Pat, flingue en pogne, a revu « Nikita » de Luc Besson, et Luc a passé son permis pour suivre Richard C. Safarian sur les routes de « Point limit zéro ». Et la zikmu ? Le Toon veille au grain, avec une nouvelle série sur les disques légendaires, on entendra du Mahler

Bonne semaine, et bonne citrouille. 

vendredi 31 octobre 2025

SPRINGSTEEN : DELIVER ME FROM NOWHERE de Scott Cooper (2025) par Luc B


D’un biopic sur Bruce Springsteen on aurait pu craindre une célébration testostéronée du p’tit mec de banlieue (Freehold, New Jersey) qui accède au statut de héros national, où comment on devient le Boss en dix leçons, à coups de reconstitution de concerts épiques. Il n’y a rien de cela dans SPRINGSTEEN : DELIVER ME FROM NOWHERE, c’est même tout le contraire.

Le réalisateur, scénariste, producteur Scott Cooper, qu’on situerait plutôt comme cinéaste indépendant, à qui on doit CRAZY HEART avec Jeff Bridges, HOSTILES et THE PALE BLUE EYES avec Christian Bale, se concentre sur une période sombre, introspective, la conception de l’album « Nebraska » (1982). Ca commence en noir et blanc, flashback, le petit Bruce entend son paternel, éméché, monter les marches vers sa chambre, cogner à sa porte pour en découdre… un, deux, trois… transition one, two, three, four… le climax de « Born to run » nous éclate à la gueule, c’est le dernier concert de la tournée triomphale « The River ».

Ces trente secondes de « Born to run » sont uniquement ce qu’on verra reconstitué en concert. Les rares autres moments seront au Stone Pony, un bar d’Asbury Park où Springsteen (encore aujourd'hui) a l’habitude de jammer avec des groupes locaux.

Parlons de suite de ce qui m’a gêné. Ce noir et blanc bien léché pour les flash-back, qui informent, certes, mais qui frisent le pathos. Une scène montre Douglas Springsteen (le père, joué par Stephen Graham) embarquer son fils voir au cinéma LA NUIT DU CHASSEUR de Charles Laughton, spectacle assez traumatisant pour son âge (9 ans). Scott Cooper aura, je suppose, fait le choix de traiter les souvenirs du gamin à la manière de, avec un Mitchum démoniaque en fugure paternelle. Pourquoi pas. LA NUIT DU CHASSEUR, BADLANDS, plus tard LES RAISINS DE LA COLÈRE, le film montre bien les rapports de Springsteen au cinéma*

Scott Cooper cueille donc un Springsteen au top professionnellement, mais au fond de la vague moralement. Tout est résumé en une réplique, avec un vendeur de voiture qui assure : « C’est le modèle qu’il faut, pour une rock star comme vous… Je sais qui vous êtes ». L’autre répond : « vous avez du bol, je ne le sais pas moi-même »

Les angles choisis par le réalisateur ne sont pas les plus avenants, à première vue. Il ne filme pas un type qui performe, mais un type qui s'isole pour créer. Pas très cinégénique. Il ne filme pas un gars en pleine réussite, mais qui doute du bien fondé de cette réussite, qui accepte mal ce qu’il est en train de devenir. On voit bien dans le film ce décalage entre ce qu’on projette sur lui, et ce qu’il est, un prolo de banlieue ancré dans son espace naturel. 

Pourtant, à l'écran, le processus torturé de création s'avère intéressant. Le déclic devant une diffusion télé de BADLANDS de Terrence Malick, la scène où Martin Sheen abat le père de sa copine pour la délivrer de son emprise. Pas anodin, ça fait écho chez Springsteen, flash back sur le gamin qui frappe son père avec une batte de baseball. Une chanson naîtra de ce film (« Nebraska »), puis d’autres, plutôt lugubres, violentes, crépusculaires, de quoi remplir un double album. Chansons enregistrées sur un quatre pistes, dans sa chambre, à l’aide d’un gus, Mike, joué par Paul Walter Hauser, découvert dans LE CAS RICHARD JEWELL de Clint Eastwood. Plan intéressant lorsque Springsteen corrige son texte, barrant les « He » par des « I », s’appropriant le rôle du narrateur.

Ces maquettes enregistrées sur cassettes devaient servir de brouillon pour être retravaillées en studio avec le E Street band (étonnamment absent du film, à part ce court moment). On voit ce qui deviendra « Born in the USA », titre d’un scénario que Paul Schrader lui a envoyé : « ça ne m’intéresse pas, mais le titre, y’a un truc à faire avec... ». Il y a aussi « Cover me » (destiné à Donna Summer) ou « Glory days », « I'm on fire »... qui ne sortiront qu'en 1984. CBS se frotte les mains. Des tubes en puissance pour le prochain album. Mais les chansons de « Nebraska » perdent leur substance à être électrifiées**, Springsteen décide de les sortir sur un album distinct, telle que, dans leur jus.

L'aspect technique aurait pu être rébarbatif, curieusement non. On ne peut plus dissocier voix, guitare, harmonica à partir de la cassette audio, ni se débarrasser des bruits ambiants, ou de l'écho. On suit les tentatives de mixage, la fabrication du master, mais le résultat ne convainc jamais. L’ingé-son Chuck Plotkin dénichera un atelier de fabrication de vinyles, capable de restituer le son de la cassette (une histoire de profondeur de sillon). Il va falloir vendre l’idée à CBS. C’est le manager Jon Landau (Jeremy Strong) qui s’y colle, non sans nervosité. Car Springsteen a en plus décidé qu’il n’y aurait ni single, ni tournée, ni promo dans la presse, ni sa tête sur la pochette. 

Autre aspect du film, comment un artiste dit non au système, pour garder son intégrité, quand tant d’autres se sont épuisés à reproduire une recette pour ne pas descendre une marche de podium. Ce suicide commercial annoncé s'est soldé par un succès immense, « Nebraska » décrochera la troisième place des ventes.

L’acteur Jeremy Allen White ne ressemble pas physiquement à son modèle, des faux airs du jeune Pacino parfois, cocker triste. Il n’est pas dans l’imitation grimée. Une chemise à carreaux, un tee-shirt et des cheveux hirsutes suffisent à poser le bonhomme (comme la pochette de « Darkness »). Il est particulièrement convaincant au chant, c’est lui qu’on entend dans le film. La mise en scène est classique, très belle photo, sans doute trop, j'aurais aimé une photo plus brute, justement à l'image de ces enregistrements dégraissés sur l'os. 

Rien à voir avec UN PARFAIT INCONNU de James Mangold sur Bob Dylan à la très ample et riche reconstitution avec guest star à gogo, ici on donne dans le drame intimiste, un mec, sa guitare et ses emmerdes.

Comme l'angle choisi [lire plus haut] est ce qu'il est, Scott Cooper intègre au scénario une romance contrariée (fictive), qui n'apporte pas grand chose, et assez peu crédible. On regrettera aussi un film trop concentré sur la relation Springsteen – Landau, alors que le chanteur était, sur le Shore, le chef de fil de toute une bande de musiciens, c’est à peine si on aperçoit Steven Van Zandt. Avec cette impression que le film aurait pu concerner un personnage lambda, un dépressif, bipolaire, limite suicidaire (qui écoute, amorphe, le second album de Suicide d’Alan Vega dont il est fan). 

Si on ressort euphorique d'un concert de Springsteen (et je sais de quoi je cause) là, on a juste envie de se pendre. Mais « Nebraska » n’est pas non plus le disque le plus festif pour ambiancer les campings du cap d'Agde. 

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* L’horrible bandana porté sur la tournée « Born in the USA » était une référence au de Niro de VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER, et pas à RAMBO comme beaucoup le pensaient ! 

** Depuis, des titres comme « Johnny 99 » « Atlantic City » « Reason to believe » « Open all night » sont interprétées aussi en mode boogie rock avec le groupe entier.


couleur et noir & blanc - 2h00 – format scope 1:2.39.

jeudi 30 octobre 2025

ÄNGLAGÅRD : Voyage dans l’histoire visuelle et musicale du rock progressif, par Benjamin


La porte de ce monde fut étrange, presque angoissante, un visage hurlant sous l’effet d’une sorte de décomposition cosmique. Puis, la curiosité éveillant bien souvent le courage des hommes, l’ouverture de cette porte vous laissait nez à nez avec une lune au sourire moqueur. Derrière elle, un chaos électrique aux riffs synthétiques porta une voix chantant vos névroses.

« Cat foot iron claw, Neuro surgeon scream for more, At paranoïa poison door, Twenty first century schizoid man »

Vous évoluez donc dans un décor aux couleurs sang rosé, symbole des rêves humains et de sa peine à les réaliser. Rapidement, la mélodie se fit douce, l’hystérie faisant ainsi place au deuil. Vos tympans exultèrent alors sous les caresses d’un jazz rock cotonneux, sensuel, douce union de la puissance rock et de la tendre beauté du jazz. L’univers que vous connaissiez jusque-là, les mélodies qui vous furent familières, tout cela semble fondre sous la chaleur envoûtante de ces mélodies duveteuses. Mais même la plus éblouissante des beautés est condamnée à se flétrir, les assauts barbares du temps ne se préoccupent nullement de la grandeur esthétique de ce qu’ils attaquent. Comme pour vous avertir gentiment, une voix d’ange déchu psalmodie : « And I fear tomorrow I’ll be crying », le tout sur fond de mélodie automnale. 

Mais avant la saison des pluies vient celle des rayons de soleil, nulle force ne doit mourir avant sa grande épiphanie. Se révéler à soi-même et au monde, voilà le devoir sacré de tout ce qui vit et de chaque chose créée. Et pour se révéler il faut avancer inlassablement, parcourir les routes dans l’espoir de trouver la sienne. Progressivement, les couleurs changent, les mélodies aussi, vous franchissez une étape tel l’homme achevant une de ses décennies. Le paysage s’est transformé, il devint presque banal, mais d’une banalité pleine de grâce. L’herbe verte donna ainsi une certaine gaieté à un décor brumeux. De grands cerfs marchaient nonchalamment dans ces plaines verdoyantes.

Quelle ne fut pas votre surprise lorsque, arrivant à l’une des extrémités de décors qui vous parurent infinis, vous vous rendirent compte qu’ils n’étaient qu’un des stalagmites de terre que vous voyez poindre à l’horizon, telles des lames verdoyantes flottant dans un néant grisâtre. D’une soyeuse douceur swinguante, la mélodie que vous entendîtes passa à une pyrotechnie symphonique portant une voix elfique et théâtrale. Comme pour vous inciter à plonger dans le néant brumeux, cette voix répéta son incantation hypnotique « I get high, I get down ». Alors, attiré par ce chant de sirène soutenu par une féerie symphonique, vous plongez gaiement dans ce néant qui est la grande peur de l’homme.

Car la nature n’est pas la seule qui ait horreur du vide, même si les progressions harmoniques de « Close to the edge » compensent quelque peu la stérilité d’un décor morne. « L’amour est comme le brouillard du matin » disait Bukowsky, vous incitant ainsi à vous déduire qu’il s’évaporait de manière aussi soudaine et incompréhensible qu’il était apparu. Alors que la grisaille venait de vous mener à cette sombre réflexion, elle disparut rapidement pour laisser place à un ciel azuré. Votre chute se termina dans une eau douce, immersion de quelques secondes noyant vos ténèbres dans le son du silence. L’instinct de survie se montrant souvent plus fort que les élans morbides, les nécessités vitales obligèrent votre corps à s’extraire de ce silence asphyxiant.

Alors que vous n’aviez pas encore ouvert les yeux, vos oreilles savourent déjà la théâtralité baroque du « Supper’s ready » de Genesis. Sur la côte, vous apercevez les profils imposants de charismatiques conquérants anglais. Un peu plus loin, au milieu d’une ile située au milieu de cette eau douce , une femme en robe rouge et à tête de renard chante une mélopée romantique inspirée par une symphonie électrique, que vous dégustez avec le bonheur du nageur faisant la planche pour profiter de la douce chaleur du soleil.

« Walking accross the sitting room, I turn the television off, As the sound of motocar fade in the night time, I swear I saw your face change, it didn’t seem quite right, And its’ hello babe, with your guardian eyes so blue, Hey my baby , don’t you know your love is true »

Mais, alors que vous auriez voulu que cette volupté sonore ne s’arrête jamais, un froid aussi soudain que vif fit fuir aussi bien les fiers cavaliers, qu’une chanteuse au visage animalier semblant s’évaporer dans le bleu de l’horizon. Vous nagez alors vers les côtes, pour découvrir que des buildings trônent sur ces terres que vous pensiez inhabitées. Pour donner un fond sonore à la froideur du climat et à la laideur bétonnée de ces bâtiments, une glaciale mélodie synthétique prit la place de votre chère chaleur orchestrale. 

Progressivement, vous vous levez, votre nudité montrant une faiblesse absurde face à la résistance imposante de ces tours disgracieuses. Ce que vous entendez ne vous est pourtant pas inconnu, une certaine grandeur venue du passé nourrit la froideur ultra moderne de ces mélodies robotiques. La poésie, chant de l’innocence, survit paradoxalement malgré les morsures venimeuses de ces serpents d’acier que sont les synthétiseurs. Telle une enfance tardive, cette poésie prend les traits d’un enfant en costume de hussard vous toisant d’un regard plein de reproche. Et l’enfant se mit à chanter sur fond de musique aussi riche qu’entraînante, aussi froide que mélancolique, le chant de l’éden perdu de l’enfance.

« And it was morning, And i found myself mourning, For a childhood that I thought had disapear »

Puis les formes se mirent à se brouiller, les immeubles gondolaient avec la lascivité hypnotique de danseuses du ventre indiennes. Vous étiez en train de vous réveiller d’un rêve que vous n’auriez jamais voulu quitter. Vous relevant au milieu de cette chambre que vous n’étiez plus sûr de connaître, vous remarquez alors une porte arborant fièrement un soleil d’un marron sombre en guise de blason. N’en étant plus à une hallucination près, vous saisissez la poignée pour découvrir ce qu’il se cache derrière cet emblème. 

S’ouvre ainsi à vous un monde fait de plaines verdoyantes, une vaste forêt suédoise dans laquelle vous vous empressez de vous perdre. Comme sortie de l’écorce de ces arbres à la hauteur vertigineuse, la mélodie que vous entendez vous ramène aux fresques chaleureuses qui marquèrent le début de votre voyage. Gravée dans le bois de ces arbres centenaires, une inscription donnait un nom à cette renaissance d’une grandeur perdue. Le clavier de cette musique se fit plus grandiloquent lorsque, plantée au milieu de cette étendue verdoyante, la statue des trois visages illustrant l’album trilogie vous fit face, véritable version musicale des statues de l’ile de Pâques. 

Car le rock progressif, dont vous visitiez les paysages musicaux et artistiques, est depuis toujours une île merveilleuse menacée par les assauts du nihilisme. Änglagård fut le nom du progrès dans la tradition, le cri de guerre de musiciens armés de la lutherie et de l’inventivité insatiable de leurs aînés.

Aussi belle soit elle, cette mélodie baroque et champêtre eut dès le début la nostalgie des chants de deuil. Comme sorti du bois où il fut immergé, le triste soleil que vous vites sur la porte de ce monde imposa son visage torturé sur tous les trônes de cet Eden boisé. Cet emblème dégagea une chaleur de plus en plus forte, qui finit par mettre le feu à ces gigantesques piliers de l’architecture terrestre. Toujours aussi chaude, la musique que vous entendez a désormais la noirceur d’un requiem électrique, comme si quelqu’un voulait vous prévenir que ce rêve touchait à sa fin. 

Fuyant la fumée suffocante s’échappant des arbres calcinés, vous apercevez un feu de camp au milieu d’une espèce de jardin à l’herbe asséchée par le soleil. Pensant trouver là un guide, vous découvrez qu’un masque au visage endeuillé que les flammes dévorent progressivement. Comme annonciatrice des rêves à venir , la fumée de ce drôle de sacrifice vous monte à la tête pour vous annoncer les rêves à venir. Défilent ainsi devant vous les images évoquant les grands albums du renouveau progressif, la cabine téléphonique de « The sky move sideway » de Porcupine Tree, la galaxie de « Stardust we are… » de The Flower Kings

Ce renouveau ne fut invoqué que par une grandiose formule hors des âges : Änglagård