LUNDI :Marcelloooo !
appelait la féline Anita Ekberg les pieds dans sa fontaine. Avec
Claude, deux Marcello pour le prix d’un, les frères Benedetto et
Alessendro, compositeurs baroques, dont le Toon nous a fait écouter
des « Concertos pour hautbois » et des « Sonates
pour flûtes ».
MARDI :
Pat
a réécouté les immenses Creedence Clearwater Revival, et quoi de
mieux qu’un « Live in Europe » en forme de best-of où tous les classiques de Fogerty (ou presque) s’y trouvent sublimés, même si les
bandes ont été sérieusement retouchées ici ou là.
MERCREDI :Donnas,
donnas,
donnas
moi… Dieu
vous le rendra, chantait
Enrico Macias, en hommage à The Donnas, un girls band qui a tapé
dans l’oeil de Bruno, leur « Spend the night » enfile
une collection de perles punk-rock copieusement assaisonnées de
hard-rock.
JEUDI :Benjamin
se lance dans une nouvelle série dédiée au « Folk rock »
et forcément, à tout seigneur tout honneur, il entame avec Bob
Dylan, qui le 25 juillet 1965 a fait un truc dingue : il a
branché sa guitare !
VENDREDI :c’est les yeux embués de larmes que Luc est allé revoir « La
Soif du Mal », dans une version fidèle aux projets d’Orson
Welles, un Film
Noir que
le génial réalisateur hisse au
rang de tragédie humaine,
d’une
puissance
visuelle
éblouissante. Chef
d’oeuvre de
l’art, et pas simplement du septième !
👉La
semaine prochaine,
ça
va cogner dur avec les singles de Deep Purple (le groupe le plus
chroniqué de ces colonnes ?), puis une perle oubliée des 70’s
– rien n'a filtré encore du bureau de Bruno, sauf l'odeur du chou farci qu'il cuisine sur son réchaud pour la semaine - Andreas Staier viendra interpréter deux concertos de
Mozart, et plein de z'animaux au cinéma dans un dessin animé de
Jared Bush.
Et puis, avec retard, un dernier salut à Steve Cropper (84 ans) guitariste de légende, mais pas parce qu'il se roulait par terre, enflammait sa gratte ou balançait des soli de 10 minutes avec les dents. Il a fait mieux que ça, il a forgé un son, celui des studios Stax, avec le groupe The Mar-Keys (qui n'ont jamais accompagné Jacques Brel... j'vous laisse deux secondes pour trouver la blague...) puis Booker T and the MG's. Producteur, compositeur, arrangeur, n'en jetez plus. Son nom est associé à Otis Reding (qui composait sur une seule corde à la guitare, c'est Cropper qui s'occupait de façonner le reste) et à Sam & Dave (autres compositeurs maison), ou Wilson Pickett, Eddie Flyod. On le voit évidemment dans le film The Blues Brothers, aux côtés de son pote et bassiste Donald "Duck" Dunn. Lister les disques où apparait Steve Cropper reviendrait à recopier le bottin mondain des musiciens. Ce serait plus rapide de lister ceux où il n'intervient pas !
Sacrilège de parler de
LA SOIF DU MAL
sans évoquer recta ce premier plan séquence d’anthologie ! Qui a fait de
nombreux petits ensuite, on ne dénombre plus, depuis, les films qui
démarrent par un plan séquence, exercice de style qui vous pose-là un
réalisateur, un plan que Brian de Palma avait singé (en split
screen) dans
PHANTOM OF PARADISE.
Ce n’est pas de la virtuosité gratuite. Le film débute par un gros plan sur
des mains qui règlent la minuterie d’une bombe, placée ensuite dans le
coffre d’une voiture. Le cadre s'élargit avec un panoramique très rapide, un
couple arrive et monte dans la voiture, qui démarre. La caméra, montée sur
un camion grue, s’élève au-dessus des immeubles pour rattraper le véhicule
et le suivre sur une avenue encombrée de monde. Puis la caméra redescend
pour accrocher le couple
Vargas qui passe à pieds, on les
suit un moment, on retrouve ensuite la voiture piégée, bloquée au poste
frontière. Le conducteur s'impatiente, la passagère s'agace un "tic tac",
ils repartent enfin, la voiture sort du cadre, on revient sur les
Vargas, et... BOUM !
On a vu au départ que la bombe était réglée pour exploser dans 3’30.
C’est aussi la durée du plan. Donc Welles
joue sur le temps réel, il donne l’information au spectateur, et crée le
suspense. Ca va péter, on sait quand, mais pas où, car la voiture ne cesse
d’être bloquée dans la circulation.
Le plan séquence trouve ici sa pleine justification. Mais y’a une deuxième
raison. A cette époque, Welles était tricard à Hollywood depuis 10
ans (et en sera banni définitivement après ce film). Il décroche le rôle
d'un flic pourri, Hank Quinlan, dans une production Universal, dont la star est
Charlton Heston. Qui convainc le studio de confier à
Welles la réalisation du projet. Celui-ci va réécrire le scénario (il
transpose l’action à la frontière et fait de
Vargas un mexicain) mais il sait
qu'il doit donner des gages. Grâce aux plans séquence, précisément répétés
puis filmés en one shot, il prend de l’avance sur le plan de travail.
Les producteurs rassurés lui foutent la paix, d’autant que Welles,
malin, délocalise le tournage à Venice, banlieue de Los Angeles, où les
nababs du studio ne mettaient jamais les pieds. Et a essentiellement tourné
de nuit, profitant de ses journées pour écrire et donner le script au
dernier moment, pour être certain que personne ne puisse
interférer.
Tournage idyllique, mais ça va se gâter ensuite... Revenons à cette
explosion inaugurale. Nous sommes à Los Robles, ville frontalière entre le
Mexique et les Etats Unis, gangrénée par la violence. La voiture piégée
venait du Mexique, le secteur de Mike Vargas (Charlton Heston) mais a explosé côté américain, secteur de Hank Quinlan. Les deux flics vont devoir mener conjointement l’enquête.
Hank Quinlan est un des
personnages les plus fameux du Film Noir. La corruption et la mauvaise foi
élevées au rang d’art majeur. Welles lui donne une puissance
phénoménale, engoncé dans des prothèses, coussins sur le bide, faux nez,
vieilli (il n'a que 42 ans à l'époque), filmé en fortes contre-plongées qui
accentuent son aura maléfique. Qui n’a aucune envie de voir Vargas mettre le nez dans ses sales affaires. Quinlan utilise le malfrat local Joe Grandi (Akim Tamiroff, pathétique avec son toupet vissé sur le crane !) pour intimider
Vargas. Et pour que le message passe mieux, autant s’en prendre aussi à sa femme
(Janet Leigh, oh bon sang, la belle femme !).
Le tournage est rondement mené, mais Universal, méfiant, écarte Welles du montage, exige d’Harry Keller
(réalisateur maison) qu’il tourne de nouvelles scènes. Toujours pas
satisfait du résultat, Universal coupe 15 minutes. C’est cette version que
j’avais vue il y a des lustres, un format 4:3 d'1h35. Welles
avait écrit un mémo de 50 pages décrivant le montage qu’il souhaitait. En
1998, le document est retrouvé, confié à Walter Murch, monteur de Coppola, qui retravaille le montage en suivant les
indications de Welles, mais aussi en intégrant quelques re-take de Keller.LA SOIF DU MAL dite "version Murch" retrouve son format d’origine en 1:85, elle ressort en salle, c'est le
moment d'y aller.
Le lettrage du générique est remis à la fin, et non au début, pour ne pas
gâcher le plan séquence, la musique de Henri Mancini (pourtant
superbe) en est aussi retirée, au profit des ambiances et musiques sortant
des bars, des radios, de l'autoradio de la voiture. Chez
Welles le son est aussi primordial, pas une simple illustration
musicale plate, mais en relief, au fur et à mesure que la caméra arpente
l'avenue, et que la voiture se déplace. Le montage restauré restitue surtout
l’alternance des péripéties
Mike Vargas /
Susan Vargas. Welles avait conçu son film comme deux histoires parallèles, aux
incessants allers-retours.
Bon, on ne va pas pinailler, quelque soit sa version LA SOIF DU MALest un chef d’œuvre, le film qui enterre définitivement le Film Noir. Aldrich (EN QUATRIEME VITESSE) ou Kubrick (L’ULTIME RAZZIA) avaient déjà fissuré l’édifice en corrompant ses codes, Welles
tire la dernière balle, fatale, le public se détournera du genre, avant
qu’il ne renaissance dans les 90’s.
Car c’est un film violent, qui montre frontalement la dégueulasserie du
monde. Ce que subit Susan Vargas
est effrayant. Les scènes du motel sont osées pour l’époque, on y parle
ouvertement de drogue, de viol, la pauvre est harcelée puis violentée par
une bande de loubards payée par Grandi. On reconnaitra Mercedes McCambridge (de JOHNNY GUITAR) en lesbienne lubrique qui exige de rester dans la chambre pour jouir du
spectacle. On se dit que décidément, Janet Leigh
n’a pas d’bol avec les motels, deux ans plus tard dans PSYCHOSE elle s’y fera trucidée sous la douche !
Welles a recours aux artifices du film d’épouvante, dans cette
autre scène impressionnante où
Quinlan étrangle
Joe Grandi, au-dessus du lit où Susan est encore dans les vapes, avec ce plan du cadavre les yeux
exorbités. Le montage alterné joue à fond, puisque
Mike Vargas passe justement
devant l’hôtel au moment où sa femme hurle au secours sur le balcon, risée
des badauds. Elle le voit, l’appelle, il n’entend pas.
Parmi les grands moments du film (mais y en a-t-il de faibles ?) ce
dialogue entre Vargas
et le procureur dans une voiture lancée à toute berzingue dans les rues de
Los Robles, filmé en un seul travelling arrière (le genre d'idée qui vous
fait gagner trois jours de tournage). Ou la perquisition chez le suspect Sanchez, encore un plan séquence éblouissant dans l’étroitesse des lieux où se
bousculent les personnages. Et la filature où Vargas suit Quinlan pour enregistrer ses aveux à son issu.
Tout respectueux de la loi qu'il soit,
Mike Vargas n’est pas exempt de
défauts. Il persuade Menzies de
trahir son ami, il tabasse allégrement la bande à
Grandi dans un bar, et surtout,
par orgueil, fait peser de grands dangers sur sa femme (le couple est censé
être en voyage de noce !). C’est un besogneux, rigide et
procédurier :
« Notre travail est censé être dur, le travail de la police n’est
facile que dans un Etat policier ». Le film est une confrontation entre deux représentants de la loi.
Quinlan concevant parfaitement
fabriquer de fausses preuves pour étayer ses intimes convictions. Un
film ambigu, sujet à interprétation :
Sanchez est-il effectivement
coupable ? Quinlan le
salopard aurait donc raison depuis le début ? La fin justifiait elle
les moyens ? Welles disait que si on voulait connaitre ses idées
sur la justice, la politique, il suffisait d'écouter le personnage de
Vargas, qui parle à travers lui.
Le film est servi par une photographie très contrastée, les images sont
dures, acérées, la nuit transpercée de flashs, comme des lames de couteau.
Welles choisit des axes audacieux, baroques, glisse sa caméra dans
les moindres recoins, le décor naturel de Venice devient un théâtre
oppressant. La compréhension des images n’est pas immédiate, ce qui renforce
l’opacité du récit et le vertige. La fin est dantesque, située dans un décor
de fin du monde, la pourriture
Quinlan croupit littéralement
dans les immondices, déchet parmi les déchets.
Personne ne le regrettera, sauf peut-être Tana, dont le personnage est toujours introduit à l'écran par un air de piano
mécanique, « Fesche Lola ». D'où vient cette
chanson ? Du film L'ANGE BLEU, chantée par Marlene Dietrich. Et ça tombe bien, qui interprète
Tana ?
Marlene Dietrich... Elle avait joué avec Welles dans
HOLLYWOOD PARADE (1944), ils
étaient jeunes, ils étaient beaux, ils étaient minces.
Dietrich est toujours belle et mince, Welles s'amuse à
confronter leurs physionomies, d'où cette réplique private-joke
: « You should lay off those candy bars » (tu devrais arrêter les barres sucrées). Autre réplique
culte, derniers mots du film : « He was some kind of a man… ». Bon sang, on est presque ému par cette ordure !
Marlène Dietrich, n'a que deux petites scènes, mais quelles
scènes ! Qui participe à l'aura intemporelle du film.
Quinlan et Tana ont été amants,
on le suppose, c’est chez elle qu’il trouve un peu de repos. Il lui demande
de lui tirer les tarots :
« - Dis-moi mon avenir ? – Tu n’en as pas, tu l’as
épuisé ». Superbe ! Welles n'avait pas donné d'indication particulière à
l'actrice, qui est arrivée sur le plateau avec un costume de bohémienne
qu’elle s’était confectionné. Personne ne l’a reconnue !
Et puisqu’on donne dans l’anecdote, Janet Leigh a tourné avec un
bras dans le plâtre, habillement dissimulé par des accessoires, un vêtement
sur le bras, ou des astuces de cadrage. Et puis on aperçoit l'ami Joseph Cotten, juste une figuration.
Le film a été un échec commercial, et Welles renvoyé à ses petites
productions européennes, courant après les cachets pour financer sa
pellicule. Le public qui attendait le bon p'tit polar du samedi soir en
famille n’était pas prévenu d’un tel choc visuel, d’une telle noirceur,
d'une telle galerie de personnages écœurants, tyranniques, de cette
dimension tragique qui transcende le film.
D’ailleurs, à ce niveau, ce n’est pas un film, c’est une œuvre
d’art !
Noir et blanc - 1h51 – format 1 :1.85 (version
1998)
Comme c'est bientôt Noël, pas une ni deux mais quatre vidéos ! La
bande annonce d'origine, puis version restaurée, le plan séquence
d'introduction, et sa relecture par de Palma.
Mais
qui est donc ce jeune homme taciturne qu’un conducteur altruiste
prit en stop au détour d’une route New Yorkaise. Lorsque le
conducteur tenta d’engager avec lui une conversation, où il ne
répondit qu’avec une brièveté vexante, le jeune homme ne tenta
même pas de cacher son manque d’intérêt pour son bienfaiteur.
Ceux qui aiment parler n’ont il est vrai pas grand-chose à dire,
leurs propos ne sont que l’exutoire de leurs angoisses.
La politesse
eut pourtant voulu qu’une certaine sympathie s’instaure entre le
voyageur et son bienfaiteur, qu’il paie en quelque sorte en chaleur
humaine le service qu’il ne pouvait rémunérer. Au lieu de cela,
il traitait le conducteur avec une froideur donnant l’impression
qu’il voyait sa présence ici comme une faveur qu’il lui faisait.
Le visage juvénile et concentré sur de mystérieuses écritures, le
jeune homme ressemblait à un ado ayant fugué pour rejoindre sa
petite amie. Arrivé à New York, le jeune snob partit sans dire un
mot, accentuant ainsi l’admiration instinctive que son conducteur
ressentait pour lui.
Les gens sont ainsi fait que, si une bonté trop
généreuse leur donne du mépris pour leur bienfaiteur, le culot
d’un profiteur méprisant est souvent pour eux le signe d’une
certaine noblesse. Comme le disait si bien Louis Ferdinand Céline,
un bon culot suffit à presque tout, et notre voyageur fut loin d’en
manquer. Malgré son visage d’adolescent, il marchait avec
l’assurance d’un homme mûr et la tranquillité de celui qui sait
où aller. Le jeune homme se nommait Bob Dylan et, lorsque quelqu’un
lui demandait où habitait sa famille, il répondait ne pas en avoir,
avec une absence d’émotion troublante. Dylan se dirigeait vers le
Gaslight, café aux airs de cave ancienne où la poésie de la folk
avait remplacé le swing revigorant des dieux du jazz.
Là-bas, une
horde conservatrice ressassait les classiques d’un répertoire
qu’elle voulut immuable. Dylan, lui, avait dans la tête un monde
fait de récits kerouacquiens et de poésie beat et Rimbaldienne,
toute cette culture formant la source lumineuse de ses propres récits
mélodieux. Pour le folk, les première chansons dylanniennes furent
aussi importantes que les premières compositions des Beatles le
furent pour le rock. Passons rapidement sur la naissance de son
amitié avec Johnny Cash et l’influence de Suze Rotolo, là n’est
pas notre préoccupation actuelle. D’ailleurs, notre récit
commence sur la triste sortie de Suze Rotolo du mythe dylanien, drame
comme il s’en écrivit des dizaines depuis la parution des
tragédies Shakespeariennes.
Placée au milieu du public de Newport,
Suze vit la naissance d’un nouvel amour tuer le sien. Le grand Bob
bénéficia toujours de la bonté des femmes, ce sont elles qui
l’hébergèrent lorsqu’il arriva à New York dans ses guenilles
de clochard céleste. Joan Baez était la reine d’une musique dont
il fut sacré roi, leur union était aussi inévitable que gravée
dans le marbre de l’histoire. La chanteuse avait également les
moyens d’ouvrir à Dylan les portes de l’Angleterre, la seconde
terre du rock. Dylan aima toujours le rock et le blues, les riffs de
Chuck Berry et Muddy Waters firent autant partie de sa culture que
les mélodies de Woody Guthrie. A une époque où internet et la
télévision n’avaient pas encore fait de la culture une soupe fade
et cosmopolite, le barde ne sut à quoi s’attendre en arrivant sur
les terres de la perfide Albion.
Moins traditionaliste que la musique
de son pays, la pop anglaise taillait au rock des costumes aussi
gracieux que flamboyants. Avec « You really got me » les
Kinks prédirent l’invasion des hordes zeppeliniennes. Partant de
la même base rhythm’n’blues, les Who instaurèrent un culte de
la sauvagerie sonore préparant les premiers pavés punks.
Puis il y
avait les Stones, qui n’étaient pas encore revenus de leurs
errements psychédéliques, qui ne leur fit toutefois pas perdre ce
swing évoquant les grands espaces américains. Si le grand Bob
côtoya également les Beatles, ceux-ci n’eurent sur sa musique
qu’une influence minime. Emballer ses vers inspirés par Rimbaud et
Dylan Thomas dans des mélodies aussi modernes que les leurs aurait
été comme demander à Kubrick de produire un film de Charlie
Chaplin. La prose dylanienne visait la postérité, nulle belle
plante ne survit si longtemps si elle n’est pas profondément
enracinée dans sa terre natale. La terre de Dylan fut la musique
américaine dans sa fascinante diversité de traditions.
Voyant Mick
Jagger et Roger Daltrey soulever les foules et mettre en transe des
hordes de gourgandines, il envia secrètement leur charisme sauvage.
Lui ne sut jamais que claudiquer sur scène avec une raideur de
pantin désarticulé, ses mots seuls fascinaient une foule le
gratifiant de la charge austère de guide d’une génération. Ce
rôle, le barde l’avait toujours refusé, il ne voulait pas plus
guider sa génération que la laisser l’aliéner. « Celui qui
n’est pas occupé à naître est occupé à mourir » chanta t-il
avant d’incarner son précepte de la façon la plus
révolutionnaire.
Enregistré dans l’urgence « Bringing it
all back home » fut le plus cruel coup porté à l’immobilisme
folk. Nul n’ignorait que, si le grand public prenait goût à
l’union du folk et du rock, le folk acoustique croupirait à jamais
dans les caves de l’underground. Alors, au lieu des cris
d’admiration, Dylan eut droit aux cris de haine. Les lettres
d’admirateurs devinrent des lettres de menaces, les louanges se
transformèrent en injures. Ce que Dylan préparait n’était
pourtant pas une révolte avant-gardiste, mais une prolongation de la
tradition par des moyens nouveaux.
C’est dans ce cadre qu’il
convoqua Mike Bloomfield à l’enregistrement de « Highway 61
revisited », l’homme s’étant imposé comme le plus
légitime fils des chanteurs de Delta blues. Ainsi sortirent les
fabuleux « Bringing it all back home », « Highway
61 revisited » et « Blonde on blonde ». Sur ce
dernier, le swing terreux du Band prédisait discrètement un virage
country qui fit autant scandale que la fièvre électrique qui le
précéda. A l’écoute de ces enregistrements, la direction du
festival de Newport avait prévenu Dylan, sa folie électrique ne
sera pas tolérée dans cette Mecque de la poésie acoustique.
Qu’importe la mort du folk se dit alors le barde, sa muse exigeait
qu’il l’étreignit avec l’énergie des rockers les plus
dévergondés.
Propulsé par cette puissance binaire honnie des
ayatollahs de la tradition folk, le poète se sentit un peu plus
proche du charisme d’Elvis qu’il admirait tant. Il tournait
pourtant également la page des rockers acéphales, greffait un
cerveau au corps glorieux du rock’n’roll, incitait les rockers à
penser. Aussi grandiose que fut cet épisode du mythe dylanien, il
serait caricatural d’en faire le seul père de la révolution folk
rock.
Dans le même temps, fuyant la chaleur californienne pour la
fraîcheur obscure des salles de cinéma, une bande de jeunes
musiciens s’apprêtait à vivre la plus grande révélation de sa
vie. Les films des Beatles furent la version anglaise des nanars
d’Elvis, de sympathiques navets plus proches du grand plan de
publicité que de la véritable œuvre cinématographique. Qu’importe
pourvu que, propulsé par la puissance d’une sonorisation moderne,
les chœurs de « Love me do » et « A hard day’s
night » donnent l’impression de vivre un événement
historique.
A suivre… avec les Byrds.
Cet article, et bien d'autres, est à relire dans le bouquin de Benjamin, en vente ici : Le Roman du Rock
Extraits du festival Newport 65' avec un titre folk, l'autre rock (un inédit, seuls quelques initiés connaissent) et plus tard avec The Band.
Y'en a marre... Y'en marre de "bosser huit heures, mon salaire, c'est le salaire de la sueur". Je repense "ils m'ont bien eu ces enf.....". "J'ai vu mon vieux, il l'ont roulé". "Cinq heures du mat', j'ai des frissons"... C'est de plus en plus dur de se lever... enfin, j'me lève... mais j'me recouche... puis j'me relève... j'fais des trucs mais prendre la voiture pour bouffer du kilomètre pour arriver au boulot pour toute la journée, sans savoir quand j'pourrais rentrer... ça plombe considérablement l'moral. J'ai encore de l'énergie, mais de moins en moins pour bosser... il faut alors se charger en café. Hélas, the doctor dit de le réduire, voire même de l'arrêter. Pas bon pour les nerveux... Que faire ? J'l'ai pourtant dit à la médecine du travail (même s'ils semblent ne rien en avoir à carrer) : "j'en peux plus. Y'en a marre. J'y arrive plus". Alors, comment faire ? Il faut bien non seulement payer les factures, mais aussi les impôts et, accessoirement, s'il reste des tunes, manger.
Alors ? ... Une solution ? ... - "Un disque de Chantal Goya ! En live ! Pour l'ambiance explosive ! ".
Non merci, Luc. Non, vraiment. C'est gentil mais sans façon. Tu peux le ranger dans ta discothèque climatisée aux vitres blindées. Celle réservée à tes disques de chevet. De toutes façons, j'y toucherai pas. (je jetterai plutôt mon dévolu sur ton F. King à Antibes de 73). Oui, sinon, la solution est un disque de Donnas...
- " Donna Summer !! C'est Donna Summer, le double album de 79, "Bad Girl" !!"
Merci Pat. Ce n'est pas mon truc. Non, il s'agit d'une des galettes des Donnas.
The Donnas et leur album de 2002, "Spend The Night". Oui, celui-ci et pas un autre. Pourquoi ? Parce que là, les donzelles ont réussi à modérer leurs ardeurs, canaliser leur énergie pour la libérer dans un flux presque ininterrompu de punk-rock bubble gum copieusement assaisonné de hard-rock. En deux mots : du rock costaud, pas intellectuel pour un sou, direct et efficace. Un peu comme si Kiss avait intégré les Ramones pour faire un max de raffut. Comme si Joan Jett avait été embauchée par Theodore Nugent, pour donner un peu de féminisme à son rock de macho caricatural, sans perdre une once de son mordant. Voire Poison (qu'elles adorent) boosté par les Runaway. Avec en sus quelques petits soli concis qui se dégustent comme des chocolats fourrés. Quatorze pièces sur cet opus, et pas un seul temps mort. Le tout envoyé en multiples rafales en seulement quarante-trois minutes. On ne tergiverse pas, on va à l'essentiel. Et si le précédent, "The Donnas Turn 21", tape pas mal dans le Glam, là, ça fricote chaudement avec un hard-rock sans prise de tête. À mi-chemin entre le "Cold Metal" de l'Iguane et le "Tattoed Beat Messiah" de Zodiac Mindwarp. Que du bon qui envoie, du savoureux qui secoue les esgourdes, du rock pugnace qui booste le palpitant.
" Spend The Night " confirme le tournant opéré l'année précédente ; soit un retrait du punk rock pour aborder des rivages marqués par un Hard-rock plutôt basique
La grosse progression du quatuor se situe surtout dans la tonalité de la guitare d'Allison Robertson qui a pris du poids, du gras. Son duo mythique et éprouvé, Gibson - Marshall, fonctionne à merveille (1). Il a trouvé les clefs lui permettant d'accéder aux laboratoires du riff, section "énervé et autres bourre-pif" (sous haute protection, avec un sas hermétique et des murs en béton armé d'un mètre onze d'épaisseur - un collectif a déposé un recours en justice : il paraîtrait que depuis son édification, un temps secrète, il y aurait dans le proche voisinage des secousses sismiques de plus en plus fréquentes). Mais, derrière, la section rythmique assure sans coup férir comme une locomotive lancée, manquant de dérailler à chaque courbe un peu prononcée. C'est basique, sans fioriture, no jazz, mais c'est du solide. A cet effet, Torry Castellano, bien que d'apparence menue, martèle ses fûts comme la mère Denis son linge (ouille *) - ou, pour ceux pour qui la mère Denis n'évoque rien, disons comme Obélix, les romains-. Tapant plus fort encore en concert, où elle se lâche un peu plus sur les cymbales. Au point où elle va finir pas contracter une tendinite chronique et de sévères maux sur une épaule. Ce qui va la contraindre à arrêter la musique, reprendre ses études et prendre la robe... d'avocate. "C'est ben vrai, ça".
C'est que les quatre damoiselles, fraîchement signées par la major Atlantic, ont mis les bouchées doubles. Après des années à jouer sans autre prétention que faire du boucan (dans leurs premières années, pré-Donnas, elles tapaient même dans le speed métôl) et s'éclater, se libérer de la pression des études, qu'elles suivent toutes avec sérieux (en dépit de l'image qu'elles donnent sur leurs clips, ce sont de bons éléments), le succès croissant et la récente incursion dans les charts du précédent album, elles ont bien envie de goûter à un succès plus franc et vaste. Qui sait ? Conquérir les foules et devenir des vedettes. Puisque leur engagement dans la musique a pris une grande part dans leur vie, les obligeant à quitter des études prometteuses, autant aller jusqu'au bout. Et ne pas laisser passer leur chance quand elle se présente. Et effectivement, ce cinquième opus sous le patronyme de The Donnas, sonne bien plus professionnel que tout ce qu'elles ont pu faire auparavant. Un fait qui fâche les fans de la première heure qui considèrent cela comme une pure trahison. Qu'elles ont vendu leur âme au diable. En atténuant leur aspect "punk" pour mieux exposer leur facette "hard" ? Pourtant, ces jeunes filles - dans les 23 balais à la sortie de cet album -, n'ont jamais caché leur attrait pour le Hard-rock, ni même pour le heavy-metal, puisqu'elles reprennent déjà "Living After Midnight" de Judas Priest. Et depuis longtemps, "Too Fast for Love" de Mötley Crüe. Sans oublier qu'en 1999, elles sortent un clip où elles jouent le "Strutter" de Kiss.
Les filles pourraient être considérées comme de fières féministes, en détournant des clichés chers au cœur de rockers se la jouant macho. Des coups d'un soir, à l'arrière d'une voiture, de gamins qui se pâment en leur présence, de garçons faciles, de faire la fête sans se soucier du lendemain, de séductions. Toutefois, si elles peuvent chanter sans ambages de leur sexualité, jamais elles ne chercheront à se vendre avec une image hyper sensualisée, pour ne pas dire carrément sexualisée. D'ailleurs, à des années lumières de leurs consœurs de la pop et surtout du rap/bi and bi, elles sont vêtues sur scène comme à la ville. Une hérésie pour les poupées du néo-r'n'b qui concourent pour la tenue la moins couvrante, ou la plus moulante. Pourtant, c'est ce qui rend également sympathique et accessible ces jeunes femmes - comme dans un autre temps, pour les Gallagher, Status Quo et 80% d'AC/DC. Et puis, là, il s'agit bien d'un groupe soudé, d'amies, de potes d'enfance, d'authentiques musiciennes qui jouent réellement en live, et non pas en play-back, devant cacher la pâleur de leur répertoire par un spectacle haut en couleurs, plus proche des comédies musicales de Broadway ou du Barnum.
Avec des paroles comme celle de "Take It Off", elles auraient pu, dix ans plus tôt, s'attirer les foudres de la patrouille PMRC - "J'en suis à mon deuxième verre, mais j'en ai déjà bu quelques uns... J'essaie de réfléchir. J'crois que je te veux par terre. Yeah ! Pas terre ! Vas-y, enlève-le ! Tu dois te déhancher, bébé, pour moi. Allez ! Fais-moi [ censuré (*)] ... Arrête de fixer ma poitrine. Ne perds pas ton temps. Donne-le moi. Allez bébé, caresse-moi". Dans l'ensemble, des paroles qui ne volent guère haut, - c'est plutôt au ras des pâquerettes -, qui paraissent avoir été écrites dans l'instant, qui feraient passer celles d'AC/DC ou de Scorpions pour du Prévert ou du Baudelaire. "T'étais canon jusqu'à ce que tu enlèves ton tee-shirt. Tellement maigre que ça fait blesse les yeux. T'es un produit avarié" (extrait de " Not the One") ces filles ont du tact. "Je veux jouer sur ton gros camion, uh-uh. Alors poursuivons ! Je veux jouer sur ton gros camion (**), uh-uh... Alors remet un billet" (extrait de "Big Rig") intéressant... 😲 Que d'émotions 😂
Une pleine marmite de morceaux qui dépotent, encore porteurs d'une énergie post-adolescente, qui se dégustent d'une seule traître. Et en remettant maintes tournées sans éprouver de lassitude - ni de maux de tête. Le quasi enchaînement des morceaux - il est vrai aidé par un tempo souvent assez similaire, et devant énormément à Bun E. Carlos, l'ancien cogneur de Cheap Trick - fait qu'on est carrément emporté par ce torrent de robustes hard-rock / Power Pop des plus efficaces.
À la même époque, c'est Avril Lavigne qui explose en tant que nouvelle icône punk (??). Cherchez l'erreur.
N°.
Titre
durée
1.
"It's on the Rocks"
2:54
2.
"Take It Off"
2:40
3.
"Who Invited You"
3:30
4.
"All Messed Up"
3:11
5.
"Dirty Denim"
3:26
6.
"You Wanna Get Me High"
2:55
7.
"I Don't Care (So There)"
2:47
8.
"Pass It Around"
3:27
9.
"Too Bad About Your Girl"
2:50
10.
"Not the One"
2:46
11.
"Please Don't Tease"
2:51
12.
"Take Me to the Backseat"
2:22
13. 14.
"5 O'Clock in the Morning" "Big Rig"
4:13
Total :
42:58
(1) Allison Robertson se contente d'un minimum de matos. Juste ses Gibson. Une vieille SG Classic avec des P90, deux Les Paul et (après "Spend the Night"), deux Explorer (dont une noire, comme de Lita Ford du temps des Runaway). La Equalizer de Boss, la GE-7 avec les boutons poussoirs, et la Metal Zone de Boss. Celle là même qui a été le sujet de tant de polémiques, parfois considérée comme l'une des rares mauvaises créations de Boss - personnellement, jamais réussi à la faire sonner, de même que des potes (il s'agit aussi de la première version). À savoir qu'elle a longtemps été aussi le petit secret du son de Walter Trout.
(*) "Gripper au rideau" - pas la traduction exacte, mais moins crue
(**) "Big Rig" - remorque ou gros camion... gros engin ?