- J'aime bien le clavecin Claude, sauf quand il ferraille, hihi ! Ce n'est pas le cas avec ce Monsieur Puyana jamais écouté dans le blog, tout comme le Padre Soler d'ailleurs… Un baroqueux je suppose, contemporain de Scarlatti ? Tu m'affranchis...
- Dans l'ordre Sonia… Rafael Puyana est l'un des grands clavecinistes du XXème siècle, peut-être moins célèbre que Scott Ross, mais bon… Padre Soler est d'une génération après Scarlatti, donc oui, le dernier compositeur de pièces pour clavecin disons baroques en ce début de l'époque classique, et avant que le piano forte ne supplante cet instrument…
- C'est bizarre, ce disque n'a jamais été réédité en CD, il y a des vinyles sur le marché des occasions certes, mais du coup on n'en profite guère…
- Acceptons notre époque Sonia, cette gravure a été remasterisée pour les plateforme dont YouTube… Très franchement, ayant entendu les pressages de 1967, je ne vais pas maudire pour une fois le principe… Je vais en reparler… Et proposer en complément un disque de Scott Ross qui fait voltiger le Fandango avec brio…
- Ok c'est parti……….
Antonio Soler jeune |
Au siècle des lumières, l'Italie, l'Allemagne, l'Empire Austro-Hongrois et plus discrètement la France occupent la majeure partie de l'espace en terme de création musicale. En Angleterre, il y aura pénurie de grands compositeurs tels Vivaldi, Mozart ou Rameau, mais une multitude de petits maîtres qui n'ont guère accédé à la postérité. J'avais exposé une théorie à ce sujet dans l'article consacré à Thomas Arne (1710-1778) et un album de concertos pour orgue (Clic). Il faut bien admettre que l'allemand expatrié Haendel occupa sans partage ou presque les scènes londoniennes jusqu'en 1750.
En ce 21 novembre grisâtre, partons pour l'Espagne étudier, là aussi, la fort maigre production musicale en cette période de bouleversement intellectuel intense qui conduira au romantisme et même à la Révolution française.
En Europe, dans les pays cités, les monarchies commencent à perdre de leur influence dictatoriale et, même la toute puissante Église catholique se voit concurrencer par d'autres formes de pensée que la théologie du Vatican, entre autres : l'ésotérisme de la Franc-Maçonnerie 😊…
En Espagne, monarchie et catholicisme veillent encore farouchement au respect des dogmes dans tous les domaines, qu'ils soient philosophiques, littéraires ou artistiques. La censure est une activité plus qu'officielle et l'inquisition perdure avec détermination. Si celle-ci a pris fin en France vers 1700, les héritiers de Torquemada, fondateur impitoyable de la terrifiante inquisition espagnole, poursuivent leurs basses œuvres et les bûchers bruleront les supposés hérétiques jusqu'en 1834* ! Certes quelques écrits novateurs parviennent chez quelques érudits pourtant dévots, mais sont généreusement caviardés par les autorités monarchiques et ecclésiales. Quelques exemples : En 1756, le Saint Office interdit la diffusion de l'Esprit des Lois de Montesquieu considéré comme propice, à ses dires, à l'émergence d'hérésies. Dans le même esprit d'obscurantisme, en 1759, il entrave la diffusion de l’Encyclopédie… et en 1762, proscrit l’œuvre entière de Voltaire et de Rousseau !
En un mot pour conclure sur ces Lumières espagnoles peu brillantes : la chasse aux idées nouvelles fait donc rage et un Don Juan ou Une flûte enchantée d'un Mozart auraient conduit son ou ses auteurs dans un cachot pour une durée indéfinie… Et que penser du sort d'un Francesco Geminiani, musicien attitré de la loge maçonnique Philomusicae et Architecturae Societas Appolini créée à Londres en 1725 😐.
(*) Un film bouleversant à voir : les fantômes de Goya de Milos Forman avec une Natalie Portman martyrisée. Pas un grand Forman pour certains mais un procès assez fidèle des atrocités commises au nom du saint-office au début du XIXème siècle en Espagne. Film parfois décrié (Luc ?).
Padre Soler |
Antonio Francisco Javier José Soler Ramos, connu sous le diminutif de Padre Soler est l'exemple même du compositeur qui, malgré un succès certain, écrira dans un style résolument baroque moyennant quelques entorses vers des techniques émergentes du classicisme. Il devra s'accommoder des règles spirituelles en vigueur. Né en 1729 en Catalogne, Antonio suivra ses études à l'abbaye bénédictine de Montserrat. Il prend l'habit de moine en 1752 dans un monastère situé près de Madrid. Il devrait, dans la logique de l'époque, se cloîtrer jusqu'au trépas, même si ses dons musicaux remarquables et remarqués le propulsent maître de chapelle des lieux.
À Madrid, Antonio bénéficie des conseils de Scarlatti, l'italien, qui œuvrera presque toute sa vie à la cour d'Espagne et composera ses célèbres 555 sonates pour clavecin. (Clic) L'influence de Scarlatti dans la production de Soler est incontestable. Ce dernier écrira plus de 200 sonates dans un style très similaire, apportant juste un peu plus de fantaisie dans la structure des pièces.
Antonio donne des concerts à Prado ou à Aranjuez, enseigne aux enfants du roi Charles III, s'échappe donc très, trop, souvent du monastère au goût du nouvel abbé (date inconnue). Il fait des jaloux et, vous connaissez le principe : où que l'on soit, immeuble, camp de camping, association, salle de cinéma, il y a toujours un ou des fâcheux pour faire ch**r !! Le nouveau supérieur Julian de Villegas, un religieux fanatique, interdit désormais à Antonio ces escapades musicales. Ah les arguments d'une grande subtilité empathique (bravo pour un chrétien), Villegas estime que Padre Soler a "la tête affaiblie par l'étude immodérée de la musique", Villegas ayant entendu de plus le surnom stupide donné au musicien "le diable en habit de moine", il doit penser que son moine sent le soufre 😊 ! Même Charles III ne pourra plaider la cause de son protéger, on ne se met pas un supérieur de couvent à dos dans cette Espagne rétrograde.
Et pour aggraver sa situation, Padre Soler avait commencé à trop s'intéresser à des musiques profanes telles l'opéra. Pourtant son librettiste favori, Pedro Calderon de la Barca, lui aussi prêtre, écrivait des drames teintés de théologie, du sens de l'honneur patriotique, de mythologie, etc. ; rien de très contestataire. Antonio finira ses jours au couvent en 1783 à 54 ans.
Padre Soler laisse un catalogue insuffisamment joué. Aux 200 sonates, on doit ajouter de la musique de chambre, quintettes et concertos pour orgue et des dizaines d'œuvres vocales religieuses.
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Dans l'univers restreint des clavecinistes marquants, Scott Ross, par son talent et sa personnalité, la tragédie de son trépas à 38 ans, victime d'un nouveau monstre nommé VIH, a porté le maitre vers le statut de légende. Scott Ross : une popstar du clavier…
Je souhaiterais revenir sur la carrière d'un autre virtuose qui a permis au clavecin de ne pas finir aux encombrants car de Bach à Padre Soler en passant par Scarlatti, toutes leurs œuvres peuvent être interprétées sur un piano. Et pourtant le timbre ne convient pas toujours à la vivacité acidulé des bons clavecins, juste un avis perso.
Né en 1931 à Bogota, Rafael Puyana connaîtra un destin musical hors norme. Il débute le clavier à six ans avec sa mère, elle-même musicienne. À seize ans, il est admis au New England Consevatory de Boston, un établissement prestigieux. Il sera également le dernier élève de sexe masculin de Wanda Landowska (1879-1959), artiste et compositrice polonaise à qui l'on doit la renaissance du clavecin… (Elle commandera des nouveaux clavecins à Pleyel, insatisfaite des antiquités mal préservées dont elle disposait.) Rafael Puyana suivra également des cours de composition avec Nadia Boulanger.
Sa carrière prendra un caractère international. Son répertoire immense s'étend de Bach au concerto de De Falla… sa discographie est à la hauteur de cette variété mais hélas tro dispersée chez divers labels qui ne rééditent guère ses meilleures gravures. Ainsi le disque du jour était paru en 1967 chez Philips dont le catalogue vendu à Decca n'est pas systématiquement réédité. Cela dit, la version numérique de cet album consacré au Padre Soler est tout à fait correcte.
Rafael Puyana fut le professeur de Christopher Hogwood, baroqueux mémorable qui nous a quittés il y a dix ans (Clic).
Avec une technique améliorée, je propose l'excellent disque de Scott Ross. Il n'y a pas de concurrence réelle. Les programmes sont différents. Je vous laisse apprécier le célèbre et un peu fou Fandango, la finesse métronomique et un soupçon humoristique de Scott Ross ou l'énergie latino enflammée de Rafael Puyana, plus incisif, agrémentant de coquetteries aux sonorités frivoles son interprétation.
Je ne reprends pas la biographie de Scott Rossqui a déjà participé au blog : des sonates de Scarlatti et une fabuleuse vision des Variations Goldberg de Bach (Index).
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Rafael Puyana et Genoveva Gálvez (second clavecin) – (1967) |
Scott Ross (1990) |
Playlist Vidéo 1 |
Playlist Vidéo 2 |
1. Sonate En Fa Dièse Majeur 2. Sonate En Ut Dièse Mineur 3. Fandango 4. Sonate En Ré Majeur 5. Sonate En Ré Bémol Majeur 6. Sonate En Ré Mineur 7. Sonate En Ut Mineur 8. Concerto En Sol Majeur Pour 2 Clavecins (Andantino - Minué) |
1. Sonate N° 12 En Sol Majeur 2. Sonate N° 15 Ré Mineur 3. Sonate N° 49 Ré Mineur 4. Sonate N° 54 Do Majeur 5. Sonate N° 56 Fa Majeur 6. Sonate N° 69 Fa Majeur 7. Sonate N° 76 Fa Majeur 8. Sonate N° 84 Ré Majeur 9. Sonate N° 90 Fa Dièse Majeur 10. Fandango Ré Mineur
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Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |