jeudi 29 août 2024

VAUGHAN-WILLIAMS – Symphonie N°7 "Antartica" (1948) – Bernard HAITINK (1985) - par Claude Toon


Sonia et Nema passent une semaine "presque au frais" en cette période caniculaire dans la petite maison vintage de Maggy Toon en Haute-Savoie. Une proposition conviviale de Claude Toon qui, du coup, a eu une drôle d'idée pour une chronique rafraichissante :

- Dis Claude, tu nous parles d'un film ou d'une musique ? rigolos les petits pingouins…

- Un peu des deux. En 1946, on tourne un biopic des aventures de l'explorateur Robert Falcon Scott au Pôle sud. Le compositeur british Vaughan-Williams, déjà bien présent dans le blog, est sollicité pour composer la B.O.

- Ah une musique de film, mais pourquoi le titre Symphonie ?

- Vaughan-Williams, assez content de son travail, réunit des éléments de la bande sonore pour composer ce qui deviendra sa 7ème symphonie… Moins intello que les 3 à 6 entendues ces dernières années mais de circonstance par son style évoquant les espaces immenses et gelés et le blizzard…

- Hihi… LES FILLES, ON MET DES GROS PULLS………….

Nema et Maggy se regardent et se demandent effarées si Sonia n'a pas pris un coup de soleil sur le crâne ????



Affiche originale

Au tournant du XXème siècle, de nombreux explorateurs affronteront l'enfer blanc de l'Antarctique pour cartographier cet immense continent gelé et, par défi, tenter d'atteindre le pôle Sud soit – 90° Sud de Latitude et toutes les longitudes possibles si on valse autour du petit drapeau planté en ce point.

Une longue histoire que cette quête du bout du monde, des exploits, des succès, mais parfois de mortelles tragédies. Les sites web ou les ouvrages narrant les diverses expéditions sont légions. Cet article propose l'écoute d'une B.O. du film anglais L'Épopée du Capitaine Scott (Scott of the Antarctic), diffusé en France sous le titre L'Aventure sans retour… Oui une tragédie car aucun des compagnons de Scott tout comme leur chef ne reviendra vivant… À noter que je n'ai pas vu ce film de 1948 qui n'a pas vraiment marqué l'histoire du cinéma. Je n'ai même pas trouvé un vieille Bande-annonce. Mais une vidéo de 15 minutes en complément détaille les péripéties de cette terrible aventure portée à l'écran.

 

Vaughan-Williams vers 1940
 

Le film fut tourné par Charles Frend, l'un des monteurs attitrés d'Alfred Hitchcock entre 1936 et 1937, puis à Hollywood, pour King Vidor entre autres. Après la fin de la guerre, le cinéma produira moult longs métrages et documentaires vantant le patriotisme et le sens du sacrifice des combattants et des explorateurs. Exemples : du même Charles Frend : La Mer cruelle (évoquant la bataille de l'Atlantique) (1953), Les Briseurs de barrages (1954) de Michael Anderson, Les Indomptables de Colditz (1955) de Guy Hamilton et Vainqueur du ciel (1956) de Lewis Gilbert. Les deux derniers seront les réalisateurs de plusieurs James Bond 😊.

1948, Scott of the Antarctic a du succès… Un large public aime encore rêver de conquêtes extraordinaires : l'Everest, les abysses, les forêts impénétrables d'Amazonie ou du Congo et même la Lune. Ces projets accomplis, ne reste-t-il désormais que la ligue 1 de foot qui fascine ? On peut s'interroger… Non, je ne crois pas… (Clic) Mais la quête de la matière noire, des ponts d'Einstein-Rosen (trou de ver), etc. n'est guère photogénique pour un public accroc à l'aventure mais moins à l'astrophysique 😉.

Devenu réalisateur, Charles Frend bénéficiera d'un budget appréciable qui lui permet d'aller tourner en Suisse et en Norvège en décor naturel. Il engage John Mills (1908-2005) pour interpréter Scott, un acteur célèbre à l'époque, oscarisé en 1970 pour sa participation à un film avec David Lean. Une apparition, celle de Christopher Lee, jeune et inconnu, qui porte le costume d'un lieutenant avant d'acheter la cape de Dracula pour incarner le comte carnassier 9 fois pour La Hammer…

En dehors de moyens techniques a priori importants, Frend fait appel pour la bande-originale au plus célèbre compositeur anglais de l'époque, Ralph Vaughan-Williams (Clic). Le maître quasi octogénaire travaillera peu pour le cinéma. Il existe un coffret de 3 CD de ses 8 B.O. dont la version originale pour ce film qui souffre d'après les cinéphiles d'un manque de lyrisme et d'une réalisation trop proche du documentaire. Déclinée en Symphonie, la musique reste plus célèbre que le film… Son jeune confrère Benjamin Britten ne semble pas s'être intéressé à écrire des musiques pour le 7ème art…


Le jour du départ...

La tradition musicale anglaise de la fin du XIXème siècle et du début de l'ère moderne offre la part belle au style descriptif. Souvent le compositeur de la perfide Albion se fait poète ou peintre expressionniste. Dans la 3ème symphonie, Vaughan Williams dans une succession de mouvements lents oniriques et nostalgiques dépeint un soldat des tranchées rêvant à ses prairies natales. Du moins peut-on le ressentir ainsi. Nous avons découvert aussi Delius et ses poèmes symphoniques au ton impressionniste illustrant les couleurs printanières. Arnold Bax nous promène dans les bois pendant l'automne doré et venteux. (Index)

L'expédition maudite quoique héroïque de Scott passionne Vaughan Williams car en grande affinité avec ses préoccupations idéologiques habituelles : le dépassement de soi à travers l'exploit dans la prise de risque extrême. Je pense en écrivant ces lignes à Saint-Exupéry survivant à l'enfer du désert libyen après un crash de son avion (lire Terre des hommes), le sable à l'infini et la chaleur insoutenable inversant les conditions du calvaire, mais n'abolissant pas la volonté de vaincre et de survivre… La mort, devenue épique, perd alors sa dimension tragique quel que soit son contexte. Les héros l'acceptent comme une option possible des règles de leur désir de conquête. Le crash de son ami Guillaumet dans les Andes qui conduira l'homme à marcher des jours, dans une nature hostile et glaciale, avant d'être secouru par un gosse, est encore un autre exemple. Guillaumet confiera à  Saint-Exupéry "Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait".


Roal Amundsen et Robert Falcon Scott

Vaughan Williams en unifiant sa symphonie ne cherche pas à proposer une œuvre à programme. On peut s'attendre avec le sujet à un "remake" de la Symphonie alpestre de Richard Strauss, ouvrage monumental qui évoque de façon rigoureusement chronologique une randonnée en montagne, du départ à l'aube, au retour au couchant, là aussi les intrépides randonneurs se mesurant à l'effort et aux éléments lors d'un orage (Clic) ou (Clic).

 

La symphonie "Antartica" ne justifie aucune analyse en termes de formalisme et de solfège. Néanmoins pour en apprécier les contrastes mélodiques et orchestraux, il me semble utile de resituer le contexte de l'expédition. Je devrais dire des expéditions car, comme souvent, deux hommes vont chercher à être le premier à vaincre l'immensité hostile, près de 3000 km A/R. La bibliographie est abondante.

Entre 1910 et 1912, deux explorateurs des pôles s'affrontent : Amundsen et Ross. Les expéditions sont organisées en secret et s'étirent sur des années.

Amundsen est norvégien, un homme du Nord. Sa préparation est efficacement pensée. Il apprend les règles de survie chez les esquimaux, ne jure que par les chiens d'attelage, des groenlandais, plus forts et résistants que les huskys mais difficiles à faire obéir. Il y a plusieurs traineaux et 100 chiens. Amundsen mise sur ce qui peut nous choquer. Au fur et à mesure de la progression, l'équipage canin d'un traineau vidé, donc inutile, sert à nourrir les congénères voire les hommes (Nema le confirme, elle vient de le lire dans un ouvrage de Frison-Roche ; les groenlandais sont cannibales). Par ailleurs, ses camarades norvégiens apprennent à skier et à marcher en même temps… Seuls 11 chiens reviendront mais les hommes seront tous vivants. Amundsen conçoit les équipements en peau de phoques et de rennes ; les tentes ont un plancher, etc. Tout est calculé ! Reste à atteindre son but sans renoncer...

 

Les valeureux poneys

L'anglais Ross est expérimenté mais nourri d'a priori pour la logistique. Il se disperse. Les britishs ne font pas confiance aux chiens réputés indisciplinés. Il part chercher des poneys amourskis de Mongolie-Mandchourie. L'animal est rustique et résistant au froid, peut remplacer 8 à dix chiens, mais la froide Mongolie n'est pas le Pôle Sud et même, si j'ose dire, elle a un climat plus clément. Les amourskis transpirent beaucoup et leur sueur se transforme en amure de glace qui les tue un à un. Ross parti avec quatre compagnons devront s'épuiser à tirer eux-mêmes les traîneaux. Très ralentis, ils atteignent le Pôle Sud déjà épuisés le 16 janvier 1912. La victoire est amère ! Au point 0, une petite tente coiffée du drapeau norvégien les accueille… Amundsen et son groupe ont atteint l'objectif mythique cinq semaines avant, secrètement.

Le retour sera une marche au supplice. Les pieds commencent à geler, la nourriture manque, les tempêtes les obligent à bivouaquer sommairement. Un premier équipier meurt. Malgré l'objection de ses camarades, un second se sachant perdu car gagné par la gangrène s'enfuira dans la tempête pour léguer sa part de vivre aux trois derniers, généreux mais vain. Ross écrit la dernière page de son journal, ils ne sont qu'à 20 km d'un point de secours mis en place depuis le camp de base à l'aide de… chiens ! On les retrouvera huit mois plus tard. Le journal de Scott permet d'écrire le récit du drame. Un échec ? oui, mais Scott devient un héros national.


Enfin ! mais trop tard. Amundsen a laissé un message...
 

Vaughan Williams s'écarte de la forme traditionnelle de la symphonie en quatre mouvements qu'il affectionne. L'ouvrage en comprend cinq et il n'y a pas de sous-titre suggestif autres que les indications de tempos assez complexes d'ailleurs. Le compositeur prévoit cinq courts textes qu'un narrateur lit en introduction de chaque mouvement. Les enregistrements ne respectent que très rarement cette originalité, je me demande bien pourquoi ? Lors de la première captation en 1953 de Adrian Boult, Sir John Gielgud s'acquittait du rôle…

Chaque citation fait écho à la fois aux paysages et aux réflexions humanistes que le musicien insuffle dans la thématique et les fresques sonores. Ainsi pour le scherzo, c'est un simple vers extrait du psaume 104… Pour la conclusion, la dernière pensée de Scott inscrite sur son journal précède les premières mesures…

Illustrer l'immensité de L'Antarctique et l'ambition du projet d'atteindre son pôle impliquent le recours à un orchestre grandiose comme chez R. Strauss :

3 flûtes + piccolo, 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes + clarinette basse, 2 bassons + contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba. Une percussion exceptionnelle : timbales, caisse claire, grosse caisse, cymbales, triangle, tam-tam, cloches, vibraphone, xylophone, glockenspiel, machine à vent. Célesta, piano et grand orgue, harpe et cordes. Une soprano solo et un chœur féminin réduit. La création aura lieu en 1953 dirigée par John Barbirolli. Boult inscrira souvent l'œuvre à ses programmes.

On ne présente plus le chef néerlandais Bernard Haitink qui nous quittés en 2021 (RIP). Sa discographie pléthorique et de qualité ne pouvait ignorer le cycle symphonique du compositeur anglais qui sera gravé avec la Philharmonie de Londres pour EMI dans les années 80. Pas de discographie alternative détaillée cette semaine. De l'interprétation de Adrian Boult en 1970 avec Norma Burrows à celle du maestro anglais Bryden Thomson avec Catherine Bott en 1989 pour Chandos, diverses belles versions se concurrencent...

 

Bernard Haitink vers 1982

1. Prélude : (Andante maestoso)

Souffrir des malheurs que l'espoir croit infinis,

Pardonner des torts plus sombres que la mort ou la nuit,

Défier un pouvoir qui semble tout-puissant,

...

Ne pas changer, ni faiblir, ni se repentir :

C'est... être

Bon, grand et joyeux, beau et libre,

C'est seulement la Vie, la Joie, l'Empire et la Victoire.

Quelques mots sur le prélude. Le thrène introductif plante le décor : l'immensité des mers et des plaines glacés. La stupéfaction à les contempler se conjugue avec les craintes qu'elles inspirent. [2:15] Voilà le lieu des mystères extrêmes où le chant de sirènes de givre surgit d'un conte des Grimm (chœurs de sopranos a capella) accompagné d'une ensorcelante mélodie instrumentale aux percussions métalliques. La soprano Sheila Armstrong impose sa voix cristalline lors d'une mélopée riche en couleurs bien en accord avec la contemplation des lumières irisées et mordorées de l'aube antarctique sur les miroirs de glace… Ces métaphores et brèves indications sur l'orchestration annoncent le style solfégique si caractéristique de Vaughan-Williams. Tempos méditatifs et textes additionnels définissent une trame musicale qui, de mouvement en mouvement, anime la symphonie.

 

2. Scherzo : (modéré)

Voilà les navires, et voilà ce Léviathan que tu as fait pour s'y divertir.

citation du Psaume 104 , verset 26

3. Paysage : (Lento)

Chutes de glace ! Vous qui du haut des montagnes

vous enfoncez dans d'énormes ravins,

torrents qui, me semble-t-il, entendirent une voix puissante

et s'arrêtèrent aussitôt au milieu de leur chute la plus folle !

Torrents immobiles ! Cataractes silencieuses !

citation de Coleridge (poète 1772 -1834)

4. Intermezzo : (Andante sostenuto)

L'amour, tout pareil, ne connaît ni saison, ni climat,

ni heures, ni jours, ni mois, qui sont les haillons du temps.

citation de John Donne (poète 1572-1631), Le Soleil levant

5. Epilogue: Alla marcia, moderato (non troppo allegro)

Je ne regrette pas ce voyage, nous avons pris des risques,

nous savions que nous les prenions,

les choses ont tourné contre nous, nous n'avons donc pas à nous plaindre.

citation du dernier journal du capitaine Scott.

 

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 

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