En 1984, leur premier opus avait été une assez bonne surprise. Bien que nullement connu en Europe, l'album avait fait une belle percée, grâce au bouche à oreille - et aux magazines spécialisés - et obtenu la faveur d'un public insatiable de sonorités lourdes et métalliques. Le hard-rock mâtiné "métôl", bourriné par une batterie un tantinet métronomique, fait mouche. "Substitut", la reprise des Who, inconnue des plus jeunes, ici en version brutalisée, réhausse la teneur d'un album certes sympathique, mais perclus de titres assez grossiers dans la forme. Sans grande finesse mais qui n'a pas à rougir face à ses collègues de la scène angeline. Bref, du bon gros hard-rock qui tache, bien campé dans ses godillots, ne cherchant pas midi à quatorze heures. Ce premier essai permet au quatuor de s'extraire de la scène californienne, et même de traverser l'Atlantique où la galette s'offre le luxe d'apparaître dans quelques référendums de revues spécialisées d'Europe, où le groupe a effectué la première partie de la tournée "Slide It In" de Whitesnake. Cependant, l'antenne américaine d'EMI juge les ventes insuffisantes, et n'a en conséquence aucun scrupule à lâcher le groupe.
Une claque monumentale pour ce groupe dont certains membres triment depuis des années (1977 ?), et qui avaient cru que leur heure était enfin arrivée. Après des débuts on ne peut plus tumultueux, avec pour point d'orgue le chanteur qui doit faire un long séjour en prison (il ne purge que 18 mois sur les huit ans initiaux), le quatuor décide de s'investir sérieusement, bien décidé à se faire une place sur cette scène californienne particulièrement active et alors réceptive aux grosses guitares et beuglards. Et pas question qu'on se paye leur tête, qu'on joue au mariole pendant leur show, auquel cas, le chanteur n'hésite pas à rosser le malotru pendant le set. C'est ainsi que la formation se crée une réputation : par des prestations solides et engagées, ponctuées de diverses reprises piochées dans le répertoire heavy-rock anglais, accessoirement australien, et par un chanteur irritable, rabaissant promptement avec ses poings le caquet des cuistres et autres emmerdeurs.
Dépitée par ce subit abandon, la formation corrige sa copie et fait de sérieuses concessions. Deux ans plus tard, avec "Shot in the Dark" sorti en 1986 sur un petit et modeste label, le groupe, méconnaissable, paraît avoir vendu son âme. Le son est édulcoré, policé, et la seconde face s'embourbe dans un rock FM terne avec l'ajout de quelques claviers inexpressifs. La première face sauve les meubles avec deux titres certes bien moins heavy mais assez rock'n'roll, et une reprise au cordeau du "Face the Day" des Australiens de The Angels (Angel City). Le soufflé retombe avec un éculé " Gimme Some Lovin' " pas folichon pour un sou. Néanmoins, Capitol Records, qui avait déjà un œil sur le groupe, le récupère et réédite ce second opus. Un revirement qui déplaît et déçoit ceux qui étaient tombés sous le charme rustaud du premier.
Mais le groupe continue sur sa lancée, s'étoffant d'un cinquième membre en la personne de Michael Lardie aux claviers et à la guitare (et à la production - un peu plus tard, il sera un élément essentiel pour les occasionnels arrangements et pour dégrossir certains morceaux), tournant inlassablement grâce au soutien de Capitol. Leur troisième essai, " Once Bitten " - dans un style assez proche des Canadiens d'Helix - est un franc succès aux USA, alors qu'il passe inaperçu en Europe. La formation profite d'une large diffusion de ses deux clips sur la chaîne musicale MTV (qui réservait alors un large espace au rock), de trois hits repris par les radios ("Rock Me", "Lady Red Light" et surtout la ballade "Save Your Love") et de l'explosion mercantile de la scène angeline (avec notamment les succès plus ou moins mérités des Mötley Crüe, Ratt, Dokken, WASP, Rough Cutt, Quiet Riot et autres Poison) pour, enfin, prendre de l'essor.
Mais c'est surtout avec l'album suivant, " ... Twice Shy ", que la formation trouve - mieux vaut tard que jamais -, sa voie en prenant un chemin de traverse bordé de blues et de heavy-rock 70's. Ce qui sied mieux à la voix de matou de gouttière de Jack Russell - qui avait tendance à se perdre, se fragiliser sur les structures "FM". Ainsi, Great White commence à se détacher de la mouvance du Sunset Strip ; celle qui a généré le Glam-metal US, parfois plus connu sous la définition sarcastique de "hair-metal". Progressivement, le groupe s'éloigne de ce qui ressemble alors plus à un cahier des charges qu'à un mouvement spontané. Déjà, Jack et le batteur Audie Desbrow ont abandonné les bombes de laque et les coiffeurs pour dames (mensuellement, ça commençait à douiller sérieusement), tandis que Mark Kendall, le guitariste soliste, se contente d'un chapeau vissé sur la tête (qu'il garde en toutes circonstances - probablement pour cacher une calvitie naissante ; cauchemar de tous les rockers depuis le fond des âges). Si les tenues restent relativement colorées - c'est la Californie -, les collants, frou-frous, pyjamas et douteux accessoires SM sont désapprouvés. Tout comme le maquillage. Sur scène, ils font fi de tout artifice et décorum, ne misant que sur la musique et la prestation (en même temps, ça fait des économies).
Enfin, côté musique, la batterie n'écrase pas tout sous ses coups de butoir et reste naturelle (sans réverbération de piscine ou de cathédrale). De même que les guitares, qui paraissent se satisfaire du strict minimum en matière d'effets. Pas de chorus, de flanger, de blender ou de phaser, juste une wah-wah qu'affectionne Kendall pour ses soli. Pas de grosse distorsion non plus, la saturation paraissant être plus le fruit du mariage d'humbucker (Di Marzio ou Seymour Duncan) avec une tête Marshall, légèrement boostée par une douce overdrive transparente. D'ailleurs, au milieu de tous les joueurs de tronçonneuses de l'époque, Mark Kendall ferait presque figure de blues-rocker. Son acolyte, le discret mais efficace Michael Lardie va un peu plus loin dans la relative sobriété. En cela, la paire de gratteux, en ne se cachant pas derrière un mur d'effets, a probablement plus de points communs avec les formations de la décennie précédente. Kendall préfère d'ailleurs faire de son mieux sur les gammes pentatoniques, plutôt que de se compromettre à en faire des tonnes avec des coups intempestifs de vibrato et des plans de tapping hors de propos. Désormais, les morceaux "Hard" sont peu ou prou nimbés d'essences bluesy et rock'n'roll.
Notamment avec "Hiway Nights" (1), grâce à la guitare de Kendall qui s'épanouit sur des licks de blues de métal en fusion. Avec le semi-acoustique "Bitches and Other Women" qui ne cache pas son désir de ressusciter les 70's, en incluant carrément de larges extraits de "Bitch" et de "It's Only Rock'n'Roll" des Rolling Stones, et du Women" de Foreigner. Ainsi qu'avec deux pièces plus groovy qui semblent avoir inspiré un Mötley Crüe pour son "Dr. Feelgood" - sorti cinq mois plus tard -, le funky-glam-métôl (et un poil pataud) "Mista Bone" et l'enthousiaste "Baby's On Fire".
Néanmoins, peut-être pour ne pas trop déstabiliser un public peu curieux, les deux premières munitions, "Move It" et "Heat the Hunter", sont encore marqués par le Glam du Sunset Strip, le dernier devant même beaucoup à Dokken.
Les ballades sont désormais un passage obligé pour le groupe, qui en offre présentement trois exemplaires. L'ennuyeuse "The Angel Song", assez conventionnelle et banale, reposant essentiellement sur le piano de Lardie (en mode Clayderman...), la belle et langoureuse "House of Broken Love" où Kendall lâche des soli de cœur meurtri et mélancolique, et enfin la sobre et acoustique "She Only" qui demeure injustement la moins connue de leurs ballades, alors qu'on y découvre un Russell tout en nuance et sensibilité.
Amèrement, on remarquera que la meilleure pièce de l'album est une reprise : le "Once Bitten, Twice Shy" du premier essai solo d'Ian Hunter, qui fait aussi l'objet d'un single et d'un clip. Le semi-acoustique "Bitches and Other Woman", avec ses inclusions, est également en bonne place. Si Great-White s'est toujours montré particulièrement talentueux pour effectuer des reprises, il a eu le tort, à un moment de doute, de s'en faire une spécialité. Ce qui fit parfois croire que la troupe n'était plus que dans une phase de fin de carrière, ne survivant qu'au travers de reprises. Depuis l'énorme carton de Quiet Riot avec l'énorme "Cum' on Feel the Noize" de Slade, de nombreux groupes américains dit de Glam-metal n'eurent pas d'autre choix que d'inclure une ou plusieurs reprises à leur répertoire, plus généralement pour le pire que le meilleur (une tendance qui fuita aussi au le Royaume-Uni). Great White qui, depuis ses débuts, en a systématiquement inclus dans son répertoire scénique, eut l'intelligence de ne pas taper dans des classiques, faisant au passage preuve d'une certaine culture musicale. Il contribua ainsi à la (re)découverte des Australiens de The Angels avec deux de leurs titres les plus fameux.
" ... Twice Shy " est un triomphe, il est certifié double platine au Canada et aux USA. Deux ans plus tard, Great White atteint son zénith avec le remarquable "Hooked" (👉 lien). Étonnamment, si ce dernier fait une belle carrière en Europe, il se ramasse un peu aux Etats-Unis et marque le début d'un rapide déclin. Il faudra attendre la reformation de 2006, et l'album qui suit, l'excellent "Back to the Rhythm" de 2007, pour retrouver un Great White vigoureux et pertinent. Le suivant, "Rising", à l'affreuse pochette à l'allure de galette pirate de troisième zone, mérite aussi largement le détour. Cependant, si le groupe remplit encore les salles (certainement plus modestes que dans les années 80 et 90), les ventes par contre sont bien loin des performances d'antan. Dur pour des gars qui ont été un temps sous le feu des projecteurs.
(1) Nan, nan, il n'y a pas de coquille. C'est bien orthographié ainsi. Un petit clin d'œil aux titres quasi phonétiques de Slade - que Great White n'a jamais voulu reprendre ?
5 décembre 1960 - 7 août 2024 |
En hommage à Jack Patrick Russell, décédé le mercredi 7 août 2024, à seulement 63 ans. En mai 2024, on lui avait diagnostiqué deux maladies neurodégénératives. Ne parvenant pas à les combattre, il avait annoncé en juillet dernier devoir arrêter définitivement sa carrière. Malgré un certain succès, des millions d'albums vendus, une notoriété affirmée en Amérique du Nord, et le soutien de sa famille, Jack a été le sujet de nombreux troubles dès l'aube de ce siècle.
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J'avais un best-of, ou un live de Great White, plus réécouté depuis... Celui-ci est vachement bien, certaines sont même fameuses. Je suis moins fan des ballades, certes joliment troussées, mais on sait que c'était un exercice obligé. Scorpions a fait beaucoup de mal au rock !!
RépondreSupprimerLa plus belle des ballades de Great White est probablement "Afterglow" (sur "Hooked")... qui est une reprise des Small Faces. Mais dans une version plus épurée, plus acoustique, voire bucolique 😁
Supprimer" Scorpions a fait beaucoup de mal au rock " ? Oui, peut-être, dans un sens. Il avait aussi permis de donner une certaine (relative ?) respectabilité au hard-rock 🤘🏼😊
RépondreSupprimer[Queen, aussi]
Etonnant la fixation sur les ballades de Scorpions, alors qu'au maximum, il n'y en avait deux par disque. Et encore, quand elle ne finissait pas en canonnade. Difficile de danser un slow jusqu'au bout sur "Holidays" 😁
Il en aurait été tout autre sans le matraquage radio de "Still Lovin' You" (qui, à mon sens, est loin de représenter le meilleur du genre des teutons), puis, des années plus tard, avec la rebelote tardive de "Wind of Change".
Mais, tu as raison ; c'est indéniable que sans le (gros) carton commercial de "Sitll Lonvin' You", il n'y aurait pas eu cette énorme pression (obligation) sur les groupes affiliés "hard" pour en pondre une. Dans l'espoir, évidemment, de ramasser du cash. Avec pour conséquence, des stocks de chansons mièvres, sans saveur, sans caractère (écrites et jouées à reculons 🤣), qui gâchent un bon paquet de disques.
Mais n'oublions pas que, depuis la nuit des temps 😊, les groupes de heavy-rock et métôl ont toujours pris plaisir à en composer et interpréter. Même Black Sabbath, Mountain, Grand Funk Railroad, MC5.
De mémoire, il n'y a que Nugent qui s'était lamentablement ramassé dans cet exercice
Je me souviens de ballades de Mötley Crüe et autres du même genre, même Gun & Roses s'est plié à l'exercice, avec le clips ridicules, lumière feutrée, chanteur au piano (blanc) éclairé par des chandeliers. Insupportable ! Une fois le robinet ouvert (par les teutons) ça coulait à n'en plus finir. Mais ça permettait effectivement de passer à la radio, et donner un coup de projecteur sur le disque. Quand Deep Purple pond une ballade comme "When a blind man cries", ça sent le blues à plein nez, c'est beau à chialer. "Tuesday's gone with the wind" de Lynryrd, sur le double live, c'est presque la meilleure chanson, frissons garantis. Y'a beaucoup de sublimes morceaux sur un tempo lent, le problème n'est pas là, des ballades soul, des slow blues. Mais là on sentait le truc calculé, marketé, la recette, le slow de l'été, le tube de fin se soirée en boite de nuit.
RépondreSupprimerOui, je suis bien d'accord. Il paraît évident qu'un trop grand nombre de ballades et affiliées semblent répondre à un cahier des charges. Scorpions lui-même semble être pris au piège. Et ce dès 1982 avec leur insipide "When the Smoke is Going Down".
SupprimerJ'ai longtemps fait des K7 de slows et ballades pour des copines, et, de mémoire, ça piochait majoritairement dans les 70's.
Jamais rien entendu de ce groupe. Ah..., les compilations sur K7....Ça prenait un temps fou. Et trois passages sur l'autoradio suffisaient à les flinguer (bandes enroulées dans et hors l'appareil). Le numérique a quand même du bon. À part ça, les notes de coiffeurs pour dames qui commencent à douiller, excellent.
SupprimerAh, ces puristes...
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