- Mais M'sieur Claude, entre M'sieur
Vincent qui écoute UDO au bout du couloir et votre… Machin, on va devenir sourds
dingues !!!!! C'est quoi ? La guerre ?
- JE COUPE… Voilà. Non juste des randonneurs
perdus dans un orage en pleine montagne, un passage furieux de la symphonie alpestre
de Richard Strauss…
- Heuuu, je vois sur l'image de la vidéo des
cuivres par dizaines, des plaques de tôles, un type qui pompe comme un Shadock
sur une machine bizarre… Pas la demi-mesure !
- Strauss était un bavarois amoureux
des montagnes et un roi des orchestrations sophistiquées. Pas un chef d'œuvre,
mais une grande fresque symphonique…
- Il y a des moments plus doux ? Et
LSO ? C'est qui ?
- Bien entendu, c'est une randonnée de
l'aube au crépuscule… très bucolique cette affaire… Heuuu : LSO : London
Symphony Orchestra…
Richard Strauss (à droite) et Hugo von hofmannsthal |
Voyez-vous Sonia, juste une belle ballade avec le
printemps à nos portes. Richard Strauss,
le postromantique ultime du XXème siècle a déjà plusieurs chroniques
à son actif. Je ne reviens pas sur la biographie du compositeur des poèmes
symphoniques comme Ainsi parla Zarathoustra
écrit en 1896. Nous avons évoqué
aussi le vieil octogénaire désenchanté par la furie nazie qu'il comprit mal, et
ses derniers chefs-d'œuvre que sont les Métamorphoses
pour 23 cordes ou les 4 derniers
lieder également chroniqués (Clic).
Nous sommes en 1915,
Strauss, à 51 ans, est au faîte de sa gloire
en Allemagne. Hors ses poèmes symphoniques, il a composé avec succès ses opéras
les plus essentiels avec des livrets écrits par des écrivains de renom comme Oscar Wilde (Salomé)
ou Hugo von Hofmannsthal (Elektra, Le
chevalier à la rose, Ariane à Naxos).
Depuis 1908, Strauss habite une
maison à Garmisch près de l'Autriche
et des Alpes bavaroises avec vue sur les sommets enneigés.
Cet ouvrage n'est pas une symphonie au sens strict.
Nous écoutons plutôt un poème symphonique aux larges proportions avec un
programme descriptif en 22 séquences (voir tableau). Strauss
pensait métaphysique dans ses notes personnelles, laissons-lui cette
liberté. Mais comment ne pas songer à une certaine symphonie
pastorale de Beethoven
ou aux quatre saisons de Vivaldi
tant la musique est conçue pour évoquer paysage, lumières et bruits de la
nature… Il est évident à la lecture de l'orchestration que Strauss
concevait sa symphonie comme un hymne à la grandeur de la création. Proche des
idées de Nietzche disparu en 1900, Strauss imprègne sa partition du mythe du surhomme, du conquérant, concept cher au philosophe… Voyons plutôt la démence de l’orchestration :
4 flûtes (et 2 picolos), 3 hautbois (1 cor anglais), 1
heckelphone (grand hautbois pas courant), 4 clarinettes diverses, 4 bassons
(contrebasson), 8 cors (4 tubas wagnériens), 4 trompettes, 4 trombones, 2 tubas,
2 jeux de timbales, glockenspiel, cloches, éoliphone (machine à vent), caisse
claire, triangle, grosse caisse, cymbales, tam-tam, célesta, cordes en masse, 2
harpes, grand orgue + une fanfare additionnelle en écho derrière la scène ou
dispersée dans la salle et composée de 12 cors, 2 trompettes, 2 trombones. (Berlioz fait petit joueur à coté.)
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Bernard Haitink à Londres en 2009 |
À
la lecture de cette liste d'instruments à la Prévert, je ne juge guère utile de
préciser que l'exécution de l'ouvrage est strictement réservée à des chefs
expérimentés et soucieux de la mise en place et de la précision dans leur
direction. Je n'avais pas prévu de parler dans l'immédiat de ce périple alpin.
C'est l'acquisition du disque de Bernard Haitink
et la disponibilité d'une belle vidéo sur Youtube (l'un avec le London Symphony Orchestra, l'autre avec la
Philharmonie de Vienne) qui m'a donné
l'envie de rédiger ce billet. J'écrivais à propos de Bernard
Haitink lors d'une chronique consacrée à une symphonie de Chostakovitch,
grand amateur lui-aussi d'orchestration luxuriante :
Le style Haitink : la précision, la
finesse du phrasé, aucun hédonisme. Le chef, à 85 ans, continue sa carrière
exemplaire à Chicago, Vienne, Dresde, Paris, Londres, toujours à un niveau
superlatif. (Clic)
On le retrouve donc dans ce live londonien de 2010 avec le London
Symphony Orchestra (2012 pour la vidéo avec la Philharmonie de Vienne, hélas non commercialisée). Autre détail
important, la qualité de la prise de son est essentielle face à ce déferlement
orchestral. Il existe des enregistrements d'autres grands maestros pointilleux
comme Strauss lui-même dans les années
30, ou encore Evgeny Mravinsky en
concert à Leningrad début des années 60, mais dans les deux cas, le son est trop
pâteux et ces captures ne sont que des pièces de musée témoins d'un style et d'une
époque, surtout pour Mravinsky qui a
très peu joué Strauss. Pour la petite
histoire, le premier enregistrement numérique "classique" fut… cette œuvre à la
sonorité pour le moins généreuse dirigée par Karajan pour Dgg
en 1981. J'ai le vinyle original, ça
jette ! Un peu trop même, je reviendrai sur ce disque.
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Strauss met
quatre ans, de 1911 à 1915, pour composer cette partition. Il met ainsi un terme
à l'écriture de ses poèmes symphoniques (plutôt que symphonie) de manière
monumentale avec une œuvre de 50' enchaînant 22 parties sans discontinuité. Le
compositeur assure lui-même la création à Berlin fin 1915. Le programme déroule
une ascension vers un sommet alpin de l'aube au crépuscule en incluant diverses
péripéties et impressions lors de cette équipée, dont un orage titanesque :
1 - Nuit
2 - Lever de soleil
3 - L'ascension
4 - L'arrivée en forêt
5 - Marche auprès du ruisseau
6 - Près de la cascade
7 - Apparition
xxx |
8 - Prés fleuris
9 - Pâturage de montagne
10 - Perdu dans les fourrés
11 - Sur le glacier
12 - Moments dangereux
13 - Au sommet
14 - Visionxxx |
15- Le brouillard se lève
16 - Le soleil s'obscurcit
17 - Élégie
18 - Calme avant la tempête
19 - L'orage, descente
20 - Crépuscule
21 - Conclusion
22 - Nuit |
Éoliphone (Machine à vent) |
Commenter la symphonie en détail n'a absolument aucun
intérêt. Strauss nous entraîne dans
une aventure dans laquelle il faut se laisser porter. On prendra plaisir à
écouter cette débauche de couleurs orchestrales qui fait penser à une B.O. hollywoodienne,
ou bien l'on trouvera tout cela terriblement germanique et barbaresque…
Dès les premières mesures de "Nuit" aux couleurs
sombres (cordes divisées, trémolos de contrebasses, cuivres discrets), il est patent
que Bernard Haitink ne retient pas l'option
teutonne et grandiloquente dans sa conception. Son phrasé évoque les ténèbres
certes, mais pas les enfers. Les ingénieurs du son ont réalisé le miracle :
celui de nous faire entendre les mélodies de Strauss
qui se superposent comme des vagues successives (son style si caractéristique)
et tous les détails de l'orchestration : un kaléidoscope infini de timbres. Les
coups de cymbales, roulements de timbales, complaintes des cuivres qui
traduisent le "lever de soleil", créent, on s'en doute, un climat
grandiose mais tout en nuances.
La fanfare additionnelle qui termine
"l'ascension" est volontairement très en arrière plan. Elle symbolise un
écho dans les ramures, une lointaine partie de chasse, et avec 18 cuivres, on a
souvent une présence trop marquée pour une ambiance a priori forestière ; pas ici. Bernard
Haitink confirme un talent de metteur en scène complétant celui de chef d'orchestre soucieux de proposer un climat quasi impressionniste.
Il est important de souligner que des leitmotive apportent la cohésion à cette
méga symphonie. On ressentira à la fois un rythme de marche et une multitude de
motifs musicaux aux accents pastoraux. Bon soyons honnête, dans "La
cascade", Strauss ne recule pas devant les effets faciles, en l'occurrence
des arpèges de percussions sensées illustrer les gouttes d'eau, les embruns du
torrent. Mais c'est sympa, oui, hollywoodien comme je l'ai écrit plus haut. Bernard
Haitink traite le sujet tout en délicatesse, éludant toute
métaphysique hors de propos.
Autre moment haut en couleurs et en décibels :
"L'orage". Bernard Haitink redonne
un effet poétique à ce passage furieux tout en épargnant nos tympans et membranes
de haut-parleurs. Seules les dernières mesures de ce passage rugissent pour
magnifier cet orchestre si transparent et dynamique qu'est le symphonique de
Londres. Tiens à ce sujet, ceux qui seront intéressés par la vidéo, à partir de
38', on voit les fameuses machines à vent souvent utilisées depuis Mozart pour
"bruiter" les opéras. Le musicien me fait penser aux Dupondt dans "le Trésor de Rackam le Rouge" :o) Ce passage est suivi de
"Crépuscule" : une élégiaque méditation aux cordes. Trop de chefs s'en
donnent à cœur joie dans ce passage, un peu extatique sur les bords, souvent en jouant
trop fort (Karajan). Ici, Haitink retient
ses instrumentistes, et de fait obtient un climat de sérénité nocturne parfaitement
en accord avec le calme qui suit la tempête. Quelle probité de la part d'un
chef qui n'a plus rien à prouver…
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La discographie est abondante. Une remarque : pour
savourer toute la sève de l'a florissante orchestration (y compris les
interventions de l'orgue), une excellente et limpide prise de son est requise.
Un casque ou une chaîne audiophile redonnera les couleurs qui sont gommées par
des systèmes modestes ou le son des PC.
Si on porte au pinacle l'enregistrement mythique de Mravinsky, c'est
grâce à son approche russe, claire et rude bien dans le style du chef. Cela
dit, cet immense artiste n'avait pas la réputation d'être hypersensible à la
nature, aux petits oiseaux, au legato viennois de Strauss… et ça s'entend. Par
ailleurs, le son est acide comme tous les disques Melodya anciens. Pour les inconditionnels
de ce maestro. (Melodya - 4/6)
Plus proches des critères audios définis ci-dessus, on trouve
Rudolf Kempe dans l'une des plus élégantes
interprétations des années 70 avec l'orchestre de la Staastkapelle de Dresde,
l'orchestre spécialiste de Strauss (Warner – 5,5/6). Prise de son d'origine EMI hallucinante de précision et de détails. Peut-être le must de cette sélection.
La version d'Herbert von Karajan de 1980-81,
première gravure numérique, a fait grand bruit, dans tous les sens du terme. C'est
l'antithèse de Haitink, un "hard"
poème symphonique. Cela dit c'est Berlin et sa puissance
cataclysmique sans faux pas. Un
régal pour les amateurs de blockbusters symphoniques. (Dgg – 4/6). On peut toujours tenter de chipoter, mais Karajan dans
Strauss égale ivresse sonore !
Le trop discretd ans les
médias Christian Thielemann fait resplendir la Philharmonie de Vienne dans une
gravure de 2001 avec une belle prise de son et une direction raffinée (Dgg – 5/6)
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Une vidéo de 2012. Haitink avec la Philharmonie
de Vienne ne change rien à sa conception du CD de 2010 avec le Symphonique
de Londres. Bien filmée, la promenade de pupitre en pupitre dans le Royal Albert
Hall est une aide précieuse pour découvrir les petits secrets de l'œuvre.
Richard Strauss et les symphonies, l'alpestre sonne comme du Wagner dès le début, je préfère la Sinfonia domestica opus 53, version Lorin Maazel avec le philarmonique de Vienne, plus facile à domestiquer (d'ou son nom). Avec l'Alpestre, tu as l'impression d'entré de monter sur un cheval de rodéo. Mais sinon chapeau Monsieur Haitink toujours la classe malgré sont âge.
RépondreSupprimerJ'avoue ne pas être très fan d'Aus italian, symphonie de jeunesse à programme avec, pour faire couleur locale, Funiculi-funiculà dans le final, ni de la Sinfonia Domestica pourtant de 1902 (Strauss a 38 ans et toute sa maîtrise)… Même par Kempe, je n'accroche guère… Il faut peut-être la réécouter de nouveau…
SupprimerMaazel nous a légué d'excellents enregistrements des œuvres de Richard Strauss, notamment avec l'orchestre de la radiodiffusion bavaroise, réunis dans un coffret de 5 CD chez RCA à prix doux…