- Le nom de ce compositeur
ne m'est pas totalement inconnu M'sieur Claude. Vous en avez déjà parlé je
crois, cela dit, je ne saurais guère développer…
- Oui Sonia, un chapitre
sur une œuvre charmante dans un récital varié de la jeune violoniste Julia
Fischer. Un album où il partage l'affiche avec Respighi, Suk et Ernest Chausson…
- Ah oui, c'est cela : The
Lark ascending… heuu "l'envol de l'alouette" pour violon solo et orchestre. Très poétique.
Et aujourd'hui SA chronique personnelle…
- Oui, depuis le temps…
Une très belle et champêtre (pas tant que cela…) symphonie de ce compositeur anglais de grand talent
et qui nous a quittés en 1958 à… 86 ans !!
- La pochette montre un
paysage venteux mais en jouant sur les tons sombres et dorés. Un bon choix d'après vous ?
- Ma foi oui, une peinture
de Nesta Campbell représentant la dualité de l'album : la bucolique 3ème
symphonie et la violence de la 4ème écrite avant que se déchaîne le
conflit mondial…
Replet
l'âge venu, le menton bien carré, les sourcils broussailleux... bienvenu au "So british" Sir Ralph Vaughan Williams, l'un des
compositeurs les plus doués et emblématiques de la perfide Albion, joué
fréquemment outre-Manche comme Elgar,
Delius, Britten
ou Walton.
En
France ? Et bien hormis les disques en import qui font le bonheur des
mélomanes, je ne me rappelle pas en 50 ans avoir vu son nom au programme d'un
concert… Bon je ne vous ressers pas ma diatribe habituelle sur le manque
d'imagination et de prise de risque des directeurs des orchestres nationaux
(comme les musées), sinon ma tension va encore monter, et puis j'en remettrai bientôt
une couche avec l'un des plus célèbres compositeurs jamais présentés dans ce
blog : Richard Wetz. Si je vous dis
que je connais plus de cinq intégrales des symphonies de Sir Ralph, toutes
gravées in Great Britain, vous aurez compris que ce compositeur est bien plus
qu'un petit maître. D'autant qu'il a connu un franc succès mérité de son vivant
et n'est donc pas un second couteau déniché par un petit label en quête
d'originalité…
Automne
1872 : le petit Ralph
voit le jour dans une famille dominée par l'image d'un père pasteur qui meurt
en 1875. Il est le petit-neveu de Charles Darwin et la théorie de
l'évolution a bien agi pour cet homme qui consacrera sa vie à la musique au
plus haut niveau, tout en professant des idées démocratiques et humanistes, et
cela bien que né d'une famille aisée en plaine époque victorienne !! (Je précise en passant que, depuis le
baroqueux Henry
Purcell (1659-1689), l'Angleterre n'a connu aucun compositeur susceptible
de rivaliser avec les grands maîtres allemands, français ou italiens durant les
époques classique et romantique… Vaughan Williams et quelques autres cités plus
haut vont ouvrir enfin une nouvelle époque dans un Royaume-Uni pourtant très
mélomane.)
Sa
formation commence par le piano, qu'à ses dires, Vaughan Williams ne maîtrisera, puis le
violon, avec plus de succès. Le jeune homme ne sera jamais un virtuose mais il a
les fibres d'un compositeur. Il suit les cours de Charles
Villiers Stanford, compositeur irlandais à redécouvrir, au Royal College of Music puis travaille
un temps au Trinity College de Cambridge.
Du solide. Il se liera d'amitié avec Leopold Stokowski
qui fera plus tard découvrir ses symphonies au public yankee. Voyageant, il
bénéficiera des conseils du violoniste et compositeur allemand Max Bruch
et surtout, en France, de ceux de Maurice Ravel
qui influencera son style.
Il
faudra plusieurs articles pour cerner le personnage. En bref : comme Bartók, il va se passionner pour les
chants traditionnels de sa patrie. En 1914,
il a la possibilité d'éviter la mobilisation ou alors d'occuper le grade d'officier
planqué…. Il refuse et se porte volontaire dans la boucherie des tranchées comme
simple ambulancier (à l'instar de Ravel),
assistant les malheureux blessés jusqu'à l'épuisement… Le bruit de la mitraille
perturbera à jamais son audition. Il ressort très marqué de cet holocauste
insensé et va chercher dans la spiritualité un réconfort, un mysticisme dont
n'est pas dépourvu la symphonie
"pastorale".
Son écriture peut paraître postromantique de prime abord, mais entre les deux
conflits mondiaux, et notamment avec la cataclysmique symphonie N°4, Vaughan Williams abordera un style plus moderne, même si les recherches atonales de
l'école de Vienne ne le concernent pas.
Son
œuvre est immense et la discographie généreuse en Angleterre : 9
symphonies, des concertos, plusieurs opéras
aux livrets très humour anglais (The poisoned kiss), des ballets. Comme tout anglais, le catalogue comprend : de la musique chorale, et enfin des pièces
pour piano et de musique de chambre. Disparu en 1958, Vaughan Williams repose à l'abbaye
de Westminster à coté de Purcell.
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Quatrième
article pour le maestro Bernard Haitink. Je ne reprends donc
pas le parcours du chef néerlandais détaillé dans la chronique consacrée à son
interprétation de la 5ème symphonie de Chostakovitch. (Clic) Nous l'avions aussi
écouté dans une gravure récente de la symphonie Alpestre de Strauss et Les préludes de Liszt (Clic) et (Clic).
Si
Bernard Haitink
vient de fêter ses 87 ans, l'infatigable chef, spécialiste de Bruckner, Mahler
et tant d'autres compositeurs continue bon pied bon œil sa carrière comme chef
invité des meilleures phalanges de la planète. Ce petit homme souriant me
bluffe par sa longévité artistique qui, malgré les ans, demeure à un très haut niveau
qualitatif…
En
cette année où j'ai dû écrire les RIP de Kurt Masur et Pierre Boulez, deux
chefs de sa génération, je ne suis pas pressé d'écrire la sienne. Milieu des
années 1990, Philips, dont Haitink
a été un pilier du catalogue discographique de grande diffusion (Amsterdam,
Berlin,
Vienne),
se saborde et abandonne nombre d'artistes qui ont fait sa fortune. Bernard Haitink
va pouvoir néanmoins être sollicité facilement par d'autres labels, comme EMI qui lui propose de réaliser cette
intégrale des symphonies
de Vaughan Williams avec le Philharmonique de Londres. Le
résultat fera sensation et concurrencera les cycles dirigés par Sir Adrian Boult
considérés comme des références. Cet album est paru en 1998.
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![]() |
Campbell Nesta Jennings (Clairière près de Kamelott) |
Avec
sa 3ème
symphonie écrite entre 1916
(esquisses) et 1919, il faut tourner
le dos à de nombreuses idées préconçues. "Pastorale" ?
Tant que cela ? L'image idyllique des paysages du Kent et des gentils moutons résume-t-elle
seule la substance de l'ouvrage ? Rien n'est moins sûr. Il n'était pas de bon
ton chez les alliés triomphants d'écrire de la musique désenchantée sur
l'absurdité et l'horreur de la Grande guerre. Certes, les accents bucoliques sont
omniprésents dans la symphonie. Mais, que faut-il y entendre : une carte
postale musicale ou l'évocation d'un monde serein à jamais perdu dans la
révolution industrielle et guerrière et la glaise sanglante des tranchées ? À
la fin de sa vie, Vaughan Williams écrira que l'on s'est souvent mépris
avec des images d'Épinal pittoresques à propos de son œuvre, voulue plutôt
comme un requiem sur ces temps qui broyaient les hommes.
Vaughan Williams postromantique
et académique ? Pas vraiment ! La symphonie comporte une suite de 4 mouvements
lents et non pas l'enchaînement traditionnel jusqu'à l'usure chez la plupart
des symphonies d'autres compositeurs, à savoir : vif, lent ↔ vif, vif.
L'orchestration
est riche :
3 flutes (dont 1 piccolo), 2 hautbois + cor anglais, 3 clarinettes et clarinette basse, 2 bassons, 4 cors, 3 trompettes + trompette naturelle sans pistons, 3 trombones, tuba, timbales, triangle, cymbales, grosse caisse, célesta, harpes, cordes et une voix de soprano pour le final. La création eut, lieu en 1922 sous la direction de Adrian Boult alors bien jeune…
3 flutes (dont 1 piccolo), 2 hautbois + cor anglais, 3 clarinettes et clarinette basse, 2 bassons, 4 cors, 3 trompettes + trompette naturelle sans pistons, 3 trombones, tuba, timbales, triangle, cymbales, grosse caisse, célesta, harpes, cordes et une voix de soprano pour le final. La création eut, lieu en 1922 sous la direction de Adrian Boult alors bien jeune…
![]() |
William Lewis (Soldats en retraite en 1914) |
À
l'évidence, son voyage en France, ses relations avec Ravel
et sans doute l'étude du langage debussyste a influencé son mode de composition.
(Réécoutons ce moderato en regard des 1er et 3ème
nocturnes de Debussy
présentés les semaines passées (Clic) ou Miroirs de Ravel…)
![]() |
William Holman Hunt (Moutons égarés) XXXXX |
2 – Lento moderato : [10:20] soyons clair : le premier moderato connaissait
une vocation contemplative et champêtre. Ici, les appels funestes de cors et
une litanie des cordes nous écartent un peu plus du symbolisme du premier
mouvement. Une complainte, ondoyant de pupitre en pupitre nous présente un
compositeur songeur. Le thème des cors est repris au violoncelle, lancinant. Le
climat si étrange, indéfinissable, hésitant entre méditation et aube grise,
évolue vers un solo funeste d'une trompette naturelle, celle utilisée sur un
champ de bataille, pour une sonnerie aux morts lointaine. ("Réminiscence du son
d'un clairon jouant faux dans les tranchées.") Rien de lugubre pourtant dans ce
passage. Interrogatif sur les mystères de la psyché humaine, souvenir affligé face
à la campagne de son Gloucester natal aux teintes pastelles ? Certainement. Bernard Haitink joue la carte d'une
fluidité émouvante. Le chef montre une fois de plus sa probité, son sens de
l'effacement face à une partition toute en intimité…
3 – Moderato pesante : [19:32] peut-on appliquer le terme scherzo
pour ce mouvement ? Bonne question. Bien que lent, l'orchestre s'épanche avec
vigueur pour ne pas dire violence. La musique épouse une gaité et un allant
contrastant avec le calme des deux parties précédentes. Une reptation épique des
cors et cordes graves donne la parole à un orchestre enfin débridé avec des
chocs de grosses caisses, de réjouissants traits de trompettes, une puissance
débonnaire que l'on n'attendait plus. Un passage central amusant propose un trio
informel en forme de duo mélodieux entre la flûte et la harpe avant une reprise
de la thématique granitique introductive. Vaughan Williams, qui montre depuis le début de sa
composition des velléités de modernisme, passe outre la symétrie usuelle d'un
scherzo en concluant par une coda fuguée et malicieuse aux cordes et aux vents.
![]() |
XXXXXX |
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Bernard Haitink concilie à merveille la poésie et la mélancolie
en conflit dans l'œuvre par la précision et l'équilibre qui lui sont légendaires.
Je
parlais de plusieurs intégrales en introduction de cette chronique. Sir Adrian Boult, chef célébrissime dans
son pays reste le défenseur hors pair de la musique de Vaughan Williams. Les
enregistrements sont légions depuis l'âge du 78 tours. J'avais présenté ce chef
dans un commentaire consacré au concerto pour violoncelle de Dvorak (Clic). L'intégrale des années
60 pour EMI gravée avec l'orchestre Philharmonique
de Londres et le New Philharmonia
concurrence directement celle de Haitink.
Le
chef anglais adopte des tempos plus soutenus et un phrasé plus tonique. La
dualité pastorale et épique de la symphonie devient par là-même plus farouche
que chez d'autres interprètes privilégiant la contemplation et le pessimisme. Il
faut souligner que les symphonies majeures sont celles numérotées de 3 à 6. Les
autres sont de forme plus étrangère à l'univers symphonique, notamment la 1ère, plus proche de
l'oratorio, ou la 7ème
qui est la compilation d'une musique de film évoquant l'Antarctique. À mon sens
l'unique référence opposable à Haitink
(EMI – 6/6)
Autres intégrales notables : Richard Hickox et Andrew Davis. Leonard Slatkin déçoit,
trahi par une prise de son insipide.
Si si, ici, j'ai déjà pu entendre au moins deux fois du Vaughan Williams en concert : une fois lors d'un concert de musique de chambre et une fois lors d'un d'un concert symphonique :-) C'est assez rare, mais pas impossible !
RépondreSupprimerTrès jolie chronique pour une belle symphonie, au demeurant, comme d'habitude ! Haitink est un chef que j'apprécie beaucoup, mais, dans ce corpus, je préfère Adrian Boult, grand défenseur des traditions locales -il excelle également dans Elgar (et dans Brahms !)-. Le troisième mouvement devait correspondre, selon Vaughan Williams, à "une danse lente", avec un trio plus rapide.
Merci Diablotin pour ces remarques…
SupprimerJe trouve que les programmes de concerts sont vraiment très "classiques". Je n'ai pas encore eu l'occasion de tester la Philharmonie de Paris après avoir été un pilier de la salle Pleyel et du TCE… Philharmonie de Berlin cet hiver : toutes les symphonies de Beethoven (très original !). Alors qu'à Pleyel en 2014 : Schoenberg, Berg et Stravinsky…
Un seul concert cette saison : Philharmonie de Vienne (que je ne n'avais jamais entendue) : Mozart (Yuja Wang) et La symphonie Manfred de Tchaïkovski, ça change un peu, surtout sous la houlette de Gergiev :o)
Tout a fait d'accord avec la suprématie des gravures de Adrian Boult dans Vaughan Williams, d'autant que le son est très clair pour ces disques un peu anciens… Cet été, je prévois une "brève" avec la "Fantaisie sur un Thème de Talis" dirigée par Stokowski à… 92 ans !!! Bluffant. Celle de 1952 à Philadelphie est encore plus stupéfiante…