lundi 5 novembre 2018

LA CITÉ PERDUE DU DIEU SINGE de Douglas Preston (2018) – par Claude Toon



Quatrième commentaire à propos d'un ouvrage de Douglas Preston : d'abord deux thrillers comme coauteur avec son complice Lincoln Child (La saga Pendergast), puis un techno-thriller de SF flippant inspiré par les dangers de l'I.A., Le projet K (Index). Romancier et Journaliste, Preston nous propose ici un carnet de voyage, récit de la recherche d'une cité précolombienne mythique, vaguement connue depuis l'époque des conquistadors, mais jamais située avec précision ; quelque part dans la forêt Mosquitia du Honduras.
Et l'écrivain a mouillé sa chemise (au sens propre) pour les magazines New Yorker puis National Geographic en partant à presque 60 balais comme reporter dans la jungle la plus inhospitalière de la planète. Après plusieurs années d'enquête, il rejoint une équipe d'archéologues. Il participera dans un premier temps à la tentative fructueuse de découvrir l'emplacement précis de la cité maudite (pour les locaux) avec une méthode moderne appelée LiDar*…
Nota : Douglas Preston doit aimer le coin car il avait déjà publié Codex, un roman passionnant sur la recherche d'un livre magique de médecine maya. Un thriller speedant au milieu des marécages et des piranhas du Honduras (déjà), avec des héros et des méchants 😯 !

Le but : localiser et explorer une ville antique nommée Ciudad Blanca sans attirer les pilleurs, les narcotrafiquants émigrés de la Colombie depuis le grand ménage Yankee et les exploiteurs criminels du bois de la belle forêt de Mosquitia et ajouter une pierre à la connaissance des civilisations précolombiennes victimes d'un génocide viral et microbien, à savoir la variole et d'autres pandémies apportées par les conquistadors (voir la vidéo passionnante en fin d'article avec Douglas Preston et en… français). Sans compter l'esclavagisme
Le nom de la cité Ciudad Blanca (la cité blanche) vient des pierres blanches entraperçues au fil des siècles, architecture inattendue dans cette région de culture Maya. La cité est  également surnommée "la cité du Dieu Singe". Beaucoup ont rêvé de l'Eldorado, de l'or à profusion, mais on ignore la moindre piste pour l'atteindre…
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Frederick Mitchell-Hedges (Le flibustier)
La première partie du récit de Douglas Preston fait la part belle à la succession d'aventuriers plus ou moins farfelus qui, de l'époque de Cortez au XXème siècle, ont tenté de retrouver la cité perdue. Notamment le collectionneur yankee George Gustav Heye qui avait la mauvaise habitude de s'acoquiner pour ses expéditions avec des charlatans pittoresques comme Frederick Mitchell-Hedges, arnaqueur rendu célèbre par la découverte du "crâne de cristal". Bel artefact s'il en est, mais un faux remarquable tout de même. Ou encore Theodore Morde plus enclin à chercher de l'or qu'à résoudre les mystères archéologiques.
Aux mieux, ces explorateurs, depuis l'époque de Cortez, disparaissent à tout jamais, ou reviennent bredouilles si ce n'est rendu à moitié fous par les maladies du cru… Preston nous régale d'histoires fascinantes promptes à ravir les apprentis Indiana Jones qui sommeillent en nous 😎. Une seule certitude surgira de ces tentatives : ce n'est pas les mayas qui ont construit la cité ! Mais quelle culture alors ?
Douglas Preston en bon auteur de thriller fait défiler dans cette introduction d'historien le petit peuple des escrocs et des rares chercheurs plus charismatiques, mais aussi celui des mercenaires sans vergogne, des illuminés, et même des mormons qui y cherchent leurs racines divines, poilant !?
Il en interviewe un grand nombre… Le mystère de l'emplacement de la "cité blanche" reste cependant entier pour le reporter jusqu'à la rencontre avec Steve Elkins : un cinéaste et explorateur sérieux, intrépide et obsédé par la Ciudad Blanca depuis des décennies. Elkins entreprend l'impossible rêve de sa vie et crée une société UTL "Under the LiDar*". L'homme ne recule devant rien : obtenir que des organismes scientifiques, quasi secrets, utilisent leurs techniques les plus sophistiquées pour cartographier Mosquitia ; ou encore manipuler la pin-up d'un ami pour obtenir en pleine rue le feu vert du Président hondurien dans ce pays hanté par les narcotrafiquants et plombé par la corruption et les coups-d’état, et enfin trouver le financement. Nous sommes en 2010. Douglas Preston déchaînera sa plume en 2017. Le livre déborde d'une myriade d'anecdotes pittoresques et croustillantes et même de hors sujets comme la géopolitique de la banane au Honduras… Quand on aime, on ne compte plus les pages, et nous non plus…
* Nom du radar laser qui a permis la cartographie et le repérage. Laser Imaging Detection And Ranging (détection et estimation de la distance par la lumière). Un engin classé Secret Défense…
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La canopée va-t-elle livrer quelques secrets ?
Le 28 avril 2012, une équipe de dix personnes dont Douglas Preston est sur le pied de guerre… Elle travaille en collaboration avec trois ingénieurs manipulateurs du LiDar et deux pilotes expérimentés qui vont "scanner" la région à bord d'un Cessna antédiluvien mais increvable… Après mille péripéties - dont un vol en zigzag lors duquel Preston pourra embarquer dans des conditions de vol effroyables - la canopée livre ses secrets sous son camouflage végétal : une pyramide… Non ! Plusieurs, et des cités, par dizaines !!!! Les archéologues officiels s'insurgent à propos de la méthode peu orthodoxe, mais l'anthropologue et archéologue Christopher Fischer de l'université du Colorado exulte, un personnage original et novateur…
Intermède : dans le groupe, il y a Bruce Heinicke, un aventurier et un pilleur d'antiquités, mais surtout un "pote" d'Elkins. Le mec capable de tout obtenir dans ce pays dangereux. Sa méthode : sortir un flingue et viser la tempe, même pour demander une clope, tant pis pour les non-fumeurs 😂. Il peut dégoter un hélicoptère dans l'heure… On s'attend à croiser Jason Statham. Je m'égare. Preston doit s'engager à garder le secret ; la concurrence et les malfrats rodent…  Bruce décède en 2013… Il ne connaîtra pas l'épopée finale…
2015 : départ en hélicoptère pour atteindre la vallée de la cité mystérieuse réputée maudite et enfin localisée depuis trois ans en pleine jungle du Honduras. Oui, par voie aérienne, car la reconnaissance par radar a montré l'absence de rivière navigable et ladite vallée est entourée de montagnes escarpées infranchissables. Une jungle taboue jamais explorée par l'homme. Preston travaille désormais pour National Geographic, la référence. Le producteur et réalisateur Bill Benenson finance et partira tourner un documentaire…

Andew Wood joue à "Machete"
Bienvenue dans l'une des plus impitoyables jungles de la planète : impénétrables, des lianes hérissées de dards, des jaguars carnassiers, des crotales "fer de lance" mortels qui obligent à porter des guêtres en Kevlar ! Sans compter que près de la zone, transite 80% de la cocaïne d'Amérique latine, un trafic aux mains de cartels plus barbares que la faune locale la plus féroce…
Charmante ballade pour Douglas Preston, l'écrivain, l'intellectuel grisonnant, une présence insolite au sein d'une expédition composée de scientifiques et de baroudeurs. On ne déconne pas et on obéit au doigt et à l'œil à Andrew Wood (Woody), un ex SAS expert en survie en milieu hostile. On se résume : un petit air de Predator (celui avec Schwarzi) mais à des fins archéologiques. Pas une destination pour mauviettes.
Ah, ne pas oublier les nuées compactes d'insectes dans le comité d'accueil. Dont un parasite de l'enfer : le phlébotome leishmanie qui transmet la leishmaniose cutanéo-muqueuse (ça fait peur et ça peut). En un mot : une affection nécrosante qui fait pourrir le visage, le palais, et le reste des chairs du crâne (non je n'ai pas mis de photo, c'est horrifique, lecteur émotif s'abstenir). Autre nom : "La peste blanche" ; c'est plus poétique. Enfin si l'on veut.
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Steve Elkins appuyé sur un magnifique artefact gravé…
 

Heu, pieds nus dans l'eau ? Et les sangsues ?
Je n'ai évoqué que les 20% de ce livre foisonnant. On devine facilement la suite de l'aventure dirions-nous ? Oui et non : une épopée infernale et dangereuse qui sera récompensée (sinon le livre n'existerais pas). Mais, à l'arrivée sur le site, des découvertes étranges et irrationnelles qui bouleversent nos acquis sur les cultures et civilisations précolombiennes. Qui, quand et pourquoi une disparition aussi soudaine ? On s'approche de l'occulte…
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La découverte aura un prix au retour… La moitié du groupe revient infectée par la leishmaniose, Douglas Preston compris. Une maladie de pays pauvre dont les labos et chercheurs se fichent éperdument comme l'explique très bien le journaliste. Une rude chimiothérapie sera entreprise. Pour les honduriens, un traitement à base d'antimoine aussi dangereux que la maladie (pas de médoc à 20 000 $)… On apprend une foule d'infos sur les dangers de transmission virale ou autres via les avions qui sillonnent la planète sans retenue.
L'auteur conclut son livre en dissertant de manière simple (ça change des essais compliqués de 700 pages peu grand public) sur la disparition brutale des civilisations. Première cause : les maladies exotiques et tueuses qui ne connaissent pas les frontières et bénéficient des dérèglements climatiques et géopolitiques (VIH, Ebola, Dengue, etc.). À la Renaissance, l'infection a été ouest-est, mais de nos jours elle devient sud-nord. Ça fait froid dans le dos lu dans le détail…
Par ailleurs les civilisations précolombiennes ont été rayées de la carte bien avant l'arrivée des occidentaux par des révoltes dues à la main mise absolutiste des "élites dirigeantes et religieuses", le grand écart des modes de vie entre les riches et les pauvres, sans compter des déforestations anti écologiques pour ériger des palais, mais ruiner les récoltes, des mécanismes très comparables aux injustices de notre société actuelle… On ne semble jamais vouloir apprendre du passé. Là encore une analyse par l'auteur très documentée et terriblement convaincante, et qui se lit comme un roman !
Aventure, archéologie, mépris des malades du tiers monde, réflexion humaniste, on l'aura compris, un livre très complet, et un auteur qui se fait lanceur d'alertes.

On imagine difficilement qu'en ce siècle, des écrivains et journalistes tentent l'impossible, au prix d'y laisser leur peau, pour étendre encore notre compréhension du passé secret de l'humanité. Sur la forme littéraire, l'enthousiasme l'emporte sur la rigueur de la rédaction. Douglas Preston possède heureusement une plume alerte, sans chichi. Pas surprenant de la part d'un gars résident au Nouveau-Mexique et prêt à sillonner des milliers de km à cheval pour retracer les pistes des conquistadors. Vous voyez nos pisse-copies français friands des magouilles politiques à sensation faire cela ? Moi pas… Si, il y en a… mais ils ne font pas la une des merdias… En tout cas pas sur les chaînes publiques ou alors à 3H du mat' ! Sur le câble bien entendu, mais l'abonnement à un prix.
J'ai retrouvé mon bonheur de l'ado des années 60 lisant les exploits imaginaires de Bob Morane d'Henri Vernes ou du Professeur Challenger découvrant le monde perdu de Conan Doyle… Ne surtout pas faire l'impasse sur les récits bourrés de photos magiques du Commandant Cousteau explorant les océans sur la Calypso, mais là, plutôt dans les années 70… Un petit regret, le manque de photos (en e-book) dans cet ouvrage conçu comme un polar, certes fascinant.

Le casting principal :
Comprendre : ceux sans qui rien n'aurait été possible… De gauche à droite :
Douglas Preston (écrivain et reporter), Steve Elkins (explorateur et cinéaste), Bruce Heinicke (la "brute" la plus débrouillarde du Honduras, +en 2013), Christopher Fischer (archéologue), Bill Benenson (producteur, cinéaste et financier) et aussi pour la parité - hélas je n'ai pas de photos, même sur les sites universitaires - : Alicia Gonzalez (anthropologue) et son assistante Anna Cohen.

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Le 29 mars 2018, l'émission La grande librairie avait invité Douglas Preston à parler de son livre (doublage français). À ses côtés : J.M. Le Clézio (prix Nobel), Jean-Christophe Rufin (médecin et écrivain), Patrick Boucheron (historien médiéviste) et Caryl Férey… Un échange glaçant mais pas glacial (pas le genre de cet héritage d'Apostrophe) sur la disparition du peuple précolombien de par les épidémies importées… Une théorie effrayante se fait jour : les rares survivants seraient les métis issus des viols des précolombiennes… Des générations qui auraient hérités de gênes immunitaires… (Lien vers l'émission complète.)
À droite, les premières images du Lidar sous les yeux de Steve Elkins et Michael Sartori (assis). Et debout de gauche à droite : Bill Benenson,  Virgilio Paredes et Douglas Preston.

Albin Michel : 384 pages, disponible en e-book. 



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