Le truc le plus improbable de l’année, Jacques Audiard aux manettes d’une comédie musicale sur un chef de cartel mexicain qui souhaite devenir femme, avec une affiche à la Pierre et Gilles… Et ça marche du feu de dieu, du fuego de dios !
Si EMILA PEREZ flirte avec le film de gangsters, un peu au début, un peu à la fin, l'aspect narco-trafic est finalement très secondaire. On est plutôt dans le mélodrame musical. Les parties chantées s’intègrent parfaitement au récit, pour développer la pensée d’un personnage (quand Rita Moro Castro fait le point sur sa carrière d’avocate, tout au début) ou pour prolonger un dialogue, comme dans la scène chez le chirurgien à Tel Aviv, où d’un coup, par enchantement, les mots deviennent chantés.
Le scénario est relativement simple, au sens linéaire, construit par acte, comme dans un opéra. Acte I : Rita remplit sa part du contrat, organiser la disparition de Juan, installer sa famille en Suisse, sélectionner des médecins, tout verrouiller, et profiter d'un beau magot versé sur un compte off-shore... Acte II : 5 ans plus tard, apparaît Emilia Perez (très belle scène au restau) qui demande cette fois à l'avocate de s'occuper du rapatriement de son ex-femme Jessi, et de ses enfants. On dira que c'est une cousine éloignée. Avec cette question, Jessi del Monte va-t-elle reconnaître son mari ? Superbe scène avec un des gosses qui enlace sa tante, et lui dit : « tu sens comme papa ». Acte III : Emilia se lance dans les bonnes œuvres, profitant de son argent, de son (ancien) réseau, pour retrouver des victimes de guerre de gangs, les identifier, leur donner une sépulture.
Acte
IV : Jessi del Monte est
jeune, veuve, revoit un ancien amant,
souhaite refaire sa vie,
et naturellement confie ses désirs à cette
cousine qui s'occupe si bien de ses enfants...
La force du film tient dans ce scénario en ligne clair, qui repose sur des principes simples, universels, et évidemment dans la mise en scène, particulièrement chatoyante. Jacques Audiard a commencé par le Film Noir, avec ce point culminant, UN PROPHÈTE. Puis il est passé par le drame, le western, le marivaudage parisien, et le voilà au Mexique, en langue espagnole. Un Mexique entièrement reconstitué en studio, en banlieue parisienne ! C'est ça aussi l'art de la mise en scène, le magicien Audiard nous fait tout gober, quand un ballet de femmes de ménages s’improvise dans une rue, on pense à WEST SIDE STORY. Une bande de tueurs qui arment leurs flingues devient un concert de percussions. On retrouve ses images souvent sombres, les amorces floues, ça flirte avec le fantastique, le montage est rythmé.
Comme
dans les FRÈRES SISTER où les fusillades se matérialisaient à
l’écran par les flammes qui sortaient des canons des flingues,
comme dans DHEEPAN où la dernière scène était masquée par les
fumigènes, ici encore, seuls quelques points lumineux transpercent
l’obscurité lors de la très belle séquence de poursuite dans le
désert, de nuit. Magnifique plan sur les phares rouges, au loin,
d’une voiture renversée dans le décor, qu’un travelling avant
recadre en gros plan, et… BOUM ! Audiard abat le quatrième mur, quand Jessi passe de sa chambre à une ambiance de boite de nuit, dans le même plan, juste en passant d'un décor à un autre (Carax avait fait le coup dans ANNETTE).
On est surpris quand la première chanson déboule sans prévenir, puis ça devient naturel, on attend la suivante, tant Jacques Audiard ne se contente pas de plaquer les chansons, elles sont le récit, le carburant de l'intrigue, mélange audacieux de classique, de rap, de punk, de pop. Et une version espagnole renversante sur le dernier plan, de « Les Passantes » de Georges Brassens. Il se trouve que l’actrice Karla Sofía Gascón, qui joue Juan et Emilia, (ce n'était pas l'idée au départ du réalisateur, mais l'actrice voyait comme une évidence d’interpréter les deux rôles) chante comme une casserole ! Audiard a mixé sa voix, pour en garder le grain, avec celle de Camille, pour la justesse des notes ! Selena Gomez chante aussi, bien sûr, elle joue Jessi, son rôle jusqu'à la dernière séquence est plus secondaire, le personnage est sans doute plus faible.
C’était une proposition de cinéma osée, casse gueule (comment Almodovar n'y a pas pensé avant !), mais le pari est pleinement réussi. Et Jacques Audiard de confirmer qu'il est un des cinéastes français les plus intéressants et talentueux depuis des lustres. Un film pas prise de tête, il donne à voir, à entendre, le spectacle est sur l'écran, on accepte totalement ce qui arrive parce qu’Audiard croit en son histoire, et nous la sert dans un superbe écrin.
Encore un film putassier, racoleur et crapoteux d'un fils de dont la production alterne entre la recherche du glauque ultime et le grotesque intégral (Les frères Sisters). Ce film est indubitablement le résultat d'un pari d'après-boire ou d'après rail: "P...., chiche qu'on on va faire un film sur un parrain de cartel mexicain qui veut faire sa transition, et qu'on va tout rafler avec l'aide de ces c... de critiques. Nan...tu déconnes...Djack, pas possible. Si, si et les gens vont adorer, tu vas voir, Le Figaro, Libération , Les Inrocks et même Télérama vont se pâmer". Suggestion de scénario pour la prochaine pochade du guignol à galure (ça fait genre, mais on est encore assez loin de MON, quoiqu'il porte très bien le melon): un médaillé iranien (enfin, le médaillé iranien, section FTHRZ9, c'est-à-dire découpage à la tronçonneuse d'un opposant sunnite) aux Jeux Paralympiques doit se faire sodomiser par le berger allemand d'un vigile cap-verdien en situation irrégulière pour retrouver sa médaille et ainsi sauver sa famille, mais elle lui est confisqué par le chien qui était en fait un agent du Mossad. La seule difficulté réside dans le choix du chien, les acteurs bankacles devraient se battre comme des chiffonniers pour les autres rôles. Entre ça, les Marvellinades pour neuneus et resucées de Dumas, le cinéma est bien mort, pour ceux qui en doutaient encore.
RépondreSupprimerTon idée de scénario n'est pas mal, mais la SPA risque de porter plainte pour maltraitance animale, à moins que pour la grande scène de sodomie, ce soit fait un avec un cleps numérique. Mais du coup, ca ferait moins vrai...
RépondreSupprimerBlague à part, je ne supporte pas Audiard, pas plus que Blier, que je mets dans le même panier. Ce film, qui aurait déclenché un éclat de rire général et mérité il y a encore peu de temps, a bénéficié de critiques élogieuses absolument partout, même dans le Figaro. Le type, boursouflé à mort (cf ses interviews), est désormais inattaquable.
RépondreSupprimerSi même le Figaro en dit du bien, c'est forcément que ce doit être bien ... ou pas ...
RépondreSupprimerLe scénario, on dirait un tableau de la cérémonie d'ouverture des JO, plus inclusif tu peux pas. A part Un Prophète (qui semble être l'antithèse de Conchita Perez), j'aime pas trop ses films au fils de son père ...
L'affiche, ça pourrait aussi faire la blague pour une pochette de disque d'un groupe de death metal norvégien ...
C’est curieux tout de même de se positionner en fonction de ce que dit tel ou tel journal, plutôt que de se faire une opinion par soi-même. C’est exactement ce qu’on reproche aux gamins et les réseaux sociaux, où les gens qui s’informent sur X-Tweeter !
RépondreSupprimerPeut-on réellement croire qu’un gars (qu’on trouve talentueux ou pas) va passer 10 ans de vie à bosser sur un projet uniquement pour plaire à Libé et aux Inrocks, et emmerder C News ? Audiard, il aurait pu rester pépère à réaliser Un Prophète 2, 3, 4, 5… Oui le gars bénéficie d’une certaine côte, je ne pense pas qu’il ait des problèmes pour boucler ses budgets, ni trouver des distributeurs, par contre il propose des choses différentes à chaque fois. Si on prend Jimenez ou Marshall (ça marche aussi pour Honoré ou Desplechin), eux ils font le même film tous les deux ans !
Dans Positif, Audiard dit qu'il a commencé à écrire une trentaine de pages lors du premier confinement (on ne dira jamais assez les dégâts causés par ce confinement) sur la base d'un bouquin sorti en 2018. Ça ne fait pas 10 ans, et vu le sujet (et sa forme), on a du mal à croire qu'il n'a pas pensé à la réception du film. Pour moi, Audiard, c'est de la provoc sociétale à la petite semaine, sans aucun risque, enrobé dans une prétention sans borne. J'ai vu la majorité des autres, mais celui-là, quand il passera à la télé, j'irai me pieuter. D'accord pour Marchal ou Desplechin qui font les mêmes films tous les deux ans - et je complète - de plus en plus mauvais. Surtout Marchal.
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