Mais que ce passe t-il ? Voilà t'y pas qu'en cette année de 1978, les enregistrements en public fleurissent de toutes parts. En Amérique-du Nord, en Europe et au Japon, les disques live déboulent sans discontinuer chez les disquaires. Depuis les cartons de « Fillmore East », « Live At Leeds », « Slade Alive ! », « Made In Japan », « Nantucket Sleighride », « Robin Trower Live ! », « Recorded Live » et autres « Captured Live », le phénomène n'a cessé de croître jusqu'à, apparemment, atteindre son apogée commerciale en 1978. Apogée probablement plus quantitative que qualitative. Et bien plus probablement un consensus des majors bien plus intéressés par les profits que par la musique ou l'Art. Toutefois, il n'est pas impossible que cette tendance ait été renforcée par des groupes en baisse de créativité, qui devaient de plus craindre la nouvelle concurrence – fortement encouragée par les médias – de jeunes hirsutes attifés comme des as de pique. Dont une certaine frange n'avait rien trouvé de mieux que de cracher sur leurs aînés – pourtant à peine plus âgés qu'eux d'une demi-douzaine d'années -, qu'ils qualifiaient de dinosaures et qu'ils étaient de bon ton de haïr. Serait-ce un prétexte pour justifier, pour camoufler un fort déficit de compétences musicales, d'autant plus flagrant en comparaison de « ces dinosaures » ?
Quoi qu'il en soit, dans l'ensemble, cette année est un bon cru. Dans le lot, il y a un groupe qui est revenu de loin, dans le sens où n'étant pas suffisamment vendeur selon les critères de la boîte qui l'avait signé était ne passe de ce faire gentiment remercier. En l'occurrence, Epic, qui ne savait pas quoi faire de ce groupe qu'ils ne comprenaient pas. En atténuant radicalement sa rusticité et son côté sauvage sur son deuxième album, ils avaient carrément sabordé ce même groupe. Conscients de leur erreur, ils détendent leurs chaînes, octroyant alors une liberté relative à ce quatuor iconoclaste. Avec pour résultat un premier hit, puissant, habilement coincé entre le heavy-rock, la pop et un strong-rock à la Who (cependant, ce n'est que l'année suivante que le 45 tours va recueillir un beau succès). Mais comment médiatiser cette bande de loustics, qui compte bien deux bellâtres, bien sapés, plus aptes à émoustiller les midinettes et même les mères au foyer qu'à répondre aux critères (imposés) d'une jeunesse chevelue ; quand ce qui se trouve être le leader et principal compositeur est un clown avéré avec une coupe de légionnaire, faisant sans cesse le pitre sur scène, fringué de fripes dégotées au marché aux puces (une espèce inconnue de farfadet ressemblant à un croisement entre un jeune Donald Sutherland et Pee-Wee Herman) - en fait, un anticonformiste. Tandis que le batteur a des allures de comptable austère. Par-dessus le marché, ils n'ont pas été foutus d'avoir un seul single dans les charts ; du coup, les ventes d'albums, bien que croissantes, s'en ressentent et sont insuffisantes pour satisfaire les actionnaires. Et ils en sont déjà au troisième. Bref, les quatre de Rockford sont proches de la porte de sortie.
Et puis... le miracle. Des huiles, apparemment peu avisées de la carrière de leurs poulains autrement que par les chiffres de ventes, découvrent qu'il y a sur leurs propres terres la demande d'une édition japonaise d'un enregistrement en public à Tokyo. Un résumé de deux concerts captés les 28 et 30 avril 1978, sorti en octobre 1978 sous le titre de "From Tokyo To You". Intrigués, ils découvrent que ce groupe dont ils ne savaient que faire, rencontre un fort succès au Japon où les musiciens sont accueillis comme de véritables rock-stars. Leur tournée au pays du Soleil Levant est un événement et la télévision nationale filme l'intégralité d'un concert et, devant le succès rencontré, publie donc un album live. Mieux, un 45 tours en est extrait et fait un véritable carton. Vraiment ? Le sens des affaires, et surtout l’appât du gain incitent les pontes américains à réagir prestement en réalisant une nouvelle édition pour le pays de l'Oncle Sam. Mais le son de ce live est quasiment pourri, dégueulasse, grevé par un public hystérique qui hurle comme si c'était les Beatles. Oui mais des Beatles qui se prendraient pour Mountain ! Qui va vouloir de ça ? Cependant, en dépit des difficultés d'importation et du prix des imports japonais, en peu de mois, il va y avoir près de 30 000 exemplaires écoulés aux USA.
On dépêche Jack Douglas, pour remixer un peu mieux tout ça - c'est du brut de décoffrage -, qui récupère des bandes d'un concert plus modeste à Osaka pour essayer de dégraisser le tout, le rendre plus accessible à la consommation. Et la version occidentale arrive enfin dans les bacs - à un prix nettement plus accessible - avec un peu de retard, en février 1979, sous un nouveau titre : "At Budokan". (oui, en occident l'album en question est daté de 1979, cependant la sortie initiale, japonaise, date bien de 1978). C'est un véritable carton, obligeant le groupe à se produire dans les stades pour répondre à la demande. Pourtant, cela faisait déjà un moment que certains musiciens, et non des moindres, clamaient le talent de ces zigotos. Particulièrement Aerosmith qui les considéraient comme l'un des meilleurs groupes scéniques. Alors que la maison de disques s'évertuait à édulcorer leur musique, parfois carrément dans le dos des musiciens, freinant des quatre fers leur tempérament de (hard-) rockers pour en faire une machine pop, Cheap Trick - avec un album initialement réservé au marché japonais -obtient enfin une juste reconnaissance avec un album fruste, qui en dépit de ses harmonies aux parfums prononcés de Beatles et de Small Faces, pourrait faire passer nombre de leurs homologues ouvertement classés "hard-rock" pour des pré-retraités.
Un orateur digne du cirque Barnum présente le groupe, cris d'une foule hystérique - évoquant la Beatlemania - et le quatuor se lance directement dans un morceau expéditif et primaire, une comète quasi punk, finalisée par une avalanche de toms basses. "Hello There" est la pièce d'introduction de leurs concerts depuis 1977, et le restera longtemps - bref cours de chauffe pour lancer la machine. Pourtant "Come On, Come On" rétrograde sévèrement en passant sans coup férir en mode pop. Cependant, si le chant de Robin Zander se fait suppliant, presque larmoyant, pour convaincre sa belle de rester un peu plus longtemps avec lui, dans la pure tradition des sucreries pop, les guitares et la basse, elles, dégoulinent de saturation, tandis que Rick la casquette déroule des "Come on, come on - yeah, yeah" d'une voix de lutin lubrique.
Les gars sont désormais chauds, prêts à envoyer la sauce. Un galvanisant "Lockout" déboule tranquillement en fusionnant avec maestria le sens des mélodies pop à un tempo et une énergie punk-rock. Préfigurant des années en avance le Pop-punk. Cheap Trick va d'ailleurs sérieusement influencer une kyrielle de groupes des années 90 jusqu'à nos jours. Kurt Cobain, Billy Corgan et Dave Groghl n'hésiteront pas se réclamer de leur influence.
Bien que plus tempéré, "Big Eyes" fait monter la température d'un cran. Plus teigneux et vindicatif, franchement Rock, heavy, la hargne - d'un cœur brisé - du chant de Zander contraste avec le sujet évoquant un cœur d'artichaut charmé par les grands yeux bons, clairs et brillants d'une fille. Il y a un monde entre la version studio, sur le gentil "In Color", et celle-ci ; c'est comme si les belligérants avaient bouffé du "Kiss Alive II" au petit-déj, à ceci près que Zander est un bien meilleur chanteur que le "starchild". Sur des paroles des plus simples, il chante avec conviction et avec une pure ferveur rock'n'rollienne. Dommage que le refrain soit un peu pataud. Après une poignée de morceaux courts, Cheap Trick offre un inédit - d'ailleurs, comme consterné, le public, exceptionnellement, la boucle. Un long morceau de neuf minutes, instant magnifique de Heavy-rock magique, démarrant sur un air ouvrant la porte à une indicible menace, jusqu'à ce que Zander susurre des mots d'amour comme s'il était un jeune éphèbe transi. Jusqu'à ce que le groupe se jette dans une partie instrumentale de rock dur, pour la seconde moitié du morceau. Sans esbrouffe, sans démonstration. Du grand art. "Need Your Love" est encore une chanson naïve d'amour, cependant, son traitement musical l'invite à s'installer au panthéon des grands morceaux de hard-rock (y'a de l'espace).
La seconde face s'ouvre sur un autre inédit, une reprise stéroïdée du "Ain't That A Shame" de Fats Domino (qui, initialement, était servi en rappel) où sur un tempo soutenu et appuyé de Bun E. Carlos, éternelle clope au bec, se greffent à la queue-leu-leu des licks de guitares. Le coda est prétexte à de fugaces soli, chacun y allant de sa brève participation, basse et batterie comprise. En matière de solo, il n'y a rien ici d'héroïque encore moins d'ostentatoire, Rick Nielsen préférant se fondre dans la chanson. Il se considère d'ailleurs plus comme un guitariste rythmique, devant occasionnellement se plier à l'exercice quand cela s'avère nécessaire. Faisant alors, à son sens, plus souvent figure d'arrangeur que de virtuose.
Arrive le hit qui a fait craquer toutes les demoiselles, "I Want You to Want Me", petite sucrerie innocente et bien proprette, qui a tout de même le mérite de bien sonner et d'être aisément mémorisable. Gros succès peu représentatif du groupe et qui va rapidement gaver les musiciens, même s'ils vont la ressortir du placard pour leur retour au début du siècle.
Autre hit, nettement plus solide, qui va passer les ans et se retrouver inclus dans plusieurs B.O. de films. Une pièce de classe A, "Surrender" possède le qui souffle vocal des Beach Boys, ou plutôt de The Move, la puissance et la dynamique des Who (d'ailleurs, Robin Zander a parfois été comparé à Roger Daltrey), des guitares qui "grassouillent" comme celles de Kiss en concert, le tout avec une certain approche AOR qui n'a absolument rien de sirupeux ou de ronflant. Dans la chanson, le groupe conte les pensées d'un adolescent suivant les préceptes de ses parents, notamment concernant les MST, puis qui s'étonne de découvrir ses parents "rouler" sur le canapé et écouter des disques de Kiss (Cheap Trick a de nombreuse fois ouvert pour les quatre New-Yorkais grimés). "Maman va bien, papa va bien, ils ont juste l'air un peu bizarres". Un final en deux étapes boostées. La première avec "Goodnight", une relecture à propos du titre d'ouverture, "Hello There", en mode heavy-rock punky. Si logiquement les Gibson et Hamer (Rick Nielsen fut probablement le musicien à avoir le plus œuvré, et le plus tôt, pour faire connaître ces guitares) font dans l'épaisse saturation, c'est plus surprenant de la part des Telecaster des Zander qui crachent autant qu'elles postillonnent. La seconde avec "Clock Strike Ten", pour conclure le rappel. Probablement le premier succès en single au Japon, célèbre et immédiatement reconnaissable avec ses premières notes reproduisant le carillon de Big Ben. Simple et naïve ode rock'n'rollienne burnée patinée de Pub-rock dédiée à l'excitation ressentie par une jeunesse impatiente de claquer son fric le samedi soir, dans l'espoir d'un peu d'action et de sensation. Infaillible, Bun E. Carlos y déploie une énergie et une frappe qui va à l'encontre d'une physionomie de bureaucrate plan-plan, et d'un code vestimentaire en adéquation, enchaînant cigarette sur cigarette.
Le succès est phénoménal et l'onde de choc impacte également l'Europe (disque de platine en Hollande). Aux Etats-Unis, progressivement, il dépassera les trois millions d'exemplaires vendus. L'album reste une référence au point de justifier en 1994 un deuxième "Budokan" regroupant les morceaux du concert absents du premier live. Et c'est toujours du solide, un peu plus brutal même. En 1998, la nouvelle édition présente l'intégralité du concert. Dix-neuf morceaux au total ! Et du bon, avec le tribal "Elo Kiddies", la reprise bétonnée de "Speak Now (Or Forever Hold Your Peace)" de Terry Reid et celle du "California Man" de l'ex-Move Roy Wood, le siphonné et punky "Auf Wierdersehen", "High Roller" aux parfums d'Alice Cooper, et d'autres chansons de "In Color" qui retrouvent alors une saveur de double-corps en surchauffe et de cambouis. L'édition de 2008 est un beau pavé baptisé "Budokan !", regroupant le "Cheap Trick At Budokan - The complete concert" de 1998, l'intégralité du concert du 28 avril 1978 et un DVD de la prestation du même jour, jusqu'alors propriété exclusive de la télévision japonaise. Incontournable.
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Un album que j'aime beaucoup que j'ai d'ailleur en import Japonais ! Très bien vu le "un croisement entre un jeune Donald Sutherland et Pee-Wee Herman" j'adore !!!
RépondreSupprimerUn collector qui doit valoir une fortune 😳 Crénom !
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