Après un précédent album, bon mais en demi-teinte, surtout en comparaison de l'excellent « Special One », Cheap-Trick revient en force avec cet opus qui regroupe tout ce que le groupe a su faire de mieux. De la Pop au sens noble du terme - notamment soit celle qui enfanta les Beatles, les Kinks et les Small Faces - et un Heavy-rock certes hargneux mais qui n'oublie pas qu'il doit être festif avant tout.
Depuis leur retour de 1997, ces lascars affichent une santé de fer, alors qu'auparavant on aurait pu la croire déclinante. Le quatuor atypique du Heavy-rock US a toujours la pêche, le désir, et surtout l'inspiration. Depuis qu'ils sont autonomes, en ayant par nécessité créé leur propre maison de production, les Janus du Rock, libérés de toute contrainte et pression, réalisent des albums frais, intemporels, vivifiants, décomplexés et piquants. Des mets de choix. En 2009, paraît ce qui a longtemps été considéré comme leur dernier disque, un dernier effort studio, le seizième, clôturant de fort belle manière une longue discographie de très grands albums, ponctuée de quelques rares erreurs de parcours.
"The Lastest" démarre doucement, avec une courte intro, comme un lointain écho, avant d'enchaîner, une fois n'est pas coutume, avec une reprise : « Where the Lights are Out » d'un autre célèbre quatuor, briton celui-ci : Slade. Une reprise guère étonnante, dans le sens où l'on retrouve chez ces deux formations le même esprit de dérision et l'attachement aux refrains accrocheurs, inspirés de la Pop, greffés à du (heavy) rock sans fioriture. Il est même étonnant que le groupe de Rockford n'ait pas franchi le pas plus tôt. Néanmoins, cette pièce aurait plus convenu en clôture qu'en ouverture.
Ensuite, Cheap-Trick alterne entre des Rock Heavy, un peu déjantés, et des Pop-rock propres au groupe, avec des refrains travaillés, soutenus par une guitare saturée (dont les interventions solistes se fondent avec la musique - pas de réelle mégalomanie chez Rick), une basse volubile, parfois même soutenue par des violons (souvent étouffés par le groupe, comme s'il s'agissait d'une lutte entre la ferveur Rock et les arrangements pop à la Phil Spector !), et une frappe sèche et ferme de l' ineffable Bun E. Carlos. Le tout élevé par un formidable chanteur, que l'on pourrait situer entre Paul Rodgers et Roger Daltrey, bien qu'à son encontre ce serait bien réducteur. Avec des ballades, tantôt un peu lourdaudes, tantôt exsudant les influences Beatles-Lennon-McCartney, dont ils sont coutumiers, et passés maîtres depuis "In Color".
Les ballades de cet album ont été un sujet de critique et de division. Certains arguant même que cela avait été une solution de facilité. Notamment pour reconquérir le cœur des radios. Qui sait ? C'est plausible. Mais qu'importe tant que la qualité est bien présente. Et question qualité, Cheap Trick fait plutôt dans le haut de gamme. Vrai !
Avec "Closer, The Ballad of Burt and Linda", le groupe donne une sérieuse leçon à tous les apprentis qui s'évertuent en vain à composer des chansons d'apparence romantique, en y mêlant pop lancinante et égarements vaguement psychédéliques, tout en restant foncièrement enraciné dans le Rock. Une chanson qui fusionne Aerosmith et les Beatles. "Times of Our Lives" est sur la même voie, témoignant de la magie de ce groupe exceptionnel, revisitant ici à sa manière le "Wall of sound", parvenant à créer une orchestration d'apparence cossue, sans tomber dans le pompeux ou le mielleux. Est-ce que "These Days" serait vraiment acceptable pour les radios ? En dépit du lyrisme pop, il n'est pas certain que le mur de guitare élaboré par le fondu Rick-la-casquette soit du goût des masses. Celles éduquées aux tonalités policées et copieusement édulcorées. Le beau "Miracle" aurait pu faire l'affaire, avec son piano et son chant portant la marque de John Lennon, ainsi que la guitare, celle de Joe Perry (ça tombe bien, Joe est un grand de Cheap Trick). Le long coda, très fourni en instruments divers, est une ouverture sur un monde céleste où virevoltent papillons d'acier (iron butterfly), colibris, hirondelles, mésanges au milieu de grassouillets et facétieux chérubins s'époumonant dans leur petite trompette.
"Miss Tomorrow" est malicieuse, trompant l'auditeur avec son couplet Pop insouciant, flegmatique, avant d'être ponctuée d'un mur de grattes - sur lequel Robin continue de chanter avec nonchalance comme si de rien n'était - "Etrange, les choses que tu m'as dites. Etrange, j'aurais pu rire jusqu'à en pleurer. Etrange, j'aurais pu TE prendre pour ma fiancée. Froid, tu m'as laissé gelé jusqu'aux os. Froid, tes lèvres étaient telle le baiser d'une pierre. Amour, tu as dit que l'Amour est tout ce dont tu as besoin. Froid, tu as appris aux Beatles à laisser saigner (let it bleed)". Une pièce sauvée de l'oubli, car à l'origine sur la face d'un single de 1993, tiré de l'album solo de Robin Zander.
Sur le virulent "Sick Man of Europe" (du nom d'un groupe éphémère de Nielsen et Petersson - après Fuse -) - où des guitares prisent de frénésie rugissent - Tom Petersson démontre qu'une basse peut être aussi vorace, offensive et écrasante qu'une grosse guitare en matière de Hard-rock. Il est probablement l'un des grands bassistes oubliés du Hard-rock. Un son qui peut à l'envi devenir énorme, saturé, concocté à partir de ses singuliers instruments allant de quatre, à huit jusqu'à douze cordes (!). Des basses qu'il branche simultanément dans des amplis guitare et des amplis de basse pour obtenir à la fois un gros son et définition. Un jeu hérité des Felix Pappalardi, Entwistle McCartney et Tim Bogert.
Le combo de Rockford s'octroie même, avec le trépignant « California Girl », une incartade chez Dr Feelgood, époque Wilko Johnson. L'affiliation est si évidente que l'on pourrait croire à une reprise.
Les titres sont plutôt courts, ne dépassant qu'à trois reprises les quatre minutes, et sont souvent enchaînés. "Everyday You Make Me Crazy" remportant le pompon avec 1 minute 17. Un petit interlude Rock'n'roll prisé par le groupe qui cultive ce genre de truc nerveux, parfois presque Punk, depuis des lustres. Là, en l'occurrence, c'est une récupération d'une commande de Pepsi pour un jingle en 1995.
Sans vraiment se renouveler, Cheap-Trick réalise avec « The Latest » un album résolument Rock, aux frontières du Heavy-rock, et ce, malgré le fait qu'il contienne beaucoup de titres proches de la ballade ou d'un Rock en apparence « léger ». La raison principale étant une production crue, franche, analogique, (ce qui manquait un peu au précédent). Une facilité déconcertante à mélanger les genres et à enchaîner naturellement, sans pathos, les titres Pop-rock à d'autres plus furieux. Ce qui ajoute à la difficulté, voire à l'impossibilité de classer définitivement Cheap-Trick dans un genre. Ce qui a souvent déstabilisé, et même exaspéré la presse spécialisée, qui les a trop souvent injustement dénigrés.
Au carrefour des « Cheap Trick 97 », « All Shook Up », « Special One » et du mésestimé « Standing on the Edge ». Pas aussi bon que ces derniers, mais néanmoins assimilables.
Ce devait être le dernier disque de ce groupe de Rockford, ce sera seulement le dernier avec Bun E. Carlos. Le célèbre batteur à l'allure de comptable, fumant sans discontinuer (y-compris sur scène où il alterne quasiment clope sur clope sans lâcher les baguettes, sans jamais que son rythme infaillible n'en soit altéré), est parti chercher le bonheur ailleurs, après une chamaillerie avec ses amis de pratiquement quarante ans. Sans perdre de temps, il fonde - ou rejoint - un sympathique super-groupe (il faudrait édifier une échelle pour ce genre de groupes 😁, le terme étant depuis quelques années utilisé sans retenue, mais surtout et avant tout dans une optique commerciale). Avec James Iha des Smashing Pumpkins, Taylor Hanson du combo de frangins Hanson et Adam Schlesinger, Tinted Windows prend forme et réalise des concerts, et enregistre un bon album. Bien qu'assez proche de Cheap Trick, le groupe est totalement passé sous les radars.
Alors que l'on pensait que le groupe prenait une semi-retraite après cet album, se contentant désormais d'effectuer régulièrement quelques tournées en des lieux où le public répondait favorablement et en nombre à l'appel, Cheap Trick retrouve les chemins des studios en 2016. Dotée d'une nouvelle et étonnante vigueur, probablement aidé par la jeunesse de Daxx Nielsen, le fils de Rick venu remplacer Bun E., la formation emblématique de Rockford va réaliser des disques rivalisant avec les meilleurs.
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