jeudi 29 juillet 2021

À LA TABLE DES HOMMES de Sylvie GERMAIN (2016) – par Nema M.


Nema écoute un podcast du Muséum National d’Histoire Naturelle dans la série « Pour que nature vive ». Sonia est un peu surprise :

- Tu fais quoi Nema ? tu ne t’intéresses plus aux bâtiments industriels, aux ponts et autres trucs construits en béton et totalement pourris ? 
- Oh, ça va Sonia, j’aime aussi les animaux quand même. Et puis c’est le roman que je viens de terminer « A la table des hommes » où il y a notamment une corneille dont le comportement m’interpelle… Alors je cherche à comprendre si c’est possible…
- Une corneille dans un bouquin avec un titre pareil ?
Sonia se dit intérieurement : pourvu que Nema n’ait pas l’idée stupide d’avoir une corneille…


Sylvie Germain

Oui, il y a une corneille dans ce livre. C’est un peu comme un conte, une histoire où l’animal et l’homme sont en symbiose. Le personnage principal n’a pas de nom au début du récit. Il se construira tout doucement au fil des pages, au fil de ses errements dans les forêts et de ses pérégrinations dans différents pays, au fil des mots qui seront prononcés pour l’apprivoiser.

Tout commence avec un petit porcelet chétif. Un peu à l’écart de ses frères et sœurs tous agglutinés contre les mamelles de leur maman truie. Une ferme, la bonne odeur de la paille, des poules qui caquettent, la préparation de la gelée de coin dans la cuisine… Et brusquement l’horreur : un bombardement met fin à ce tableau idyllique.  Plus de truie, plus de chants dans la cuisine, plus rien que désolation et le pauvre petit cochon qui erre et cherche sa nourriture. Une femme terriblement choquée, blessée, cherche son nourrisson. Mais il n’est plus. Elle caresse le porcelet, ce bébé rescapé. Elle chantonne une berceuse, puis la murmure encore dans un dernier souffle de vie « Fais dodo, doudila… ». Puis plus rien. Alors le pauvre petit cochon se débrouille pour se nourrir, avance dans la forêt. Une rencontre, qui aurait pu être tragique, avec des chasseurs, lui apprend la cruauté des hommes.  Il gardera en mémoire leur odeur. Il fera la rencontre d’une corneille avec qui il cherchera des graines et autres substances nourrissantes. Sur son chemin tout zigzagant, en se cachant dès l’odeur exécrée détectée, il apercevra des soldats et des otages, il reniflera des morts. Et il sera là pour les derniers instants d’un jeune blessé, qui s’agrippera à son pelage rose soyeux jusqu’à la fin. Au réveil, le porcelet sera dans un corps humain. Avec à ses côtés, la corneille.


Porcelet deviendra Babel

Deuxième temps dans le récit, nous sommes dans un village dévasté par la guerre civile. Il n’y a plus d’hommes, que quelques vieillards et des jeunes garçons. Et les femmes et les enfants qui prennent tout en charge. On attend le retour de ces hommes partis combattre. On se débrouille tant bien que mal pour survivre. Ghirzal, femme d’expérience et sorte d’autorité au village, prend le petit adolescent venu de nulle part et ne sachant pas parler sous son aile (au sens figuré bien entendu). Une corneille suit l’enfant partout. Il est craintif, ce petit, mais très obéissant et peu à peu il essaie de communiquer. Il a donné nom de Doudi à sa corneille. De ses nombreux balbutiements pour parler à Ghirzal, il hérite le nom de Babel. Comme le garçon a un visage un peu étrange, avec des yeux en amande, de longs cils transparents mais qu’il faut bien le nommer tout de même, pourquoi pas Babel ? Babel sera malheureusement le souffre-douleur des autres jeunes mais il ira souvent dans la forêt pour flâner, se réfugier, se ressourcer. Babel découvre la télévision et surtout il est fasciné par la vue d’un spectacle de clowns et il rit, mais alors il rit ! Il ne savait pas rire jusqu’à ce moment-là. Quelle découverte ! Yelnat est un ancien clown revenu au village. Babel qui n’est pas du tout couillon comme on pourrait le croire à première vue, voudrait des explications de la part de Yelnat, voudrait comprendre les choses de la vie. Et puis un jour, en revenant de promenade, Babel trouve le village vide. Il ne comprend pas. Où sont-ils tous partis ? Au bout de quelques jours Ghirzal revient avec une centaurée et aucune explication. Mais il va falloir que Babel parte. 


une centaurée

Troisième temps, celui où Babel va voyager et finir par s’installer dans une grande maison, un ancien hôtel, chez un ami de Yelnat, Clovis. Dans un autre pays, là où on parle une autre langue. Babel doit encore s’adapter.  Ce qu’il fait très bien. D’autant que sa corneille Doudi le rejoint. Clovis a un frère RufusBabel entre petit à petit dans la vie des deux hommes et va même jusqu’à assister à des séances de discussions avec d’autres personnes (un libraire, un quincailler…) du bourg, des discussions très sérieuses qui font que Babel s’interroge beaucoup. Il fait la connaissance de Zelda la fille de Clovis, mène une vie bien remplie dans un univers assez restreint mais toujours plein de nature, de fleurs, d’arbres… Jusqu’à l’apothéose finale de cette histoire. Mais chut ! je n’en dirai pas plus.    

Plaisir du style et des mots, jeux autour de la langue et de son apprentissage, cette histoire un peu fantastique vous séduira, je l’espère.


Sylvie Germain
est née en 1954. Elle fait des études de philosophie et rédige une thèse autour du thème du visage. Après une carrière diversifiée dans la culture et l’enseignement (dont quelques années à enseigner à Prague au lycée français) elle se consacre à plein temps à l’écriture. Comme romancière elle reçoit de nombreux prix. Elle est entre autres membre de l’Académie Royale de langue et de littérature française de Belgique.  

Albin Michel

232 pages 


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