Depuis que les quatre garçons de Rockford sont parvenus à s'extirper des rets d'un certain management et d'une industrie musicale cupide, ils semblent revigorés et inépuisables. Nantis d'une nouvelle jeunesse. Et cela en dépit d'un âge relativement avancé pour des musiciens pratiquant une musique tapageuse. Après la traversée du désert qu'ont été les années 90 - qui avaient débuté par un album bien moyen et anémié, "Busted" -, Cheap Trick, alors en perte de notoriété, presque oublié, ressurgit plus frais que jamais avec un second opus éponyme. Pile vingt ans après le premier. Comme une nouvelle naissance.
"Cheap Trick", deuxième du nom, était arrivé en 1997 comme un uppercut (direct dans les oreilles). La formation avait bu à la fontaine de jouvence et avait retrouvé sa verve et sa désinvolture des années 77 à 82. En fait, simplement libérée de ses chaînes, livrée à elle-même, la troupe a eu les coudées franches pour interpréter sa musique sans passer par le prisme de l'œil inquisiteur d'un producteur avant tout à la solde de la maison de disques. Soucieux que "son" produit réponde aux attentes des huiles du label et plaise aux radios. Cheap Trick avait retrouvé l'envie de jouer et de se produire. Le résultat auprès des foules ne se fit pas attendre, et comme par magie, Cheap Trick commence à renouer avec un succès qui, s'il n'a pas l'ampleur de celui des stades pleins, demeure respectable et enviable. Cependant, en 2009, la bande de Ricky "La Casquette" semble tirer sa révérence, aspirant à une retraite bien méritée, et clôturant une carrière de 35/36 ans (1) avec un très bon album, "The Lastest".
Et puis, une fois encore, une fois encore, Cheap Trick réapparaît, pour la première fois sans Bun E. Carlos, avec sous son bras un nouvel et passionnant disque de heavy-rock énergique, malicieux, cru et excitant. "Bang Zoom Crazy... Hello !" se place parmi les meilleures sorties estampillées heavy-rock et affiliés de l'an 2016. A plus de soixante ans - Nielsen le plus âgé, en ayant alors 68 (!) - ces musiciens délivrent une véritable leçon de musique Rock. Car bien que peu connu aujourd'hui en Europe (ou insuffisamment), en particulier chez les fromages-qui-puent, Cheap Trick est une grande influence pour une myriade de groupes. Un groupe largement pompé depuis des décennies. Est-ce que les Green Day, Blink 182, Ash, Weezer, Enuff Z'Nuf et même Foo Fighters auraient eu le même langage sans eux ?
Cheap Trick s'offre même le luxe de pondre l'un des meilleurs disques de Noël, dans la catégorie "rocker-au-cœur-tendre-qui-est-trop-ému-par-la-magie-de-Noël" - ou simplement opportuniste ? -. Et certainement l'un des moins sirupeux (euphémisme). Un des rares qui vaille que l'on s'y intéresse. lien 👉 "Christmas, Christmas" (2017)
Qu'est-ce qui fait qu'un tel groupe ne rayonne pas davantage ? Parce que le malin Rick Nielsen a osé jouer avec les archétypes, et les bousculer sans ménagement, la presse a trop souvent relégué le quatuor à des seconds couteaux, à un combo de deuxième zone. Quand elle ne l'a pas tout simplement moqué. Incompris. Les bouffonneries de Rick la casquette ont souvent fait grincer des dents. En effet, dans le monde du Rock, et plus particulièrement celui du Hard et du Heavy, le guitariste "lead", le soliste, doit se présenter comme une personne virile - d'où le dur combat des femmes pendant près de deux décennies pour se faire accepter par la frange misogyne -, charismatique, voire désinvolte et arrogante. Stupide transfert de l'image fantasmée du héraut. Alors que dans les années 70, les codes de présentation du guitar hero étaient crinières descendant aux épaules (voire plus), chemise bouffante ou ultra serrée (une taille en dessous, comme Eddie et ses potes) mais systématiquement largement ouverte, pantalon moule burnes, et colifichets (foulards, bandanas, poignet de force, bagouzes et autres larges colliers), Rick, lui, sans complexe, débarque en 1977 (et même avant) avec une coupe à la tondeuse (façon G.I. ou sympathisant du KKK), pantalon à pinces trop court piqué à grand-père, chemise boutonnée jusqu'au cou, nœud pap' (!), chandail et casquette. Pour couronner le tout, il se comporte sur scène comme un demeuré simple d'esprit, abusant de grimaces préfigurant Jim Carrey, gesticulant comme une marionnette, faisant des pompes entre les chansons... (il en faisait parfois des tonnes). Si derrière il n'y avait pas eu le talent et surtout une musique quasi exceptionnelle, - Nielsen est resté longtemps le principal auteur-compositeur - probablement qu'il aurait subi l'effroyable supplice du goudron et des plumes.
Sans oublier le sympathique Bun E. Carlos dont le look de bureaucrate défraichi n'avait absolument rien de glamour. Heureusement que les deux gueules d'ange, rasées de prêt, étaient pour compenser, et rendre le groupe plus vendables auprès des midinettes.
Nielsen, véritable clown hyperactif a, à sa manière, mis un grand coup de latte dans le barnum du Rock. Incompris ou irritant, il a parfois échappé aux faveurs de la presse et du public. Cependant, depuis, grâce à quelques albums imparables et inoxydables, Cheap Trick est devenu une institution. En 2016, il est intronisé au (contesté) Rock'n'Roll Hall of Fame en qualité de performeur. Toujours vivant après plus de quarante-cinq ans de carrière. Mieux : leur vingtième album studio est excellent et pète le feu. Du power-pop sans faix-col - dans la continuité donc de ses précédentes réalisations avec Julian Raymond à la production. Quatrième galette co-produite avec ce monsieur qui ne semble plus lâcher le quatuor depuis "The Lastest". Non compris "Rockford" où six producteurs ont été mis à contribution (et ça s'entend). Raymond participe même activement à la composition depuis "Bang Zoom Crazy... Hello !". Jamais jusqu'alors, un producteur n'avait été accepté de la sorte par ces gars-là. Le courant passe et le résultat donne des albums au menu de choix. Probablement moins essentiels que ceux de la période doré de 1977 à 1980 ("In Color" exclu), ces disques se révèlent néanmoins très bons, voire excellents. Le petit dernier se plaçant peut-être en haut du panier de la période courante. Et quelle énergie, mes aïeux.
Ces quatre garçons dans le vent - de l'Illinois - assurant toujours comme personne leurs recettes sucrées-salées d'un heavy-rock rageur entre-coupé ou fusionné à des mélodies héritées du Royaume-Uni, Beatles en tête. Avec des passages relativement bordéliques, dérapages désespérés pour éviter la sortie de route, succédant généralement à un refrain accrocheur ou un passage de douce Pop. Sorte de heavy-rock bi-polaire. "The Summer Looks Good On You", avec son riff crapuleux qui fait rouler des épaules comme un reptile, et ses refrains ensoleillés, Californiens, résume bien la chose. Un condensé de l'épopée "Cheap Trick", avec quelques passages plus marqués par "Dream Police" (avec quelques violons comme pris dans une bourrasque, projetés avec force) et "Standing on the Edge". Alors que, à l'inverse, "Quit Waking Me Up", qui se présente comme une pièce de Pop bienheureuse, radieuse, souriant à la vie, est molestée par un diablotin qui tente de l'encanailler en triturant bougrement sa guitare.
Mais il y a aussi du pur Rock'n'Roll. Enfin, pur. Plutôt du Heavy-rock nerveux faisant autant les yeux doux à un Punk-rock US, qu'aux anciens furieux de Detroit (au point où bien des fois, on pourrait croire Rockford proche banlieue de la Motorcity). Avec notamment in 'Boys & Girls & Rock'n'Roll", plutôt Stonien sur les bords, un "Light Up the Fire" bien vindicatif et un "The Party" qui a des allures de groupe Punk essayant de se recycler dans la New-Wave, sans parvenir à endiguer sa fureur.
"Final Days" fait plus dans le Hard-rock un rien bluesy, un brin consensuel (mais c'est fait avec tellement de goût)... jusqu'à ce que Nielsen hurle d'une voix cassée, presque éteinte, le refrain comme un fatigué dans une camisole de force. Jimmy Hall est invité pour jeter des traits d'harmonica fumants, déchirant des chorus de blues délavés et rongés par les eaux de Fukushima. Ou encore "Here's Looking at You", qui a un pied coincé dans le climat de "One on One" et un autre dans celui de "Heaven Tonight" ; on a d'ailleurs extirpé le célèbre lick de synthé de "Surrender" pour l'y incérer, presque discrètement.
Et la version boostée "Another World (Reprise)" renvoie tous les apprentis punk-rockers à leur bac à sable. Comme si les Ramones avaient été conviés à la fête. De quoi donner envie à Steve Jones de reprendre sa vieille Les Paul. Steve Jones ? Il vient justement jouer sur la reprise de John Lennon, "Gimme Some Truth", en clôture.
Les étonnantes et singulières ballades "made in Cheap Trick" - rencontre de la British-pop avec l'innocence d'un Rock garage juvénile et l'esprit d'arrangeur d'un Bob Ezrin - n'ont pas été négligées. rien de particulièrement mémorable, mais de bons moments. Avec notamment deux pièces exemptes de percussions. "I'Ll See You Again" à l'atmosphère cotonneuse, onirique, et "So It Goes", dépouillé, qui virevolte mollement sur des intonations typées Beatles. Parfois, ces instants sont empreints de fantaisies, comme "Passing Through" qui pourrait s'apparenter aux émois d'un Boeing 747 sous opiacés ou plus prosaïquement à une ballade de George Harrison de retour d'un séminaire en Inde et pris en guet-apens dans un pub de soiffards mélomanes. Krishna voyageant à bord de son vimana propulsé par des vapeurs de bière.
Le seul regret notable, également imputable aux productions précédentes, concerne le mixage généralement défavorable à la basse de Tom Petersson. Il est en effet bien regrettable et injuste de devoir tendre l'oreille pour essayer de discerner et d'apprécier toutes les nuances et le doux vrombissement des basses puissantes de mister Petersson, friand d'instruments de caractère. Avec la particularité d'utiliser à bon escient quelques basses aux cordes doublées, huit et douze cordes (!). Néanmoins, l'exercice ne doit guère être aisé tant ses basses aiment se parer d'atours pouvant les faire passer pour des guitares cradingues. Notamment avec ces huit et douze-cordes parfois branchées dans une fuzz. Pour info, Tom Petersson a dû subir tout récemment une opération à cœur ouvert. Il se remet lentement de son opération, devant pour cela effectuer ses premières représentations en public, assis.
(1) Si l'on se limite à la seule épopée de Cheap Trick. Sinon, Nielsen et Tom Petersson jouaient déjà ensemble dès 1967, au sein de Fuse. Groupe auteur d'un seul et bruyant album éponyme en 1970.
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