jeudi 22 avril 2021

MOUSSORGSKI / CHOSTAKOVITCH – Chants et danses de la Mort - D. HVOROSTOVSKY, V. GERGIEV / I. ILJA - par Claude Toon

- Heuu Claude, je ne vois pas le rapport entre le titre du billet consacré à la musique russe et cette photo de mode masculine d'un beau mec bodybuildé… hihihi…
- Houlà Sonia, ce "beau mec" nous a quittés tragiquement en 2017 à 55 ans, un cancer. Sans doute l'un des baryton russes le plus doué de sa génération…
- Mon dieu, quelle horreur, si jeune ! Tu as choisi Moussorgski (la nuit sur le mont chauve) et Chostakovitch pour nous le présenter.
- Les chants et danses de la mort sont quatre mélodies russes pour voix et piano de Moussorgski orchestrées plus tard par Chostakovitch (en 1962 pour être précis).
- Tu nous proposes les deux versions, je vois deux vidéos…
- Oui, avec accompagnement au piano et en version orchestrale avec l'orchestre du Kirov dirigé par Valery Gergiev, un pilier du blog !


Jaquette de 1993

Avec Sonia, je donne l'impression de connaître ce chanteur. Question de Prestige du rédacteur doyen du blog. En fait il n'en est rien du tout. Rétablissons la vérité : c'est ma sœur amateure de musique au sens large et d'art lyrique, notamment italien par ses attaches à ce beau pays, qui m'a fait découvrir cet artiste. Très enthousiaste elle me présentait Dmitri Hvorostovsky comme le plus grand baryton du demi-siècle. Vous connaissez, chers lecteurs, ma méfiance pour ces assertions lapidaires. "Le plus grand…", "La référence absolue…", etc. D'autant que parler de la voix et des chanteurs barytons célèbres m'inspire immédiatement une vingtaine de noms environ, au hasard : Dietrich Fischer-Dieskau, Hans Otter, George London et très récemment dans le blog Thomas Quasthoff de la même génération que Hvorostovsky.

Je l'appellerai Dmitri, non par familiarité, mais certains artistes russes ont des noms imprononçables avant le dixième essai… de Rojdestvenski, en passant par Wyschnegradsky sans oublier Chostakovitch, la terreur des lecteurs qui zozotent 😊. Méconnaissant cet homme, mais achetant de semaine en semaine des CD et DVD de Dmitri au bénéfice de mon aînée, j'ai découvert un baryton à la carrière pour le moins bien remplie avant sa disparition tragique et prématurée en 2017. Autre explication à mon ignorance, vous avez appris au fil des années que je suis en addiction du répertoire orchestral et sacré, de musique de chambre et pianistique également, plutôt que d'opéra. Et pour aggraver mon cas, ma préférence va au chant anglo-saxon, latin et français (Wagner, Berlioz, Debussy) et très peu italien hormis Puccini. Dmitri a surtout œuvré dans le répertoire russe (restreint même si passionnant, je vais y revenir) et dans les opéras de Verdi les plus marquants (une douzaine). Autre malchance pour cet homme, il est de la génération où les grands labels ont abandonné inexorablement les gravures en studio au bénéfice de récitals en directs, (des best of pas toujours équilibrés et surtout commerciaux) et la publication éphémère de spectacles lyriques. Philips a abandonné la publication "classique" et son catalogue fabuleux. Decca n'en ayant réédité qu'une maigre partie. Decca vient de signer le premier contrat d'exclusivité depuis celui de Riccardo Chailly en 1998 (en 2021 : Klaus Mäkelä, 25 ans, finlandais et successeur de Paavo Järvi à la tête de l'orchestre de Paris). Vous voyez l'état de la discographie au XXIème siècle 😖 ! Dmitri n'a pas eu la chance d'un Fischer-Dieskau, c'est un euphémisme. Combien de captations sur les plus belles scènes du monde dorment dans les placards ?


Dmitri dans le final du Trouvère de Verdi

En général, la ligne éditoriale classique du Deblocnot privilégie une œuvre et son compositeur, parfois un artiste d'exception. "La notion de RÉFÉRENCE" est discutable dans le genre. Une exception : des redécouvertes de compositeurs oubliés et dont la discographie se résume à un seul enregistrement (Atterberg, Rott, Gouvy…). Pour les ouvrages au catalogue pléthorique, chaque article propose une discographie alternative, une sélection de belles gravures choisies dans le haut du panier, subjectif sans doute, mais le moins possible. (7 propositions pour le chant de la terre. de Mahler. 😅)

Moussorgski a déjà fait la une du blog, mais curieusement son cycle de mélodies Chants et Danses de la mort bien abordé par les chanteurs (tant masculins que féminins), laisse les éditeurs de disques peu motivés. Cette semaine, coup double donc coup de chance, nous disposons chez You Tube de l'interprétation de l'ouvrage original avec accompagnement au piano, et de la version orchestrée par Chostakovitch, les deux chantées par Dmitri. La seconde étant accompagnée par l'un des plus inspirés maestros russes actuels, Valery Gergiev, (là on peut l'affirmer) et un bel orchestre, celui du Kirov. Et les deux enregistrements par un même artiste semblent rares.

 

RIP : Dmitri a succombé en novembre 2017 à un cancer du cerveau qu'il a vaillamment combattu pendant deux ans, se produisant sur scène jusqu'en mai de la même année. De toute évidence, le drame a bouleversé grandement ses fans et les critiques, à lire les biographies de l'artiste. Wikipédia, entre autres, propose plutôt un dossier médical qu'un article de fond sur son talent artistique (n'y voyez aucun humour noir déplacé, le fait est). Pareil dans la presse spécialisée, Classica et Diapason se limitant à des entrefilets. Dmitri n'est pas le premier ni hélas le dernier à voir sa carrière écourtée par cette maladie diabolique, citons les compositeurs Brahms, Debussy, Ravel, Gershwin, Puccini, Bartók… et les chanteurs ou maestros Kathleen Ferrier, Luciano Pavarotti, Claudio Abbado, le jeune chef russe Yakov Kreizberg à 51 ans, Seiji Ozawa lutte toujours… En début de recherche, déception : peu d'infos "musicales" pour nourrir un papier qui ne serait pas un RIP de plus, trois ans trop tard. ("un artiste reste toujours vivant grâce aux livres, aux disques, au DVD…")

Qui pouvait m'aider à cerner plus largement une telle personnalité sinon l'intéressé lui-même lors d'une longue interview ? Bruce Duffie a republié un entretien de 1993 actualisé mi 2017 avant son décès. (Clic – l'anglais de Dmitri a été corrigé et le traducteur automatique de Chrome se révèle efficace, et merci à Wikipédia en italien, de loin l'article le plus fouillé.)


Natif de Krasnoïarsk en Sibérie orientale (1962) Dmitri a dû commencer à chanter avant de parler (simple hypothèse). Un père ingénieur chimiste et une mère gynécologue phagocytés par leurs carrières confient en semaine le gamin à son papi vétéran traumatisé par les tueries nazies-URSS, méprisant et un peu poivrot (dixit Dmitri), et à sa mamie que Dmitri adore. L'enfant se révèle très autonome et assoiffé de connaissance artistique :  graphisme, sculpture et musique. Certes ses parents ne voient leur fils que le weekend, mais étant musiciens et chanteurs amateurs, ils décèlent rapidement ses dons. Il apprend le piano des dix ans et use jusqu'à l'étiquette les vinyles de Fédor Chaliapine (1873-1938, célèbre basse profonde russe, une référence culte dans Boris Godounov - 🔊) et ceux de Ettore Bastianini (1922-1967) et de Piero Cappuccilli (1926-2005), deux barytons italiens considérés comme ses mentors posthumes ; on remarquera une similitude frappante entre le répertoire du second et celui de Dmitri, principalement en langue italienne.

Guère studieux au collège (il obtint pourtant un diplôme de chef de chœur) Dmitri inquiète ses parents qui voient d'un mauvais œil l'ado se passionner pour le Rock et la Pop, des genres qu'il ne reniera jamais ; mais même si la Russie stalinienne de Brejnev agonise dans la gérontocratie, cette dérive musicale "occidentale" fort mal vue (revoir le film hilarant twist again à Moscou) conduit la famille à inscrire Dmitri à la brillante Université pédagogique d'État de Krasnojarsk, ville singulière de garnison un tantinet fermée sur elle-même. Il y étudie le chant jusqu'en 1986. Dmitri souhaitait chanter les rôles de ténor ("les gentils", les héros, les chevaliers valeureux, quoique…) mais il possède une voix de baryton (a priori pas mal de "méchants" : Godounov, Scarpia, Iago mais aussi des héros épiques comme Rodrigue dans don Carlos). Rodrigue : le rôle verdien éprouvant qui lui ouvrira la grande porte du succès.

De 1984 à 1989, il chante pour la mère patrie à l'opéra de Krasnoïarsk. C'est l'âge des concours : Glinka, Toulouse mais surtout en 1989, il participe et remporte le prix "du meilleur chanteur" au très réputé concours biannuel Cardiff Singer of the World où il remporte le prix face à… Bryn Terfel, le candidat "maison", qui remporte néanmoins le "prix pour le meilleur air". Dmitri y chante entre autres un air de Rodrigue (- 🔊). Le lendemain il signe un contrat chez Philips.


Dmitri Hvorostovsky et Ivari Lija

Vont suivre 38 ans de carrière orientés dans deux directions : les plus grandes scènes lyriques du Monde : le Metropolitan, Covent Garden, Vienne, Paris, La Scala, le conservatoire de Moscou, le Kirov, etc. Je ne sais même pas pourquoi j'énumère, elles y seront toutes ; et des récitals de mélodies accompagnés au piano ou par l'orchestre dans des salles prestigieuses.

Dmitri limitera volontairement son répertoire au chant italien de Scarlatti à Mozart (Don Giovanni) et bien entendu au romantisme (Puccini, Verdi, etc.) et en langue russe, notamment les trois opéras de Tchaikovski (La dame de Pique, Eugène Oneguine, Iolenta). Hélas, pas de Moussorgski en entier (juste des extraits de Boris Godounov en récitals, le monologue de Boris (- 🔊), avec grandeur et sans les sanglots de Chaliapine). (Voir la liste à la Prévert de son répertoire sur Wikipédia.)

Il y aura des petites incursions en français : Faust de Gounod, le duo des pêcheurs de perles de Bizet en complicité avec Jonas Kaufmann ; deux colosses de 1,82 m vs 1,92 m pour interpréter deux jouvenceaux enamourés (- 🔊), les personnages sont crédibles car les deux chanteurs évitent les coquetterie de stars d'opéra. Et des airs très isolés en allemand, langue que Dmitri estimait trop mal maîtriser pour chanter les rôles si exigeants imposés par Wagner comme Wotan dans le Ring ou Gurnemanz dans Parsifal. Tant pis pour moi !        

- Pardon Sonia ? Tu trouves que Dmitri était trop séduisant pour chanter Gurnemanz, un vieillard doyen des chevaliers du Graal… Tss tss, mêle-toi de tes oignons…

La discographie de Dmitri est abondante mais pas toujours disponible. On se régalera des nombreux albums de récitals de chants russes et d'airs véristes. On dispose de nombreux opéras en CD ou DVD, ceux de Tchaikovski ont trouvé leur interprète moderne (Eugene Onéguine avec Renée Fleming, Gergiev dirigeant le Metropolitan). Évidement chez Verdi, la concurrence historique est rude. Il serait bienvenu de rééditer les 3 CD de Don Carlos avec Haitink… Quant à Rigoletto enregistré alors que le chanteur était déjà malade, si la voix est là, l'orchestre de Kaunas en Lituanie est poussif dès l'ouverture poignante voulue par Verdi, ici incolore et soporifique. À fuir sauf pour les fans ; on en revient depuis 50 ans à Kubelik-Scala de Milan—Fischer-Dieskau (DG) ou à Bonynge-Pavarott-Milnes- symphonique de Londres (Decca).

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Moussorgski par Ilya Repine 

La malédiction n'est pas l'apanage des poètes seuls (Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, etc., je vous renvoie à vos cours de littérature). Les musiciens "maudits" sont aussi légions, Berlioz, Bruckner et Moussorgski à propos duquel je ne change pas un mot dans la biographie écrite présentant le célèbre poème symphonique La nuit sur le mont Chauve. (Clic) Et j'illustre de nouveau ce billet avec le portrait réaliste et effrayant peint par Ilya Repine quelques jours avant que la mort n'emporte le compositeur sans doute le plus original de l'ère romantique russe. Il n'a que 42 ans et depuis vingt ans picole au point de traverser des périodes de delirium tremens.

La musique classique au sens occidental du terme n'existe pas avant le XIXème siècle en Russie. La toute puissante Église orthodoxe n'autorisant pas autre chose que le plain-chant (monodie et polyphonie) hérité de la période byzantine. On doit une évolution culturelle majeure dans l'art musical au compositeur autodidacte Glinka né en 1804 et mort en 1857. Glinka parcourra l'Europe de l'Allemagne à l'Italie via la France pour acquérir les techniques de composition et, tel un Bartok plus tard, travaillera sur les chants populaires slaves pour initier un courant de musique disons… "savante". Sa production est banale mais il influença la création du célèbre groupe des cinq réunissant Alexandre Borodine, César Cui, Mili Balakirev Modeste Moussorgski, Nikolaï Rimski-Korsakov (classement par dates de naissance). N'oublions pas un outsider de poids proche du groupe, un certain Tchaïkovski

Soyons objectifs, seuls Moussorgski et Rimski-Korsakov concurrencent les confrères de la vielle Europe de l'ouest, l'un étant un original tournant le dos à l'académisme et le second un pédagogue et un génie de l'orchestration. Que n'a-t-on pas déversé comme insanités sur Moussorgski ; lisons les crétineries du critique Arthur Pougin (1834-1921) : à propos des tableaux d'une exposition "Cela n'a ni sens, ni couleur, ni forme, ni contour, on peut dire ni queue ni tête… Ce sont là, non pas même des ébauches, mais des divagations bizarres". Le portrait certes génial par son réalisme de Repine d'un poivrot entêté nuira au compositeur vu comme un raté malhabile car intempérant. On attribue encore le "sauvetage" de certaines de ses plus belles pages, aux accents modernistes et hardis, à la réorchestration rigoureuse mais sans panache de Rimski-Korsakov ou plus brillante de Ravel. Depuis les années 1980, un retour aux partitions authentiques est de mise, ouf !


Arseni Golenichtchev-Koutouzov

Âme tourmentée (son éthylisme en étant une conséquence), Moussorgski se passionne pour le fantastique et le morbide. Un Edgar Poe de la partition. La nuit sur le mont Chauve trouve-t-elle ses racines dans la nuit de sabbat de la symphonie Fantastique de Berlioz, scène de sorcellerie qui hante les songes d'un poète amateur d'opium ? Boris Godounov est un monstre infanticide qui meurt fou rongé par la culpabilité et les hallucinations. (Moussorgski en souffrait-t-il ?). Dans Les tableaux d'une exposition on parcourt des images de gnomes, d'un vieux château en ruine, de catacombes, d'une sorcière hideuse… des images qui auraient séduit un Jérôme Bosch.

Comme Boris Godounov, le compositeur est-il obsédé par l'allégorie de la mort : la faucheuse squelettique, la cape noire en guenilles avec sa capuche, la faux…  Le choix des textes évoquant la créature infernale venant prendre possession de son dû le confirme. Moussorgski faisait partie de cette génération dont les familles de hobereaux avaient connu la ruine suite à l'abolition du servage. L'homme est humaniste et tempête face à une Russie tsariste dont le peuple meurt de faim. Soyons clair, l'empire vit au moyen-Âge. Comme un Beethoven en son temps, Moussorgski noie sa révolte dans une forme chronique de dépression. Son ami Arseni Golenichtchev-Koutouzov, poète oublié de nos jours, écrit quatre poèmes aux thèmes bien en rapport avec ces angoisses : (Désolé pour le copier-coller Wikipédia, je ne le dirai pas mieux

  1. Berceuse : Une mère berce son bébé malade, qui gémit. La Mort apparaît, déguisée en nourrice, et berce le bébé qui s'endort d'un sommeil éternel.
  2. Sérénade : La figure de la Mort chante une sérénade sous la fenêtre d'une jeune fille mourante, à la manière d'un amant faisant la cour.
  3. Trepak : Un paysan ivre trébuche pris dans une tempête de neige et s'allonge. Le paysan s'endort sous la couverture mortelle de neige et rêve de colombe en champs d'été.
  4. Le Chef d'armée : La figure de la Mort est dépeinte comme un officier, illuminée par la lune et montée sur un cheval et inspectant ses troupes après une bataille terrible et sanglante. Elle veut compter ses troupes enfin réconciliées avant que leurs os n'aillent en terre pour l'éternité.

Ah c'est gai ! Contrairement aux lieder de Richard Strauss les textes sont longs, je ne les copie pas… La traduction est disponible sur le forum "Autour de la musique classique", merci à Polyeucte d'avoir assuré leur publication.

Moussorgski compose son cycle pour ténor ou baryton et piano entre 1875 et 1877. Sa santé mentale est déjà très éprouvée. La musique sonne de manière lugubre dès les premières mesures en forme de marche funèbre. La ligne de chant suggère tristesse et renoncement. Le développement central de la mélodie apporte un surprenant changement de ton avec ses syncopes [1:32] évoquant les protestations de la mère puis des plaintes déchirantes [1:55]. La variété des climats dans une mélodie de 5 minutes est stupéfiante. On pense immédiatement à un monologue d'opéra. La partie de piano révèle des difficultés de rythme singulières qui dramatisent le propos. Ténor ou baryton ? de nos jours, cantatrices et chanteurs de toutes les tessitures abordent l'œuvre. Dans une liste pléthorique des grandes voix, on citera la basse (sévère) finlandaise Martti Talvela (1935-1989, un géant de 2,02m), spécialiste du répertoire wagnérien et russe qui, comme Dmitri, a gravé les deux éditions, pour piano ou orchestre (mal rééditées). J'anticipe sur la discographie…

Le style de Dmitri : le velouté subtilement détimbré de la voix et l'absence de fioritures de star lyrique hédoniste. Un phrasé qui laisse penser que l'artiste vit ces chants au plus profond de son être. Certes le tempo paraît lent par rapport à un Talvela rageur, mais Moussorgski a noté sur la partition Lento assai, tranquillo pour la berceuse. L'expressivité du baryton russe est riche : mélancolique mais jamais lugubre, plaintive mais déterminée quand la mère prend la parole ; le texte de la berceuse est en forme de dialogue. Dmitri laisse s'épanouir les mots et les sentiments, l'affliction sincère dans ce combat entre une mère et la mort. L'effacement face au compositeur est la signature des grands interprètes. À noter un bel équilibre voix-piano dans la prise de son. Le label Ondine nous a habitué à ces trésors discographiques.

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Il existe un arrangement pour orchestre de Rimski-Korsakov assez terne et peu chanté avant 1962, date à laquelle Chostakovitch décide d'orchestrer les quatre chants. Le compositeur, peu enclin à l'euphorie après avoir dû supporter l'indicible lors du stalinisme, entre les procès, les purges et les autocritiques, ne peut qu'être séduit par la thématique mortifère de ce cycle dédié au petit peuple russe toujours victime d'un tyran, avec une couronne ou un képi. L'époque Khrouchtchev succédant au monstre Staline a permis un soupçon de liberté pour les artistes, quoique. En parallèle de ce travail, Chostakovitch ose écrire une 13ème symphonie provocatrice, un réquisitoire d'une force prodigieuse contre l'antisémitisme. La symphonie est conçue pour basse, chœur d'hommes et orchestre et enchaîne cinq chants évoquant : les horreurs des massacres de Babi Yar, l'affaire Dreyfus, le journal d'Anne Frank, etc. Khrouchtchev, dictateur d'un régime notoirement antisémite, menace d'interdire l'œuvre. Pour la création en 1965, même ses amis comme le maestro Mravinsky, qui n'était pas un poltron, se défileront. J'en reparlerai. 

1962 : Rostropovich, Chostakovich et Galina Vishnevskaya

Le choix de la voix, basse ou baryton, et la sévérité de l'accompagnement orchestral de la 13ème symphonie est proche de ceux des Chants et Danses de la mort de Moussorgski. La gravité des orchestrations de Chostakovitch s'applique à merveille à ce cycle dès les premières mesures, une reptation des cordes graves. L'orchestration est aérée, colorée et vive (le chant des bois). Le compositeur russe n'appuie jamais le trait, cuivres et percussions sont fort discrets (trompettes bouchées). Je ne commente pas au-delà, du grand art tout simplement. Le jeune Dmitri débutant maitrise parfaitement le propos fort brillamment accompagné par Valery Gergiev.

Orchestration : 2 flûtes (+ 1 piccolo), 2 hautbois, 2 clarinettes (+ 1 clarinette basse), 2 bassons (+ 1 contrebasson), 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, percussionniste, harpe, cordes. Rien à voir avec les orchestres démesurés des grandes symphonies. Un orchestre romantique typique de la fin du XIXème siècle.

Il est évident que les Kindertotenlieder (chants pour les enfants morts) de Mahler et ce travail de transcription des Chants et Danses de la mort ont influencé l'écriture de la 14ème symphonie en 1969. Un ouvrage de nouveau en forme de cycle de mélodies composé pour soprano, basse et ensemble de cordes avec percussion. Une suite de onze poèmes de Garcia Lorca, Apollinaire, Küchelbecker et Rilke chantés dans leurs langues originelles mais Chostakovitch en réalisera aussi une traduction en russe que Dmitri n'a pas enregistrée à ma connaissance, dommage… Là encore, le thème de la mort prématurée et violente est omniprésent. 


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Pour une discographie alternative, voici trois propositions :

Par curiosité, on peut écouter la gravure réalisée par les créateurs de l'arrangement de Chostakovitch le 12 novembre 1962, Galina Vichnevskaïa : soprano et l'Orchestre philharmonique de Gorki dirigé par son mari et ami du compositeur : Mstislav Rostropovitch. La voix est magnifique, les transitions animées, mais est-ce vraiment une œuvre pour voix féminine aussi légère ? (Il n'y a aucune misogynie dans ma question, juste une interrogation par rapport au tragique des chants plus adapté à une voix grave à mon sens). Un document important, son étriqué de l'époque. (Melodya – 5/6).

Avant 1962, on chante l'ouvrage surtout accompagné au piano (des orchestrations existent mais sont peu jouées). Le baryton-basse canadien George London partageait avec Dmitri un physique avantageux de grand gaillard héroïque et des capacités vocales exceptionnelles, mais lui dans toutes les langues. Il sera un Wotan de l'or du Rhin, un Amfortas de Parsifal et aussi un Boris Godounov de légende. Je réécoutais il y a une quinzaine son Wotan dans la version Solti-Vienne-Decca de 1958 ; un seul mot : Waouh, quelle noblesse ! On a réédité un pot-pourri d'airs célèbres de son vaste répertoire dont une interprétation de 1955 des Chants et Danses de la mort. Le chanteur maîtrise la langue russe à la perfection et suit une ligne de chant glaçante, une alternative bouleversante qui contraste avec l'humanité de Dmitri. (Preiser Records – 6/6, rarissime mais à écouter sur You Tube

Poursuivons l'exploration des vieilleries historiques (sans ironie 😊). La basse (presque profonde) d'origine bulgare Boris Christoff (1914-1993) s'illustra dans le répertoire russe notamment en enregistrant plusieurs gravures de Boris Godounov (dont une, cultissime, avec André Cluytens), un rôle qu'il chanta 600 fois dans sa carrière très éclectique. On se doit de s'interroger si les quatre disques dédiés à l'intégrale des chants de Moussorgski ne recèlent pas la plus habitée et fougueuse des interprétations des Chants et Danses de la mort ? En 1958, en mono, le phrasé de l'orchestre de la RTF dirigé par Georges Tzipine est très articulé. Le chef recourt à la peu utilisée orchestration de Glazounov et Rimski-Korsakov. Le chanteur revêt l'habit de l'ange de la mort, mais sans cruauté, plutôt consolateur, là où Dmitri Hvorostovsky prend la main des victimes. (EMI – 6/6). (Deezer : CD 3, plages 8 à 11). De par la différence d'orchestration, les deux chanteurs ne se concurrencent pas, ils enrichissent le catalogue.          

Comme Dmitri, Boris Christoff disparut suite à une grave maladie à l'âge de 72 ans. Réservons un article à ce chanteurs mythique.

Abondance de biens…


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Autres suggestions concernant la discographie de Dmitri .

1 - Eugène Onéguine de Tchaikovsky avec Dmitri Hvorostovski dans le rôle-titre et Renée Fleming dans celui de tatiana ; pour les critiques "Hvorostovski semble né pour ce rôle de dandy", une belle réalisation de 2007 au Metropolitan dirigé par Valery Gergiev. (DVD Decca multizone)

2 – Le trouvère de Verdi de nouveau au Metropolitan dirigé cette fois-ci par Marco Armiliato. Dmitri interprète le rôle masculin central, Le comte de Luna. Une réalisation de 2009 bien accueillie par la critique, décor et mise en scène évitant les innovations modernistes souvent grotesques à la mode… Conseillé pour découvrir cet opéra populaire à la discographie, disques ou vidéos, pour le moins pléthorique 😊. (DGG)

3 - A Musical Odyssey in saint Peterburg. Un récital pour lequel le baryton retrouve Renée Fleming. C'est le chef Constantin Orbelian né à San Francisco mais d'origine arménienne qui a eu l'idée de cette production, à la fois promenade dans la capitale du Kirov ou du Marinsky, La Venise du nord. Au programme : des airs de Eugène Onéguine et de La dame de Pique de Tchaikovsky, de Simon Boccanegra et du Trouvère de Verdi, et des mélodies de Rachmaninov ou Medtner en compléments. (Decca)

4 – Autre concert mémorable capté et filmé à Montréal dont Charles Dutoit était le directeur. Un programme original avec une interprétation des Chants et Danses de la mort, mais aussi des airs de Rossini et de Respighi. (Une production de l'orchestre de 2005.)



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