Little Caesar. Leur premier album avait fait l'effet d'une petite bombe dans le petit monde du Hard-rock / Heavy-metal. Une sphère qui commençait sérieusement à se mordre la queue et a faire dans l’auto-caricature, quand elle n'engendrait pas une surenchère constante plus proche du cirque Barnum que de la musique. Les labels, les majors comme des indépendants signaient à tour de bras sans être trop regardant quant à la qualité réelle des groupes qu'ils enserraient dans leurs rets. Si le disque est suffisamment rentable, tant mieux, sinon, à la porte. Après les sourires et les tapes dans le dos, le dédain. Quoi que les indépendants, bien moins gourmands, pouvaient se montrer plus patients et tolérants. Résultat, une surabondance de groupes qui pouvaient malheureusement finir par décevoir - ou pire dégoûter - l'amateur qui ne savait plus où donner de la tête. Dépiter à force de ce retrouver avec des galettes mal produites, fagotées dans la précipitation, où seuls deux ou trois morceaux valent le déplacement (généralement sur la première face), quand ce n'étaient pas le produit de clones maladroits. Le pire, c'est que dans ce grouillement bourdonnant, les bons et honnêtes projets pouvaient être occultés. Ainsi, il pourrait paraître surprenant qu'une formation telle que Little Caesar, soit parvenu à enregistrer un disque sur une major à l'époque où les professionnels de la musique dite "heavy" passaient plus à étudier leur accoutrement carnavalesque, leurs postures et leur permanente que de s'affuter musicalement.
Les gars de Little Caesar étaient en dehors de ça. Formé autour de Ron Young, un gars qui partageait ses nuits entre faire le videur et chanter, Little Caesar est un groupe un peu à part, perdu au milieu de cette multitude de chevelus apprêtés parfois comme des poupées de chiffons - ou des catins - largement diffusés sur les chaînes musicales américaines. C'est peut-être ce qui participera à leur perte. Ne pas vouloir rentrer dans un moule, n'en faire qu'à sa tête et ne pas répondre favorablement aux "conseils avisés" du management. D'ailleurs c'est un fait établi : MTV, la chaîne musicale (elle l'était encore à l'époque) a volontairement limité la diffusion de leurs clips parce que les musiciens ne correspondaient pas à leurs critères. Leur apparence un peu négligée, bien plus proche des bikers que des danseuses et des poseurs soigneusement permanentés en vogue, ne plaisait guère à ces messieurs.
Pourtant, ils n'étaient pas à l'époque les seuls dans leur genre, et la reconversion alors encore relativement récente des Anglais de The Cult (👉 lien), avec le succès retentissant qui a suivi, et dans une moindre mesure, l'attrait qu'a suscité les crasseux de Zodiac Mindwarp & the Love Reaction (👉 lien). Voire Cinderella (👉 lien) qui s'était aussi extirpé de son Glam-rock bluesy. En tout cas, lorsque Little Caesar dépose une de ses cartouches sur une compilation et qu'il parvient à auto-produire un Ep de quatre chansons, "Name Your Poison", ça se fait remarquer et suscite les convoitises des "maisons" de disques. C'est Geffen Records qui obtient la signature, un label porteur d'une assez bonne réputation dans le milieu Rock américain. Notamment parce qu'il met généralement les moyens nécessaire pour que ses disques sonnent. Cependant, c'est aussi une boîte qui attend un retour sur investissement conséquent. Les petits bénéfices l'exaspèrent profondément.
1990, un premier album éponyme met un grand coup de pied dans la fourmilière, avec son Heavy-rock bluesy, franc du collier, sans faux-col. Bob Rock, normalement synonyme de (très) gros son, a tempéré ses ardeurs, réussissant ainsi à préserver la personnalité organique, "live", du combo. Toutefois, pour cela, il y eut quelques frictions entre le production et le groupe. Du heavy-rock teigneux, un brin cradingue et rugueux, proche de ses racines 70's, en particulier des Faces et d'Humble Pie, de Lynyrd Skynyrd, de Bad Company, mais imbibé d'une rudesse de prolo américain, de marginal, de biker (remember The Boyzz). Le tout avec une nette attraction pour la Soul, pour la Motown que l'on retrouve dans l'utilisation de quelques chœurs bien dans le style, et les deux excellentes reprises que sont "I Wish It Would Rain" des Temptations et "Chain of Fools" d'Aretha. Ce dernier se classe dans les charts US mais les tronches des gars ne revenant pas aux cadres de MTV, jugeant aussi leur taux de tatouages excessif (en particulier pour le chanteur Ron Young) et leur fringues inadéquates, la chaîne limite drastiquement sa diffusion. On leur reproche même leur pilosité faciale (y-compris même des musiciens connus qui vont pourtant suivre le mouvement quelques mois plus tard...). Pour le coup, Geffen décide de ne pas financer de nouveaux clips pour les singles suivants, réduisant alors l'exposition du groupe à une époque où le clip vidéo est primordial. Et pour les gus de Little Caesar, pas question de passer au salon de coiffure, ou chez le barbier, ou de se faire relooker. Ils sont comme ils sont, dans la vie comme sur scène. Et ils resteront fidèles à cette éthique.
Si ce premier opus est indéniablement un très bon disque de heavy-rock bluesy, le suivant, "Influence" est un bond en avant. Une bombe qui, pratiquement trente ans plus tard, donne encore le frisson. Le nouveau producteur, Howard Benson, alors plutôt connu pour avoir bossé sur du lourd (T.S.O.L., Sepultura, P.O.D.), rend parfaitement justice à la musique du groupe. Mais il y a aussi l'arrivée d'Earl Slick, l'ancien guitariste de Bowie (1), qui semble avoir donné un petit coup de fouet au quintet. Ce qu'atteste l'entrée en matière, le pesant et hoquetant "Stand Up", corrodé par la wah-wah lavique de Slick.
Hélas, "You're Mine" tempère l'enthousiasme par son classicisme. Et "Turn My World Around" peut refroidir certains auditeurs aux esgourdes endurcies par des années de métal lourd ; tout comme "Ballad of Johnny", power-ballade aux parfums de blue-eyed Soul. Pourtant, cela fait aussi partie de l'attrait du petit César, cette aptitude de passer de heavy-rock'n'roll brûlant à de solides ballades baignées de Soul mais toujours un pied coincé dans une fiévreuse atmosphère Heavy-rock. Et surtout, éternellement préservées par la voix enfumée et éraillée de Ron Young, idéale manifestation d'un heavy-rock'n'soul . Que demande le peuple ? Dans le genre, "Ridin' On" a même toutes les qualités d'un hit en puissance. De quoi faire briller dans la nuit tous les briquets du public, et mettre à genoux tous les slows rock de l'année.
Pour les sensations purement rock'n'roll il y a aussi de quoi étancher sa soif. A commencer par un trépidant "Rum And Coke" à l'ambiance festive de débits de boisson "select" - du genre no cravate, no smoking, no bling-bling, no after-shave, no boys-band. "J'ai entendu dire que vous êtes allé de bar en bar hier soir. Alors vous avez perdu votre déjeuner sur Susie. Vous vous êtes battu, vous avez dansé sur les tables et roulé sur le plancher" ; ça sent le vécu. Ou bien "Ain't Got It", un heavy-rock crâneur, qui roule des mécaniques telle une petite frappe de seconde zone se prenant pour un coq de basse-cour. Et ce magnifique "Slow Ride" qui n'a rien à voir avec le classique de Foghat. Déception ? Oh que non, d'autant que - coïncidence ? - le boogie et le blues y sont aussi bien présents. Enfin, du moins dans une version disons sulfureuse, voire gentiment crapuleuse. Ode aux bagnoles confortables et à la conduite lente, cool, ou une coquine métaphore d'un acte sensuel, sexuel ? ? Et pas d'accélération ici car avant tout, comme le raconte Ron, « elle est conçue pour le confort. Elle est lente et facile. Elle est lente et c'est tout ce dont j'ai besoin. Et c'est une conduite lente".
Pour les excès de vitesse, il reste "Pray For Me", proche d'un Zodiac Mindwarp toutes griffes (négligées) dehors. Une pièce virulente dans la musique comme dans le texte qui cherche à titiller une partie de l'Amérique pratiquante et pas nécessairement tolérante. "... Et pardonne à nos transgresseurs comme nous pardonnons à ceux qui transgressent contre nous. Je ne comprends pas ! Mme Smith ... est un modèle de société, porte une croix, mais juste pour se protéger de son immoralité. Mais elle dit que je suis une horreur, que je brûlerai en Enfer pour toutes mes décorations... Priez pour moi, je ne m'intègre pas ... parce que j'ai l'air si sauvage"
Si dès le premier long-player, le groupe avait prouvé qu'ils étaient de bons musiciens, irréprochables dans leur approche d'un heavy-rock mâtiné de bitume, de bières et de Soul-music, avec cet album, ils ont en sus une arme secrète. Il s'agit évidemment d'Earl Slick. Sa longue expérience auprès de pointures internationales lui ont appris à contenir sa fougue et à être efficient. Terriblement efficace. Ainsi, ce tueur n'a pas besoin d'en faire des caisses pour clouer l'auditeur. C'est précis, catchy, efficace et franchement rock'n'roll. Il a le sens de l'effet au bon moment, utilisant ses quelques pédales - que l'on imagine réduite au minimum syndical - avec parcimonie et à l'instant crucial.
"Influence" rencontre un certain succès chez les amateurs du genre, généralement appuyé par la presse spécialisée, mais cela ne suffit pas à Geffen Records. D'autant que cette fois-ci, les singles ne parviennent pas à s'infiltrer dans les charts. Le groupe ne voulant pas faire de compromissions, le label les met dehors. Néanmoins, leur sort leur pendait au nez car Ron Young, avec son franc parler, ne s'était pas fait que des amis chez ces gens qui ont plutôt l'habitude que l'on abonde dans leur sens. Il faut attendre sept années pour qu'il y ait un nouveau chapitre, "This Time it's Different", qui reprend principalement des vieux titres réenregistrés. Mais ce n'est qu'en 2001 que Little Caesar reprend réellement vie, continuant désormais sa carrière sans rien attendre du show-business. Réalisant des disques à l'envie - et probablement suivant ses moyens -, continuant à se produire dans des salles modestes des Amériques, et parfois d'Europe, en restant fidèle à leur mordant et teigneux Heavy-rock'n'roll bluesy. Entre-temps, Ron Young a fait une brève carrière au cinéma, notamment dans une célèbre scène dans un film du box office au succès international : "Terminator II : Le jugement dernier". Ron apparaît dans la scène du bar de biker où entre le Terminator T-800 pour dégoter des fringues, des Ray-ban, un flingue et une moto. Ron "assure sa célébrité" en se faisant éjecter à travers la baie vitrée. 😄 Plus concrètement, il est recruté par Adrian Vandenberg et d'autres rescapés de Whitesnake pour fonder l'éphémère Manic Eden (👉 lien). Et il est ensuite appelé à la rescousse pour essayer de sauver The Four Horsemen (👉 lien) – dont le bassiste, Mike "Pharoah" Barrett, rejoindra la reformation de Little Caesar.
(1) Earl Slick, de son vrai nom Frank Madeloni, est né le 1er octobre 1952 à Brooklyn. Il écume assez tôt les clubs de New-York où il gagne une certaine réputation sans pour autant enregistrer un seul disque. Il obtient une reconnaissance internationale le jour où David Bowie l'engage en remplacement de Mark Ronson. C'est le début d'une riche où il va vendre ses services à des grands noms de la musique, tout en s'octroyant quelques virés en solo, où en intégrant des jeunes groupes de Heavy-rock. Comme Little Caesar, et juste avant Dirty White Boy, avec David Glen Esley au chant. Earl participe aux albums de Bowie de 1974 à 1976, et au-delà encore à diverses tournées. Il retrouve Bowie pour les albums "Heathen", "Reality" et The Next Day". Il joue aussi sur des disques de John Lennon, Yoko Ono, Ian Hunter, Tim Curry, John Waite, Jacques Dutronc (C.Q.F.D... utronc"), David Coverdale ("Into the Light"). Il est aussi du premier Box of Frogs, le groupe de vétérans Anglais (avec des anciens Yardbirds, Gallagher et Beck). Le temps de deux albums, il fonde avec l'ex-Stray Cats, Slim Jim Phantom, Phantom Rocker & Slick. En 1991, il bosse avec Michael Kamen pour deux bandes originales. Il se joint aussi aux New-Yorks Dolls de 2011 à 2014. Sous son propre, il réalise six albums studios qui méritent vraiment le détour.
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