jeudi 6 janvier 2022

ARTHUR LEE "Vindicator" (1972) par Benjamin

L’histoire d’Arthur Lee est d’abord celle de son groupe maudit. Fasciné par le rhythm'n'blues et le folk rock classieux des Byrds , Lee créa Love, qui signa vite un contrat avec Elektra. Love avait tout pour réussir, des influences dans l’air du temps, un compositeur du niveau de Brian Wilson, une maison de disques capable de propulser le groupe sur le toit du monde. La formation sort un premier disque divisant la critique, mais qui obtint assez de succès pour justifier l’enregistrement d’un second essai. Produit par Paul Rotchild, « Da Capo » flirte avec les mélodies plus raffinées du jazz, balaie les refrains innocents des Byrds pour partir vers des influences plus raffinées. Encore une fois, la critique est divisée, certains saluant cette nouvelle complexité pendant que d’autres regrettent la simplicité des débuts. Du coté des premiers fans, on accuse Paul Rotchild d’avoir corrompu le groupe, « Da Capo » se montrant bien moins puissant que ce que le groupe joue sur scène.

En concert, Love resta un grand groupe de rhythm'n'blues s’épanouissant dans de grandes digressions instrumentales. C’est d’ailleurs après avoir assisté à une de leurs prestations que les Stones enregistrèrent « Goin home », la grande improvisation refermant l’album « Paint it black ». Alvin Lee se fit alors piller une première fois, mais n’en eut probablement pas conscience. Love s’enferma rapidement dans une villa ayant appartenu à Bella Lugosi, un des premiers acteurs ayant joué le rôle de Dracula. Le groupe prit cette bâtisse pour son Olympe, elle devint vite une prison.  Sans cesse visité par une armée de parasites venus vendre leurs poisons, le groupe refusa vite de sortir de sa prison dorée, de peur de perdre ses fournisseurs. Elektra pouvait les envoyer faire le tour des Etats Unis pour promouvoir deux disques injustement boudés par le grand public mais Arthur Lee pensait que son talent suffirait pour obtenir la gloire.

Déçu par la décadence de ces musiciens junkies, Elektra commença à envisager de miser sur un autre cheval. C’est précisément à ce moment qu’Arthur Lee proposa à sa maison de disques de signer un jeune groupe dirigé par un poète Rimbaldien. Séduit par le charisme chamanique de Jim Morrison, le label mit vite le paquet sur les Doors. Soutenu par une promotion intense, le premier album du groupe de Ray Manzarek fit vite un carton. La puissance agressive des Doors ringardisait le psychédélisme classieux et gentillet dont Love était un des porte-drapeaux. Trop enfermé dans sa tour d’ivoire pour comprendre le virage que prenait le rock, Arthur Lee écrivit ce qui devint « Forever changes », un disque nourri de ses ressentiments et de ses déceptions. Malheureusement pour lui, Lee exprimait ses douleurs dans un vocabulaire musical très ancré dans les raffinés sixties. « Forever changes » est un bijou nostalgique, une superproduction rock digne des plus grandes œuvres des Beatles ou des Beach Boys.

Mais le public était passé à autre chose, rêvait désormais plus de poésie subversive et de refrains agressifs que de ces décors foisonnants. De plus, Elektra ne fit presque pas la promotion de ce grand disque, préférant concentrer tous ses efforts sur les Doors. Arthur Lee vécut cet échec comme une trahison, le groupe qu’il avait lui-même promu lui enlevait le pain de la bouche. Suite à une telle débâcle, la première formation de Love se sépara. D’autres musiciens vinrent alors poursuivre la triste histoire du groupe, mais leur leader semblait avoir mis tout son génie dans « Forever changes ». Après trois albums décevants, Arthur Lee abandonna enfin son groupe pour tenter sa chance en solo.

Sorti en 1972 , « Vindicator » est d’abord un hommage à Jimi Hendrix, avec qui Arthur eut l’occasion de jouer lors de quelques concerts de Love. Pour l’enregistrer, Lee réunit un nouveau groupe, qui fut censé enregistrer les premières démos. Les musiciens commencèrent à jouer, la sauce sembla prendre et 12 « démos » furent rapidement mises en boite. Une fois ses musiciens partis, Arthur écouta le résultat de cette célébration. Il fut si surpris par la qualité de ces prises, qu’il fut vite convaincu de ne pouvoir faire mieux. Il donna donc les bandes au label A & M, qui les publia telles quelles. Les musiciens ayant participé à ces sessions en voudront d’abord à Arthur pour avoir publié un travail qu’ils jugeaient inachevé. Quelques années plus tard, la plupart d’entre eux finirent par reconnaître que le chanteur avait eu raison.

[ photo : Jimi Hendix et Arthur Lee] « Vindicator » représente avant tout les dernières braises d’un feu allumé par l’Experience du grand Jimi. La voix semble venir d’outre-tombe, les riffs tels que celui de « Sad song » célèbrent le mojo éternel du blues, une guitare pleine de distorsion poursuit le voyage initié sur « Purple haze ».  Le swing Hendrixien est éternel, le hard blues n’aurait d’ailleurs pas existé sans lui. Mais, alors que les grands barons tels que Led Zeppelin et autres Deep Purple emmènent cette énergie voodoo vers d’autres nirvanas, Lee revient à l’essence même de ce qui fit la grandeur d’Hendrix. Il laisse ainsi résonner ses accords comme autant de détonations sismiques, fait décoller ses solos sur une rythmique que n’aurait pas renié le Hook, profite du boogie « He said she said » pour rappeler qu’il reste un grand amateur de rhythm'n'blues.

Si « Vindicator » salue surtout le Hendrix des débuts, les quelques touches funky de « He know a lot of good woman » flirtent avec ce groove qui inspira Sly Stone et Funkadelic. Avec cet album, Arthur Lee semblait enfin avoir accepté l’échec de Love. « Vindicator » montrait une facette plus brute de son génie, une hargne plus proche de son époque. Malheureusement, en 1972, une bonne partie de la critique tentait de réhabiliter « Forever changes ». Influencé par la découverte tardive de ce qui restera son ultime chef d’œuvre, elle lapida « Vindicator », le présenta comme un album simplet et passéiste. Détruit par ce nouvel échec, Lee reforma Love et sortit quelques albums indignes de son talent.

Quelques années plus tard, il fut emprisonné pour avoir tiré plusieurs coups de feu en l’air. A sa sortie de prison, le regain d’intérêt autour de Love le poussa à tenter une nouvelle résurrection. C’est malheureusement à ce moment que son médecin lui diagnostiqua une leucémie, ce qui l’empêcha d’honorer les concerts prévus pour la reformation de son groupe. Il se concentra donc sur la production d’un dernier album, qu’il n’eut pas le temps de terminer. Mort en 2006, Arthur Lee laisse derrière lui trois chefs-d’œuvre encore trop peu connus. Son parcours ressemble à celui d’un bluesman maudit, « Vindicator » s’imposant comme son King of the delta blues singer*.

* album de Robert Johnson.


1 commentaire:

  1. J'aime beaucoup le groupe LOVE, le spectre musical est très large, presque inclassable, à passer un swing jazzy à un flamenco, à du proto-hard, de la pop, du boogie... Le premier disque est un peu foutraque, mais de belles compositions (ça flirte parfois avec les premiers Stones), "Da Capo" monte d'un cran, bonne face A, faut quand même se taper les 18 minutes du titre en face B, jam boogie interminable, "Four sails" est vachement intéressant avec toutes ses ruptures de styles... et puis l'apothéose avec "Forever changes" qui est quoi... un des quatre ou cinq grands disques des 60's ?

    J'ai appris que Bobby Beausoleil avait été leur guitariste au début (le fou furieux qui a frayé avec la Manson family, et qui croupit depuis en taule pour meurtre... le mec était tellement défoncé qu'il s'est endormi dans la voiture de sa victime, avec le couteau qui avait servi à le trucider)

    Mais ce "Vindicator" quelle découverte ! "Everbody's gotta live" en est l'immense tube, j'ignorais que ça venait de là, et le reste est fameux, c'est vrai que le parfum d'Hendrix a dû flotter dans le studio. (je ne sais pas lequel des deux a repris "Hey Joe" en premier ?)

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