L'Œuvre testamentaire du Grand Albert
Albert Collins, est né le 3 octobre 1932 (le même jour que Stevie Ray Vaughan 3.10.1954) à Leona, Texas, et décédé le 24 novembre 1993, au Nevada.
Albert Collins était un personnage à part entière. Non seulement par son attitude et son paraître, mais aussi par sa musique. Bien qu'il ait toujours clamé haut et fort l'influence de ses maîtres, Albert fait encore partie, presque vingt ans après son décès, des musiciens exceptionnels nantis d'une personnalité forte, dont on reconnait immédiatement la patte dès les premières notes. A cet effet, Gary Moore à qui un journaliste demandait s'il n'était pas trop difficile, pour un guitariste comme lui, de jouer avec un guitariste de Blues à la technique limitée, répondit sèchement à peu près dans ces termes : "La technique n'a strictement rien à voir ! Toute la technique du monde ne m'aiderait pas à atteindre le feeling que peut dégager un artiste tel que Collins. On peut acquérir de la technique, jouer très vite, mais ce n'est pas ce qui permet d'acquérir le feeling. (.../...) Comment peut-on penser de telles choses ?"
Voilà, Albert Collins, par son travail, sa persévérance, sa foi, sa sincérité, et un énorme feeling, a su gagner l'admiration non seulement de ses pairs, mais également de toute une intelligenstia Rock. Car il fallait le voir jouer sur scène, comme un diable sorti de sa boîte, l'air mutin, tirer des sons claquant et percutant de sa Telecaster, et séduire la foule par sa vigueur et son authenticité.
Pourtant, pour lui aussi, la route fut longue et pénible.
Résidant au Texas, il y découvrit ceux qui lui permettront de forger son style ; à savoir Clarence "Gatemouth" Brown, T.Bone Walker, Guitar Slim, B.B. King, Bob Wills, John Lee Hooker, un certain Jimmie Lunceford, et son cousin Lightnin' Hopkins. Ce dernier lui apprit les premiers rudiments de la guitare, avec en prime un accordage en open tuning.
C'est après avoir vu Gatemouth jouer sur une Fender Esquire qu'il adoptera ce modèle, auquel il rajouta un Humbucker en position manche (L'Esquire est une Telecaster avec un seul micro, simple mais puissant, placé en position chevalet). A cette époque, très peu de bluesmen utilisaient ces modèles généralement assimilés à la Country. Durant les années 50, Albert partit aux quatre coins de l'état du Texas, écumant tous les clubs et boîtes, parfois mal-famés et mal fréquentés, qui acceptèrent de donner la chance à ce trio, The Rhythm Rockers. Ce serait durant cette période difficile, lors d'un retour sur Houston de nuit, que le givre ou la buée sur le pare-brise lui aurait donné l'idée d'un concept adapté aux sonorités qu'il déploie sur ses compositions, alors instrumentales. Freeze, Frosty, Frosbite, autant d'adjectifs qui reviendront dans ses compositions et pour baptiser ses futurs albums ; plus un surnom : the Iceman. En homme avisé, ou visionnaire, Albert créa un concept comme une publicité facile à retenir, avec une légende qui donna du grain à moudre aux journalistes.
Premier enregistrement en 58, sur Kangaroo, avec l'instrumental rythm'n'Blues "The Freeze", et premier petit succès local. En 62, dans le même genre, le classique "Frosty".
Mais le succès tarde à venir. La communauté afro-américaine commençe à tourner le dos au Blues, reflet d'un passé douloureux, pour aller vers un Rhythm'n'blues et surtout une Soul pleine d'espérance, et surtout plus légère et insouciante. Tandis que la grande majorité des Blancs ne connaissent que la version "pâle" du Blues, notamment à travers l'émergence du British-Blues et quelques allumés californiens. Heureusement, certains de ces visages-pâles n'étaient pas des ingrats et voulurent renvoyer l'ascenseur. Pour Collins, ce fut Bob Hite de Canned Heat qui le produit en 67 (l'album "Love can be found Everywhere" pour le label Imperial). Puis le Fillmore qui lui ouvrit grand ses portes. Pourtant, malgré les critiques qui lui firent bonne presse, les ventes restèrent modestes. Il faut dire qu'à l'époque, dans cette Amérique puritaine, rares étaient les musiciens de Blues à récolter comme il se devait les fruits de leur labeur. Même Hendrix dut s'expatrier un temps en Angleterre, avant de revenir en vainqueur. Collins récupéré un temps par des jeunots a eu du mal à s'intégrer à la mentalité hippie.
Pendant de longues années il continua bon gré mal gré sa carrière en écumant les clubs et les festivals de Blues. Dans un sens, cela lui permit d'affirmer son style bien particulier.
Enfin, un bienfaiteur, un passionné, désolé de voir tant d'artistes qui ne pouvaient enregistrer leur musique, décida de créer son propre label. Il s'agit bien entendu de Bruce Iglauer, qui fonda Alligator en 1971. Jusqu'alors limité au Chicago-blues, Iglauer, une fois la position de son label relativement stabilisée, voulut étendre son périmètre de « sauvetage ». Il débuta en signant Collins. Ainsi en 1978, le manifeste "Ice Pickin'" vit le jour. Un de ces grands albums de Blues que toute discothèque un tant soit peu sérieuse se doit d'avoir. Le premier grand album du Grand Albert. Son Blues est à la fois terriblement Funky tout en ayant une sonorité penchant plutôt vers le rock, avec des cuivres qui apportent une touche Soul. C'est immense. Il a quelque fois été dit/écrit qu'Albert avait contribué à faire un pont entre le Blues et le Rock, en amenant un public donc plutôt Rock à s'intéresser au Blues. C'est à dire qu'il fallait voir ce diable là se mouvoir sur scène, une énergie salvatrice et bienfaitrice irradiant de sa sympathique personne, et une bonne humeur communicative.
Après des années de doutes, Collins était enfin récompensé. L'album fut nominé aux Grammies Awards, et reçut la distinction de meilleur album Blues de l'année au festival de Montreux. C'était le début d'une période dorée. Les disques qui suivirent furent tous auréolés de succès (et souvent parmis les meilleures ventes du label Alligator). Collins et ses Icebreakers parcoururent le monde, et leur popularité leur permit désormais de jouer en Europe et au Japon (avec la concrétisation d'un enregistrement live, « Live in Japan », aux petits oignons). En 1985, enfin, il gagna un Grammy Award, pour l'album "Showdown". Disque fait en collaboration d'égal à égal, avec Robert Cray (avec qui il joua dès 71) et Johnny Copeland (qu'il aurait connu enfant). Néanmoins, l'aura de Collins est telle qu'il leur rafle la vedette.
Sa popularité enfle, aidée par des concerts toujours denses, où jamais Collins ne fait défaut.
Car Collins, au delà de compositions intemporelles d 'une classe magistrale, c'est un Son et une Voix. Un son de Telecaster (d' Esquire à ses débuts) immédiatement reconnaissable, dû en partie à son utilisation du capodastre (idée empruntée à Gatemouth Brown), qu'il déplace suivant ses besoins, lui permettant de jouer en accord ouvert (ré-mineur) à l'aide de paluches qui percutent et frappent plus les cordes qu'il ne les pincent. Le diapason étant raccourci par le capodastre, les notes perdent en sustain, au profit d'un son plus sec et claquant. Le style est nerveux et cinglant, avec une puissance sous-jacente. Un sustain travaillé aux doigts, en triturant avec force et vivacité ses cordes (bend, vibrato). D'où un jeu inimitable donnant une impression de puissance naturelle (pas d'autre effet qu'un peu de réverbe de l'ampli) et de vitalité, qui font penser à un diable coquin sorti de sa boîte. Collins avait fait remplacer le micro manche par un Humbucker pour avoir plus de puissance, et réduire les fréquences parasites. La voix n'est pas en reste. S'il n'est pas à proprement parler un de ces fameux blues-shouters (il a d'ailleurs longtemps hésité à chanter), si son registre est certes un peu limité, la force, la conviction et la sincérité qu'il met dans son chant profond, grave, légèrement éraillé et chaleureux, permettent de séduire aisément l'auditeur le plus pointilleux.
A l'aube des années 90, quelques désaccords s'immiscent entre Iglauer et Collins, ce dernier désapprouvant le mixage de certains disques. Le torchon brûle et en 1991, Collins signe avec l'antenne Blues de Virgin, Point-Blank. Toutefois, n'oubliant pas tout ce que lui a apporté Iglauer, il lui propose de l'accompagner dans l'espoir que Virgin lui offre une distribution qui a toujours fait défaut au label. Bruce, par fierté, mais également par crainte qu'Alligator perde son indépendance, refuse toute rencontre.
Un premier disque est rapidement enregistré et édité : "Iceman". Les retombées, en terme de ventes, sont mitigées, du moins en dessous des attentes du nouveau label. Les fans de la première heure bouderont plus ou moins le disque, jugeant parfois la production trop policée, FM (aujourd'hui, en comparaison avec d'autres productions, ces propos prêtent à rire). On leur a volé « leur » Albert Collins. Toutefois, à leur décharge, il faut bien admettre que la Telecaster est un peu moins percutante. Cependant la distribution, plus « professionnelle » et plus large, permet de faire découvrir un immense talent à un public plus vaste.
Point-Blank/Virgin a bien compris le problème. Depuis son dernier album studio, Cold Snap (réalisation assez moyenne, elle avait reçu un accueil mitigé), l'Iceman était absent du marché du disque depuis cinq ans. Sans compter que sa distribution hors des frontières américaines, avait été pratiquement inexistante.
Point-Blank décide de frapper un grand coup. Soucieux de donner de l'envergure à la carrière de cette légende du Blues (il avait le soutien d'un ponte du label, fan de Blues, John Wooler), il propose à Albert de réenregistrer une partie de ses meilleurs titres, compositions personnelles et reprises compris (d'où le sous-titre « The Best Of »).
En fait, on peut légitimement subodorer que, comme il était dans l'impossibilité de réaliser concrètement un Best-Of parce que les bandes originales appartiennent au label Alligator, Point-Blank/Virgin a contourné le problème avec la solution de tout simplement réenregistrer des « succès » ayant émaillé la carrière du maître. Du moins celle d'Alligator. A savoir que nombre d'enregistrements précédents ont souvent servi de matière ou encore ont été réenregistrés, réarrangés pour le label de Chicago (comme pour Don't Loose Your Cool, Frosty, Frosbite).
Néanmoins, Collins Mix n'est pas vraiment un Best Of. Plutôt un résumé, car malgré une discographique restreinte en comparaison de sa longue carrière, il faudrait bien trois CD pour pouvoir produire un Best Of digne de ce nom. Collins a rarement enregistré des titres moyens. Pas vraiment une relecture, non plus, même si parfois les cuivres peuvent être légèrement plus présents, tout comme l'orgue. Pour parfaire le projet, on lui adjoint Jim Gaines (déjà présent sur le 1er album de la maison) à la production, alors très en vogue dans le secteur du Blues et du Blues-rock.
Le résultat, pour l'époque, est énorme. La définition de l'enregistrement est irréprochable et nous offre ainsi une restitution presque totale (autant que faire se peut) toute la puissance percutante et la tessiture de la Telecaster modifiée et de la voix de Collins. Justice est rendue à ce maître.
Sans omettre l'orchestration qui n'est jamais couverte par le maître de cérémonie. Que ce soit la basse, la batterie, l'orgue ou les cuivres, tout est parfaitement discernable et aligné.
On retrouve quelques invités de marque (très courus dans le Blues en ce début des 90's, depuis le succès de « The Healer », l'album qui relança au-delà de toute espérance la carrière de John Lee Hooker) comme BB King (précédente collaboration sur « Blues Summit »") qui croise le fer sur l'instrumental enlevé, la vieille scie « Frosty », Kim Wilson à l'harmonica sur le blues paresseux « Tired Man », Gary Moore pour un superbe solo sur le troublant « If Trouble was Money » (Moore adorait Collins et l'avait invité à l'accompagner sur sa reprise de « The Blues is Alright » sur «Afters Hours », et sur « Too Tired » sur «Still Got the Blues »). L'irlandais paraît totalement hypnotisé, tirant des notes tendues et nerveuses comme s'il était prêt à broyer le manche de sa LesPauL sous la pression de sa main en alerte. On le sent se contenir pour ne pas exploser dans un déluge de notes libératoires (ce qui aurait immanquablement gâché la pièce). On retrouve également l'ancien lieutenant de John Mayall, Coco Montoya, pour la plupart des titres en guitare rythmique, et les Memphis Horns. Doit-on aussi préciser que l'excellent et fidèle Johnny B. Gayden, officie à la basse ? Sans oublier à l'orgue Hammond B3, (Collins l'aimait tant qu'il aurait voulu en jouer), Ernest Williamson, sidemen de choix (BB King, Larry Garner, Deborah Coleman, Arthur Adams, Luther & Bernard Allison).
Huit titres sur onze sont de sa plume, et un de sa femme, Gwen. Les deux dernières chansons sont de nouvelles compositions, et non des moindres, car elles ne font point grise mine à côté de ces grands classiques.
Un indispensable d'Albert Collins, même si l'on a déjà les dix versions originales. Je n'aime pourtant pas les « Best Of », mais je changerai volontiers d'avis s'ils étaient tous de cette teneur.
Sa fidèle Telecaster customisée est désormais bien seule. |
La stratégie a été payante. Cet album fera un carton, hélas, Albert ne pourra pas récolter les fruits d'une plus large reconnaissance tardive (qui aurait pu le hisser à la hauteur d'un Buddy Guy ou d'un John Lee Hooker - tous deux en pleine ascension médiatique), car c'est aussi malheureusement une œuvre testament. Collins est atteint d'un cancer du foie qui a raison de lui en à peine trois mois. Il décède le 24 novembre 1993, alors en pleine consécration.
La perte est de taille, car Albert Collins est indéniablement un monument du Blues irremplaçable.
Ce Collins Mix demeure une très bonne entrée en matière pour le néophyte qui souhaite s'initier au blues particulier d'Albert Collins.
Sinon, il y a encore le Deluxe Edition, véritable compilation de la carrière Alligator, profitant d'une très bonne remasterisation (pourquoi ne fait-il pas de même pour les cinq disques studio ?).