mercredi 17 novembre 2021

Jimmy BARNES "For The Working Class Man" (1985), By Bruno



     En Australie, il était déjà une star incontournable. Certes, pas autant que Billy Thorpe, qui avait déjà bien plus de bouteille, ni de John Farnham. Totalement inconnu en Europe, ce dernier a pourtant eu droit à sa statue - de son vivant - (à Melbourne). Mais bon, dans le genre Rock insipide et Pop de bonne famille, on a fait mieux. Billy, lui, pourtant bien plus intéressant, n'a eu droit qu'à une stèle à Sunbury, lieu de festivals dans les 70's. La plaque de bronze ayant été volée, il ne reste plus qu'un vulgaire bloc de granit.


   Mais revenons à nos moutons (australiens). Jimmy Barnes donc, puisqu'il s'agit de lui, a déjà acquis une réputation envieuse grâce à ses années au sein de Cold Chisel. Formation formé en 1974 sur les cendres d'un groupe de reprises, qu'il rejoint alors qu'il n'a que 18 balais et des poussières. Jimmy en avait rapidement soupé de la chaleur éreintante et des cadences de travail  de la  fonderie où il travaillait, et préféra tenter sa chance en devenant chanteur à plein temps. En dépit d'une bonne réputation scénique, la route est longue et ardue - "it's a long way to the top", et le premier disque de Cold Chisel ne sort qu'en 1978. Le succès est croissant, et "East", le troisième album, fait un carton, établissant définitivement le groupe parmi les formations incontournables de l'île-continent. Cependant, depuis les débuts, Barnes entretien des relations tumultueuses avec ses collègues. Il quitte plusieurs fois le groupe, laissant alors Ian Moss gérer seule la guitare et le chant. Toutefois, jamais satisfait des expériences réalisées lors de ses escapades, il finit toujours par réintégrer sa place au sein du groupe d'Adelaïde. Finalement, en 1984, malgré un nouveau succès avec "Twentieth Century" (cinquième album et un triomphe qui reste limité au Commonwealth du Pacifique) qui se classe en tête de liste des meilleures ventes du pays (tout comme le précédent), il remercie ses camarades et met un terme à une aventure de pratiquement dix ans, pour entamer une carrière solo. Suivre sa route et être maître de ses choix musicaux ; ça sent la frustration.

     Plein d'énergie, il ne se perd pas en interrogations et conjectures, et sort dans l'année un premier effort solo. "Bodyswerve" est remarquable par bien des côtés et doit finalement laisser perplexe ses anciens collègues de Cold Chisel. Peut-être bien qu'ils se demandent s'ils n'ont pas fait une connerie en le laissant partir, et en n'ayant pas laissé plus de place à ses compositions, car son album regorge de pépites. D'ailleurs, sur "Circus Animal", c'est son teigneux "You Got Nothing I Want" qui booste les ventes. Et les journalistes de réagir, de s'interroger sur l'incohérence d'un Jimmy Barnes apparemment freiné, ou peu sollicité pour l'écriture, alors qu'à chaque fois, ses rares compositions retenues sont de purs joyaux de Heavy-rock'n'roll en puissance. Auparavant, il y a eu "Juliet" et surtout les décoiffant "Rising Sun" et "Temptation".


   Là, avec "Bodyswerve", Jimmy Barnes confirme ce que supputait la gent journalistique aussie. Qu'en lui donna plus d'espace, le meilleur ne pouvait qu'arriver. Et pas qu'un peu puisque ce premier disque solo fait mieux que tous les Cold Chisel réunis. Vrai. Même si encore aujourd'hui, on trouvera plus facilement une galette du quatuor d'Adelaïde dans les playlists qu'un seul d'une discographie pourtant plus généreuse, de l'Australo-écossais. Notons au passage que le disque ne sera jamais disponible autrement qu'en import, tant bien même qu'il fut "number 1". Les gars de Cold Chisel ont dû faire la tronche. Barnes désormais affranchi de toutes contraintes, libère son énergie et chante comme s'il était assis sur des charbons (h)ardents, poussé dans le dos par un rock rugueux, proche du Hard-rock endémique, et aussi par une forme de Rock US, un poil FM mais assez musclé. Et surtout, restant sincèrement organique. Il embauche d'ailleurs un second guitariste pour charpenter sa musique, lui procurer une tonalité plus "hard".

     Fort de ce premier succès, le label australien, l'incontournable Mushroom Records, ouvre le porte-monnaie et met sur le coup divers musiciens et producteurs. Mark Opitz déjà présent sur le premier ( producteur de The Angels et de Cold Chisel) est rejoint entre autres par Jonathan Cain, le claviériste de Journey qui fait ici bien mieux qu'avec sa bien jolie dulcinée (Tané M. McClure et son disque insipide "Tané Cain"). Il écrit "American Heartbeat" et surtout "Working Class Man". Cette dernière, énergique et revendicatrice, bien loin de l'univers policé de Journey, va rapidement devenir un titre emblématique dans lequel va se retrouver une partie de la classe ouvrière australienne. Les paroles sont pourtant d'une simplicité confondante, - et s'adressent avant tout aux américains "Il a fait son temps au Vietnam, et est en colère contre l'oncle Sam" -, néanmoins, l'engouement de Barnes qui chante avec ses tripes, comme s'il était saisi par une empathie avec le prolétariat, comme s'il ressentait et connaissait les peines et les doutes assaillant l'ouvrier éreinté par des années de dur labeur, est communicatif et saisissant. D'autant que le ton de la chanson est un poing fièrement levé, apte à faire redresser l'échine de l'ouvrier fourbu.

   "American Heartbeat", superbe et fringante road-song, est par contre un morceau aguicheur, fait pour séduire les Yankees. Il est certain que l'on cherche à frapper un grand coup, et exporter l'ami Jimmy, en particulier sur le marché juteux de l'Amérique du Nord. On sort les plus beaux atours et l'artillerie de pointe. C'est en ce sens qu'il a été demandé à des musiciens et compositeurs ayant déjà fait leurs preuves, de prêter leur talent. Ainsi, en plus des deux pièces de Cain, il y a cette pépite de rock sec et tendu qu'est "I'd Die to be with You Tonight". Une composition de Chas Sandford. Un homme de l'ombre qui a déjà travaillé pour Bette Midler, Sammy Hagar, John Waite, Rick Springfield, Kim Carnes (que l'on retrouve ici aux chœurs) et Tané Cain (le monde est petit). Puis "Ride the Night Away" de Steven Van Zandt. Là, c'est Springsteen qui a dû faire la tronche. Troisième single de l'album, avec Charlie Sexton et Mike Fleetwood en mercenaires de luxe. Une chanson qui respire l'agitation emplissant les rues des vendredis et samedis soirs, au moment où la perspicacité de simples moments de plaisirs, de détente et de libertés à venir, annihile l'épuisant stress d'une semaine. Little Seven la récupérera pour son album "'Soulfire" de 2017, où il reprend des chansons qu'il a écrit pour autrui. 

Pochette de la version destinée à l'exportation

 Une cinquième chanson, "Without Your Love", est écrite à deux mains, par Barnes aidé de Tony Carey, le claviériste à la carrière éphémère au sein de Rainbow et auteur de quelques intéressants disques solo. Une sympathique ballade, reposant essentiellement sur le piano et des nappes de synthé ; néanmoins elle est un peu écrasée par une batterie robotique et surdimensionnée.


 Se succèdent ensuite sept pièces de feu, du Heavy-rock gorgé de Soul déchirée et de rage contenue. En fait, ils ne se sont pas em... embêtés. Ils ont tout simplement repris les chansons de l'album précédent, celles signées par Barnes, en les soumettant à un nouveau mixage. Mettre toutes les chances de son côté, et réduire donc les prises de risques. On reprend donc quasiment le meilleur du premier album, et on rajoute un lot de très bonnes chansons concoctées par du personnel expérimenté et compétent. Plus qu'une recherche commerciale - même si forcément - ce n'est qu'une opération faite pour lancer sur la scène internationale, un chanteur, auteur-compositeur, accessoirement guitariste, qui en a l'aptitude. En studio et encore plus sur scène. Son élément, où il trempe littéralement la chemise, prenant des bains de foule, se donnant sans compter. Il convient de rappeler ici que ce genre de procédure n'est pas une première, qu'elle a déjà été utilisée pour d'autres groupes australiens, et non des moindres.

     Etonnamment, il n'y a pas vraiment de différences de style, de tessiture et de tonalité entre les chansons de Barnes et celles composées à son attention. Peut-être que les compositeurs ont fait en sorte de coller à la teinte générale dégagée sur "Bodyswerve" ; à moins que simplement ce ne soit le fait de la forte présence de Barnes. On peut juste relever que sur les morceaux suivants, la production semble ne pas s'embarrasser de claviers et d'overdubs. C'est plus direct. Avec deux petites exceptions où Barnes paraît essayer d'entrer en résonnance avec ses souches écossaises (Jimmy est né en Ecosse, et l'a quittée à l'âge de cinq ans - bien plus tard, lors de commémorations, on le verra aborder le kilt). D'abord avec "Vision" et ses cornemuses qui éclaircissent ce Rock carré, et ensuite avec "Thickskinned" et sa mandoline qui injecte une couleur celtique (ou Irlandaise). Rude ballade évoquant Nazareth, autre groupe Ecossais doté d'un chanteur à la voix particulièrement écorchée...  Même sur les ballades (en général), Barnes fait péter les plombs, car c'est un gueulard qui chante comme s'il devait expulser les mots du fond de son être, comme si sa musique électrifiait son cortex cérébral.

   Sinon, c'est franchement Rock'n'roll couillu, du genre heavy avec cette paire de guitares qui savent être mordantes sans jamais trop en faire. Un lot de chansons à l'allure de "best of", à commencer par "No Second Prize". Une master-piece qui ouvrait pertinemment la version européen du présent album. Premier single de Barnes, elle avait été composée du temps de Cold Chisel, en hommage à deux roadies du groupe, décédés d'un accident de la route, mais jamais enregistrée (encore une gageure...).  Jimmy en a fait un petit hit "J'ai entendu parler d'une personne qui avait le cœur brisé. Sans rien pour l'en sortir, aucun espoir, aucune étincelle, aucune flamme. Il ne pouvait plus rien voir car les larmes l'aveuglaient. Il gardait out à l'intérieur, la culpabilité et toute la douleur... "


 A la différence de l'édulcoré "Without Your Love", "Promise Me You'll Call" est une ballade de Power-soul, bien appuyée pour ne pas dire martelée - sur ce morceau, on ne sait pas trop si le batteur s'escrime à taper la mesure ou à cogner à la hache XXL du bois dense -. "Boys Cry Out for War" est un marteau-piqueur creusant une tranchée dans un gros et épais Hard-rock, tandis que "Daylight" creuse lui, son sillon dans un funk lourd et moite, brutalisé par une paire de serial-riffer se servant de leur gratte comme d'un coupe-choux. Autre single et honorable succès de ce début d'année 85. 

   Final sur le furieux "Paradise", ardent Rock'n'Roll à l'allure de dragster laissant derrière lui une traînée de gomme, de fumée et de flammes.

     La version réservée à l'exportation européenne et américaine (pochette bleue ci-dessus), présentée sous le titre de "A Week Away from Paradise", et plus tard sans titre, aligne les chansons dans un ordre totalement différent, mélangeant les compositions de Barnes et celles d'autrui. La version australienne était présentée sous la forme de deux disques ; le premier réservé aux nouvelles compositions, le second aux anciennes de Barnes remixées. C'est celle qui est actuellement disponible en CD (avec un livret réduit au strict minimum). 

     On pourra toujours avancer que finalement, ça reste assez classique - nous sommes en 1985 et depuis il y a eu des imitateurs -, que ce serait une forme de Bob Seger à la sauce épicée australienne, voire du J. Geils Band branché sur du triphasé, du Inmates fusionné à AC/DC, d'un Bryan Adams qui aurait fait ses classes avec les Aztecs de Billy Thorpe, mais rarement un disque de Rock - relativement puissant - aura cette capacité de mettre du baume au cœur et de faire lever les culs. Coup de mou, de fatigue, ou de lassitude ? Rien de mieux que ce "For The Working Class Man" ! Effet immédiat garantie et sans effet secondaire. Testé depuis plus de trente ans (oups !) par le docteur Bruno. Si cela ne vous fait rien, alors pas de panique, c'est que vous êtes mort. Au pire, vous avez les esgourdes anesthésiées par des années d'écoutes assidues de produits synthétiques vantés par les radios.


     Rien d'étonnant à ce que ce disque figure dans le livre - australien - "The 100 Best Australian Albums". Cependant, le classement opéré par les auteurs de ce recueil est assez étrange. En effet, "Highway to Hell" 53ème, "Rose Tattoo" 102ème (?), "Face to Face" 69ème, des "Best of" dans le classement, pas de "Black Bruyed Eyes", ni de Kings of The Sun 😡, de Noiseworks ou de The Casanovas, et par contre... un Kylie Minogue !!?! 😱😭 Une plainte a été déposée...



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✋ et avec Cold Chisel  👉 "The Percfect Crime"  (2015)

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