mercredi 3 novembre 2021

BLACK SABBATH "Sabbath Bloody Sabbath" (1973), By "Black" Bruno

 

     En pleine période de Samhain - ou d'halloween -, quoi de mieux qu'un petit Black Sabbath ? Néanmoins, plutôt que d'écrire une bafouille sur un de leurs grands classiques, ou du moins considérés comme tels, on préférera se tourner vers un des disques des Brummies aujourd'hui quelque peu mésestimé. Parfois même oublié. A savoir qu'en dépit d'une fin de décennie tumultueuse, incertaine pour le quatuor, aucun des disques des années 70 de l'un des fondateurs du Heavy-metal, source inépuisable du Stoner et du Doom, n'est à négliger. Aucun, même le plus honni. 

Black Sabbath 1973

     Pour mémoire, Black Sabbath fait partie du club anglais extensif des groupes du royaume les plus vilipendés par la presse, descendus dans des termes souvent proches du sadisme et de l'injure, mais ovationnés par les foules. Ainsi, en dépit d'une presse condescendante et méprisante, le premier opus, sorti en 1970, parvient à se faufiler dans le "top 10" de quelques pays européens et à se faire remarquer en Amérique-du-Nord. Le suivant, sorti la même année, grimpe en pôle position des charts britons. En deux années et quatre albums, Black Sabbath s'impose comme un groupe phare. Un gros vendeur de galettes et une formation apte à remplir les salles. Cela au grand dam de la la presse qui ne comprend pas cet engouement, le nie même, allant jusqu'à considérer les amateurs comme des attardés...

     Si l'argent ne rentre pas directement dans les poches des musiciens, mais plutôt dans celles de leur manager, ces authentiques prolétaires qui, deux ans auparavant, voyaient encore leur avenir aussi sombre que les cieux de leur black country, ont pu s'offrir une voiture (ou deux) et accéder à la propriété. Ozzy en profita même pour reloger ses parents. Le revers de la médaille est un épuisement total des musiciens, en raison de deux années d'activité incessante entre le travail de composition, la route, les studios et les interviews. Tout en essayant tant bien que mal de conjuguer le tout avec un semblant de vie sociale et familiale (Ozzy est déjà marié et Tony va l'être dans l'année). Mais pour le management, il faut battre le fer tant qu'il est chaud, ou plutôt presser le citron jusqu'à la dernière goutte...

     Alors, on envoie tout ce petit monde à Los Angeles, dans le même studio que pour le précédent album, "Volume 4". Seulement, entre la fatigue accumulée et les excès en tous genres que peut offrir aisément la "ville des anges", l'inspiration semble tarie. Enfin, surtout celle de Tony Iommi, car à cette époque, chez Black Sabbath, tout part d'un riff. De plus, Ozzy souffre de maux de gorge chroniques l'empêchant d'être assidu aux séances- il a parfois été avancé que ce n'était qu'une excuse, la cause réelle étant une forte consommation de drogues et d'alcool -. Au bout de près d'un mois perdu - pour la maison de disque et le management -, c'est le retour en Angleterre, à la campagne, loin de toutes tentations et perturbations extérieures néfastes. Direction le Gloucester, au château de Clearwell, dans la forêt de Dean. Vieille bâtisse du XVIIIème siècle mais dont les fondations remonteraient aux alentours du XIIème siècle. On dit le lieu hanté, et Ozzy en aurait fait la mauvaise expérience : pendant son sommeil, un charbon aurait sauté de la cheminée et embrasé la chambre. Ozzy, à demi asphyxié n'en réchappe que de justesse. Une excuse acadabrante pour masquer une de ses énièmes conneries ? Quoi qu'il en soit, alors que tout le monde a été réveillé par le vacarme causé par l'incendie, quelques uns aperçoivent un étranger dans un couloir rentrer dans une chambre. Ils se précipitent dans la pièce, qu'ils trouvent vide.  👻

   Ces évènements ravivent l'inspiration du gaucher de Birmingham qui pond la première ébauche de ce qui va devenir "Sabbath Bloody Sabbath". Et, parallèlement, va éveiller sa curiosité pour le paranormal. Pour le groupe, c'est le riff qui a sauvé Black Sabbath. A partir de là, le groupe se libère de sa sclérose et les compositions fusent. Même Ozzy apporte une sérieuse contribution avec son "Who Are You". La finalisation se fait à Londres, dans les studios Morgan. Où Yes enregistre son  "Tales from Topographics Oceans". C'est l'occasion d'inviter le mage Rick Wakeman - qui a besoin de prendre l'air, - l'entente avec les autres membres n'étant plus au beau fixe - pour apporter sa science des claviers à la musique lourde et sombre du Sabb'. Il en résulte "Sabbra Cadabra".

     "Sabbath Bloody Sabbath" marque non pas un tournant mais une évolution du groupe, qui cherche à s'extraire d'un carcan qu'ils craignent restrictif. Bien qu'à la base, la musique est peut-être encore plus "Métôl", plus tranchante - comme un sabre sale et tâché de rouille, au fil dentelé par l'usage -, dénuée de ses derniers oripeaux du Blues, l'album s'ouvre à de nouvelles sonorités et expérimentations. Les claviers font une entrée en force, et rien à voir les accalmies champêtres précédentes de "Solitudes" et "Changes". Cette fois-ci, ils sont incorporés dans l'artillerie lourde. Iommi voulait aussi inclure de la cornemuse, mais impossible d'en sortir un son convenable. Cette ouverture salutaire amène cet album à être considéré comme l'un des premiers de Metal-progressif, sinon le premier. Quoiqu'à ce niveau, Deep-Purple et Uriah-Heep avaient largement un train d'avance.

     Le fameux et salutaire "Sabbath Bloody Sabbath" n'aurait rien de particulièrement extraordinaire s'il n'y avait ces breaks boisés et rafraîchissants, contrastant franchement avec l'écrasante lourdeur pré-Stoner. Une lourdeur prenant des airs de bitume brûlant sur la seconde partie avec un Ozzy qui se casse la voix sur des aigus écorchés qui vrillent le cerveau. Ce serait le tristement célèbre et tragique évènement du 30 janvier 1972, le "Bloody Sunday" où les militaires de la couronne ont tiré sur des civils irlandais, faisant vingt-huit victimes (dont quatre touchés dans le dos et deux écrasés par les blindés), qui aurait inspiré Geezer Butler pour les paroles. Si "A National Acrobat" ne s'embarrasse pas de détails en reprenant la base du riff du titre précédent, en en ralentissant juste le tempo, sa seconde partie est plus intéressante. Spasmes de Hard-blues bitumeux gonflé de wah-wah abrasive, seulement coupés d'un break relativement lyrique avant d'une mettre une couche supplémentaire "... Souviens-toi juste que l'Amour c'est la vie, et que la haine, c'est vivre la mort. Traitez  votre vie pour ce qu'elle vaut et vivez chaque souffle... En regardant en arrière, j'ai vécu et appris.. Ici, j'apprends et devine ce que la prochaine vie apportera".


  Tony Iommi ne manque pas à sa tradition des instrumentaux aux parfums bucoliques et féériques. Paradoxe au milieu de ces flots sauvages de sombre Heavy-metal. "Fluff"  étonne par son aptitude à émouvoir malgré son évidente simplicité. Piano en petite pluie éparse, guitare folk d'une journée paisible où les fées et les lutins édifient quelques fragiles temples à Gaïa, et guitares nostalgiques cherchant l'oubli dans la beauté du brouillard. Peu après la sortie de l'album, Iommi se mariera au son de cette composition.

   Après ce long interlude boisé, en comparaison, quand surgit "Sabbra Cadabra", on croirait que quelques sorcières grimaçantes organisent un conclave où sont conviés gnomes, kobolds, Sylphes, salamandres, follets et autres ondines. La voix trafiquée d'Ozzy renforce cet aspect de fée carabosse haranguant son auditoire. Le piano de Rick Wakeman, n'intervenant qu'en seconde partie, apporte un chouia de Rock'n'roll opportun sur lequel Iommi prend quelques accents propres à Leslie West.

   La seconde face débute sur "Killing Yourself to Live", un pur morceau de Hard-rock carré, ponctué d'une guitare passée dans un tremolo prononcé, évoquant celui d'Halo of Files" de l'Alice Cooper Group. On notera que le pont servira de terreau à de nombreux groupes américains friands de "gros sons", dont Van Halen. Une fois encore, le travail de Bill Ward est exemplaire. Batteur aujourd'hui un peu oublié, éclipsé par ses remplaçants, son travail sur les huit premiers disques du Sabb' est pourtant déterminant, sinon exemplaire. Sa force de frappe, couplée à une certaine souplesse, presque jazzy (1), a parfois évité au groupe de glisser dans une mare boueuse étouffant toute subtilité, d'être entraîné vers un univers monolithique. Ce qui échappera parfois à des suiveurs, qui, eux, y tomberont volontiers, pataugeant dans un épais limon empêchant toute velléité de finesse. Plus étonnant, "Who Are You ?", fruit d'Osbourne, et son synthé spongieux de série B de l'espace, s'écarte considérablement du son Sabb', seule la voix singulière et la frappe de Ward maintiennent un lien.

    "Looking for Today" retourne dans le schéma de l'alternance entre riffs durs et mouvements sereins et bucoliques, où Tony Iommi joue à Pan, qui de sa flûte tente de charmer les demoiselles égarées. Une pièce plutôt radiophonique.


   Jusqu'alors, le Sabb' a réalisé des disques sans déchet, sans pièces rapportées, sans aucun remplissage. Celui-ci ne déroge pas à la règle et finit même en beauté avec un morceau ambitieux où intervient un petit orchestre de cordes (qui oblige le groupe à changer de studio, ceux de Morgan n'étant pas conçu pour accueillir autant de musiciens à la fois). "Spiral Architect" est une pièce ambitieuse, prenant son temps en débutant par un arpège ténébreux à la guitare classique, servant de longue introduction, avant qu'elle ne s'efface pour laisser place à un groupe de Heavy enlaçant un ensemble de cordes. Tous deux entament une danse nuptiale au milieu de laquelle Ozzy fait son numéro de crooner halluciné.  "Sorcières de la folie me vendant leur temps. Enfant de Dieu assis au soleil. Séduction fictive sur un ciel de neige noire. La tristesse tue le surhomme ; même les pères pleurent... Je regarde à l'intérieur de ma personne, et je vois mon monde, et je sais qu'il est bon". Final en apothéose. Un groupe norvégien de Metal-progressif récupérera le titre de cette chanson pour patronyme.

     Souvent omis dans les playlists relayant les meilleurs albums des 70's et en particulier du Sabb', "Sabbath Bloody Sabbath" est néanmoins souvent mentionné par les membres du groupe parmi leurs préférés. Ozzy le mentionnera même comme le dernier grand disque de Black Sabbath. Tony Iommi en est également très fier. Fier du travail accompli et de son ouverture. A ce titre, quelques essais n'aboutirent pas, notamment quand Iommi essaya en vain de jouer de la cornemuse. Déception pour le gaucher, grosse rigolade pour les autres. Le seul reproche fondé concernant cet album pourrait être attribué à la production qui, paradoxalement, paraît moins bonne que sur les précédents, alors que c'est la première fois que le quatuor "s'éternise" en studio. C'est surtout la basse et la batterie qui paraissent défavorisées par le mixage. 

     Une mention spéciale pour la pochette, une des plus réussies de l'année (millésime généreux en véritables œuvres).  D'autant plus remarquable qu'a contrario, les trois précédentes et les trois suivantes sont à classer parmi les ratages mémorables de la décennie. Un travail de Drew Struzan, plus connu pour son travail pour les affiches de films de Georges Lucas et de Steven Spielberg, ainsi que celles des "Rambo", "Blade Runner", "Hellboy", "Back to the Future", "Harry Potter". Il est aussi l'auteur de la pochette de "Welcome to my Nightmare" d'Alice Cooper. Le recto présente dans un cadre noir une scène cauchemardesque, montrant un homme tourmenté et cloué à son lit par des succubes, incubes et/ou satyres, et étranglé par un boa. Le lit, orné d'un crâne et du nombre "666" prend vie et étire des bras griffus, prêts à le saisir. Le verso, dans un cadre blanc et majoritairement dans d'apaisants et froids tons bleutés - l'orangé du drap s'illustre et pourrait être un rappel aux tourments de la nuit précédente, distingués par de chaudes tonalités ocres -, présente un homme aux portes de la mort, entouré de personnes éplorées. Au nombre de Six, tout comme les entités surnaturelles du recto.

Face 1
  1. Sabbath Bloody Sabbath   -    5:45
  2. A National Acrobat    -     6:13
  3. Fluff    -    4:09
  4. Sabbra Cadabra    -    5:57
Face 2
  1. Killing Yourself to Live    -    5:41
  2. Who Are You?    -    4:10
  3. Looking for Today    -    5:01
  4. Spiral Architect    -    5:31


(1) Lorsqu'il a débuté la batterie, ses principales influences venaient des Buddy Rich, Gene Krupa et Louie Bellson

vidéo réalisée et filmée avec les pieds, mais bon, c'est d'époque

🎶🎃🍂

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