mercredi 25 août 2021

Gary MOORE "Corridors of Power" (1982), by Bruno

 


      A l'aube des années 80, en dépit d'une une carrière professionnelle de plus de dix ans, Gary Moore n'était pas encore ce guitariste reconnu, parfois adulé, de par le monde. Seuls le pays du Soleil Levant, les fans de Thin Lizzy, voire quelques mordus de la guitare à l'affût de nouveaux prophètes en la matière, l'avaient déjà élevé au grade envié de "dieu". Connu et approuvé par ses pairs, en Europe, l'Irlandais balafré (1) ne fait guère de vagues, commercialement parlant. Et puis, voilà que débarque, telle une comète flamboyante, illuminant la nuit comme trois soleils à leur zénith, ce "Corridors of Power" qui va scotcher au plafond (ou encastrer dans les murs - au choix) tous ceux qui vont hasarder une esgourde. Pour l'époque, le son est vraiment énÔRme, renforcé par une production au cordeau, prenant un grand soin à donner de l'ampleur et de la définition à chaque instrument. 


     Pour mémoire, ce gaucher né en Irlande du Nord, à Belfast, le 4 avril 1952, décide à l'âge de onze ans d'apprendre les rudiments de la guitare. Il part à Dublin où la scène musicale est plus riche. Là, lors d'une prestation des Yardbirds, c'est quasiment l'épiphanie avec la découverte de Jeff Beck. Une influence, parmi d'autres, dont celle tout aussi déterminante de Peter Green, qui va servir de ciment à son style. Avant ses seize ans, il entame une carrière professionnelle en incorporant Skid Row, qui œuvre dans un British blues proche de Fleetwood Mac. Un groupe où Phil Lynott fera un passage. Ce qui permit aux deux jeunes hommes de tisser alors d'indéfectibles - bien que parfois tumultueux - liens d'amitié. Dès ce power trio , après deux disques remarqués au Royaume -Uni, Gary Moore, qui n'a pas encore vingt ans, commence à se faire un nom. Toutefois, c'est surtout avec son premier effort solo en 1973, "Grinding Stone", qu'il subjugue ; malgré quelques creux et difficultés à se détacher de ses influences. Un concentré de Fleetwood Mac (avec quelques emprunts 😏), Cactus, Santana et Jeff Beck Group. Au lieu de défendre son projet, il rejoint l'ami Lynott, alors en détresse. La collaboration présage de belles choses - "Little Darling", "Still in Love with You" " -, mais, un peu effrayé par le rythme de vie nocturne de Downey et Phil, il préfère s'éclipser... avant une tournée en Allemagne. Il s'éloigne de la scène et tombe dans l'anonymat en adoptant la profession de session-man, où sa versatilité et son talent de musicien en font rapidement un musicien prisé au Royaume-Uni. 

     Jon Hiseman, qui a vent de ses qualités, le démarche en personne pour reformer son Colosseum, deuxième du nom. Suivent deux albums de Jazz-rock puissant et technique, où Gary laisse exploser sa dextérité. Cette période dédiée au Jazz-rock ne l'empêche pas de remplacer  pour une tournée américaine de Thin Lizzy un Brian Robertson englué dans des problèmes d'alcool et de tabloïds anglais. En retour, ses vieux amis, Downey et Lynott, participent en partie à son second  effort solo. "Back on the Streets" de 1978, est à l'image de l'indétermination du musicien, allant indifféremment du Jazz-rock au Hard-rock en passant par la ballade "power-Soul". Enfin, c'est l'intégration officielle au sein de Thin Lizzy et le magnifique album qui suit : "Black Rose" reste à ce jour un des disques favoris des amateurs de Thin Lizzy, voire du Hard-rock 70's en général. Mais encore une fois, Moore-Romeo ne s'éternise pas. Au grand dam des afficionados de la fine Elisabeth. 


   Sans reprendre son souffle, il débarque avec le projet G Force, resté encore à ce jour assez confidentiel. Précurseur en certains points, mais manquant de maturité, un mets de puissant Heavy-rock plein de grumeaux indifféremment Jazzy, FM et Metal. La sauce ne prend pas vraiment. On considère alors le gars instable, ingérable, lunatique, incapable de choisir et de tenir une direction.

      C'est alors au Japon que Gary trouve son public qui l'accueille régulièrement comme le nouveau guitar-hero. Mais en Europe... on ne souvient de lui qu'au travers du magistral "Black Rose", voire de son second effort solo, principalement pour le scud "Back on the Streets" et la ballade "Parisian Walkways".

    Les concerts au Japon sont un nouveau tremplin qui lui permet de s'affuter, et surtout de reprendre une pleine confiance en ses capacités. Serait-ce de l'humilité de douter ainsi de soi, lorsqu'on a depuis si longtemps une telle aptitude à la guitare ? C'est aussi l'occasion de travailler plus sérieusement le chant. Autant par défi qu'en hommage, il reprend "Wishing Well" de Free. Chanson qui, d'après ses dires, lui aurait été impossible de chanter auparavant. 

     Désormais rassénéré, nanti d'un nouvel appétit d'ogre, il prend le taureau par les cornes et décide de frapper un grand coup. Ne voulant pas faire les choses à moitié, il crée un super groupe. Il récupère de Whitesnake l'ex Purple, Ian Paice, ainsi que son ancien collègue de Colosseum II, le bassiste longiligne Neil Murray. Et pour finir, Tommy Eyre aux claviers (membre tardif du Sensational Harvey Band), rencontré lors de la parenthèse Greg Lake. Désormais, après un travail acharné pour apprendre à placer sa voix - le progrès réalisé entre "G Force" et "Corridors of Power" mérite le respect -il a acquis suffisamment de confiance en ses capacités de chanteur, pour s'accaparer aussi le poste. Emploi qu'il avait récemment laissé à Charlie Huhn (Nugent, futur Humble Pie (sic), Victory et Foghat), puis partagé avec John Sloman (Lone Star, Uriah Heep). Ce n'est pas pour autant qu'il n'a pas conscience de ses limites, étant même très critique à son propre égard lors des interviews. 


   Lorsque "Corridors of Power" sort dans les bacs, peu de gens se soucient de la musique de l'Irlandais. Toutefois, son écoute en laisse plus d'un pantois, marquant au fer rouge les esgourdes. L'album, tel une traînée de poudre, enflamme toute l'Europe, traversant même l'Atlantique pour faire du bruit aux USA, (et traumatiser les crâneurs ricains). La production de l'américain Jeff Glixman, producteur attitré de Kansas, est colossale et procure une puissance, une force de frappe saisissante. Même les ballades (musclées) du monsieur sont blindées. C'est à peine si l'on perçoit encore le caractère de la Fender Stratocaster à travers cette offensive de décibels. Sinon sur la reprise de "Wishing Well", qui a pris au passage tout de même quelques kilos par rapport à l'original - mode "Godzilla romantique" 😁. Pourtant, en dépit de ce conditionnement de titane, - peut-être émulé par Van Halen -, l'orientation générale flirte avec un Hard dit "FM". Moore demeure un romantique et met l'accent sur les chansons de cœurs brisés sur un lyrisme mélancolique. Cependant, tel un grand nerveux éruptif, même dans les moments les plus calmes, il ne peut refréner des attaques foudroyantes de sa six-cordes - véritables raids de Spitfire. Jusqu'alors, personne n'était parvenu à faire sonner une vieille Fender Stratocaster Fiesta Red 61 (2) de la sorte. Son rig n'a pourtant rien d'exceptionnel. C'est assez classique et à la portée de presque tout le monde (à l'époque, les pédales Boss pouvaient représenter un certain investissement). Tout s'articule autour de cinq pédales Boss : une DS-1 (probablement la plus utilisée dans les années 80, de Gilmour à Satriani) en guise de distortion, un Chorus, une OC-2 Octaver, un Flanger et un Delay DM-2 (plus une Boss PSM-5 pour alimenter une boucle de pédales).  Le tirant relativement fort, - "séquelle" de sa période Jazz -, du 10,13,17, 30, 42 et 52 participe à cette puissance. Probablement aussi qu'il doit ressortir sa Gibson LesPaul Standard - la fameuse Greeny acheté à Peter Green pour 110 £ -, ou prendre une de ses deux Stratocasters à deux humbuckers.

     Quoi qu'il en soit, la robustesse de ses ballades a de quoi bousculer et intimider les groupes phares du Hard FM. Notamment aux USA, où les prétendants au trône sont en expansion. Même lorsqu'il prend au micro ces intonations d'amoureux naïf et mélancolique, comme sur le slow langoureux "Falling in Love with You", proche d'une Pop suave. Ou "Always Gonna Love You", premier single, sauvé de la morosité par un beau solo expressif et chantant. Et pour finir, "I Can't Wait Until Tomorrow", prétexte à faire rejaillir le Blues, dans un style prisé par David Coverdale. Idiome qu'il n'oubliera jamais. Une chanson qu'il recyclera de multiples manières.  


 Mais surtout, avec cet opus, il grave dans le marbre une recette de Hard mélodique, proche de la catégorie dite "FM", en le dotant d'une force alors inhabituelle au genre. "Don't Take Me for a Loser" - single qui lui ouvre les portes d'Amérique-du-Nord -, bouscule les conventions avec sa guitare imposante, ses brefs coups d'assommoir impromptus à la wah-wah ou au vibrato, et derrière la rythmique de Murray et Paice qui ébranle les murs. Paul Gilbert en a fait une très bonne version instrumentale. "Gonna Break my Heart" ressort à peu près la même recette avec une gratte encore plus râpeuse et des chorus vertigineux. Recette que retiendront les Jeff Paris, Aldo Nova, Paul Sabu, Winger, Giuffria et consorts. 

    Mais Gary Moore n'exclut pas les attaques soniques, qui le rapprocheraient presque d'un Heavy-metal abrasif. "End of the World", après une introduction tout en douceur, très "Police" dans l'âme, et un solo trop démonstratif, se laisse emporter par une tornade électrique où Gary et Jack Bruce en personne, surfent sur des vagues géantes tout en déclamant naïvement, trempés jusqu'aux os, leur angoisse vis-à-vis de la menace potentielle du vilain ours de l'Est. "Rockin' Every Night", aussi, speed-metal, fer de lance de ses concerts du moment, véritable broyeur de tympans. Et le lent et pesant "Cold Hearted", Hard-blues martelé par une gratte aux sonorités Metal, exsudant un parfum Van Halenien ("Little Dreamer").

     Si l'album suivant, "Victims of the Future", fera encore mieux, ce "Corridors of Power" semble avoir plus marqué les mémoires, et c'est aussi l'album qui est le plus souvent mentionné, avec "Wild Frontiers" (1987), pour sa période pro-Hard-rock / Heavy-Metal et pré-Blues-rock. Du moins, en ce qui concerne ceux qui ont vécu cette décennie et pris de plein fouet cette nouvelle vague de Heavy-metal. Par contre, généralement, ceux qui ont découvert le Gary Moore en mode Heavy-Blues-rock, ignorent souvent ce qu'il a fait précédemment. 

Face 1

NoTitreAuteurDurée
1.Don't Take Me for a LoserG. Moore4:15
2.Always Gonna Love YouG. Moore3:55
3.Wishing Well (reprise de Free)Rodgers, Kirke, Yamauchi, Bundrick, Kossof4:06
4.Gonna Break My Heart AgainG. Moore3:17
5.Falling in Love with YouG. Moore4:51
Face 2
NoTitreAuteurDurée
6.End of the WorldMoore6:53
7.Rockin' Every NightMoore, Ian Paice2:47
8.Cold HeartedMoore5:11
9.I Can't Wait Until TomorrowMoore7:48

(1) Profondes cicatrices occasionnées par un accident de voiture qui lui a fait traverser le pare-brise. Et non le fruit de ses bagarres à Belfast, comme cela a parfois été écrit.  
(2) Tout sur cette Fender était d'origine, à l'exception des frettes, remplacées par des Jumbo (plus larges), et le câblage. La plaque de protection avait été aussi blindée (feuille d'alu ou de cuivre collée au dos de la plaque de protection - recommandée pour les guitares comportant des micros simples -) pour éviter les interférences. Le blindage de la plaque, ainsi que des cavités, permet de développer une sonorité plus définie, et de pousser le son sans générer quantité de parasites, de souffle, d'interférences (sur de vieilles guitares et amplis, on pouvait capter des ondes radios et surtout les CB - radio amateur ou professionnel -).


🎶👑🎸

Articles liés (liens/clic) : ☞ Gary MOORE "Dark Days in Paradise" (1997) ; Gary MOORE / SCARS "Scars" (2002) ; B.B.M. "Around the Next Dream" (1994)  ; Hommage R.I.P. 1952-2011

2 commentaires:

  1. "Rockin' Every Night" co-signée par Ian Paice... Tu peux développer ?

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    Réponses
    1. Nan...
      Je n'en sais pas plus. Ian Paice a co-signé ce titre, et est plus généralement crédité en tant qu'auteur que compositeur. Une collaboration de gauchers.

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