mercredi 17 mars 2021

BECK, BOGERT & APPICE (1973), by Bruno



Dans la famille super-groupe, je voudrais "Beck, Bogert & Appice".

     Un groupe qui faillit ne jamais voir le jour, et sur lequel la pression du public, qui en attendait beaucoup, fut forte. Trop même, car nombreux sont ceux qui furent déçus. Pas toujours pour la même raison, car c'était un trio qui généra moult et divers fantasmes. Pensez donc, entre Jeff Beck, l'un des guitar-heroes les plus en vue et aventureux - et à l'époque, il y a avait de sacrés clients - et l'une des sections rythmiques les plus solides et prisées. La section rythmique de Vanilla Fudge qui influença toute une génération qui s'y appuya pour édifier leur heavy-rock. Egalement la section rythmique de Cactus, le groupe un temps considéré comme la réponse américaine à Led Zeppelin. Tous deux vecteurs d'inépuisables perspectives. Finalement, si la presse musicale salue généralement le talent et les performances des musiciens, certains critiques n'y vont pas avec le dos de la cuillère, arguant qu'il s'agit d'une grosse déception - et même des années plus tard, le reproche reviendra encore plus souvent -. Que le disque ne reflète guère le niveau des trois musiciens. Les ventes d'ailleurs s'avèrent aussi décevante, bien que le trio grimpe jusqu'à la douzième place des charts US. La faute incombant peut être en partie à la première chanson, chantée par Beck, à l'aspect relativement mollasson. 


   Cette réunion aurait pu se faire plus tôt. En effet, les lascars se rencontrent dans le courant de l'année 1969 et envisagent sérieusement de monter un trio, un power-trio dans la veine de Cream et de l'Experience. Mais Jeff Beck, déjà passionné de grosses cylindrées, est victime d'un grave accident de la route qui le cloue un moment au lit et le tient écarté de toute scène pendant de longs mois. Une fois remis, il est trop tard. Tim Bogert & Carmine Appice, sont trop jeunes et vigoureux pour attendre un hypothétique et total rétablissement de Beck, en se regardant en chiens de fayence. L'inséparable binôme fonde alors un quatuor de Hard-blues qui va faire date : Cactus. Il faut donc attendre la dissolution de ce dernier pour remettre le projet sur la table. Une fois cette dissolution effective, Beck retrouve le duo et l'intègre à son Jeff Beck Group, deuxième du nom, pour honorer un contrat et la tournée qui s'en suit. 

     Après un "rodage" sur scène avec les rescapés du Jeff Beck Group 2.0, Max Middleton et Bobby Tench, ces flibustiers de la scène continuent en trio et rentrent en studio. La presse et le public sont sur les dents et trépignent d'impatience. En conséquence, il aurait été plus approprié d'entamer l'album par un morceau percutant et catchy, afin de contenter les appétits. Des critères auxquels ne répond pas l'apathique "Black Cat Moan" qui ouvre l'album (malgré le travail exemplaire de Bogert & Appice). Même si c'est une composition du producteur Don Nix-  auréolé d'une odeur de sainteté depuis que cet ex-saxophoniste des Mar-keys a peu ou prou, participé à la relance des carrières d'Albert King et surtout de Freddie King. En produisant leur album et en leur offrant quelques morceaux de son cru marquant les esprits (1) - respectivement "Lovejoy" (1971) et "Getting Ready" (1971) -. Notamment en élargissant leur public par l'ouverture au public blanc. La principale réprobation vis-à-vis de ce Blues-rock de forme classique se reporte sur le chant dénué de relief et d'émotion de Beck. Combien de guitaristes pourvu d'un immense talent, aveuglés par leur notoriété, se sont crus aptes à chanter ? Beck devait se rêver chanteur mais indéniablement, il n'est pas constitué pour ça. Un morceau sans grande envergure, à peine sauvé par le dernier mouvement, instrumental. A la limite, dans un souci démocratique, et afin de préserver les egos, cette pièce aurait pu être placé en clôture d'une face. 


  Heureusement, la suite est d'un tout autre niveau. A commencer par ce "Lady", chanté en duo par Tim & Carmine, qui boxe dans la cour des grands morceaux de Hard-blues. La section rythmique a bouffé du lion, avec une basse imposante et bondissante, presque en roue libre, et une batterie fantastique, où Carmine tricote d'enivrants patterns. A croire qu'il a le don d'ubiquité. Beck n'a d'autre alternative que de se laisser aspirer par ce maelstrom et de s'y fondre, tentant quelques courts soli piquants comme un gredin des coups de surin pour faire bonne figure. Mais c'est bien le terrible binôme qui ressort vainqueur de cet époustouflante escapade. Où l'on retrouve la fougue du autre power-trio, une autre réunion de célèbres musiciens qui en fait un super-groupe,  West, Bruce & Laing sur leur fougueux "The Doctor". C'en est même à se demander si B.B.A. ne s'en est pas directement inspiré. Toutefois, vu les auteurs de cette chanson, il s'agit certainement d'une pièce inachevée de la dernière mouture de Cactus. Avec "Oh To Love You", c'est la fibre anglaise du trio qui semble prendre le dessus, avec cette atmosphère de British-pop parfumée de Beatles et de Moody Blues. Bien que ce soit Carmine qui pousse la chansonnette. Il y dévoile un aspect que l'on ne soupçonnait pas. Ce batteur, réputé pour sa force de frappe et son sens du tempo, se fait ici chanteur californien... 

    Et puis arrive "Superstition". Titre historique polémique, qui laisse un goût amer à El Becko. Et pour cause. lui qui avait eu à cœur de plomber la Soul sur ses deux précédents disques, il est heureux d'être sollicité par Stevie Wonder, qu'il admire, pour les sessions de "Talking Book". De ces sessions nait le célèbre "Superstition". Suivant un accord, Wonder ne devait graver sa propre version qu'une fois celle de Beck dans le commerce. Or, l'intraitable Berry Gordy Jr , despote de la Motown, veille et il n'est pas question qu'une chanson au potentiel commercial, élaborée dans son usine, lui passe sous le nez. Ainsi, il presse Stevie Wonder jusqu'à ce qu'il cède. La chanson est intégrée à l'album de 1972 et sort au plus vite en 45 tours. C'est un immense hit qui rafle deux Grammy Awards et qui va étouffer la version de BBA. Faisant même passer le trio pour opportuniste. Beck se sent floué. Bien différente l'une de l'autre, celle de B.B.A. tombe dans une fournaise de heavy-blues éruptif à la Cactus. Forcément, avec les deux brutasses de la rythmique, pour passer à la radio, ce n'est pas l'idéal. Culpabilisant, Wonder apportera à Beck sur un plateau d'argent deux nouvelles chansons inédites en compensation. Elles seront exploitées pour le disque "Blow by Blow".


   Retour dans les tons pastels. Les fleurs, les réunions autour du feu, les pieds nus, un souffle de jeunesse insouciante souffle sur "Sweet Sweet Surrender" de Don Nix. Même si derrière, Beck essaye bien de mettre un peu de piment. Débutant timidement avec une guitare s'exprimant à travers une wah-wah, avec un accent à la Steve Miller, elle finit par progressivement shooter dans les braises, mais on lui coupe le sifflet par un fade-out avant qu'il ne mette le feu. 

   "Why Should I Care" passe la quatrième, et déboule comme un bolide de rallye prenant ses virages en dérapage contrôlé, comme si c'était un ballet. (une chanson de Ray Louis Kennedy que Carmine Appice va retrouver deux ans plus tard, au sein de KGB). Pris par l'élan, BBA enchaîne avec un Heavy-boogie virevoltant, "Lose My Myself With You". Beck fait claquer sa wah-wah comme un fouet électrique et Bogert se sert de sa quatre cordes comme d'un KS-23M.

   "Livin' Alone" retrouve simplement l'ambiance surchauffée de Cactus. Indestructible locomotive de Heavy-boogie-blues chauffé à blanc.

   La reprise de Curtis Mayfield (époque The Impressions), "I'm So Proud", met à nouveau en lumière les capacités d'Appice qui aurait pu être un honnête chanteur de Pop nourri de Soul et de Rhythm'n'blues. A le voir suer et frapper énergiquement sur ses peaux et ses cymbales (1), on ne l'aurait guère cru capable de douceur. Beck, humblement, donne à la slide un degré d'expressivité alors peu répandu à l'époque (vraisemblablement en la travaillant ici au potentiomètre de volume et colorée par un effet d'écho). 


    Cet album, - que l'on peut considéré comme historique -, premier et unique œuvre de l'éphémère Beck, Bogert & Appice, explore autant un Heavy-blues plombé, souvent proche de Cactus, bousculé sans ménagement par un duo de portes-flingues, que la Soul. De la Soul zébrée d'éblouissants éclairs générés par la guitare audacieuse de Jeff Beck.

     Un deuxième 33 tours est programmé. Les séances d'enregistrements suivent leur cours malgré quelques vives tensions entre Tim Bogert, le bassiste le plus teigneux des 70's, et l'introverti Jeff Beck. Ce dernier, perfectionniste, impose de réenregistrer plusieurs chansons. Finalement, insatisfait, il s'oppose à la sortie du disque. De même qu'un live capté au Rainbow Theatre de Londres (établissement fermé en 1982). Reste un fameux double live, capté au Japon, et disponible à des prix honteusement prohibitifs. 

     En 2001, Appice et Bogert ont l'occasion de repartir ensemble sur la route et ressusciter ce répertoire sur scène avec l'aide de Rick Derringer, sous le patronyme de ralliement D.B.A. L'album réalisé la même année, "Doin' Business As... " est sorti dans une quasi indifférence. Les protagonistes, en dépit d'un passé prestigieux, sont sorti depuis longtemps des radars et n'intéresse guère les médias. La notoriété de Carmine Appice, la seule qui soit encore à ce moment là capable de susciter quelques intérêts, ne suffit pas pour faire décoller les ventes. D'autant que la promo est quasi inexistante et que la production n'est pas des plus appropriée.

     En hommage à Tim Bogert, né le 27 août 1944 dans la petite bourgade de Ridgefield (New Jersey) et décédé le 13 janvier 2021 à San Diego. Fort d'un caractère bien trempé, il était aussi connu pour ses prises de bec avec les musiciens avec lesquels il jouait ; surtout avec les guitaristes qui ne concevaient pas toujours qu'un bassiste occupe le devant de la scène, et sorte du cadre limitatif de la rythmique. Un bassiste qui malgré une santé relativement fragile, n'hésitait pas à user de ses poings pour se faire respecter. Du coup, en dépit de son talent, entre son caractère et aussi des soucis de santé, ce ne fut pas un musicien beaucoup sollicité par la suite. Au contraire de son vieux collègue et fidèle ami, Carmine Appice. Tim Bogert était l'un des grands bassistes des années 70 et de la fin des années 60. Il est resté longtemps un modèle. Au même titre que Jack Bruce. Du moins pour les bassistes désireux de ne pas être cantonnés à juste épaissir le son (C.W. ?).


Titres

Face A
NoTitreAuteurDurée
1.Black Cat MoanDon Nix3:44
2.LadyC. Appice, T. Bogert, J. Beck, Pete French, Duane Hitchings5:33
3.Oh to Love YouCarmine Appice, Jeff Beck, Tim Bogert, Pete French, Duane Hitchings4:04
4.SuperstitionStevie Wonder, Jeff Beck4:15

Face B
NoTitreAuteurDurée
5.Sweet Sweet SurrenderDon Nix3:59
6.Why Should I CareRaymond Louis Kennedy3:31
7.Lose Myself with YouCarmine Appice, Jeff Beck, Tim Bogert, Pete French3:16
8.Livin' AloneCarmine Appice, Jeff Beck, Tim Bogert4:11
9.I'm So ProudCurtis Mayfield4:1

(1) Particulièrement "Going Down", écrite à l'origine pour l'obscur combo Moloch en 1969, Freddie King en a fait une version étalon que l'on retrouve sur l'album "Getting Ready" de 1970. En 1972, c'est Don Nix lui-même qui l'enregistre pour son compte, mais la même année Chicken Shack, J.J. Cale et  Jeff Beck avec son Jeff Beck Group, l'enregistrent également. C'est désormais un incontournable du Blues-rock, l'une des chansons les plus reprises sur scène, par les groupes et artistes de Blues, de Blues-rock et de Hard-rock. et aujourd'hui encore, "Going Down" peut résonner dans les salles du monde entier. Parmi les plus célèbres à l'avoir gravé, et pour n'en citer que quelques uns : John Mayall, Nine Below Zero, Colin James, Deep Purple, Pink Fairies, John Lee Hooker, Luther Allison, Moody Marsden Band, Savoy Brown, Tad Benoît, Lynch Mob, Billy Branch, Bryan Lee, Leslie West, Peter Green, The Quireboys, Johnny Diesel, Billy Branch.

(2)  Dont un imposant gong placé dans son dos. Carmine Appice est probablement l'un des premiers à avoir incorporé cette cymbale géante à son kit. Un "modèle Gulliver" de surcroit. Nick Mason et John Bonham semble avoir rapidement suivi l'exemple. Cependant, question taille, c'est Carmine  qui l'emporte.



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2 commentaires:

  1. Je pensais que c'était Rod Stewart qui chantait sur "Superstition", apparemment c'est Bogert et Appice qui assurent les voix ?

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    1. Ouaip. N'oublions pas que Tim Bogert pouvait pousser la chansonnette au sein de Vanilla Fudge, soutenir le chant. De même qu'avec Cactus. Seulement, avec ce dernier groupe, les deux "gueulards" - Rusty Day et Peter French - éclipsaient totalement sa petite voix.
      Sur BBA, toutes les chansons calmes et "mielleuses" sont assurées par Carmine Appice. Le reste par Tim Bogert ou en duo, à l'exception de "Black Cat Moan" par Jeff Beck. On a pas souvent entendu Jeff derrière un micro, et on comprend pourquoi...

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