mercredi 21 août 2019

CACTUS "One Way ... Or Another" (1971), by Bruno


     Avec son premier opus, le groupe de Hard-blues brutal et primaire de l'une des plus célèbres et convoitées des sections rythmiques Anglo-saxonnes, à savoir le binôme Tim Bogert et Carmine Appice, avait tout le monde k.o. En dépit de ses défauts, l'album éponyme de Cactus a laissé une marque indélébile dans l'histoire du Rock.
L'épisode suivant, dont de nombreux Américains espéraient qu'il serait la réponse définitive à l'invasion britannique, porte encore des traces d'hésitations, d'incertitudes et de maladresses.


     Moins porté sur l'exclusivité d'un Blues copieusement alourdi, bourrin et électrifié, "One Way ... Or Another" témoigne d'un collectif en pleine évolution créatrice. Parfois même la guitare de Jim McCarty s'aventure dans des zones dangereuses où plane l'ombre de Jeff Beck (évidemment, celui du Jeff Beck Group première version) avec des plans épineux et risqués qui peuvent vite se muer en chausse-trappes.


     Cependant, une fois n'est pas coutume, la galette débute par un "Long Tall Sally" qui a bien du mal à passer la quatrième. A peine si le solo lumineux de McCarty, copieusement arrosé de wah-wah incandescente, parvient l'instant d'un break à sauver le morceau d'une relative banalité. Pas mauvais, mais c'est d'un commun qui n'est pas digne du groupe. Ceci dit, en 1971, cette lourdeur couplée à ce chant rageur n'était guère de mise et avait dû forcément faire son effet. Enfin, ce morceau aurait fait meilleure impression en clôture. Le dernier mouvement, bien moins amorphe et à la température plus élevée, sauve les meubles. Un coda qui laisse espérer une suite plus torride.

   Ce que confirme le vivifiant "Rockout, Whatever You Fell Like". Quatre minutes de bonheur Heavy Rock'n'Rollesque où Creedence Clearwater Revival passe en mode Hard-Rock et où l'harmonica de Rusty Day défie sur son terrain Magic Dick (sur la scène depuis un moment, mais avec une seule galette à son actif). Un authentique manifeste de Hard-Rock'n'Roll à cinq étoiles.
Si ce morceau propulse directement la troupe en orbite, il en est tout autre d'un "Rock'n'Roll Children" assez pataud, préservé de l’enlisement par la conviction et l'engagement sans restriction d'un chant à gorge déployée.
 Mais là encore, le collectif sort son épingle du jeu avec un break de feu (dont quelques plans sont piqués à Led Zeppelin), un Wreckhouse à écorner les bœufs.

   Alors ? Verdict provisoire ? Le quatuor semble ne pas avoir chômé et considérablement évolué, seulement il donne l'impression de peiner à trouver sa voie. Celle qui l'amènerait vers d'autres cieux où déjà s'épanouissent d'autres combos anglais.


   Ils trouvent cette voie avec "Big Mama Boogie - Part I & II". Une pièce qui va faire date et que le groupe va user jusqu'à la corde en concert. Rien de particulier pourtant. La première partie n'est rien d'autre qu'un Country-blues à la John Lee Hooker avec l'omniprésence d'un harmonica espiègle. C'est une petite locomotive essoufflée mais guillerette qui brinquebale à travers des marais saumâtres.
Puis, c'est l'explosion électrique - boogie time ! - avec un Bogert manifestement irrité d'avoir dû rester dans l'ombre pendant près de quatre minutes et Appice qui se doit de suivre et d'appuyer son vieil ami. On se serre les coudes. Le "Part II" fait office d'une mince frontière entre Canned Heat et ZZ-Top. Mais pourquoi cette seconde partie est-elle subitement écourtée ? Il en ira autrement en concert, où le morceau s'étirera sur quinze bonnes minutes.

   La reprise "Feel So Bad" de Chuck Willis est bien moins enjouée que l'original ou que de nombreuses versions de Bluesmen (sans omettre celle de Presley). Rusty Day lui donne même un arrière-goût de gueule de bois. McCarty travaille un long solo torturé et plaintif, de mercure liquide et pénétrant qui donne le tournis.

   "Song for Aries" est un instrumental qui aurait pu habiller tous les Road-movies des 70's, voire des pellicules de Tarantino, des frères Cohen ou de Guillermo Del Toro. Sur une guitare acoustique qui tisse des arpèges à la Jimmy Page, Jim McCarty développe un long solo chantant, mélodique et intense, qui semble rendre hommage à George Harrison, Paul Kossoff et Leslie West. Un morceau de choix où l'on remarque tout la force d'expression qu'est capable d'insuffler dans ses fûts Carmine Appice. Un des grands monsieurs de la batterie (qui malheureusement n'a pas toujours été bien avisé dans ses choix de contrats).


  
  "Hometown Bust" revient au Blues, idiome où Rusty Day paraît le plus à son aise. C'est une lutte entre un Blues acoustique plaintif et une Les Paul hurlante et teigneuse, qui tente de le plonger dans un bain de Fuzz acide et plombée. Successivement l'un prend la place de l'autre, sans chercher à fusionner. Rusty Day, chanteur souvent décrié, s'y révèle particulièrement en voix. Ce n'est plus un chant mais une supplique, un appel à l'aide, et un cri de colère. Le Blues, le vrai, l'habite.
"Je n'aime pas parler du bon vieux temps quand tout ce que je fais me rend triste. Ce serait différent s'ils avaient mal agi... Mais ils ont juste donné à ceux qui avaient besoin du fantasme contre le réel. Maintenant, tous mes amis se font enfermer. .. Pourquoi doivent-ils mettre mes amis en prison ? Pourquoi ne nous laissent-ils pas marcher en paix ?"

    Le final, avec la chanson-titre, est une véritable éruption de Hard-blues débridé qui par bien des côtés évoque une jam avec Jimi Hendrix. (Le gaucher de Seattle avait effectivement joué avec ces quatre têtes brûlées). Bien que le Blues en soit indéniablement la matière première, la force d'interprétation et la rage le sortent du marais et du "vert" pour l'amener dans un lieu où règne le béton et le bitume, plus propice à un Heavy-Metal, dont il est déjà une forme de lointain écho.

     Là encore, Cactus réalise un disque inégal, mais avec un suffisamment de force, d'honnêteté et de conviction pour l'ériger parmi ceux qui ont laissé une empreinte dans la très riche discographie des années 70. Et ces gaillards ne vont pas s'arrêter en si bon chemin.

Tous les titres sont signés C. Appice, T. Bogert, R. Day, J. McCarty sauf spécifications
  1. "Long Tall Sally" (R."Bumps" Blackwell, E. Johnson, R. Penniman)      –    5:54
  2. "Rockout Whatever You Feel Like"      –    4:00
  3. "Rock N' Roll Children"      –    5:44
  4. "Big Mama Boogie - Parts I & II"      –    5:29
  5. "Feel So Bad" (Chuck Willis)      –    5:31
  6. "Song for Aries" (Appice, Day, McCarty)      –    3:05
  7. "Hometown Bust"      –    6:39
  8. "One Way... or Another"      –    5:06



🎶♬⇯♲
Autre article liés (clic/lien) : "Cactus" (1970) ;

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire