On peut s'armer d'un attirail de pédales vintage et innovantes, des guitares les plus chères, de murs d'amplis à faire plier les scènes sous leur poids, de choristes enchanteresses, si l'on n'a pas le truc, le mojo, le feeling, la classe, ou je ne sais quoi d'autre, on peut suer sang et eau et patauger dans la choucroute. Bref, si l'on est vraiment bon, nul besoin d'une tonne de matos pour faire tourner le Rock'n'roll, faire le bon temps rouler et mettre le feu aux planches.
On ne l'a d'ailleurs que trop vu dans les années 80, où tant de groupes semblaient avoir le pouvoir de commander aux éléments déchaînés du ciel, faisant terriblement concurrence au dieu de la foudre. Du moins sur disque et dans leurs clips, alors que sur scène, il ne paraissaient guère plus intimidants que des chatons.
Au contraire de la décennie précédente, où c'était bien généralement l'inverse. Les groupes se dévoilant réellement sur scène. Dans cette logique, bien des groupes étaient honorés avant tout par leur(s) enregistrement(s) en public. Voire les listes des meilleurs live des 70's. [ liens 👉 "1er volet : 70-74" 👉 "Second volet : 75 - 79" 👉 "Et pour quelques Live 70's de plus"]
Dans le tas, il y en a un, parmi d'autres, qui s'est particulièrement distingué. Encore aujourd'hui, il est considéré comme un classique indétrônable. Du genre à manipuler avec précaution.
Cela, malgré deux critères de taille jouant contre lui. Le premier est qu'il s'agit seulement d'un demi live. Seule la première face est un enregistrement en public. Crime de lèse-majesté. Le second est que le groupe présenté est bien différent de celui des trois galettes précédentes. C'est une refonte totale où il n'y a que la section rythmique qui ait survécu au premier naufrage. D'habitude, c'est la partie qui est éjectée sans ménagement, car moins exposée aux projecteurs de la scène et des médias. Et puis la logique veut que les chanteurs et les guitaristes, de par une empreinte plus personnalisée sur la musique, soient difficilement interchangeables, par crainte d'une perte d'identité, et donc d'auditoire. Cependant, l'histoire a prouvé le contraire. Toutefois, pour le présent cas, il s'agit de l'une des meilleures et des plus prisées sections rythmiques de l'époque. Deux fortes têtes : Carmine Appice à la batterie et Tim Bogert à la basse. Un duo qui a déjà acquis une sérieuse notoriété dès les années 60 avec Vanilla Fudge. Un duo de référence dont l'influence est prégnante.
Le chanteur-harmoniciste Rusty Day et le guitariste Jim McCarthy, éreintés, vidés, ont rendu les armes et il a bien fallu trouver des remplaçants pour continuer l'aventure. Et répondre à des demandes de concerts. C'est que les deux autres lascars semblent increvables. Toujours sur la route ou en studio. Probablement que leur mauvais caractère, en particulier celui de Bogert, connu comme l'un des bassiste les plus irascibles, doit les aider à traverser sans trop de dommages psychiques les pires tempêtes.
Bref, ils reconstituent rapidement le groupe et s'adjoignent au passage un élément complémentaire. Un claviériste en la personne de Duane Hitchings. Inconnu du grand public, sa carrière débute néanmoins en 1958, alors qu'il n'a que quinze ans, avec un single comportant une reprise de "Heart and Soul". Lors des années soixante, il accompagne Del Shannon et Ricky Nelson.
Sinon pour la place de guitariste, c'est un jeune Werner Fritzchings, totalement inconnu au bataillon, qui prend le poste. Pour le chant, ils embauchent Peter French. Pas nécessairement connu du public de Cactus, dont une bonne partie est persuadée qu'il n'avait jusqu'alors jamais enregistré, il a pourtant déjà fait ses preuves avec Atomic Rooster et le bestial Leaf Hound.
Y'a pas à tergiverser ! Cette première face est en feu. A croire que les belligérants ont été élevés au piment mexicain, au Jack Daniel's (la voix de French) et à la barbaque crue. De vrais sauvages affamés et belliqueux. Des desperados si sûrs de leur coup que, plutôt que de s'appuyer sur du matériel éprouvé et apprécié, ils préfèrent sortir de nouvelles cartouches. Enfin, pas tout à fait. En effet, deux morceaux sur trois sont d'anciennes compositions. Cependant, la nouvelle mouture n'a pas pris de gants pour apporter des modifications qui les rendent alors quasi méconnaissables. Ne serait-ce que par la ferveur déployée. Comme si c'était des morts-de-faim qui n'ont qu'un souhait : bouffer tout cru le public et la concurrence présente.
C'est qu'il y avait du monde à ce festival de trois jours, du 1er au 3 avril 1972 ; le Mar Y Sol Festival organisé à Porto Rico avec les Allman Brothers, Brownsville Station, The Faces, Billy Joel, Alice Cooper, Dr John, Long John Baldry, Emerson Lake & Palmer, BB King, J. Geils Band, Osibida, Mahavishnu Orchestra, pour les plus connus.
Et puis il y a le piano percutant et précis de Duane Hitchings, chaussant les mocassins vernis et pyromanes de Jerry Lee Lewis. Sans omettre bien sûr la guitare de Werner Fritzchings, moins lourde que celle de McCarthy mais néanmoins plus agitée, probablement moins véloce mais plus frénétique. Fritzchings prouve qu'en matière de Rock'n'Roll, l'énergie, l'engagement et la sincérité priment sur la technique pure.
Ainsi, si de prime abord "Let Me Swim" - le brûlot qui entamait la galette éponyme, ici simplement rebaptisé "Swim" - serait encore reconnaissable, il en est tout autre avec "Bad Mother Boogie (Big Mama Boogie - part II)" à laquelle il est enchaîné.
"Bad Mother Boogie" passe la quatrième et file sur la highway du Boogie à la John Lee Hooker, carburant à l'énergie exaltée des gangs de Detroit et de sa proche banlieue.
Avec ce diptyque à lui seul, Cactus tient tête à un combiné des Grand Funk Railroad, Amboy Dukes, Frost, Brownsville Station et autres MC5 (1). Ce "Bad Mother Boogie", comme explicité avec sa parenthèse, est une révision de l'excellent "Big Mama Boogie - Part II" présent sur "One Way... Or Another". Pour le groupe, cette restructuration est suffisamment notable pour justifier d'effacer des crédits les noms de Day et de McCarthy au profit de celui des nouveaux arrivants. Il est vrai que si ce n'est le riff boogie - que l'on pourrait aveuglément attribuer au hit interplanétaire "La Grange", si ce n'est que ce dernier n'est sorti que l'année suivante, en 1973 -, les différences sont notables. A commencer par l'absence d'harmonica, qui fait par contre regretter l'absence de la "Part I" qui sonnait aussi bien en studio qu'en concert (écouter la version heureusement exhumée sur "Fully Unleashed : The Live Gigs").
Après cette chevauchée rock'n'rollesque trépidante, comme un seul homme le groupe halète mais ne tombe pas, reprenant son souffle soudainement, dès que le riff retentit ; tel le clairon sonnant la charge (héroïque). "Our Lil Rock'n'Roll Things" termine ce set bien trop court, en pratiquant la politique de la terre brûlée, ne laissant rien aux suivants pour qu'ils puissent survivre (ici plutôt s'épanouir). Le public devant être forcément exsangue, vidé, ratatiné par cette prestation de pur Rock'n'Roll incandescent. Pas de solo de basse ou de batterie, pas de solo de guitare egocentrique. Un vrai groupe soudé, un pack (de rugby) solide et inébranlable traversant la défense comme du beurre. C'est du brut, sans effets, sans distorsions de la mort, et c'est pourtant capable de faire fondre un iceberg en un rien de temps.
Toutefois, cette face live a un énorme défaut : celui de ne pas jouer les prolongations. Même si ses seize minutes des plus intenses laissent pantois, on en redemande. Craignait-on la surchauffe ? Quoi qu'il en soit, avec une seule face live, " 'Ot 'n' Sweaty" a aisément gagné sa place au panthéon des grands disques live.
En conséquence, combien de " 'Ot 'n' Sweaty" se sont retrouvés avec une face grésillant par faute d'incessant passages, alors que la seconde restait comme neuve ? Pourtant, cette seconde partie, en studio, est bien loin de démériter. Ne serait-ce que pour "Bringing Me Down", sonnant comme le meilleur de Joe Cocker avec son Grease Band. Ou encore "Telling You" qui, après un début en messe de midi dérivant vers un pastiche d'Uriah Heep, se ressaisit pour se réconcilier avec le Rock'n'Roll fiévreux de la face live (l'âpreté de la scène en moins). Ce jeu monstrueux de Carmine !
Les deux heavy-boogie de bourrin ne sont pas en reste, même s'ils manquent un peu de souplesse. Sur "Bad Stuff", Tim Bogert et Fritzchings se liguent pour imposer une rythmique pachydermique, tandis que "Bedroom Mazurka" est plus soutenu par le piano (c'est une composition d'Hitchings). Sur ce dernier morceau, la guitare sonne comme la LesPaul de McCarthy.
Le duo rythmique tant convoité avait réussi à recréer un groupe à la mesure de leur talent et de leurs ambitions. Ils avaient réuni des gaillards aptes à conquérir les scènes d'Europe et des Amériques. Seulement, un peu démoralisés devant ce qu'ils estiment comme un manque de succès - le groupe vend des disques et remplit les salles, seulement peine à rivaliser avec les monstres sacrés de ce début de décennie - ils ont préféré tout lâcher pour adhérer à un ancien projet laissé sur le carreau pour cause d'incident routier. Ils rejoignent Jeff Beck pour monter le Beck, Bogert and Appice. Hélas, là encore, les egos vont s'affronter, faisant éclater prématurément ce power-trio. Des phénomènes ces deux là.
Duane Hitchings, tout en restant dans l'ombre, continuera à jouer occasionnellement pour des artistes connus (dont Alice Cooper, Jeff Beck, Ted Nugent, et Miles Davis). On le retrouve dans le groupe de Rod Stewart, avec Carmine Appice, avec qui il couche sur bande le hit "Da Ya Think I'm Sexy". Mais aussi d'autres chansons assez célèbres de l'Ecossais ("Inflatuation", "Young Turks"). Dans les années 80, il fait son beurre en travaillant sur les thèmes de "Rocky IV", de "Iron Eagle" et de "Flashdance" (!).
Werner Fritzchings, quant à lui, a disparu des écrans radars. Il n'est même pas présent sur la continuité polémique de Duane Hitchings sous l'appellation "Sons of Cactus" (avec pour seul ancien membre de Cactus, Hitchings lui-même). Après une soudaine projection sous le feu de projecteurs, il retombe dans l'anonymat. On le retrouve sur le premier album de Pierce Arrow, avec Dough Lubahn, le bassiste qui a joué sur trois albums des Doors. Ce disque éponyme de 1977 présente un soft rock, entre le rock Californien, Supertramp et Chicago, où les meilleurs moments sont les interventions guitaristes de Werner. Hélas, peu nombreuses.
Puis en 1981, avec Riff Raff et son unique essai "Vinyl Futures", où il retrouve Dough Lubahn, avec "Treat Me Right", le hit de Pat Benatar, écrit et composé par Lubahn. Nettement plus intéressant, et plus poilu, entre Hard-rock carré et proto-Heavy-metal, il ne manque à cet album qu'une meilleure production. Un disque probablement sortit deux ou trois années trop tard pour trouver son public. Ce sera la dernière trace gravée de Fritzchings, le guitariste malchanceux qui n'enregistra qu'un seul disque avec chacun des groupes auxquels il a participé.
(1) Il est vrai que c'est aussi le début du déclin de cette scène autrefois semblable à une poudrière.
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