Parmi la multitude de groupes de Hard-rock américains des années 80, s'il y en a un qui a manqué le coche, c'est bien celui-là. Pourtant, tout s'annonçait pour le mieux pour ce quintet issu de la vague californienne. Et ce n'est pas faute d'avoir eu des opportunités et des éléments qui auraient logiquement dû lui permettre d'être pérenne. En plus de décisions hasardeuses qui ont fini par venir à bout de cette formation des plus prometteuse, il semblerait aussi que le sort se soit abattu sur elle.
En effet, fondé en 1982, ce groupe de Hard-rock originaire de San-Diego, comptait à l'origine dans ses rangs Jack E. Lee avant qu'il ne se fasse embaucher par Ozzy Osbourne. Ensuite, c'est Claude Schnell qui tombe dans les rets d'un autre ancien Black Sabbath, Ronnie James Dio. Le départ du claviériste transforme à jamais la couleur du groupe qui préfère par la suite évoluer avec une paire de guitaristes.
Ce sont Chris Ager et Graig Goldy qui sauvent le groupe d'une mort prématurée. Cependant, encore une fois, un des membres, Goldy en l’occurrence, part pour un poste nettement plus prometteur financièrement. Cette fois-ci, c'est l'ancien claviériste d'Angel, Greg Giuffria, qui l'embrigade pour son projet sobrement intitulé Giuffria. Une année plus tard, Goldy rejoindra Dio, en remplacement de ... Jack E. Lee.
Finalement, après ces changements incessants, la formation se stabilise et peut ainsi se concentrer sur sa carrière. Épaulée par le couple Dio, Wendy et Ronnie James, (il est probable que Jack E. Lee ait parlé de ses anciens collègues à ses employeurs) (1), la troupe est signée par Warner Bros. Un premier disque produit par Tom Allom sort en novembre 1985. Étonnamment, alors que ce dernier est réputé pour une production au cordeau - le son puissant et affûté comme un scalpel qui a assis le son caractéristique de Judas Priest et l'a propulsé sur le devant de la scène Heavy-Metal (de 1979 à 1988 et de nouveau depuis 2016) -, cet album éponyme est grévé par un son d'ensemble touffu, sans définition, et des grattes qui postillonnent tel un vieux poivrot édenté vociférant. C'était Ted Templeman qui avait été initialement sollicité, mais son planning était déjà plein. Dommage, car la patte distinctive de cet illustre producteur aurait pu élever ces compositions au niveau supérieur.
On sent aussi un groupe encore un peu léger en terme de composition. Ronnie James Dio contribue à une chanson et son épouse à deux (dont un "Black Window" très lourd, très ... Black Sabbath ...).
Toutefois, la reprise du "Piece of My Heart", le succès d'Erma Franklin (sœur d'Aretha), propulse le combo sous les feux des projecteurs grâce à MTV qui retransmet le clip. Une reprise quelque peu brutalisée par une batterie mal équilibrée et trop métronomique, et toujours ces six-cordes inutilement gavées (comme des oies) de grosse saturation crépitante, heureusement sauvée par un chant juste, ad-hoc, dans le ton (plutôt celui de Janis Joplin). Ce n'est certainement pas la meilleure version, mais elle a le mérite d'avoir servi de tremplin au quatuor.
On note aussi une seconde reprise du groupe australien The Choirboys : "Never Gonna Die". Probablement le titre le moins intéressant et le plus ouvertement orienté "radio" de la première galette de ce quatuor sortie deux ans plus tôt.
On ne sait pas trop si la troupe cherche à marcher dans les traces de Dokken - avec maladresse - ou dans celles de Dio. Les deux reprises se démarquant bien trop avec l'ensemble, ce qui n'arrangea rien.
En costumes d'apparat ... |
Enthousiasmé par les résultats encourageants, le label offre les services du célèbre producteur Jack Douglas pour le second chapitre, "Wants You !".
Plutôt que de se fondre, et forcément de se perdre, dans la multitude des groupes californiens d'alors, saturée d'apprentis guitar-heroes, de chanteurs égocentriques généralement plus soucieux de rapidité d'exécution que de feeling, et de poseurs aussi ridicules que leur accoutrement, Rough Cutt avait réussi à se constituer une personnalité propre.
Certes, les brushings (le nouveau guitariste, Amir Derakh opte même pour la décoloration capillaire) et les frusques de carnaval - quasi obligatoire depuis le raz-de-marée "Van Halen" - restaient de mise, cependant, au delà du look, la musique se détachait de la masse.
Ne serait-ce que par le chanteur avec son timbre enfumé, bien loin des cris stridents et des gorges infectées de laryngotrachéite,
Et bien sûr, il y a la musique qui s'inscrit plus dans un Heavy-rock passablement épicé de Blues que dans les Glam-Metal braillards, Heavy-Metal ou autres Hard-FM chargés et ampoulés qui déferlaient alors sur les ondes et occupaient presque toutes les scènes nord-américaines.
Ainsi, l'entrée en matière est trompeuse avec un Glam speedé sans grande originalité, principalement fait pour faire scander un public plus avide de décibels que de finesse. "Rock The USA" paraît être un passage obligatoire pour répondre à une demande, tant elle se démarque de l'ensemble de l'album. Avec "Bad Reputation", Rough Cutt se démarque déjà des productions du moment. Et plus encore avec "Don't Settle For Less" qui parvient à allier chant puissant et mélodique à une orchestration appuyée, proche des brûlots de Sammy Hagar, tout en exhalant un léger parfums bluesy dû principalement au timbre singulier de Paul Shortino. L'influence de Dokken y est évidente, notamment dans la recherche d'une alchimie entre un chant relativement Pop, relayé par un shouter de Hard-rock à une orchestration foncièrement Heavy et catchy. Bref, en dépit de refrains, voire de couplets que certains adeptes de Heavy-Metal qualifieraient de "FM" (?), ça reste trempé dans les fonderies de Pittsburgh. Même lorsqu'ils osent utiliser quelques ingrédients funky avec "Hot 'N' Heavy". Au contraire, cela permet même de propulser ce titre en orbite.
Encore mieux, la ballade de rigueur - exercice pouvant s'avérer scabreux -, en l'occurrence "Take A Chance", évite le pilori en ne trahissant pas la "coloration sonore" du combo ; et surtout, en faisant fi de toute ornementation douteuse. Il y a bien une concession faite avec une fine nappe de clavier sur l'avant dernier mouvement, mais la paire de gratteux, guère complaisants, s'échinent à la couvrir.
Sans oublier "The Night Cries Out (For You)" qui clôture l'album et qui se place dans la mouvance des sympathiques ballades appuyées des 80's, largement inspirées - mais moins authentiques - de celles gorgées de Soul ou/et de Blues, de la décennie précédente. Evidemment, on pense au "Home Sweet Home" de Motley Crüe, aux "Coming Home", "Heartbreak Hotel", "Nobody's Fools", "Don't Know What You Got" (ouf) de Cinderella, au "Slippin' Away" de Dokken , à "The Ballad of Jayne" de L.A. Guns, aux "Winds of Change" et "Rescue Me" d'Y&T, "House of Broken Love" de Great-White, "Empty Rooms" de Gary Moore, "Barely Holding On" de Lee Aaron, et puis ...
- Bon ! T'as fini oui ? On arrête là, s'il-te-plait ! Tu ne vas pas tous les énumérer ?! -.
Ouais, Ok ... sinon ... on peut mentionner aussi "Angel" d'Aerosmith dans la catégorie supérieure.
En tout cas, cette pièce, en dépit sur quelques passages d'une guitare grévée par un effet de chorus trop marqué (un effet incontournable dans les années 80, bien que pas toujours du meilleur goût), offre un final proche de l'apothéose, grâce notamment à ces volutes de Soulful viril prodigué par Shortino. Peut-être que la paire Derakh-Hager et surtout le batteur (faut toujours qu'ils tapent comme des sourds, ceux-là) auraient pu être un peu moins brutaux sur le pré-coda.
Outre la dernière pièce, qui reste un met particulier, à part, - comme un subtil digestif -, et qui donne de la saveur à ce disque, ce sont les morceaux en mid-tempo (majoritaire) où la musique respire, exhalant une certaine et toute relative fraîcheur, en prenant soin de ne pas l'étouffer par un flot ininterrompu de distorsions boueuses, de déferlement de percussions et de beuglements trop courant à l'époque. Si Rough Cutt, en perdant tour à tour Jack E. Lee et Graig Goldy, deux des plus fines gâchettes de la côte ouest, ne peut plus briller à travers un guitariste flamboyant, il a par contre gagné en cohésion avec Amir Derakh. Ce dernier ne s'égare jamais dans des soli narcissiques qui déséquilibreraient ou terniraient la chanson. Les rythmiques sont amples et cossues ; entre soie et acier trempé.
Et puis il y a cette voix. Cette voix enfumée, chaleureuse, voilée, finalement plus Soulful que hurleur de Hard-rock, gorgé de Blues et de Soul, entre John Lynn Turner, David Coverdale, Eddy Money, Steven Tyler et Jeff Keith.
Plus tard, le groupe avouera avoir dû constamment lutter pour ne pas plier sous une pression du label leur intimant de réaliser quelques pièces plus commerciales. Shortino et Derakh diront de cet album qu'il fut une source de fierté mais aussi de frustration. Il est vrai qu'il semble manquer vraiment peu de choses pour en faire un grand disque. A moins que - qui sait ? - parfois c'est cette lourde pression - du management ou du label - qui a permis de franchir un cap, de s'élever.
Pourtant, "Wants You !" a mieux vieilli que pas mal d'autres albums du même genre de la décennie qui avaient pourtant remporté du succès à l'époque.
Éprouvés par des années d'efforts et de vaches maigres, dépités de constater que des formations du même milieu et bien moins talentueuses remportaient un succès nettement plus profitable, les nerfs des musiciens commencent à lâcher et des dissensions s'immiscent. L'ambiance délétère mine le groupe et incite Paul Shortino à rejoindre le groupe Angelin Quiet Riot, dont le succès phénoménal des années 1983, et 1984 (2), allait éveiller l'intérêt des gros labels sur la scène Hard-rock et particulièrement de la scène Glam californienne. Le chanteur Kevin DuBrow, entre "grosse tête" et consommation régulière de stupéfiants, était devenu ingérable, et le groupe préféra prendre les devants et l'évincer au profit de Shortino.
C'est le coup de grâce et Rough Cutt ne s'en remettra pas. Pas facile de remplacer un chanteur de cet acabit.
De l'autre côté, le mariage Quiet-Riot-Shortino qui accouche de "QR" (parfois surnommé "Quiet Riot IV") et qui donne une mixture de Kick Axe (même producteur) et évidemment de Quiet-Riot et de Rough Cutt, même s'il gagna d'ardents défenseurs aucunement perturbés par le changement opéré, ne trouve pas son public. Le groupe n'y survit pas.
Résultat : tout le monde au chômage.
En 2016, Rough Cutt se reforme, une fois n'est pas coutume, avec tous les membres originaux de la période 1984-1987, et tournerait toujours actuellement.
- Side one
- "Rock the USA" (C.Hager, Matt Thor, Shortino, D. Alford) - 2:58
- "Bad Reputation" (A. Derakh, Thorr, Alford) - 3:43
- "Don't Settle for Less" (Hager, Shortino, Thorr, Alford) - 2:33
- "Hot 'n' Heavy" (Hager, Derakh, Shortino, Thorr, Alford) - 4:46
- "Take a Chance" (Hager, Derakh, Shortino, Thorr, Alford) - 4:04
- Side two
- "We Like It Loud" (Hager, Derakh, Shortino, Thorr, Alford) - 3:58
- "Double Trouble" (Hager, Derakh, Shortino, Thorr, Alford) - 3:44
- "You Wanna Be a Star" (Hager, Derakh, Shortino, Thorr, Alford) - 2:44
- "Let 'em Talk" (Hager, Shortino, Thorr) - 3:35
- "The Night Cries Out (for You)" (Hager, Derakh, Shortino, Thorr, Alford) - 4:52
(1) Ronnie James Dio avait déjà auparavant aidé à produire quelques titres du quintet, dont certains atterrir sur deux compilations remarquées. En 1985, pour leur projet "Hear 'N' Aid", le couple Dio, fait appel à Paul Shortino pour chanter sur la chanson "Stars", ainsi qu'aux autres musiciens du groupe pour participer aux chœurs. [lien ⤇ "Hear 'n' Aid" (1986)]
(2) Pour mémoire, le succès inattendu de ce quatuor Angelin est essentiellement dû à une reprise particulièrement réussie de "Cum' On Feel The Noize" de Slade. Le producteur Spencer Proffer constatant les similitudes évidentes entre Kevin DuBrow et Noddy Holder, et cherchant à hit potentiel pour lancer l'album, propose de reprendre un titre du quatuor de Wolverhampton. Jackpot ! Plus d'un million de 45 tours vendus rien qu'aux USA.
[ - articles / Slade (clic-lien ⇒) : "Slade Alive !" (1971) ; "Sladest" (1973) ; "What Happened to Slade" (1977) ]
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Article connecté ⇨ Paul Shortino's The Cutt "Sacred Place" (2002)
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