Californie, San Diego, le 18 septembre 1975. Californie toujours, Oakland, le 20 septembre 1975. Deux dates qui ont marqué deux immenses établissements de la côte ouest. Respectivement, le Sports Arena, puis le Coliseum (qui porte bien son nom puisqu'il peut accueillir plus de soixante mille âmes). Ces jours là, une tornade blanche s'est abattue sur eux. Les murs s'en souviennent encore. On raconte d'ailleurs qu'une partie du personnel encadrant, non préparé, serait devenu sourd - ou du moins, dur de la feuille. Quand une autre partie, traumatisée, a donné sa démission. Pourtant, cette tornade n'est pas apparue soudainement, sortie du néant. Cela faisait un moment qu'elle tournait, gagnant progressivement en force et en agressivité. Certes, quelques années auparavant, on l'avait cru finie, cramée par ses propres excès. La tornade avait carrément disparu dans la nature.
La Tornade Blanche, évidemment, c'est Johnny Dawson Winter III. Le fameux pyromane dégingandé albinos, qui fout le feu à toutes les scènes qu'il prend d'assaut. No quarter. Bien qu'absolument respectueux du Blues, et de ses géniteurs, Jeannot, emporté par un tempérament que sa frêle silhouette ne laisse pas soupçonner, sur-électrifie lui l'idiome des "douze mesures". Comportement parfois aussi enflammé par quelques consommations de boissons corsées et de substances illicites - celles qui ont déjà failli avoir rapidement raison de sa santé. Comportement également encouragé par un management et un label qui constatent que le public d'alors est plus réceptif aux décharges d'électricité et à l'exubérance d'huluberlus extravertis qu'aux complaintes de pauvres hères à la guitare à résonnateur (le festival de Newport fait déjà partie de l'histoire ancienne - il renaîtra plus tard).
Ainsi donc, en juin 1974, Johnny Winter repart sur la route – qu'il n'a pas vraiment quittée, sinon pour enregistrer de nouvelles chansons – avec Floyd Radford. C'est directement sur scène, lors de la tournée européenne débutant par Paris, que les deux guitaristes trouvent leurs marques. C'est même là que cette dernière mouture joue ensemble pour la première. Ça a dû partir un peu dans tous les sens, même s'il y avait pas mal de reprises. De retour au pays, le groupe, désormais affûté, enchaîne avec une interminable tournée, et ce célèbre « Captured Live » en est un succinct témoignage.
Sérieusement secondé par le jeune Radford, Winter se complaît dans une débauche d'électricité. Jamais jusqu'alors il n'avait autant mérité son surnom de « Tornade Blanche », avec ce déferlement de notes vitriolées, gonflées par l'omniprésence d'un phaser bouillonnant (probablement la MXR Phase 90 créée en 1974). Les stacks Marshall sont à fond avec un max d’aigü (on peut parfois entendre poindre le larsen), poussés par des Gibson Firebird survoltées, sauvagement attaquées par un jeu véloce, fulgurant mais précis, grâce à sa technique de finger-picking hybride, avec un onglet au pouce.
Derrière, le pauvre Radford, qui jamais ne démérite, mais qui a parfois du mal à se faire entendre. Surtout lorsque Winter dégaine son bottleneck, projetant alors de toutes parts des copeaux de métal chauffé à blanc. Il est d'ailleurs regrettable que Radford n'ait pas été un peu plus mis en valeur. D'autant que son jeu qui paraît occasionnellement se parer d'un voile jazzy, couplé à une tonalité plus mate et veloutée (Gibson ES-335 oblige), tempère l'agression sonique du père Winter. Pourtant, l'Albinos ne semble pas le museler. Au contraire. Alors ? Volonté de Johnny Winter sur la balance des concerts, ou bien un mixage de l'album plus favorable ? Sur le "Johnny Winter And Live", l'écart entre Winter et Derringer est moins flagrant.
L'album peut s'avérer saoulant, assommant même avec ce débordement de guitares électriques surexcitées, ayant parfois du mal à se contenir. Au point qu'il arrive que les deux guitaristes partent tous deux en même temps, mais chacun de son côté, dans des soli échevelés – funambules menaçant de tomber dans la cacophonie. Véritables tempêtes de coutelas d'acide Heavy-blues, de perce-oreilles électriques, qui auront vite fait de donner bouffées de chaleur, migraines et vertiges aux esgourdes délicates. D'autant que derrière, la section rythmique s'emploie à scrupuleusement déblayer le terrain aux deux outlaws de la six-cordes. Richard Hughes, au jeu explosif et dynamique à la batterie, avec Winter depuis son retour de 1973, et qui mettra fin à ses jours en 1983, à l'âge de trente-deux ans. Et puis Randy Jo Hobbs, sempiternellement chapeauté (casquette, stetson, chapka, tout y passe, mais rares sont les photos où on peut le voir tête nue), issu des McCoys, tout comme Rick Derringer qu'il a suivi lors du Johnny Winter And. Après le départ de Winter, il retrouve l'instant d'un album (« Jump on It »), Ronnie Montrose, qu'il avait connu lors des sessions du « Edgar Winter's White Trash ». Par la suite, il renoue à l'occasion avec son vieux copain, Derringer. Mais d'importants problèmes de toxicomanie freinent sa carrière, que ni son talent - reconnu par la profession -, ni son charisme et sa bonne humeur ne parviennent à sauver. Il décède à 45 ans d'insuffisance cardiaque.
La première face déroule quatre morceaux de heavy-boogie-blues-rock épicés fortement marqués par la personnalité de Johnny Winter. « Bony Moronie », vieux hit de 1957 dépoussiéré à coup de décharges électriques, « Roll With Me », qui bien que de la plume de Rick Derringer, s'inscrit parfaitement dans le style du Texan albinos, « Rock & Roll People », offert par John Lennon, qui, entre les mains de Winter et de ses sbires prend du poil de la bête (la chanson, pas Lennon), et un « It's All Over Now » transfiguré, faisant passer la version des Stones pour une comptine. Pas seulement à cause l'orchestration nettement plus canaille et caleuse, mais aussi par le timbre rocailleux de Mister Winter. On l'omet, mais les cordes vocales de ce gars là étaient rugueuses, granitiques, totalement adaptées au Rock le plus brut et au Blues le plus terreux.
Sur la seconde face, Winter lâche les chevaux, se laissant entraîner par sa propre fougue et ses pulsions. « Highway 61 Revisited » de Bob Dylan, méconnaissable, copieusement harderoquisé, s'efface pour céder la place à un Winter transfiguré, dans un formidable et puissant festival de slide, qui démontre avec évidence qu'en la matière, à cette époque, il était l'un des meilleurs. Final sur « Sweet Papa John », slow-blues caniculaire, où pendant quatre minutes et des poussières, la section rythmique se tait. Floyd et Johnny faisant seuls face à la foule. Le retour du duo basse-batterie casse un peu l'atmosphère, lui fait perdre en intensité.
Seulement deux morceaux sur la "face B", un de dix minutes et un second de 12, mais on en ressort exsangue.
Le premier album live ne comportait aucun original, celui-ci, deux. En comptant « Roll With Me », une composition de son ancien lieutenant, Rick Derringer. Certes, ça fait toujours peu. Toutefois, une fois aspirées par la Tornade Blanche, les reprises sont transfigurées. Au point où même un truc de C. Goya ou de Topaloff serait transformé en une incandescente pièce de Heavy-blues-rock.
Cet album marque la fin d'une période. Celle d'un fabuleux triptyque, combinée à celle - la plus fructueuse - qui l'aura amené à se produire dans des stades. L'année suivant la sortie du présent disque, il rencontre Muddy Waters, et décide de s'impliquer pour relancer le vieux et emblématique bluesman au creux de la vague, et de revenir aux fondamentaux du Blues. Même si ce retour à des ambiances plus roots va impacter les ventes d'albums. Heureusement que Winter est chez Blue Sky Records ; label créé par Steve Paul, le manager des frères Winter, pour que ces derniers gardent une certaine liberté (et éventuellement promouvoir d'autres artistes de Blues, en plus de Rick Derringer). Lorsque Johnny se laisse embobiner par Bruce Iglauer et rejoint Alligator Records, Blue Sky ferme la boutique.
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💀 👉 Johnny Winter - R.I.P. 23 février 1944 - 16 juillet 2014
💢 Tin House " Tin House " (1970)
Disque de chevet de mes jeunes années d'apprentissage (de la musique), découvert chez un pote vers 14-15 ans, sa version de "Highway 61" est tout bonnement phénoménale, avec ce long passage batterie/guitare (j'adore le son de la batterie, et bien sûr le jeu du gars), puis la rythmique qui les rejoint, puis la basse, pour un final apocalyptique. La reprise "It's all over now" est elle aussi superbe. Malgré tout, je pense que le dernier titre "Sweet papa John" donne dans une démesure virtuose un brin assommante (pour reprendre ton terme), au point de l'avoir amputé de mes transferts sur cassette TDK... Il faisait le même coup avec des titres comme "It's my own fault" sur de précédents live, qui tutoyait le quart d'heure.
RépondreSupprimerJohnny Winter, en plein été... (OK, je sors)
RépondreSupprimerVous pouvez effectivement aller faire un p'tit tour ! :)
Supprimerz'aime bien... 😛
SupprimerQuand les journées sont dures, le pire des calembours fait toujours du bien
Johnny Winter ouais bof ! Je préfère ses disques studios aux live , a part peut-être le "Johnny Winter and..." En live je le trouve trop brouillon , voire parfois inaudible . J'ai eu le privilège d'assister à son dernier concert au Cahors Blues Festival , c'était assez pathétique tellement l'homme était diminué , quant'au jeu de guitare c'était carrément bordélique!
RépondreSupprimerEffectivement mais pas sur le captured live, l’utilisation de la saturation et du phasing couvre tout 😉 mais ses dernières années sont pathétiques ,il accrochait tout le temps obligé de prendre un deuxième guitariste pour cacher la misère !!!
RépondreSupprimerRory un jour, Johnny le lendemain...deux légendes de la six cordes en une semaine !
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec JP, l'heure étant à l'apaisement, aux alliances, voire à la compromission. Les disques live sont vraiment pénibles. Dans les enregistrements en studio il y a la triplette magique Still alive and well / Saints and Sinners et surtout Lord Dawson Winter III. Je l'ai vu il y a assez longtemps à SaintJean-De-Luz, c'était déjà pathétique (le cadre, une salle de pelote basque, y faisait aussi pour beaucoup).
RépondreSupprimerVu à Patrimonio en 2002. Consternation... il avait même du mal à se déplacer jusqu'à sa chaise. Néanmoins, il insista pour répondre au rappel - où l'harmoniciste dû prendre le relais au chant. Plus d'voix.
SupprimerEn fait, il était sous l'emprise d'un manager véreux qui le maintenait dans cet état avec un traitement "médical inapproprié". Ainsi "zombifié", il était son jouet qu'il exploitait jusqu'à l'épuisement, le faisant produire quasiment comme un phénomène de foire. L'argent allant bien évidemment dans la poche du manager, Winter restant sans le sous, pris au piège...
C'est Paul Nelson qui l'en sorti, et qui s'en occupa comme un fils reconnaissant et respectueux.
Apaisement oui ! alliance pourquoi pas ! mais compromission ca non jamais! Ceci dit au sujet de ta triplette magique je vais suivre tes conseils et voir cela de plus près , sachant que si les deux premiers cités sont facilement trouvables , le "Lord Dawson" ne semble plus disponibles.
RépondreSupprimerDommage, c'est le meilleur des trois. Et de sa discographie.
SupprimerJe rejoins SM au sujet du triptyque (j'crois bien que j'ai mentionné quelque part "fabuleux triptyque").
RépondreSupprimerEt étonnamment, si "Still Alive and Well" ressort immanquablement dans les nombreux écrits sur Winter, les deux autres sont souvent - et injustement - passés sous silence. D'ailleurs, des trois, seul "Still Alive and Well" a été le sujet d'une digne réédition, alors que les deux autres sont probablement meilleurs.
On remarque que "Second Winter" a eu droit à sa version Deluxe, alors qu'il ne suit pas la comparaison avec aucun du "triptyque".
PS : sur "Johnny Dawson Winter III ", "Self Destruction Blues" semble être une relecture de "Tush" avec plus de notes 😁
Sinon, la période "Point Blank" est plutôt un bon cru, en particulier "Hey, Where's Your Brother ?" de 1992
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