- Saut dans le temps Claude… Après Mozart, Brahms, Dvorak… nous quittons les époques classique et romantique et nous voilà en 1993, un chronique musique moderne…
- Oui Sonia, mais pas une œuvre hermétique… je te rassure. Ce concerto est une réponse à une commande pour un ballet pour the New York City Ballet.
- L'orchestration est riche, il y a même deux synthétiseurs qui auraient fait le bonheur d'un claviériste d'un groupe de Rock…
- Oui Adams aime les kaléidoscopes de timbres, mais sa musique n'est jamais orchestrée de manière outrancière…
- Ce n'est pas le premier billet consacré au compositeur américain je crois…
- Exact : Harmonielehre, chef d'œuvre symphonique en hommage à Schoenberg et une œuvre pour piano titrée Phrygian Gates, nous allons en reparler…
John Adams |
J'avoue que je me désespère de ne pas trouver en Europe de nouveaux compositeurs contemporains qui me passionnent. J'exclus l'école polonaise et quelques musiciens originaires des pays baltes ou scandinaves. Même là-bas, le temps passant des successeurs de Penderecki, ou de Gorecki, disparus au début du siècle, se font cruellement absents. Arvo Pärt fêtera ses 89 ans en septembre, Pēteris Vasks vient de célébrer ses 78 ans. Kaija Saariaho finlandaise très imaginative et parisienne d'adoption nous a quittés prématurément… Consulter l'index…
En France, Pascal Dusapin occupe tout l'espace disponible…. Sa musique m'ennuyait, me semblait errer sans but expressif précis. La production discographique étant maigre, il m'était difficile de passer aux étapes suivantes : la transition du désintérêt à l'interrogation, avec à la clé l'engouement… À suivre…
Je le fus aussi avec les fresques avant-gardistes et spiritualistes de Messiaen avant de les encenser. Je suis en train d'écouter une œuvre symphonique ambitieuse de Dusapin nommé Morning in Long Island. Eh bien, il est possible que j'explore plus finement sa musique… Je ne peux m'empêcher de songer pendant l'écoute à un poème symphonique marqué par la fantasmagorie et le cocasse, une chorégraphie de timbres colorés… À voir ensemble plus tard… Houlà, je m'égare… Sonia va râler 😊
Ceux qui suivent mes billets depuis 2011, connaissent mon intérêt pour les divers courants musicaux américains, notamment la technique minimaliste et répétitive qui, bien que moderne dans sa forme, passionne les publics de tous les horizons, y compris dans nos contrées. Ainsi, nous avons écouté des œuvres dans les genres très variés de Philip Glass, Steve Reich, Michael Nyman sans compter les compositeurs de musiques de films et, comme le note Sonia, John Adams…
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Leila Josefowicz (née en 1977) |
La biographie et les orientations artistiques de John Adams sont détaillées dans la chronique consacrée à une œuvre pour piano, Phrygian Gates (Clic). Un second billet commentait une œuvre symphonique à l'instrumentation et aux rythmes débridés, titrée Harmonielehre, en dédicace au traité d'harmonie éponyme de Schoenberg. L'ouvrage imposant soulignait l'intérêt du compositeur pour une large palette d'écritures, du dodécaphonisme au minimalisme, voire le jazz, etc... Adams réinventait des styles d'orchestration luxuriants aux sonorités et timbres illimités et, plus encore, il refusait de se soumettre à une facture obligée à l'inverse de l'école française liée au sérialisme intégriste. (Clic).
À la fin du XXème siècle, un tel éclectisme était fort mal vu dans la France conservatrice sauf des jeunes compositeurs dont on parle si peu ! En 2000, Pierre Boulez, acerbe envers les créateurs n'intégrant pas son cénacle et ses théories, répondait lors d'une interview qu'Adams n'était qu'un compositeur de variétés 😊, alors qu'il ne connaissait que sa cartoonesque Symphonie de Chambre pour quinze virtuoses, donnée par l'ensemble inter contemporain en 1992. Œuvre qui fut jugée superficielle par le maître à penser français… (Condamnation plutôt zarbie car cette symphonie chambriste délirante s'inspire formellement de celle de Schoenberg… et que Boulez n'était pas dénué d'humour.)
Ah ! Je viens de lire une mini bévue sur Wikipédia, à savoir que ce concerto appartient au genre minimaliste. C'est inexact. La musique minimaliste ou répétitive se caractérise par la répétition pulsative de motifs de notes de valeur et de durée égales. Écoutons les exemples proposés dans le blog : la musique pour 18 instruments de 1978 de Steve Reich (Clic). Steve Reich, l'un des pères fondateurs avec Philip Glass de la technique et, justement, autre comparaison flagrante, l'écoute du concerto pour violon de Glass de 1987 interprété par Gidon Kremer également interprète de premier plan de celui de Adams quasi contemporain. (Clic) Comme je l'écrivais "Le violon aborde sa partie secrètement, pudiquement, par une mélodie dont l'écriture minimaliste et répétitive semble laisser place à une mélodie de l'âge classique". Glass lui-même s'affichait comme s'écartant par souci poétique de cette forme postmoderne. Glass et encore plus Adams rejettent toute attitude de gourou…
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Jorja Fleezanis et John Adams |
Edo de Waart et Jorja Fleezanis
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Une coquille musicologique "minimaliste" Wikipédia qui me permet d'enchaîner 😊. Et puis quel intérêt de tenter obstinément de classer l'œuvre dans une catégorie académique ?
Dans la dernière décennie du siècle dernier, John Adams se détache sensiblement de la musique répétitive. Il suffit pour s'en convaincre d'écouter l'introduction très mélodique, ondulante certes mais ne suivant pas un rythme très rapide et synchronisé sur le tempo indiqué, la noire à 78. En parcourant la partition, la conclusion que ce concerto tourne le dos à la période répétitive est sans appel. Même si la mention sempre sostenuto sous la portée dédiée au synthétiseur 1 indique que le recours au rubato est à rejeter, la notation dolce cantabile attribuée au jeu du violon solo suggère plutôt la sensualité que le staccato marqué caractéristique du minimalisme.
La quarantaine passée, de nouveaux horizons se dessinent dans l'art de Adams. Et puis je trouve vain le jeu "à la manière de ?". Tout compositeur subit des influences en début de carrière, Haydn et Mozart pour Beethoven, Steve Reich présentement. Dès 1977, Adams commence à enrichir ses partitions répétitives d'une orchestration de plus en plus jubilatoire et à prendre ses distances avec ses ouvrages de la première période en recourant à une écriture plus libre mêlant la tradition et le sérialisme, l'idée l'emportant sur la forme. Adams compose à la manière de Adams, point ! Autre fait notable, hormis quelques quatuors et quintettes, très rares sont les œuvres titrés de manière académiques comme sonates, symphonies, etc... Ce concerto étant l'exception qui confirme la règle 😊.
Le concerto est la réponse à une commande du New York City Ballet et de l'orchestre du Minnesota. La violoniste Jorja Fleezanis, leader de l'orchestre commanditaire dirigé par son directeur Edo de Waart ont assuré la création le 19 janvier 1994 à Saint Paul. Le concerto a reçu le prix Grawemeyer de l'Université de Louisville.
En cas d'idée fausse, mes chers amis, l'orchestre du Minnesota est une remarquable phalange US qui fut dirigée entre 1930 et 1986 et en continu par Eugene Ormandy, Dimitri Mitropoulos, Antal Doráti, Stanisław Skrowaczewski, Neville Marriner. Le jeune chef japonais Eiji Ōue qui a présidé aux destinées de l'orchestre entre 1995 et 2002 a signé l'une des meilleures gravures modernes du Chant de la Terre de Mahler. (Clic)
- Waouh ! que du beau monde Claude…
- Pour sûr !
Yamaha SY99 |
L'orchestration requise est très variée mais l'effectif reste proche de celui d'un orchestre de chambre en ce qui concerne les pupitres classiques. On peut la rapprocher de celle d'une symphonie de Mahler, d'un poème symphonique de R. Strauss ou de Schoenberg, mais la subtilité et la transparence qu'autorise un nombre restreint d'instrumentistes conviennent à merveille à un concerto pour violon ; pas de pathos, pas de climax tonitruants…
2 flûtes (alternant piccolo et flûte alto), 2 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes + clarinette basse, 2 bassons, 2 cors, 1 trompette, timbales. Côté cordes : 6 violons I et 6 violons II, 5 altos, 5 violoncelles, 2 contrebasses. (Possibilité d'étendre le nombre de cordes…)
Nonobstant la présence de bois complémentaires, cet orchestre traditionnel n'est autre que celui de Haydn ou du jeune Beethoven (pas de trombones, une seule trompette en do, les bois par 2).
Côté percussions, ça se corse : deux percussionnistes, mais qui sont très sollicités !
Guiro, 3 tambours bongo, 2 congas, grosse caisse, cymbale suspendue, tambourin, clapi claps, cloche haute, vibraphone, marimba, cloches tubulaires.
Électronique : deux synthétiseurs, pour la création : Yamaha SY99 & Kurzweil K2000.
Dès sa création, ce concerto d'Adams a connu un franc succès et a intégré le grand répertoire. Les gravures sont nombreuses surtout captées par la jeune génération de violonistes. Curieusement le disque du jour bien noté par la critique en concurrence avec celui de Gidon Kremer ne comporte pas de complément…
Leila Josefowicz née à Toronto, fille d'une généticienne et d'un physicien, s'installe dès gamine en Californie. Repérée surdouée avec une oreille absolue innée, elle débute le violon à l'âge de trois ans. La jeune prodige intègre à 13 ans le Curtis Institute en s'étant déjà produite préado dans les concertos no 1 de Paganini, no 3 de Saint-Saëns, no 1 de Bruch, no 2 de Wieniawski, no 5 de Vieuxtemps et no 3 de Mozart. Elle suit les cours de Jaime Laredo qui, une dizaine d'années plus tard conseillera… Hilary Hahn.
David Robertson |
S'en suit une carrière brillante où, parcourant le monde, elle interprète tout le catalogue concertant accompagnée par les orchestres les plus réputés de la planète. Très engagée au service de la musique de son temps, en 2009, Esa-Pekka Salonen lui compose un concerto qu'ils créent avec la philharmonie de Los Angeles dont Salonen est le directeur. La même année, avec l'Orchestre symphonique de Birmingham, autre création du concerto de Colin Matthews. L'année suivante, création à Cleveland du concerto de Thomas Adès. Enfin, en 2015, John Adams écrit à son intention la symphonie dramatique pour violon et orchestre Scheherazade.2. La première aura lieu à la Philharmonie de New-York dirigée par Alan Gilbert. La violoniste n'a alors que… 38 ans ! Le disque de ce jour date de 2018 mais l'artiste avait déjà enregistré le concerto avec l'orchestre de la BBC en 2002. Gala : Leila Josefowicz est l'épouse de Kristjan Järvi, maestro et second fils de l'illustre Nemee Järvi.
Scheherazade.2. a déjà donné lieu à la publication d'un disque dans lequel, comme pour le concerto, Leila retrouve l'Orchestre de Saint-Louis et le chef David Robertson. Né en 1958, le maestro privilégie la musique moderne dans son parcours. Il dirige l'Ensemble inter contemporain entre 1992 et 1999 puis l'Orchestre national de Lyon jusqu'en 2004. De 2005 à 2018, il devient chef permanent de l'Orchestre de Saint-Louis… La liste vertigineuse d'ouvrages contemporains créés par David Robertson dépasse la capacité de ce billet…
Conga, Guiro, clap clap en bois |
Le concerto comporte trois mouvements vif-lent-vif. Voilà bien le seul point commun structurel avec la tradition depuis l'époque baroque. Les sous-titres sont insolites :
1 - Quarter note ♩=78 (tempo difficile à respecter à la lettre) : Ceux qui attendent la thématique multiple de la forme sonate, ABA'B'C..., "abandonnez tout espoir" 😊 aurait dit Dante Alighieri. Le métronome rigoureux ♩=78 est-il un écho d'une continuité stylistique du mode répétitif d'Adams ? Oui et non ! Non en l'absence d'écriture de motifs minimalistes sans nuance, Adams signe le besoin d'un art en transition. Voici donc une introduction poétique et élégiaque, le violon énonce à l'infini une mélodie sinueuse ; les cordes notée p et le synthétiseur 1 l'entourent d'un écrin de doux arpèges ascendants, légèrement rythmés sur 4/4, suivant une tessiture délicatement louvoyante, peut-être une autre réminiscence de la période répétitive, mais ici évoluant avec grâce.
Ensuite… ne cherchons pas à sonder les fantaisies solfégiques (épreuve réservée aux super pros). Il faut juste se laisser guider par les innombrables changements d'atmosphères oniriques. Il n'y aura, comme précisé avant, aucun thème autre que cette péroraison initiale languissante. La clarinette interviendra comme la première invitée à ce bal idyllique. Se succèderont des caprices, des variations ludiques, quelques évocations transformistes de la mélodie introductive… Quand un prestidigitateur des timbres se cache derrière un compositeur…
Les synthétiseurs manipulent avec étrangeté les couleurs de l'aura sonore générale, remplacent dans l'orchestre quelques absents ; harpes, célesta. Ils improvisent des standards folks tel jamaïca… [9:00]. Adams ose tout, même la polyrythmie (4/4 ↔ 3/4).
Un concerto reste un concerto 😊. [12:10] De fait, une cadence emplie d'incertitude et de réflexion, tempo plus lent, ♩=60, introduit une mystérieuse mélopée égrenant des triples accords d'une virtuosité insensée exigée du soliste. Adams précise solo a piacere, laissant à celui-ci la liberté d'improviser. La cadence se prolonge par un égarement très concertant des bois aux sonorités surnaturelles et en complicité avec le synthétiseur (noté water flute, une sollicitation à simuler l'étrange et relaxant instrument). Cette sereine coda vient conclure en féérie absolue le mouvement.
Peter Martins - New-York City ballet 1995 |
2 – Chaconne : Body through which the dream flows (Corps par lequel coule le rêve) : N’épiloguons pas sur le sens du sous-titre… Une rêverie cette chaconne ? Difficile de contredire la métaphore choisie par Adams. Petit rappel, d’une danse plutôt alerte importée du nouveau monde, la chaconne a évolué vers une danse plus lente réservée au soirées chics des XVIIème et XVIIIème siècles. L’orchestre baroque s’en emparera comme thématique de pièces aux traits solennels. (Par exemple : Bach : partita N°2 Hilary Hahn ; ce best of pour violon a été transcrit pour piano par Busoni et pour l’orchestre par… devinez qui ? Leopold Stokowski bien entendu, qui n’a pas été pas le seul d’ailleurs.) Et puis la chaconne reste appréciée à notre époque par sa spiritualité furtive. Pour ces deux raisons, danse et méditation, elle a toute sa place dans un ballet ! De nombreux ballets de l'ancien temps se concluaient ainsi avec grandeur.
Adams utilise le terme d’hypermélodie pour définir cette chaconne qui débute par l’exposé à [0:30] d’un double thème par le violon (et non pas deux thèmes différenciés au sens sonate) qui vont se transfigurer, se lover avec l’orchestre dans une chorégraphie avec poésie et sensualité, nous intrigant par des timbres et des dissonances surnaturelles. Les synthétiseurs apportent un contrechant d’accords aux sonorités métalliques en écho avec celles du vibraphone et des cloches tubulaires.
[1:29] La complainte ondoie, la clarinette basse sera le premier instrument classique à prendre la parole, les cordes enveloppant le violon d’une brume délicate notée ppp, legatissimo et flautando ; une flûte d'essence divine ? Dois-je le préciser ? non !. La mélopée se poursuivra sans pause. Le violon sera le héros de la fantasmagorie dans laquelle les synthétiseurs se manifesteront en jouant le rôle de la harpe, du piano, de la guitare…. Tous les instruments seront sollicités, telles les clarinettes entonnant une suite guillerette d’arpèges drolatiques, [3:11] les cors suggérant la musique des sphère. Etc.
Aucun effet dramatique, climax ou autres crescendos pathétiques ne viendront troubler ce voyage à la fois astral et intime (le rêve et le corps). Des commentateurs jugent le concerto d’ Adams comme le plus intéressant depuis celui titré "à la mémoire d’un ange" de Berg (1935). Ça se défend à l’écoute de cette sublime chaconne !
3 – Toccare : 𝅘𝅥=148-164. Encore un sous-titre énigmatique… Quoique l'on en pense, on retrouve dans ce final un petit air minimaliste voire répétitif. Telle une farandole fantasque prise de folie, une cavalcade cartoonesque de doubles croches débute la pièce. Le synthétiseur 1 est noté organ… il faut l'ouïe fine, j'avoue. Plus tard il remplacera un ou une harpiste. [3:11] Une nouvelle section sans aucun ralentissement fait entendre un violon plus staccato, syncopé. Tiens, le synthé se la joue harpiste. Tiens, une trompette traverse le champ sonore. Tiens, je n'ajoute rien, vous l'avez compris, le final est un joyeux délire. La ou le violoniste mérite son cachet 😊 ! Leila a interprété ce concerto plus d'une centaine de fois… ce qui doit faire de cette artiste la championne toute catégorie de cette chevauchée fantastique de l'archet…
Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée. Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…
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INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. |
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Le concerto d’Adams connait une chouette discographie. Chacune assume son genre, un classement qualitatif n'a pas vraiment de sens. On peut savourer diverses conceptions. Je suggère trois gravures bien notées en dehors de celle de Leila Josefowicz et David Robertson.
1 - Gidon Kremer, chevalier blanc du violon contemporain, et Kent Nagano. En complément : Shaker Loops (Nonesuch – 1996). Pour certain, sans doute une référence...
2 - Robert McDuffie accompagné par le Houston Symphony Orchestra dirigé par Christoph Eschenbach (Telarc – 1999). En complément, le concerto pour violon de Philip Glass.
3 - Ilya Gringolts a enregistré en complément d'une version électrisante du concerto d’Adams celui de Korngold, un duo original. Un orchestre : la philharmonie de Copenhague ; deux chefs, successivement : Santtu-Matias Rouvali et Julien Salemkour (Orchid Classics – 2017).
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