- Heu, John Adams M'sieur Claude, pas le
second président des États-Unis, mais le compositeur contemporain dont vous
nous aviez déjà parlé pour un ouvrage pour piano.
- Oui Sonia, Phrygian Gates de 1978… Là
nous écoutons sa première œuvre pour grand orchestre. Un langage moderne,
certes, mais très accessible pour le grand public…
- Ouf, ça me rassure, parfois la musique
trop moderne me désarçonne… Une musique minimaliste et répétitive je suppose comme
celle de ses potes Philip Glass et Steve Reich…
- Ô vous suivez bien nos articles Sonia.
Oui et non car Adams n'a justement pas voulu s'enfermer dans un dogme en
réaction au tout sérialiste, il combine les deux…
- J'écoute et c'est vrai que cette
musique coule avec limpidité, on y ressent une certaine rêverie et puis quelle
richesse instrumentale… Waouh !
- En effet, Adams a travaillé à partir
de ses rêves assez cocasses et l'orchestration est digne de celle des Mahler,
Ravel and co…
John Adams dans les années 80 |
Face à ce risque d'enfermement dans le dodécaphonisme,
divers compositeurs vont se démarquer de ce courant intégriste. En France, Olivier Messiaen prendra ses distances
avec ce sérialisme intégral et rigide, et va entraîner à sa suite de jeunes compositeurs
comme Pierre Boulez, Stockhausen, Nono,
etc. Un vent nouveau naît également aux USA où, je l'ai souvent écrit, les
frontières académiques sont très poreuses… Fin des années 60, un groupe se
forme avec Terry Riley, Steve Reich,
Michael Nyman, Philip
Glass et John Adams,
celui des minimalistes. Je ne reviens pas en détail sur le concept déjà
développé dans plusieurs articles concernant ces créateurs. Le principe en deux
mots : des motifs brefs, répétés de manière obsédante qui peut parfois paraître
entêtante. La mélodie et le charme surgissent des sauts de timbres, de tonalité,
de rythmique et non des variations intrinsèques de la hauteur de notes isolées
comme chez les classiques ou les romantiques.
Plus jeune que ses camarades, John
Adams craint à son tour que la technique s'enferme dans des doctrines.
Après mûre réflexion, il décide en 1984 d'écrire Harmonielehre qui
fait appel au mode répétitif et minimaliste, mais enjolivé de mélodies
sérielles ou même chromatiques. Le titre de l'œuvre résume bien l'idée, puisque le
mot se traduit de l'allemand par "Étude d'harmonie", titre emprunté à
un ouvrage théorique de Schoenberg…
En explorant tous les genres musicaux, de la musique pour clavier à l'opéra, en
passant par les B.O. et les quatuors, Philip Glass
apportera beaucoup d'adaptations mélodiques après le très rigoureux Einstein on the
beach.
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Bay Bridge entre San Francisco et Oakland |
Adams pour sa
première œuvre symphonique se voit confronter comme tous ses confrères à deux
questions fondamentales : quel sujet d'inspiration et quelle forme ? Le compositeur
veut s'échapper du minimalisme sans pourtant le renier. Mais par ailleurs, il
ne souhaite pas revenir à un postromantisme dépassé ou au tout sérialisme, chasse-gardée
en occident.
L'idée va germer, de nuit, la tête sur l'oreiller…
Quoi de plus personnel qu'un rêve pour échafauder un programme original, sortir
des sentiers battus de la littérature et de la poésie ou encore de théories
musicales arides. Dans un songe, Adams voit un tanker se redresser puis
s'élancer vers le ciel telle une fusée Saturn
V rendue célèbre lors du projet Apollo. Le décor : la baie de San Francisco
et le Bay Bridge assurant la liaison
avec Oakland sur lequel roule le compositeur. La composition ne cherchera pas à
évoquer cette scène fantasmagorique mais à provoquer chez l'auditeur la
sensation viscérale des forces mises en jeu par la puissance du lanceur de 3500
t et l'effet d'accélération subit par les astronautes. Le premier mouvement par
ses ruptures de rythmes violents voire cataclysmiques en sera la plus nette
illustration.
Pour obtenir de son orchestre cet effet de combats de
titans mécaniques, Adams recourt à un effectif
instrumental impressionnant, capable de produire des tuttis et des climax dans
une tessiture très large :
Bell tree |
(*) Instrument étonnant constitué d'une pile de
petites cloches accrochées à la verticale, imbriquées les unes dans les autres.
On pense à la queue d'un serpent à sonnettes. Je rencontre cet instrument pour
la première fois 😮.
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La création aura lieu en 1985 sous la direction de Edo de Waart
dirigeant le merveilleux orchestre
symphonique de San Francisco.
L'enregistrement existe toujours. Aujourd'hui nous écoutons une gravure concurrente, celle de Simon Rattle, l'actuel patron de la Philharmonie de Berlin, qui dirige ici l'orchestre symphonique de la ville de Birmingham qu'il
connaissait très bien. Un disque auréolé de prix à sa parution en 1993. Toujours au catalogue dans
diverses présentations.
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1 - : Le premier mouvement, assez développé, ne porte
pas de sous-titre précis. (vidéos 1 & 2.)
L'introduction s'élance sur un martèlement répétitif (normal) et
apocalyptique mais légèrement arythmique de la grosse caisse et des timbales, traits
stridents des trompettes vs orchestre nimbé des percussions métalliques. On
pense à deux danses barbares du Sacre du
printemps de Stravinski
: (3) Le Rapt
et (11) Glorification
de l'élue. On pourra songer aussi aux coups de grenadier au début
d'une pièce de théâtre… [V1-0:22] Un thème très léger et trépidant s'interpose,
un motif a priori typiquement minimaliste mais pas que : cabriole des
percussions, des cordes et de l'harmonie, sans l'aspect ostinato de mise à
l'époque chez Philip Glass ou Steve Reich. L'inventivité d'essence chorégraphique
de l'orchestration apporte une fantaisie débridée dans le flot mélodique, une
esthétique sonore étincelante peu fréquente dans les musiques répétitives. Une
cavalcade joueuse qui préfigure Musique à grande
vitesse de Nyman
(1991). [V1-1:08] Dans un doux
crescendo, Adams continue de développer
la rythmique affirmée d'un kaléidoscope dans lequel s'affrontent des notes allègres
issues de tous les pupitres, des cordes au marimba, en passant par les flûtes,
les cloches, les cymbales et tant d'autres… Magique. Un enchantement qui va
s'éteindre en douceur. [V1-6:06]
Changement complet de style de composition. Un accord des cuivres libère
l'espace pour laisser les violoncelles chanter une mélodie profonde dans le
plus pure style classique ou romantique. On pense aux adagios de Mahler. Le compositeur ne tourne pas le
dos au minimalisme avec radicalité pour un retour au romantisme. Les nombreux
instruments de l'harmonie et du groupe des petites percussions dialoguent
intimement et illuminent de phrases inspirées des modes minimalistes le propos,
soutenant ainsi avec délicatesse le chant épique des violoncelles. Avec une
habileté confondante, Adams
réconcilie les solfèges ennemis au bénéfice d'une musique diaphane,
mélancolique et poétique.
[V2-5:02] Retour d'un langage scandé du minimalisme qu'il
n'abandonne pas mais étend à une forme élargie. Une coda démoniaque au phrasé
disloqué et sauvage se construit dans une furie conclusive. Est-ce le rugissement
audible à 50 km et plus de Saturn V-tanker, seconde après seconde ? Simon Rattle
sait que la régularité du tempo et le staccato le plus net sont la clé de la
réussite de l'interprétation de cette musique sans concession envers la suavité
parfois liquoreuse des musiques postromantiques. Une science de la direction
que le chef britannique maîtrise parfaitement pour cette gravure plébiscitée et
indémodable.
Amfortas (Gerd Grochowski) Opéra de Lyon |
Simon Rattle vers 1980 XXXX XXX |
* Imaginez Sean
Connery dans Au nom de la Rose en professeur de théologie à la Sorbonne
sous le règne de Philippe le Bel, il y a un peu de cela…
[V5-0:00] La forme minimaliste se réinsinue à travers
une thématique éthérée qui invite au recueillement. Tout débute par un dialogue
entre les violons dans l'aigu, l'harmonie et quelques percussions, dialogue rapidement
dominé par de longues phrases de facture classique et tonale aux cordes à [V5-0:57].
Au lointain, les contrebasses assurent le lien stylistique avec l'adagio. Peut-on
parler de prière en regard de la métaphore religieuse suggérée par le rêve ? [V5-4:12]
Les clarinettes et les flûtes introduisent une seconde idée très rythmée. Une
danse un peu folle entre marimbas, trompettes, puis glockenspiel et une myriade
d'instruments colorés, nous fait basculer vers l'univers de l'enfance, celui de la
joie et des débordements, celui de Quackie. Tous les pupitres sont mis à contribution pour éblouir l'espace sonore
d'une tarentelle de timbres. [V6-3:08] Un "choral" de cuivres
introduit une coda farouche et bondissante qui réconcilie minimalisme et
tonalité. Une furia de marimbas qui vont prendre feu et de percussions métalliques
donne libre court à une irruption volcanique de tout l'orchestre qui retrouve
en point d'orgue les chocs de grosse caisse et de timbales des premières
mesures de l'œuvre. Une tuerie sonore pour reprendre un terme à la mode. Et le
plus surprenant, aucun effet de confusion ! Merci M'sieur Rattle…
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