vendredi 22 juin 2018

MELODY GARDOT "Live in Europe" (2017) par Luc B.


Je ne sais pas si la photo de la pochette fera le succès du disque, mais le contenu j'espère. Bon, cette photo… Il faut rappeler que Melody Gardot a frisé la mort lors d’un accident (de vélo) en 2003, démolie de partout, façon puzzle, des années d’hosto, de rééducation, et aujourd’hui une patte folle, la canne sur laquelle elle s’appuie parfois n’est pas un accessoire snobinard, comme les verres fumés qui protègent ses yeux rendus très sensibles à la lumières des plateaux. Alors cette photo, c’est sans doute pour dire aussi : je suis vivante, et la reconstruction ne s’est pas si mal passée…
Ce disque est un recueil de titres joués à travers l’Europe entre 2012 et 2016. Melody Gardot en est l’auteur et compositeur. C’est sur son lit d’hôpital qu’elle s’est mise à la musique, fallait bien passer le temps, mais on parle de musi-thérapie. Bien lui en a pris. Les titres souvent longs prennent le temps de poser les ambiances (la longue intro aérienne de « The rain », le chant ne commence qu’après 4 minutes) la chanteuse guitariste-pianiste laisse beaucoup de liberté à ses musiciens, à savoir Chuck Staab à la batterie, Stephen Braun au violoncelle, Irwin Hall au sax et flûte, Sam Minaie à la basse. D’autres interviennent au grès des morceaux.
Le « Our love is easy » qui entame le disque est juste superbe, le poil sur les avant bras qui se dresse, la voix est fragile, sensuelle, ornée de violoncelle, comme le « Baby I’m a fool » qui suit. On est dans la ballade douce-amère, stylée. « The rain » (11 mn) est davantage en rupture, intro aérienne, puis le swing déboule avec le walk de basse, le jeu de piano de Gardot est assez free, comme ses parties de scat. On reste dans le registre de l’intime (la prise de son impeccable capte le moindre souffle de voix), on imagine mal Gardot remplir un Stade de France, l’écrin des petites salles sied davantage à cette musique (les titres parisiens sont enregistrés à l’Olympia). « So long » donne dans la bossa nova subtile, dans laquelle flûte et violoncelle s’entrecroisent, comme « Lisboa » (enregistré où ça ? à Lisbonne) qui convoquent davantage de musiciens, chœurs, orgue, trompette. « Over the rainbow » est la seule reprise du disque, un saucisson mille fois interprété, mais ici juste voix / violoncelle (joué à la manière d'une guitare !), un groove latin et tempo relevé.

Le second cd commence par un dialogue avec le public, puis le « Baby I’m a fool » déjà entendu sur le premier cd, arrangement à deux guitares. On vire au jazz tendance manouche avec « Les étoiles », chantée en français, la p’tite trompette bouchée et le sax qui vont bien… Retour au piano (forte) pour « Goodbye » (dédié, dit-elle à son ex boy friend !) plus musclé, gospel, cabaret, on pense un peu à Tom Waits, avec moins de clope dans le gosier tout de même ! Gardot reste au piano pour la suite (trois titres issus du même concert à Utrecht en avril 2016) un long et quasi instrumental « March for Mingus » (à savoir Charlie Mingus, immense contrebassiste et compositeur). Sam Minaie à la basse est donc à l’honneur, avant que tout ça ne s’emballe façon fanfare (traduisez : gros bordel !) Irwin Hall fait le coup de jouer avec deux saxophones en bouche (alto et ténor), figure de style toujours impressionnante. Ca vire au vieux blues rugueux, on entend d’ailleurs des bribes de « Nobody’s fault but mine » sur la fin, enchaînement de circonstance avec « Bad news », un presque blues, donc, où la chanteuse repasse à la guitare. « Who will comfort » est plus funky, une tournerie afrobeat qui aurait plu à Fela Kuti, avec (court) solo de batterie.       
On avait commencé à Paris, on y retourne pour le dernier titre, les 12 minutes de « Morning sun », orchestre étoffé, un registre jazzy plus pop, tiens, je pense un peu au live de Van Morisson « It’s too late to stop now », y’a de ça, qui se termine comme une longue transe instrumentale.
Fut un temps où les live étaient des compilations de titres sur une tournée, puis est venue la mode du concert unique (avec ou sans retouche). Melody Gardot a opté pour la première solution, des titres issus même de plusieurs tournées, avec des formations différentes. Elle déclare avoir réécouté 300 de ses concerts pour sélectionner les meilleures prises ! Pourtant tout est parfaitement cohérent, dans le son, l’ambiance, le disque est construit, les alcôves intimes du départ laissent place à des morceaux plus développés, aux arrangements plus complexes.
Ce disque est tout simplement superbe. Pas facile à la première écoute, il faut s’y replonger, en cerner les contours. Capable de susurrer des mots doux au micro juste soutenue par sa guitare, ou invoquer les foudres sonores et tonitruantes de son jazz band (les mecs savent jouer !) celle qui aurait pu être classée vite fait en beau brushing à voix de velours (d'autant qu'elle pousse la sophistication de ses coiffures et vêtements très loin, ce qui peut en agacer certains) s’avère une musicienne accomplie, une chanteuse sensible doublée d’une redoutable compositrice.
De 20 ans son ainée, Diana Krall me faisait chavirer à ses débuts, mais ça, c’était avant. Comme Norah Jones, que j’ai un peu perdue de vue, ou la p’tite Kathy Mulea dont les débuts étaient prometteurs (et qui fait quoi maintenant ?). Gageons, et espérons, que Melody Gardot garde cette même exigence musicale.  

  

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