- Dites M'sieur Claude… J'ai
vu un film super : Polina, danser sa vie… À la fin, il y a magnifique pas de
deux avec une musique géniale, vous n'auriez pas vu ce film et reconnu la
musique ?
- Mais oui, il y a un an,
en effet, dans la neige, c'est le mouvement lent du concerto pour violon de
Glass, un grand moment de danse d'après Maggy Toon…
- Heuu, Glass, on en a
déjà parlé, des œuvres pour piano et une symphonie, un minimaliste comme Steve
Reich… Il existe un enregistrement ?
- Oui bien entendu. Tiens
ça me donne mon idée pour la chronique de cette semaine… Hum, le disque de Gidon
Kremer, un violoniste remarquable…
- Cool ! Au fait vous
savez que M'sieur Luc m'a octroyé 15% d'augmentation et un 13ème
mois après s'être fait tancé par Nema ! Solidarité entre filles… hi hi
- Vous le méritez. Quand
on cite Steve Reich dans une discut' sur Philip Glass, c'est logique…
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Pas de deux à la fin de Polina, danser sa vie (musique : Philip Glass) |
Sonia
a été sensible à la beauté plastique et à l'infinie poésie d'un pas de deux
dans un univers nocturne et enneigé, baigné par "l'adagio" du
concerto pour violon de Philip
Glass. Une longue et bouleversante danse en
duo qui conclut le film, Polina ayant
après maintes aventures atteint son but, devenir adulte, et danser sans porter
l'incontournable et académique tutu. Le film, très riche (on aime ou pas), m'a
séduit, il mérite un papier, mais aujourd'hui nous parlons musique.
L'interprétation du mouvement lent issue d'un CD Naxos s'intègre plutôt bien dans le film, mais cette version est globalement à éviter. On ne joue pas Glass comme Brahms. Peu importe, le disque de Gidon Kremer
et de la Philharmonie de Vienne
dirigée par Christoph Von Dohnányi
domine la discographie.
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Gidon Kremer (né en 1947) |
Assurément
Philip Glass est un boulimique, un
stakhanoviste de la composition : opéras, symphonies pièces pour piano,
ballets, musiques de films, musiques de chambre, etc. Des chefs-d'œuvre mais
aussi des redites moins inspirées, ce qui s'appliquent aussi à Beethoven !
Il
est vrai que depuis le déroutant Einstein on The beach, un opéra de
cinq heures dans lequel le minimalisme est poussé jusqu'à des extrémités sonores obsédantes, Glass comme Adams a délaissé petit à petit le radicalisme du principe. On a pu
ainsi lui reprocher ce retour à une expression plus classique. Pas faux, mais
sa musique est devenue plus abordable. Le concerto pour violon écrit par Philip Glass en 1987 marque un virage par rapport à cette radicalité formelle.
Et cela sans pour autant trahir le style virevoltant et coloré qui lui est si
particulier.
Oui,
un virage dans le sens où le compositeur était invité à écrire pour une formation
très classique : un soliste et un orchestre symphonique traditionnel, sans
ajout électronique. Glass jouera le jeu totalement,
le concerto comprend les trois mouvements habituels : vif – lent – vif et non
cinq mouvements comme le musicien l'avait imaginé un temps. Il sera créé par Dennis Russell Davies, chef d'orchestre et
complice incontournable de l'auteur et Paul Zukofsky
au violon.
Mal
jouer la musique des gourous du minimalisme conduit à des horreurs, surtout
dans les mouvements vifs. Je n'aime pas dénigrer, mais c'est le cas dans le CD
Naxos dont l'interprétation sert d'illustration au film. Néanmoins le mouvement lent se
supporte surtout en fond sonore des images hypnotiques des danseurs en action.
La rapidité exigée dans l'énoncé des notes de même valeur de cette technique ne
s'accommode absolument pas de pathos ni de legato sirupeux. Je suis sévère,
mais sinon quelle bouillie entêtante ! Non : ce concerto enchante sous réserve
d'un staccato léger, de nuances bien marquées sans rubato (fluctuation chichiteuse
du tempo). Nous allons voir si l'interprétation proposée ce jour respecte ces
conditions. Si la musique de Glass
cherche à enchanter un public friand de musique contemporaine facile à écouter,
le contrat ne peut être rempli que si les interprètes ne cèdent justement pas à la
facilité, à l'hédonisme…
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Christoph von Dohnányi (né en 1929) |
Petit
fils du compositeur moderniste Ernő Dohnányi
(1877-1960), Christoph von Dohnányi a
joué un rôle important dans la promotion de la musique de notre temps, de Charles Ives à Webern
en passant par Bartók. Ses enregistrements
des opéras de Berg, Lulu et Wozzeck
restent des références. Son style repose sur la fidélité au texte et la pureté
du phrasé, totalement absent de préciosité. Des qualités importantes en musique
moderne.
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Le
violoniste Gidon Kremer fait aussi son
entrée dans le blog. Encore un artiste d'exception. Il voit le jour en 1947 à Riga en Lettonie. Son père, l'un
des rares survivants de la Shoah dans ce pays, est violoniste professionnel et initie
son fils. Après un passage au conservatoire de Riga, il aura la chance de
suivre l'enseignement de David Oistrakh
au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou. Il remportera d'ailleurs de
nombreux prix dont celui du concours Tchaïkovski en 1970…
En
1980, il quitte l'empire soviétique pour l'Allemagne. Le jeu de Kremer se distingue par une grande
souplesse, une intériorité quasi mystique qui fait miracle en musique contemporaine,
ainsi dans celle de Arvo Pärt. Le violoniste est un ardent serviteur de la
musique moderne. La liste des compositeurs pour lesquels il met son art à disposition
est incroyable.
Son
naturel cordial et humaniste se manifeste par une aide apportée à de jeunes
talents comme Hélène Grimaud à ses débuts ou
dans la complicité avec de grands solistes internationaux pour interpréter de
la musique de chambre.
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Philip Glass en 1980 |
Donc
trois mouvements. À la notation italienne des temps, Glass
a préféré indiquer la valeur métronomique de la noire. C'est très précis et cela
évite à des interprètes mal avisés de faire traîner le mouvement central ou
inversement précipiter le final. (J'indique dans la notation italienne habituelle
un équivalent.)
L'orchestration
est rutilante et assez proche de celle en usage chez certains postromantiques :
2 flûtes, 2 hautbois, 3 clarinettes + clarinette basse, 2 bassons, 4 cors, 3
trompettes, 3 trombones dont un basse, tuba, timbales, caisse claire et grosse
caisse, wood block, triangle, cymbales, harpe et cordes.
1 – ♩ = 104 (Moderato) puis 120 (Allegro), les rythmes varient beaucoup :
5/6, 6/8, 3/4 rien que pour les douze premières mesures ; typique de l'écriture
minimaliste. La durée des notes est imposée avec rigueur, mais les variations dans
l'enchaînement des motifs créent à elle seule la phrase mélodique, la polyphonie. Donc, je me répète : surtout pas de rubato !
Les
premières mesures, jouées aux cordes, plantent un décor ludique et onirique,
les notes se succèdent avec élégance, un climat un rien mystérieux et
enchanteur. Quelques accords arpégés aux cordes graves puis [0:20] le violon
fait son entrée sur des répétitions joyeuses d'arpèges. Un dialogue
va s'établir entre le soliste et les pupitres de l'orchestre qui reprennent les
motifs exposés. Glass ne surcharge jamais
l'orchestration. [1:24] Une nouvelle partie va voir intervenir les percussions
là aussi avec douceur et dans un esprit festif. [3:13] Le compositeur nous offre même
des reprises héritées de la forme sonate, mais avec une grande inventivité dans
l'intervention des instruments aux rôles souvent limités en musique classique
et romantique comme la timbale ou le wood block. On peut toujours craindre de
la musique répétitive une certaine lassitude. Là, il n'en est rien, le
mouvement se développe régulièrement pour atteindre un point d'énergie teinté
d'héroïsme qui précède la coda. [5:20] Pas de virulence dans celle-ci, non tout
au contraire, un assoupissement léger, une plongée dans le sommeil initial
illuminée par les notes cristallines du triangle.
Cette
interprétation se distingue par la beauté des sonorités, celles de la
Philharmonie de Vienne, bien entendu. Le soyeux des cordes, la précision et la
distinction des attaques des cuivres et des percussions. La rigueur sans
sécheresse imposée par le chef Christoph von
Dohnányi n'est pas étrangère à cette perfection. Quant à Gidon Kremer, que dire ? Un jeu détimbré,
sans coquetterie (un anti Heifetz),
une sonorité chaude et troublante. Le violoniste démontre l'intelligence
harmonique présente dans l'œuvre pour contredire sans concession ceux qui ne
voient chez Glass que de la musique de
genre.
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Abraham Manievich (1881-1942) : bouleaux enneigés |
3
- ♩ = 150 (Presto) - Coda : ♩ = 104 (Moderato) [15:25] Le dernier mouvement
s'ouvre dans la gaité au son des cordes, du triangle et du wood-block. Le
contraste avec la sérénité du second mouvement est saisissant. La mélodie
confiée rapidement au violon solo est diabolique de virtuosité et d'alacrité.
Pourtant de nouveau, Gidon Kremer
maintient sa ligne de chant pure aux tensions nerveuses, sans vibrato qui
nuirait au staccato festif de la musique. L'orchestre est sollicité de toute
part, une écriture très concertante et endiablée dans laquelle s'affronte de
manière juvénile les cuivres, les bois, la caisse claire, le tuba, etc. Christoph von Dohnányi équilibre à
merveille cette confrontation bon enfant avec le soliste, sans jamais masquer
le violon, et tout en réussissant à donner sa place à chaque pupitre… En un mot, du
grand art…
[22:24]
La coda assagie conclut ce concerto majeur de la fin du XXème
siècle par une synthèse entre la passion du premier mouvement et
la langueur du second.
J'ai
écouté diverses interprétations sur Deezer ou Youtube de ce concerto. Toutes m'ont
déçu : jeu ampoulé du violon, discours confus de l'orchestre. Je n'ai pu hélas écouter
l'interprétation gravée en 2017 de Renaud Capuçon
accompagné par le spécialiste officiel de Glass
: Dennis Russell Davies. Peut-être le seul
disque à pouvoir rivaliser avec celui écouté ce jour ?
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