Des années soixante, à cause d'une poignée d'illuminés, de frappa-dingues et/ou de possédés, est né un attribut qui marqua à jamais la musique populaire. Celui de "guitar-hero". Terminologie typique de notre temps où la personnalité, la singularité sont exacerbées et encouragées (même si dans certains coins, la singularité est mal vue, voire très fortement déconseillée). "Guitar-hero", comme si la guitare, ou un autre instrument de musique, devait être l'outil d'une quelconque performance technique ou physique. Au détriment de l'émotionnel. Plutôt que "héros", il aurait mieux valu le terme "héraut". Ce qui aurait placé le musicien dans un rôle d'émissaire, d'un noble ambassadeur de la musique. De celui qui transmet une émotion, quelque chose qui, bien qu'impalpable, est capable d'agir sur les humeurs. Et ainsi de ravir et de réchauffer les cœurs les plus éprouvés.
Avec les années qui passent, comme une lente descente vers une douce forme de décadence, on allait mettre en exergue le performeur, le bouffon, l'amuseur, celui qui en met plein la vue. D'impressionnants techniciens qui, obsédés par la performance et la vitesse, en oubliaient l'émotion. (et ce n'est pas parce qu'en matière de grimaces, on bat à plate couture Jim Carrey, que l'on est réellement transporté par la musique qu'on interprète 😄). Au milieu, quelques (sympathiques) escrocs parvenaient aussi à faire illusion en déployant tout un arsenal avec un maximum d'esbrouffe.
Tandis que malheureusement, les poètes des sons, les médiums extrayant d'autres dimensions de saisissantes vibrations ravissant les sens, ceux aptes à donner le frisson en deux ou trois notes, à nous aider à nous détacher de ce monde matérialiste, étaient injustement déconsidérés.
Dans le genre, il y a un humble et doux géant qui a marqué de son empreinte une certaine partie de la musique Rock. Certes, indéniablement, il est l'un des nombreux héritiers de Jimi Hendrix. Cependant, il ne s'est jamais abaissé à simplement l'imiter. Hendrix, pour lui, c'est avant tout une révélation. Une porte qui s'ouvre sur de nouvelles perspectives. Sur un monde où la guitare est prédominante et créatrice d'univers chaleureux, bigarrés et chatoyants.
Ainsi, à l'étroit dans un groupe de rock progressif à la carrière honorable - grâce à son célébrissime premier 45 tours (single) qui, plus de cinquante ans plus tard, passe encore occasionnellement à la radio -, il était déjà un baron de la guitare. Cependant, muselé, puis en conflit avec le leader, il avait du mal à s'exprimer librement. Et même à intégrer ses propres compositions. Finalement, quand de guerre lasse, il préfère partir et affronter seul (ou plutôt en trio) les foules, il se révèle un duc. Non, un prince.
Alors que son ancien groupe entame peu après son départ sa descente vers la rupture (en 1977), Robin TROWER, lui, en deux albums, s'envole, se place en orbite pour rayonner sur toute la planète Rock. Ce n'est probablement guère évident de nos jours, mais Mr Trower a eu une influence déterminante sur un grand nombre de guitaristes. Des monstres tels que Steve Stevens, Stevie Ray Vaughan, Uli Jon Roth, Bernie Brausewetter, Richie Kotzen, Stevie Salas, Ben Granfelt, Robert Fripp (qui est allé jusqu'à prendre quelques cours auprès de lui), Vince Converse, Paul Gilbert, Dave Murray, Pat Travers... tous se réclament de son influence, quand tant d'autres, y compris ceux de sa génération, en parlent avec déférence.
Ses trois premiers albums sont des astres flamboyants - dont l'un ou l'autre étant couramment mentionné parmi les meilleurs albums de Trower -, voire parmi les meilleurs albums des 70's ou de Blues-rock éruptif. Généralement, c'est le sublime chef-d'œuvre "Bridge of Sighs" qui remporte le plus de suffrages.
Toutefois, il convient de spécifier que Robin Trower n'est pas seul responsable de ce succès. En effet, il est épaulé par un parfait acolyte en la personne de James Dewar, l'ancien bassiste de Stone the Crows qui secondait si bien au chant Maggie Bell. La voix de Dewar serait assez proche de celle de Paul Rodgers, bien que moins "Rock" que celle de ce dernier, plus naturellement orientée Soul et Blues, au point où parfois, en fermant les yeux (mais pas les esgourdes !) on pourrait croire qu'il est plus black qu'Ecossais. Pour Trower, il restera le meilleur chanteur de sa longue carrière (de plus de soixante ans !).
En 1976, le trio dirigé par Trower est au taquet, affuté, et hypnotise des foules (des stades même) avec son heavy-blues cosmico-volcanique (appellation contrôlée). Son dernier opus, "For Earth Below", sorti en février 75, est un nouveau succès culminant à la cinquième place des charts américains. Contrairement à bien d'autres enregistrements en public, le premier album live de Trower n'est pas sorti pour combler un manque d'inspiration, une pause nécessaire ou une baisse de notoriété puisque le trio est à un pic de succès - que Trower n'atteindra probablement plus jamais - et qu'un autre disque studio sortira la même année.
Ce " Live ! " regroupe des éléments captés lors d'un concert donné le 3 février 1975, en Suède, à Stockholm. Dans une salle de concert fermée (créée dans les années 20) et non, comme l'a longtemps laissé imaginer la pochette, en plein air, dans un stade immense. Ce qui explique une certaine excellence de la restitution. A l'origine, le trio croyait que les quelques micros qui traînaient ne serviraient que pour une émission de radio - ce qui, à l'époque, se faisait couramment. Ainsi, sans pression, de l'aveu même de Trower, le trio a réalisé l'un de ses meilleurs concerts de l'époque.
D'entrée, le groupe frappe fort avec le fantastique "Too Rolling Stoned". Une bombe atomique de heavy-blues en fusion. Après des décennies d'écoute, ça file toujours l'frisson. Dantesque ! Rarement un trio a atteint une telle symbiose. Le nouvel arrivant, Bill Lordan, après s'être forgé à la scène avec le rock progressif, s'est tourné vers la Soul avec Ike & Tina Turner et Bobby Womack, avant d'intégrer Sly & The Family Stone puis de finir avec Robin Trower (avec qui il va rester jusqu'à l'album " BLT " de 1981, plus un éphémère retour pour une longue tournée passant par les USA). Son jeu varié, puissant et alerte, riche en cymbales (trop ?), est un solide soutien qui permet aux deux gus sur le devant de la scène d'amener ce heavy Blues impétueux vers des hauteurs célestes. D'abord la basse qui déroule un rythme funky et puissant comme un torrent en hiver. Et puis cette Stratocaster qui sort des sons d'outre-monde, sidéraux. Incrédibeule. Un son travaillé dans un creuset, comme une œuvre alchimique où à l'aide des ingrédients suivants, la wah-wah, l'univibe, la fuzz et le double corps Marshall, après des années d'efforts et d'abnégation, on parvient à produire une essence inoxydable et authentique, quasi divine ? Evidemment, le son ne fait pas tout - même s'il demeure essentiel -, et Trower enchaîne comme un forcené riffs, chorus et dérapages contrôlés. Alors que ce morceau file comme un vaisseau psychédélique à travers des nuées ocres et mauves, le trio freine des quatre fers, redescend sur terre pour finir sur une longue plage de blues sulfureux en mid-tempo.
On retrouve plus ou moins le même régime avec les deux morceaux finaux : "Alethea" et l'hendrixien "A Little Bit of Sympathy". Plus particulièrement sur le second, où le trio libère toute son énergie, comme pour un dernier barouf d'honneur à la gloire d'un Blues interstellaire portant encore quelques légères réminiscences de psychédélisme et de "flower-power". "La Lumière est forte, l'Homme est faible et le monde marche entre les deux".
Mais tout n'est pas soutenu, le trio aimant aussi prendre son temps, laisser respirer et étirer les notes, comme sous le poids d'une chaude journée d'été. Prédisposition pour les slow-blues, avec "Daydream" et "I Can't Wait Much Longer", où Dewar chante comme une âme en peine et où la Strat hyperémotive de Trower se lamente, soupire et pleure.
Une unique reprise avec le classique "Rock Me Baby" de BB King. qui se pare ici de senteurs festives et communautaires. Trower sort (encore) le grand jeu : appogiatures névrosées, double stop léthaux, bends vertigineux, coups de vibrato assassins, tics agités. Sa Fender hurle, gémit, jubile, chante, délire. Un festival. Probablement l'une des meilleures versions de ce titre éculé.
En comparaison, "Lady Love" pourrait presque paraître consensuel, et bien que ce soit un classique de leur répertoire scénique, le trio semblerait presque le jouer comme un passage obligé, sans s'y attarder (c'est d'ailleurs la pièce la plus courte de la prestation avec seulement trois minutes).
En totale symbiose - ou du moins, déroulant un répertoire bien huilé -, le trio se suffit largement à lui-même et à aucun moment le manque d'un musicien supplémentaire ne se fait sentir. Alors que de nombreux power-trio, poussés par leur ego, ont parfois péché par des "luttes instrumentales", au risque d'ébranler toute cohésion, celui de Robin Trower se garde bien d'en faire des tonnes, de déraper dans de stériles démonstrations. Même le solo de batterie de Lordan est des plus concis (une directive du patron ?) et Dewar est toujours mesuré. Robin Trower, lui-même, reste pertinent, se gardant bien de babiller. Même si l'album regorge de chorus en tous genres, Trower ne donne pas l'impression de tomber dans l'esbroufe. Déjà parce qu'il évite les soli avec une profusion de notes dans le seul d'être grisé par la vitesse et d'en mettre plein la vie - même si de temps à autres, pour de courts instants, on songe à Ulrich Roth -, mais surtout parce qu'il vit toutes ses notes. La moindre inflexion, le plus modique vibrato (manuel) sont le verbe de son âme.
Pour Robin Leonard Trower, même s'il garde un public fidèle et le respect de ses pairs, ce sera son dernier grand succès. Notamment aux Etats-Unis. Jusqu'au petit dernier, " Joyful Sky ", en 2023, à 78 ans, avec l'aide de la chanteuse New-yorkaise Sari Schorr, qui gagne la pole position des charts Blues américains.
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