samedi 15 avril 2017

John ADAMS – Phrygian Gates pour piano (1978) – Ralph van RAAT – par Claude TOON



- Et encore un compositeur inconnu du blog… Quand vous dites quelque chose, vous vous y tenez M'sieur Claude ! Heu, John Adams n'était pas un président américain ?
- Si Sonia, le successeur de Georges Washington, un père fondateur… Mais aujourd'hui, nous parlons d'un homonyme, un musicien contemporain aux styles très divers…
- Ah ? La musique contemporaine me fait toujours un peu peur, des suites de sons sans queue ni tête…
- Ici ce n'est pas le cas ma belle. Cette œuvre se situe dans la veine du courant minimaliste d'un Glass ou d'un Steve Reich, mais brille de mille couleurs ; inventive, passionnée et drôle…
- Ouf, ça me rassure, c'est vrai que ce j'entends semble très dansant. Le pianiste est également un nouveau venu…
- Ralph van Raat est un pianiste néerlandais qui a gravé la première anthologie de la musique pour piano solo de Adams. Le spécialiste du genre en somme…

John Adams (né en 1947)
Si John Adams fait son apparition dans le blog comme personnalité du monde musical US, on ne peut pas écrire la même chose à propos de son style de composition première manière des années 70. Le compositeur a fait partie dans sa jeunesse du courant minimaliste en compagnie de Philip Glass, Michael Nyman et Steve Reich. Concernant les deux premiers de ces messieurs, trois articles leur ont déjà été consacrés, notamment les études et métamorphoses pour piano de Glass qui utilisent avec fantaisie et poésie les principes minimalistes et répétitifs.
Nous sommes aujourd'hui de nouveau face à une œuvre pour piano (peut-on parler de sonate ?) mais qui semble vouloir s'évader des règles pures et dures du minimalisme appliquées à la technique pianistique. Notons en passant que Phrygian Gates est considéré comme l'opus 1 de Adams. Œuvre de jeunesse sans doute imparfaite mais qui préfigure déjà les recherches du musicien qui va se détacher des dogmes auxquels ses confrères cités ci-dessus vont rester plus fidèles ; en résumé un ouvrage charnière annonçant le tournant vers un travail très original, avant-gardiste mais accessible. Une passion pour les mystères des timbres et des harmonies dans la musique orchestrale…

John Adams est originaire du Massachusetts et a tout juste 70 ans. Sous la houlette de son père, il devient clarinettiste. Passionné des musiques les plus diverses dès la préadolescence, il va suivre des études de composition et de direction à Harvard, puis à San-Francisco, ville qu'il va adopter comme lieu de vie. Il s'intéresse aussi à l'électroacoustique et à la vidéo. Une largeur d'esprit typique des compositeurs américains. Il fut le benjamin du groupe des minimalistes des années 70 (Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass sont octogénaires).
Adams découvre en 1976 l'étonnant opéra Einstein on the beach de Bob Wilson et Philip Glass, un spectacle lyrique et chorégraphique expérimental de 5 heures, poussant le minimalisme jusqu'à l'excès (soûlant à mon sens) ou à l'ivresse sonore et au génie (pour d'autres). Sa première œuvre, Phrygian Gates sera donc un ouvrage monolithique de type minimaliste. Mais déjà Adams exprime son sentiment d'enfermement dans ce mode de composition, "En vérité, je suis un compositeur minimaliste lassé du minimalisme". Sa première commande d'importance, en 1980, Harmonium pour grand orchestre et chœur, a le goût et la couleur du minimalisme sans en respecter totalement la rythmique obsédante. John Adams a 33 ans, il cherche sa voie, tourne le dos au radicalisme minimaliste, adopte d'œuvre en œuvre un style hybride beaucoup plus libre.

Ralph van Raat
En 1985, Adams compose un triptyque symphonique imposant : Harmonielehre (Étude de l'Harmonie) pour très grand orchestre. Si l'écriture minimaliste est encore l'un des ressorts de l'œuvre, le compositeur s'en échappe allégrement lors de passages néoclassiques formellement parlant. Les influences et citations sont nombreuses : Parsifal de Wagner, mais aussi Sibelius, LisztJohn Adams s'inspire d'expériences oniriques personnelles. Son nouveau langage est né, notamment par ses recherches harmoniques au sein de l'orchestre. Par ailleurs, le nom de l'œuvre empreinte le titre d'un ouvrage du sérialiste Schoenberg. Somptueusement orchestrée, cette "symphonie" est très accessible, même pour un public peu familier des musiques d'avant-garde. Adams cherche à l'évidence à synthétiser le meilleur de la musique occidentale…
Par la suite, John Adams va bousculer le répertoire lyrique en adaptant des récits basés sur des événements contemporains : Nixon in China ou encore The death of Klinghoffer (l'affaire de la prise d'otage par des terroristes palestiniens sur le paquebot Achille Lauro et l'exécution de Leon Klinghoffer, un juif américain handicapé). Cet ouvrage tragique sera contesté par la communauté israélite aux USA qui y voit une prise de position en faveur d'un droit à un territoire pour les palestiniens. Adams divise mais fait preuve d'une remise en cause permanente de son art et de son inspiration en un temps où l'on reproche à Philip Glass de tourner un peu en rond…
J'ai pu voir récemment sur la chaîne Mezzo un concert dédié à John Adams au Concertgebouw d'Amsterdam en présence du compositeur. L'un des trois meilleurs orchestres européens. On appelle cela une consécration…
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Ralph van Raat est un jeune pianiste hollandais né en 1978. Il a étudié le piano et la musicologie à l'université d'Amsterdam. Il s'est également perfectionné auprès des grands du clavier comme Claude Helffer à Paris ou Pierre Laurent Aimar à Cologne.
Le virtuose poursuit une carrière internationale après avoir été lauréat de nombreux prix. Dépassant le répertoire classique, van Raat excelle dans le répertoire contemporain notamment John Adams, mais aussi : Gavin Bryars, autre compositeur féru de minimalisme ou encore Arvo PärtPhrygian Gates est une pièce extraite d'un album paru chez Naxos.
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Phygian Gates date de 1977-1978 et doit son nom au fait qu'elle est composée en mode phrygien, une règle pointue de solfège que je ne saurais pas expliquer avec pertinence. Peu importe ce détail, car la poésie n'en souffre pas, loin de là… Phygian Gates a été créé en 1978 par son commanditaire, le pianiste Mack McCray au Hellman Hall à San Francisco.

Deux premières portées
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L'introduction est caractéristique du minimalisme selon Adams : des motifs répétitifs à la main gauche, transposés de quelques tons voire demi-tons toutes les x mesures. La main droite enjolive le propos d'un léger carillon pp de notes isolées et très aiguëes (O). Imperceptiblement, la mélodie migre vers une tessiture médium tandis que la main droite voit son rôle gagner en importance et en puissance, élargissant ainsi l'espace sonore. Bien entendu les motifs répétitifs sont des notes simples de durées égales : des croches, des agrégats de quelques notes comme dans la dernière mesure de l'exemple, ou encore des triolets. Il n'y a aucun accord dans cette première partie.
Petit précis sur le minimalisme à l’usage des amateurs À l'écoute, l'aspect répétitif du discours musical résulte simplement de la rythmique rigoureuse des motifs qui se succèdent en perpetuum mobile. En aucun cas on observe des variations des valeurs des notes. Exit les thématiques harmonieuses et complexes d'un Chopin ou d'un Fauré. La transformation de la ligne de chant n'a lieu que mesure après mesure, voire par succession de groupes de plusieurs mesures. L'écriture mélodique instantanée se réduit donc au minimum possible par le recours à des motifs très brefs et récurrents (exemple : mesure 7 notée p). L'évolution plus globale a lieu dans un temps étiré à l'unité "mesure(s)". Tel est le principe conduisant à l'ambiance ludique, mystérieuse et hypnotique propre aux musiques minimalistes.
Victor Vasarely (minimalisme et répétition en peinture)
La partition paraît avare de notes. Ce n'est pas faux au début, ça sera l'inverse un peu plus tard. Cela dit, l'exécution par un bon interprète chasse les effets lancinants quand elle surmonte les difficultés techniques extrêmes. Quelles difficultés ? L'exigence d'un legato-staccato métronomique (maitrise aux petits oignons de la pédale *Ped) et surtout un rubato strictement prohibé ! Le tout avec une noire ♩ = 180, ce qui correspond à vivace voire presto. L'indépendance des doigts et des mains se trouve mise à rude épreuve par la vélocité demandée…
Tout écart par rapport à ces exigences de virtuosité et de familiarité avec un solfège vif-argent conduit à une jolie bouillie ! Glass avait écrit fort à propos ses études dans le but de perfectionner son propre jeu dans ce type d'œuvre, jeu marqué comme celui de ses confrères par un enseignement traditionnel du répertoire classique. (Clic) The end of tutorial !
[2:42] Première transition après un lent crescendo. Des attaques à coup d'accords appuyés prennent le contrôle. De mesure en mesure, le dialogue commence à évoluer vers des dislocations dans la rythmique si régulière. John Adams a la réputation d'un homme aux interrogations mystiques, anxiété qui se résoudra dans Harmonielehre. Le phrasé désarticulé traduit-il un état d'esprit tourmenté ?
[5:28] Mécaniques et brutales, dans le registre grave du clavier, de nouveaux accords puissants (en cluster) à la main gauche exacerbent une ligne mélodique frénétique et erratique. On imagine un compositeur prêt à en découdre avec ses affres. Ces accentuations farouches contrastent avec le calme méditatif des premières minutes initiales. Le tempo n'a rien perdu de sa précipitation. Nous suivons une cavalcade éperdue proche d'une danse macabre ou d'un dies irae.
[6:31] La musique retrouve brutalement une intimité après ce furioso. Une danse joyeuse. Ô rien de folk, non, de la musique guillerette qui à [8:02] s'enchaîne sur une fantaisie qui pourrait trouver écho dans un motif du final de la suite pour le piano de Debussy. De nombreux éléments, que l'on pourrait étiqueter de variations, vont poursuivre sans interruption le discours, offrant une infinie palette de lumières. Il n'y a pas trois réactions possibles à l'écoute de cette musique vivifiante, mais seulement deux : soit on s'en amuse en se trouvant otage de la douce folie du propos, soit on craque face à l'apparente monotonie lancinante de cette rythmique vécue comme abrutissante… C'est selon 😊. Il serait vain car objectivement ennuyeux de prolonger encore et encore l'analyse de cette musique. Je me suis juste limité à donner quelques repères pour explorer sa structure.
[13:10] Dernière étrangeté qui montre comment John Adams se trouvera rapidement engoncé dans le style minimaliste académique. Un thème poétique se développe après une pseudo conclusion constituée d'une série d'accords pppp dans l'extrême aigu (des accords si staccato qu'ils semblent piqués). Ce passage, pourtant construit sur une base répétitive comme il se doit, se rapproche des clairs-obscures de Debussy ou de Ravel et marque le centre de l'ouvrage d'un oasis de style nocturne grâce à une notation spécifique : des soupirs, une alternance de croches et de rondes liées en valeur trèèèès longues, et surtout une sorte d'arythmie totalement inattendue dans une œuvre minimaliste. Entorse à la méthode ? Erreur ou provocation d'un franc-tireur ? Non, imagination et bouleversant enrichissement de la forme par un visionnaire. La coda, plus banale, peut apparaître en deçà de la beauté féérique du passage précédent.
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L'interprétation de Ralph van Raat ne lésine pas sur l'énergie des accentuations mais semble perdre un peu de clarté et de ductilité dans les dernières minutes. Il faut dire que l'exécution d'une partition aussi dense est éprouvante. Par ailleurs les prises de son Naxos ne sont pas des modèles du genre. Ne boudons pas notre plaisir avec ce disque sans concurrent. Je pense que des virtuoses à la vélocité de jeu accomplie comme Lang Lang ou Yuja Wang devraient se pencher sur ce répertoire, et ainsi sortir des sentiers battus des œuvres classiques et romantiques à la discographie déjà pléthorique… Simple avis.
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