mercredi 26 juillet 2023

AEROSMITH " Live ! - Bootleg " (1978), by Bruno



   A l'époque, ils étaient indubitablement l'un des meilleurs combos de heavy-rock de la planète. Après quelques années de galères et de doute, à devoir vivre tous ensemble, en communauté, vivant au jour le jour, sans savoir s'ils pourraient manger à leur faim le lendemain, ces Bostoniens pugnaces prennent leur envol et deviennent en une poignée d'albums un sacré poids lourd du Rock. Une poignée d'albums qui, des décennies plus tard, demeurent des classiques du genre. "Get Your Wings", "Toys in the Attic" et "Rocks" sont sans conteste de fabuleux joyaux. Dans une moindre mesure, la première galette éponyme et "Draw The Line" possèdent également de beaux éclats.


     Cependant, alors que le groupe semble désormais inatteignable, propulsé par des ventes sans cesse croissantes et des tournées affichant complet - stades y-compris -, les premiers signes de fatigue apparaissent. Les années de vaches maigres, les tournées incessantes, puis la gloire ouvrant les vannes aux excès, encouragés par un aréopage d'avides marchands de rêves artificiels, usent profondément ces cinq garçons. Cinq musiciens qui, totalement déphasés, avaient fini par croire qu'il leur serait impossible de composer de bonnes chansons sans l'usage de substances artificielles (à l'exception des champignons - méfiez-vous des champignons... toujours se méfier des champignons). Le cinquième album, "Draw the Line" est marqué par ces excès et l'épuisement. L'isolement du groupe dans un couvent - choix imposé par Jack Douglas - ne servira pas à grand chose (le producteur lui-même n'étant alors pas vraiment clean non plus), d'autant que ce sont les deux compositeurs les plus prolixes qui sont les plus perchés. Tous deux étant régulièrement en retard ou carrément absents des séances d'enregistrement - alors qu'ils sont tous parqués ensemble au même endroit ... -. Les Toxics Twins n'ont hélas pas usurpé leur surnom. 

     L'album sort dans la douleur et ne parvient pas à réitérer la maestria du précédent, le somptueux et colérique "Rocks". Certes, ce dernier a placé la barre haut, très haut, d'où la difficulté à faire aussi bien. Cependant, en dépit des indéniables qualités de "Draw the Line", la différence entre les deux laisse à croire que soit ce dernier essai a été bâclé, soit qu'Aerosmith accuse le coup. Rincés, ils semblent être en perte de créativité. De plus, fatigués et perdus dans le brouillard d'opiacés et d'alcool, les musiciens entament une dangereuse descente vers un point de non retour. Les concerts s'en ressentent et certains critiques commencent à mettre sérieusement en doute la pérennité de la formation. Le management et la maison de disque semblent aussi le penser. Les jours de l'Aero sont comptés. La descente s'avère bien plus rapide que l'ascension. Du gâchis.

     Le groupe n'est plus en état de se poser pour composer correctement. Les éclats de génie sont clampés par la consommation effarante de drogues. Ce que confirmera en 1979, le bancal "Night in the Ruts". La société de disques, cupide, espère encore retirer quelques profits de ces échalas chevelus - jusqu'à épuisement. Ne pouvant compter sur un enregistrement studio viable, c'est le moment d'en profiter pour lâcher un live. D'autant plus que le format a le vent en poupe. Bon nombre d'albums se sont alors installés dans les charts (depuis le carton de "Frampton Comes Alive !", les boîtes américaines encouragent leurs poulains).


     La bonne excuse, pour justifier la sortie d'un live, ce serait de contrer les innombrables disques pirates inondant le marché (des rentrées financières échappant au groupe, mais surtout au management - qui se remplit ignominieusement les poches au détriment du groupe - et à la major). D'où cette pochette laide à faire peur censée faire un pied-de-nez aux albums pirates. 

     Si aujourd'hui ce double live a été réhabilité, longtemps il a été classé parmi les albums live ratés. Ou plutôt décevants en regard de la discographie du groupe. Une œuvre peinant à retrouver un peu de la force et du relief des albums studio. Particulièrement celui-ci parce qu'il trahissait aussi les premiers pas d'une descente aux enfers. Toutefois, c'est du brut. C'est-à-dire, qu'au contraire d'une pléiade d'autres live de ce temps-là, les musiciens n'auraient pas été sollicité pour rejouer quelques parties gênantes. Mais étaient-ils seulement en état de le faire sans que cela prenne des plombes, et réduise les marges bénéficiaires escomptées ? Seul le fidèle Jack Douglas a joué des potentiomètres pour essayer de polir et calibrer la matière. 

     C'est ainsi que ce " Live ! - Bootleg " présente un Aerosmith faillible. Parfois maladroit et occasionnellement approximatif sur quelques mouvements épars.  Cependant, tout est relatif car malgré tout, malgré un état de fatigue qui leur donne un air de vampires à la diète, malgré leurs abus, Aerosmith demeure un grand groupe. Largement au-dessus d'une bonne partie de leurs congénères. N'est-ce pas David Lee Roth qui, se faisant avec délectation le porte-parole d'un Van-Halen en passe de devenir un monstre planétaire indétrônable, avait répondu hilare à la question de savoir s'il pensait que Van Halen était le meilleur groupe Rock de scène du monde, que ce serait plutôt Aerosmith ?

     Oui, Joe Perry plante laborieusement quelques soli, quand il ne semble pas être ailleurs ; oui, Steven Tyler manque parfois de s'étrangler ; oui, Joey Kramer semble perdre parfois la cadence - qu'il rattrape promptement d'un roulement assassin. Seul Tom Hamilton paraît solide comme un chêne, tandis qu'on découvre la pertinence et la classe de Brad Whitford - qui illumine, entre autres, "Lord of The Thighs".    

     Force est de reconnaître que, bien qu'abîmé, le groupe assure sur scène. Les titres musclés défilent telles des hydres menaçantes, étirant leurs longs cous de toute part en faisant claquer leurs dents acérées. Pas toujours très stables ces hydres, peut-être même légèrement imbibées, mais néanmoins prêtes à planter leurs crocs dans les chairs. "Back in the Saddle", "Toys in the Attic", expéditif et épileptique, "Sweet Emotion", ici plus bombardier que tapis persan, "Sick As a Dog", galvanisant, leçon de rock'n'roll avec "Mama Kin", "S.O.S. (Too Bad)" et l'incendiaire "Train Kept a Rollin'". Sept morceaux (les sept trognes affamées de l'animal fabuleux) qui démontrent que l'Aero est encore capable de faire parler la poudre (l'explosive, par celle que s'envoie les loustics).


     Et si "Last Child", avec son funk cuirassée a du mal à décoller, il en est tout autre avec "Walk This Way" que Joe Perry enrobe d'une Talk-box relevée au tabasco, et qui fait passer la version tant adulée de Run-DMC pour une pâle - mais sympathique - récréation.

     Evidemment, l'album sort l'artillerie lourde, favorisant les titres forts et percutants, sans oublier les hits. Dont l'incontournable "Dream On" (étonnant parcours de ce titre qui s'est d'abord péniblement hissé dans les charts nord-américaines en 1973, avant de faire, grâce à une seconde édition, un tabac en 1976. Depuis, il est devenu un grand classique, un archétype de la "power-ballad", intronisé au Grammy Hall of Fame en 2018. Depuis la résurrection de l'Aero, il se retrouve souvent inséré dans quelques B.O. de la télé et du cinéma, jusqu'à aujourd'hui, en 2023). Néanmoins, l'album offre quelques bonnes surprises à travers quelques inédits. A commencer par un goûteux "Come Together" des Scarabées, sans le brouhaha de la foule car enregistré en petit comité, dans un local de répét' (pour mémoire, le groupe joue le rôle d'un groupe de vilains-pas-beaux-rockers-qui sont-trop-méchants, et interprète cette chanson dans le nanar de 1978, "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band" avec Peter Frampton en Adonis niais et les Bee Gee's en guise de Beatles de substitution - avec une baston entre les deux groupes qui ressemble plus à un crépage de chignons). Puis l'énergique et Stonien "Chip Away the Stone" de l'ami Richie Supa (qui va encore offrir quelques belles pièces) - qui sera repris par Humble Pie. Et enfin deux titres repêchés d'une prestation du 23 avril 1973, dans un club de Jazz de Boston : "I Ain't Got You" de Jimmy Reed (composition de Calvin Carter), probablement découverte grâce aux Yardbirds (forte influence de l'Aero), et, plus étonnant, "Mother Popcorn" de James Brown avec basse, batterie funky et sax de rigueur, et un Tyler osant faire de l'ombre au godfather du funk. 

     Alors, album raté ? En comparaison de ce que pouvait produire en ce temps - et plus tard - Aerosmith sur scène, probablement. Néanmoins, combien de groupes auraient souhaité pouvoir faire au moins aussi bien ?  



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2 commentaires:

  1. Shuffle Master.27/7/23 12:20

    Mmouais... Disque laissé de côté à sa sortie. Il faudrait que je le réécoute. Rocks m'avait déjà moyennement plu. Je ne retiens que les 3 premiers. Les types sont quand même costauds: après 10 ans au fond du trou, ils ont réussi à refaire surface. Et en assez bon état. Du moins autant qu'on puisse en juger.

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    1. Laissé également longtemps de côté, et il était initialement prévu une critique un peu plus acerbe. Et puis, l'opinion a évolué, au fil et à mesure des écoutes successives nécessaires à la chronique.
      Joe Perry encore sur la route à 72 ans, tandis que Steven Tyler se contente désormais de quelques apparitions mais 75 balais au compteur.

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