mercredi 30 novembre 2022

AEROSMITH " Rocks " (1976), by Bruno



   Note de service de la direction : Pas assez de classiques. A l'exception de Toon - même s'il s'obstine à faire l'impasse sur André Rieu - que des mauvais élèves. Il faut faire des efforts dans ce sens. Des classiques !

   M'enfin ! Pourtant, y'en a ! C'est quoi encore cette lubie ? Il faut un peu plus de classiques. Des classiques ? Des classiques !? T'en veux des classiques ? J't'en donnerais, moi, des classiques ! Tiens ! "Rocks" d'Aerosmith !! Ha ! Ha ! 


   Oui, "Rocks", l'album aux cinq diamants, pochette on ne peut plus appropriée. Après un début en demi teinte, mais pourtant tellement prometteur, en 1973, les Bostoniens affamés, avides de rock'n'roll et de reconnaissance, s'envolent l'année suivante avec un savoureux et racé "Get Your Wings". Débordant d'énergie, ces cinq échalas chevelus échappent, on ne sait pas comment, à la déliquescence qu'auraient dû causer les substances illicites qu'ils consomment pourtant abondamment. Du moins, cela n'a pas encore d'influence néfaste sur leur travail. Forts d'une foi sans faille, écumant toutes les scènes d'Amérique du Nord, et n'en sortant pas avant que le public ne soit exsangue et conquis, ils grimpent les échelons à pas de géant. Et l'année suivante, ce sont les ondes radio qui tombent définitivement sous le charme de leur heavy-rock teigneux, tandis que les singles commencent aussi à se faire remarquer dans les charts. Avec la chanson "Sweet Emotion" qui s'installe dans le top 40 pendant deux mois, tandis que l'album, lui, reste plus de deux ans dans les charts. Le disque, "Toys in the Attic", y fait même sensation dans l'hexagone. Ce sera, sur la durée, le plus grand succès de la décennie grâce à ses deux hits : "Sweet Emotion" et plus tard "Walk this Way". Bien des années avant la reprise, en duo, avec Run DMC (!) - avec en prime l'ennui d'une certaine presse ne cessant de rabâcher les mêmes mots, clamant haut et fort que ces New-Yorkais avaient sauvé Aerosmith... en le modernisant. Etonnant ! Ils ont sauvé Aerosmith en reprenant pratiquement à la lettre un de leurs anciens succès et en appelant carrément à la rescousse Tyler et Perry. Et non, Run DMC n'a pas vraiment imposé sa mixture "rap", sauf si l'on considère que quelques petits scratchs de rigueur et le chant combiné de McDaniels et Simmons en bonus soient suffisants pour "se réapproprier" la chanson. Le changement vient en fait surtout du mixage qui booste la batterie. Run DMC aurait relancé la carrière d'Aerosmith ?? Mais pas l'inverse ?? Mais [ double censuré !!], "Done With Mirrors", sorti un an plus tôt, considéré comme l'album le moins marquant des Bostoniens, pratiquement un échec commercial en comparaison de tous leurs autres disques, s'est néanmoins mieux vendu que "King of Rock" de Run DMC, sorti la même année. Cet album, "King of Rock", ne verra ses ventes (re)décoller que l'année suivante, entraîné par le succès de leur troisième disque "Raising Hell", lui-même boosté par son deuxième single qui n'est autre que... "Walk this Way". Merci les potos.

Pourtant, le sommet de la décennie d'Aerosmith, c'est bien "Rocks". Une bombe !

   En dépit d'un emploi du temps surchargé, où les jours de congés sont maigres - et pas toujours utilisés à bon escient -, ils ne faut pas moins d'une année à ces flibustiers pour dégainer une nouvelle gorgée de leur fiévreux heavy-rock'n'roll de fripouilles.


   C'est pourtant avec "Back in the Saddle" qu'ils s'annoncent sur ce quatrième album, comme s'ils avaient un temps lâché l'affaire. Avec un Steven Tyler qui éructe comme un chat sauvage humanoïde. "I'm baaack ! I'm baaack in the saddle again". En fait, même si cette chanson se pare de quelques références purement western (avec intro aux allures d'arrivée d'outlaws, puis hennissements et claquements de fouet éparpillés), cette canaille aux lèvres lippues, concurrençant celles de Jagger, ne chante rien de plus que la vieille rengaine d'un garçon en quête de satisfaire des besoins pressants. Le tout en abusant de doubles sens faciles. Chaud lapin au verbe haut, Tyler n'a pas dû se creuser beaucoup les méninges pour écrire ces paroles, probablement un peu autobiographiques  😁. Pour Aerosmith, il ne s'agit nullement d'un retour, mais d'une confirmation, car avec cet album, la formation se hisse au niveau des grands du Hard-rock américains de la décennie. Et au delà. Suffisamment pour garder une solide fan base même au plus bas de leur longue carrière.

   Initialement, "Last Child", la deuxième salve de l'album, surprend par son approche funky. Excellent morceau mais qui peut faire craindre que le groupe ait perdu de son tempérament offensif et brûlant. Erreur !!! Déjà parce que ce funk heurté est taillé dans le granit mais aussi parce que la patrouille ne manque de se pointer régulièrement et faire parler la poudre. Et puis, quand déboule sans sommations "Rats in the Cellar"...  - crénom, quelle pièce de feu ! -, c'est la révolte des Massassuchets (1) déferlant dans les rues de Boston, résolus à renvoyer à la mer les irrespectueux visages-pâles. S'ensuivent des parties de cache-cache léthales à travers les rues sombres de la ville du Suffok - "imagées" par le break porté par une rythmique à l'affût, cherchant sa proie, et l'harmonica la peur au ventre, couvert de sueurs froides, peinant à reprendre son souffle, fuyant pour sauver sa vie.  Il y avait précédemment "Toys in the Attic" qui défonçait tout sous son passage, tel un Mack DM685 gonflé, pied au plancher. Maintenant, le quintet a quitté son grenier pour aller faire un tapage du diable dans la cave, gagnant en agressivité et en intensité. Ce n'est pourtant que du Rock'n'roll mais joué avec abnégation et conviction, comme si leur vie en dépendait. Quelques années plus tard, un groupe comme Riot en fera son terreau, mais là où ces derniers préfigurent une forme de heavy-metal, Aerosmith reste attaché au Blues - et au British-blues, influence essentielle du combo. 


   "Combination" est intégralement, et pour la première fois, le fruit du travail de Joe Perry. Effectivement présent au chant sur celle-ci, il n'ose néanmoins pas encore ravir un instant  - pour l'occasion - la place de son pote Tyler. Par contre, sa patte y est déjà bien définie ; elle est immédiatement reconnaissable lorsqu'il est en électron libre, avec cette tonalité de guitare pâteuse, boueuse, déchirée par des chorus en équilibre, sur le fil du rasoir, parfois proche de la défaillance, et son propre chant au ton désabusé et nonchalant.

     Tom Hamilton est peu productif, cependant ce qu'il propose - ou du moins ce qui est gardé par le groupe - tutoie l'excellence. Précédemment, avec Tyler, il a enfanté les deux superbes "Uncle Salty" et "Sweet Emotion", et là, il réitère avec "Sick As a Dog". Peut-être un cran en dessous, il n'en est pas moins particulièrement savoureux avec ces grattes qui carillonnent en intro, son ambiance judicieusement postée entre "Heavy-rock plaintif" et festival rock'n'roll, son final en envolée avec claquements de mains, roulements de tambour et petite excitation du bassiste.

   Sur une atmosphère chargée, quasi post-apocalyptique, irradiée, "Nobody's Fault" résonne comme le sermon d'une entité diabolique - jamais Tyler aura l'air aussi démoniaque que sur ce morceau -, faisant sa morale à ses ouailles. D'ailleurs, les paroles comportent un brin grossier de mysticisme, porté par un esprit embrumé et désorganisé (conséquence de la dope ?) "Les prophètes sont ivres et puants, et je sais pourquoi. Les yeux sont pleins de désir. L'esprit est si aisément malade. Tout est en feu... Tout le monde est à blâmer... Désolé, vous êtes tellement désolé. L'homme savait mais il l'a fait sauter, et l'enfer est le seul son. Nous avons fait un travail horrible et maintenant, ils disent que ce n'est la faute de personne". Le cœur du refrain contraste en prenant un ton de supplique clérical - vite bloquée par le diablotin Tyler.

   "Get the Lead Out", porte bien son nom, lestant suffisamment de plomb le funk pour en faire un pachyderme renfrogné, défonçant trottoirs et asphalte. Aerosmith - malgré ce qui a parfois été écrit -, n'est pas le premier groupe de Hard-rock à fusionner avec le Funk. Assez rapidement même les groupes de Hard-rock - avant de se radicaliser - ont pris plaisir à flirter occasionnellement avec le Funk - notamment Trapeze. Même Led Zeppelin, ZZ-Top et Deep Purple (ce qui, pour ce dernier, irrita le mage noire Blackmore) et bien d'autres. Toutefois, Aerosmith "réinvente" un style qui va faire école, et qui sera d'innombrables fois, encore aujourd'hui, pillé.


   Autre gemme avec un "Lick and a Promise", poussé par une urgence viscérale, la bande carbure, "nez au vent", dans un hot-rod décharné, moteur ronronnant comme un V8 gonflé, pots d'échappement dressés crachant flammes et fumées, dévorant l'asphalte. Probablement grâce à son passé de batteur, Steven Tyler a cette propension à chanter en marquant profondément le rythme. En se calquant sur les guitares ou la batterie, parfois même en devançant cette dernière comme si c'était alors lui qui lui imposait la marche à suivre. Et puis, d'un coup, il passe à une forme de lyrisme où la mélancolie se mêle à la joie. Ici, avec simplicité désarmante sur un rudimentaire : "I sing Naaaaa, naaa, naaa, naaa, naaaaaaaa". Et ça fonctionne ! Indéniablement, ce gars là est habité par le rock. 

   Après cette effusion de concassage de caillasse, le groupe se devait de conclure par une note plus douce. Ce sera "Home Tonight" - deuxième single de l'album (avec lequel le groupe espérait obtenir un succès proche de celui de "Dream On"). Dernière gemme de l'album, fruit d'une émotion à fleur de peau de Tyler (qu'il doit affronter par une suractivité ou assommer à coup de substances diverses). Bien que les paroles tiennent dans un mouchoir de poche (petit modèle), Tyler chante comme si, le cœur déchiré, il confessait sa peine. Un morceau qui aurait pu se satisfaire de son seul piano et de sa voix, mais l'ami Perry vient soutenir son frère de cœur, faisant larmoyer sa guitare. Et Jack Douglas, le producteur (attitré), y va de sa petite contribution... dans le dos des musiciens. En effet, les violons ont été rajoutés une fois les séances terminées, une fois "seul" dans le studio. Ce qui fâcha temporairement les principaux intéressés. Pourtant, Douglas y est allé vraiment avec le dos de la cuillère. Par la suite, Tyler-Perry & Co reprendront sans retenue la recette.

     L'album est court, mais vraiment intense. Un véritable cas d'école, rappelant que la qualité prévaut à la quantité - évidence longtemps oubliée, voire galvaudée, à laquelle les éditeurs semblent revenir depuis quelques temps -. Alors quelque part dans le monde du Rock, et en particulier dans la sphère aux frontières incertaines du Hard-rock, Aerosmith ne se contente pas de faire reposer sa musique sur la seule force d'un riff, mais c'est bien l'unité du groupe faisant corps qui fait sa force et son intérêt. Un peu à la manière des Rolling Stones, auquel le quintet était souvent comparé à ses débuts - jusqu'à le considérer comme d'un ersatz -, mais avec une énergie et un penchant foncièrement attachés au heavy-rock. On vante généralement les exploits de Joe Perry à la guitare, mais on ne peut que constater que sans l'apport de son acolyte Brad Whitfford, il avait bien du mal retrouver la splendeur du groupe (du moins, sur l'intégralité d'un album). L'envers de la médaille, c'est qu'après les cartons de "Toys in the Attic" et de "Rocks", et dans une moindre mesure de "Draw the Line", le groupe était persuadé de ne pas pouvoir être aussi productif et qualitatif en étant sobre et clean. La chute sera d'autant plus dure avec "'(R)Night in the (N)Ruts", le seul faux pas du quintet, et l'extirpation de ce cercle vicieux des plus difficiles. Mais c'est une autre histoire. Pour l'instant, Aerosmith atteint avec " Rocks " des sommets. Aujourd'hui encore, nombreux sont les critiques et les revues à élever cet album parmi les incontournables des années 70.

Side one
No.Titre

1."Back in the Saddle"S. Tyler, J. Perry4:40
2."Last Child"Tyler, B. Whitford3:27
3."Rats in the Cellar"Tyler, Perry4:02
4."Combination"Perry4:02
Side two
No.Titre

1."Sick as a Dog"Tyler, T. Hamilton4:25
2."Nobody's Fault"Tyler, Whitford4:40
3."Get the Lead Out"Tyler, Perry3:42
4."Lick and a Promise"Tyler, Perry3:04
5."Home Tonight"Tyler3:15


(1) Oui, à l'origine Massassuchet était le nom de la tribu vivant sur les côtes dont ils furent gentiment priés de dégager pour que l'on puisse fonder la ville de Boston.


🎼🐦
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Joe PERRY Project  👉  "Let The Music Do the Talking" (1980)

8 commentaires:

  1. Le seul album vraiment indispensable du groupe, mais quel album ! Un sommet du rock joué hard.
    J'aime bien Night in the ruts, plus que Draw the line, mais j'aime aussi Run DMC, alors... Leur collaboration était une excellente idée et une parfaite réussite. Quant à savoir quel groupe en a le plus profité, c'est simple, c'est les Beastie Boys )))

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    1. "Beastie Boys" 😁 Bien répondu
      Il est indéniable que cette (judicieuse ?) collaboration a servi les deux camps. D'autant plus à une époque où c'était un peu la guéguerre entre les deux ; ça a permis de tempérer les ardeurs (guerrières) - et aussi dans une certaine mesure d'abolir des frontières raciales que certains tentaient encore d'ériger. Mais, la presse (française) - du moins une certaine - m'avait un peu gonflé en avançant que Run DMC avait sauvé Aerosmith, qu'elle avait sorti "les vieux" du placard 😡 Au lieu de simplement mettre en évidence que le heavy-rock était aussi une riche source exploitée pour les samples des groupes de Rap.

      "Night in the Ruts" est bien le seul album d'Aerosmith que je ne puisse plus écouter en entier ; ça sent trop l'album fait de bric et de broc, de rafistolages et de recyclages. Et la perte de Jack Douglas est préjudiciable. Dommage, car il y a tout de même quelques très bons morceaux (excellent slow blues avec "Reffer Head Woman" - même si c'est du classique de chez classique). Comme dans tous les disques de ces sacrés olibrius 😊

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    2. C'est pas un scoop de dire que la presse "rock" française n'a rien pipé au mouvement hip hop, ni grand chose au hard rock, au delà des clichés qu'elle colportait. Il suffit de regarder les couvertures des rock&folk de 1986 (année de la collaboration sur walk this way) pour mesurer l'ampleur du désastre.

      Night in the ruts, je l'avais gaulé à sa sortie et je m'y suis attaché, la reprise des Shangri-La's Remember walking in the sand, No surprize, Chiquita, Mia, Bone to bone, c'était pas mal aussi. Ok, y a aussi du remplissage, mais hormis Rocks, tous les albums d'Aerosmith ont plus ou moins de remplissage.
      Bon, je suis pas objectif. Par contre Draw the line m'ennuit beaucoup plus, je n'aime pas du tout sa production. Je lui préfère même Rock in a hard place, c'est dire. Ne serait-ce que pour ce clip d'anthologie : https://youtu.be/C-TSvxZ40RQ

      A qui que ce soit qu'on le doive le comeback d'Aerosmith a été époustouflant et sans équivalent (ou peut être celui d'Alice Cooper). J'avais aimé Done with mirrors, mais je ne me suis pas senti concerné par la suite, là encore pour une question de production je n'avais pas été convaincu par Permanent vacation et ensuite j'ai suivi de loin, en touriste.

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  2. Le seul ? "Toys" est pas mal non plus, j'avoue même le préférer. Je regrette un peu l'absence de claviers dans leurs disques, y'en a parfois, sur les morceau rock'n'roll, honky tonk, alors que Steve Tyler, d'après ce que j'avais vu dans un reportage tourné chez lui où trônait un piano à queue, blanc dans son salon. Visiblement, y touche sa bille !

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    1. Dans tous les disques d'Aerosmith, il y a quelques titres avec Tyler au piano, mais cela se résume parfois à quelques notes (en intro, outro ou le break). quand se n'est pas écraser par la charge des deux gratteux 😊
      Par la même occasion, rappelons que Tyler est aussi un bon batteur, qui pendant les premières années du groupe a coaché Joey Kramer (qui a fini, d'après les dires de Tyler himself, par devenir bien meilleur que lui dès l'album "Toys..", "Rocks"). Il me semble même (sauf erreur) que le patterns de "Walk this Way" est de lui.

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    2. Toys in the attic est leur autre grand disque, mais Rocks a pour moi une dimension qui dépasse le groupe, c'est un classique du rock en général, il capte un instant de grâce, n'a aucun temps faible, là où Toys est un peu poussif par moment (la face B, comme souvent avec eux).
      Il est souvent question de piano dans l'autobiographie de Tyler (Est-ce que ce bruit dans ma tête te dérange ?) par contre il évite complétement le sujet Run DMC.

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    3. Effectivement, on disait d'ailleurs que quand une discothèque n'avait qu'une seule galette d'Aerosmith, c'était celui-ci. (un ami l'avait d'ailleurs trouvé chez un cousin pourtant pas trop porté sur la chose... Sur le heavy-rock)

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  3. Tous les albums d'Aerosmith sont bons. ✊🏼✊🏼🤟🏼 Les quinze. Le problème est que certains souffrent de la comparaison avec l'excellence des meilleurs.
    (évidemment, certaines chansons auraient pu rester au placard)

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