Depuis ses premières heures, le
rock’n’roll s’est engagé dans une formidable fuite en avant. Chaque titre
devait sonner plus fort, plus violemment et être joué plus vite que le
précédent. L’initiateur de ce concours tonitruant fut bien sûr Elvis, roi éternel
dont le « Houng dog » montrait aux rockers la voie à suivre. Là où
Big Mama Thornthon livra une première version langoureuse de ce classique,
chacun de ses mots résonnant comme une incantation Voodoo, Elvis hurlait comme
un mâle alpha en rut sur un riff tranchant comme une lame de rasoir.
Le mojo libidineux et mystique des premiers bluesmen devint un défouloir pour une jeunesse urbaine et libertaire. Le King était devenu le porte-parole de cette jeunesse et son modèle, celui dont le déhanché et la violence symbolisaient le désir d’émancipation de toute une génération. « Jailhouse rock », « I got a woman », « Blue suede shoes », tous ces monuments d’Elvis furent longtemps des modèles influençant tous ce que le rock produisait.
Même les Beatles ne firent rien
d’autre que suivre ce modèle sur leurs albums précédents « Rubber soul »,
alors que les Stones soumettaient le blues à la même énergie rock. Cette rage
juvénile ne suffit rapidement plus à une Angleterre pleine d’ambitions
artistiques. Les musiciens s’enfermèrent alors dans les studios les plus
modernes, testèrent les instrumentations les plus exotiques. Ce fut l’époque de
« Paint it black » et « She’s a rainbow », le règne de « Sergent
Pepper » après le choc « Revolver ».
Les journalistes prirent cette avalanche expérimentale pour une nouvelle avant-garde, ils ne pouvaient se tromper plus lourdement. Les perles de la pop sixties n’annonçaient rien, elles étaient juste les splendeurs intemporelles d’une pop à son apogée. L’avant-garde se situait plutôt dans la résistance à cette complexification du rock. Dans les sixties, cette résistance fut incarnée par les Who. Propulsés par la folie rythmique de Keith Moon et la hargne de Pete Townshend, les Who furent d’indécrottables barbares dans un monde rock qui s’embourgeoisait.
A l’heure où la perfide Albion
vit son chômage monter, obligeant ainsi la jeunesse à retrouver des
préoccupations plus concrètes, les punks surent utiliser les enseignements des
Who pour dynamiter les rêves de leurs aînés. A mi-chemin entre le pub déclinant
et un punk rock démarrant son odyssée nihiliste, les britannique d’Eddie and
the hot rods surent mêler le rythm’n’blues des Who au proto punk des Stooges et
du MC5. Parti à la conquête de Londres, ce gang eut comme première partie les
101e de Joe Strummer et fit l’ouverture de quelques concerts des Sex pistols au
Marquee Club. Ils enregistrèrent ensuite, en 1976, ce qui fut vite reconnu
comme un des meilleurs premiers albums de tous les temps. Sorti la même année
que le premier album des Ramones, mais quelques mois avant « Nervermind
the bollocks » des Sex pistols, « Teenage depression » s’impose
comme le chaînon manquant entre le pub rock de Dr Feelgood et le punk rock
survolté du premier album des Clash et autres Jam.
Riffs minimalistes, refrains
courts lancés comme des slogans révolutionnaires, Eddie and the hot rods est le
premier représentant de cette vague minimaliste qui s’abat alors sur le monde.
Le guitariste joue comme s’il ne lui restait que quelques minutes à vivre,
réduit son jeu au minimum pour mieux mitrailler l’auditeur. Pour le propulser à
une vitesse décoiffante, la batterie est martelée avec une frénésie
épileptique. Il subsiste pourtant dans ce rock’n’roll boosté au speed, une
grâce typique du rock anglais.
Les Jam surent d’ailleurs reprendre à leur compte le rythm’n’blues destroy naissant sur « Get accross to you » et autres « Can’t it be ». Pub rock ou punk rock, ces deux termes désignent la même volonté de revenir à la bestialité sacrée des pionniers. Dans le riff de « Show me » et la batterie explosive de « All I Need is money », l’héritage de Chuck Berry et autres Little Richard rayonne comme les flammes d’un puissant brasier. Loin de sortir des inventions géniales de quelques savants fous enfermés dans leurs studios ultras modernes, l’avant-garde naquit une nouvelle fois de ce big bang originel qui créa le rock.
A une époque où la hausse du chômage semblait rendre l’avenir de la jeunesse anglaise tragique, la reprise de « The kids are alright » présente sur « Teenage depression » sonne comme un cri de colère, l’annonce d’une révolution violente et historique. « Teenage depression » est le manifeste d’un rock redevenu la musique de la révolte, le bain de jouvence redonnant vie à une musique embourgeoisée.
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