mercredi 6 janvier 2021

AEROSMITH "Get Your Wings" (1974), by Bruno

 


     Après un premier album plein d'espérance et déjà porteur de deux hits majeurs, Aerosmith réitère les sessions d'enregistrement dès l'année suivante. L'album qui en résulte est de toute beauté rock'n'rollienne. Un disque exsudant déjà la maestria des plus grands, la finesse des cracks, tout en gardant encore un petit quelque chose d'artisanal, de bohème, de profondément humain. Le disque trahit encore une sensation de fragilité. Aerosmith n'est pas encore un véritable roc(k), mais c'est indiscutablement une valeur sûre. Une figure incontournable de cette année 1974 qui marque un tournant pour quelques vieilles gloires du Hard-blues et du proto-Heavy-metal, quand d'autres jeunes loups commencent à sortir de leur tanière, prêts à mordre, affamés.


     Aerosmith
n'est, du moins en ce temps-là, pas vraiment une machine de guerre aveugle, mâchouillant de la rocaille pour la régurgiter en de bruyants flots de Hard-blues incandescent. Car si la troupe peut aisément ratatiner à coups de décibels et de tempo élevé un public masochiste qui en redemande, elle a aussi la faculté de créer une musique qui respire, aérée, dégageant des odeurs boisées - ou a contrario, empestant l'asphalte et les ruelles humides et mal famées -. L'enrichissant au besoin de cuivres fringants hérités des studios Stax, d'harmonica bluesy et de piano bastringue, sans jamais se départir d'une virilité de jeunes têtes brûlées. Même si ce ne sont plus vraiment de jeunes perdreaux - l'aîné Tyler a vingt-cinq ans lors de l'enregistrement - l'album fait preuve d'une maturité plutôt propre à des gaillards plus aguerris et forts d'un actif de plusieurs opus. La valeur de l'âge n'attend pas le nombre des années.

     Chose que reflète parfaitement "Same Old Song and Dance" qui déboule comme un conquérant, déposant les bases d'un Heavy-rock à la fois guindé et néanmoins porteur de soubresauts de malandrins. Des guitares crunchies, biberonnées au Blues, au boogie et aux premières éruptions du Heavy-rock anglais, discutent, se bousculent, s'entrelacent, sur un épais tapis de sons mats et velouté de la section rythmique. Tandis qu'un lubrique chat mutant laisse libre cours à ses élucubrations. Vestiges d'un Rhythm'n'blues quasi majoritaire sur le précédent essai ressurgissant dans un concert de cuivres joviaux et impérieux. Pour la version "45 tours", Tyler dut rechanter une partie, remplaçant le gênant "Got you with cocaïne, found your gun" par "You shady looking loser, you play with gun".


   "Lord of the Thighs", recyclage de dernière minute d'un vieux morceau du précédent groupe de Steven Tallarico (alias Tyler), pour étoffer ce second essai, est introduit par un pattern de batterie, qui sera repris et passera à la postérité avec le tube "Walk This Way". Tel un autiste, Tyler plante des notes brutales et répétitives de piano, sur lesquelles les guitares se contentent de laisser nonchalamment résonner des riffs basiques. Sur le final, la guitare de Perry meugle comme un animal blessé, résonnant au fond d'une sombre forêt.

   Plutôt qu'un vide sidéral, comme l'augure momentanément l'introduction, "Spaced" est un morceau félin aux divers rebondissements, traînant dans son sillage quelques poussières célestes de psychédélisme proto-hard. Délire opiacé ou désarroi face à la folie destructrice de l'homme.

"Fire and steel earth unreal. Find another planet to stay. Papa died, Ma Survived. Tellin' me about ordeal, and the soul she could not feel, 'cause they made her so unreal... Synthesize overrides, trying to keep from going insane, and my soul I can not feel, 'cause they made me so unreal"

   Bien qu'occulté par la pléthore de titres de bravoure de la bande, "Woman of the World" n'en est pas moins un pur joyau dont l'éblouissant scintillement atténue celui de chansons plus connues de rivaux confortablement assis sur leur trône. Co-écrit avec son ancien collègue du groupe Chain Reaction (66-68), le claviériste Don Solomon, il aurait été inspiré par l'écoute de Peter Green et de son groupe, Fleetwood Mac. Groupe de référence majeure pour les Bostoniens qui n'avaient pas loupé une miette des prestations des Londoniens au célèbre Tea Party (tardivement mais salutairement édité sous le titre "Live in Boston", puis réédité dans leur intégralité en trois volumes). Dans ses mémoires - confus et azimutés -, Steven Tyler annonce que tout est dans ces disques. Qu'ils sont comme des livres ouverts (ou un truc de ce genre). Effectivement, ces enregistrements live de Fleetwood Mac révèlent sans pudeur qu'ils ont été une riche et solide source d'inspiration pour les Bostoniens. Sur ce titre, le chant est tel un astre radieux et printanier qui de ses larges rayons fend des nuages ombrageux, revitalisant la nature et réchauffant les cœurs. "Woman of the World" est aussi l'occasion pour Tyler de défier et de rudoyer de son harmonica fiévreux les corrosives sonorités électriques de Whitford et Perry.

     La seconde face démarre sur un nerveux "S.O.S. (Too Bad)". Précurseur d'une série à venir de titres belliqueux et canailles, équarrissant les esgourdes. Hélas, l'instant semble fugace. Démarrant en trombe, il ne prend jamais la peine de rétrograder ou de monter un peu plus dans les tours. Même si Perry distribue de courts soli comme d'autres des coups de cran-d 'arrêt dans le lard. Le "S.O.S." n'est pas un appel à l'aide mais le sigle de "same old shit"... 


   La reprise du fameux "Train Kept a Rollin' " vaudra longtemps au groupe le raccourci collant et poisseux de simples et besogneux continuateurs du style des Yardbirds. Ce qui est absolument erroné et réducteur, bien que le quintet londonien soit une influence reconnu des Bostoniens. Cette version va rester dans les annales, au point de finir par damer le pion à l'originale. Constituée de deux parties distinctes, - la première alourdie et relativement pesante, un poil plus métallique - la seconde un enregistrement live qui met le feu à la poudrière. C'est un abordage sans merci, avec un Tyler en boucanier, le couteau entre les dents, un Perry meurtrier ,découpant de ses Cutlass tout ce qui est à sa portée, suivi par une rythmique de concasseurs. Indémodable morceau de bravoure, indissociable de leurs prestations scéniques. Toutefois, en ce qui concerne la partie "live", des parties de guitare auraient été reprises par Dick Wagner. Le mercenaire, ex-Frost, ancienne figure de Detroit, que les studios emploient (souvent avec Steve Hunter) pour assurer des prises sans faille, et ainsi gagner du temps (et de l'argent). 

     Initialement, "Train Kept a Rollin' " est une composition du chanteur de Rhythm 'n' Blues Miron "Tiny" Bradshaw et datant de 1951. Elle a été le fruit d'une première reprise, en version Rockabilly plus crue, en 1956 par Johnny Burnette.

   Après ces moments pour le moins saignants, vient le temps de l'apaisement et de la tempérance. Vent d'automne cinglant les visages, ébouriffant les chevelures, et apaisant les ardeurs. Introduit par la guitare acoustique de Tyler ballotée par un vent sibérien, "Season of Wither" est une ballade planante ponctuée de petites bourrasques de Blues et de rock cru. Sur des paroles en forme de divagations avinées d'un poète mélancolique, sans aucun effet faussement dramatique, sans aucun pathos, simplement, Tyler semble s'exposer sans fard, exhibant une fragilité et une émotivité d'écorché-vif. 


   Tel un chanceux apprenti sorcier, avec "Pandora's Box", Aerosmith parvient à combiner un Hard-blues à une Soul vindicative et âpre, et à un blues bastringue. Cela aurait pu tomber dans le chaos - ça frôle parfois un Heavy-blues déglingué -, mais il en sort quelque chose de personnel, d'original. On ferme la boucle avec le retour des cuivres dans une fanfare plus indépendante qu'au début ; voire un poil anarchiste. Les derniers mouvements, avant le coda, exhalent quelques senteurs propres à l'Alice Cooper Band. D'ailleurs, derrière, il y avait aussi un certain Bob Ezrin pour surveiller le bébé.

"When I'm in heat, someone gets a notion. I jump in my feet. I hoof the ocean. We hit a beach where no ones gives a hoot. Nobody never ever they look so proud, that's 'cause they know. That they've been so well endowed... I can't explain the sensation, to get it on I gotta watch what I say, or I'll catch hell from the women's liberation"

     Culminant à la 74-ème place des charts US, il n'est en rien comparable au succès commercial à suivre. Cependant, c'est à compter de ce disque qu'Aerosmith réalise ses premiers concerts en tête d'affiche. A la maison, à Boston, ainsi qu'à Detroit où le groupe, une fois accueilli et accepté par ce public prolétaire exigeant, sera toujours chaleureusement reçu ; même aux temps les plus sombres de sa longue carrière. A contrario, ça correspond aussi à la période où il devait faire la première partie pour des groupes comme les New-York Dolls et Kiss. Une période difficile pour le moral de Joe Perry qui, estimant que sur scène son groupe était bien meilleur qu'eux, ressentait cela comme une injustice. Ce qui ne l'empêchait pas d'entretenir de très bonnes et durables relations avec eux. Dans le même ordre d'idée et un peu plus tard, il pestait qu'un groupe tel que Cheap Trick ne soit plus connu (certainement avant la sortie du "Live at Budokan") alors qu'à son sens, c'était un des meilleurs groupe de scène.

     La production est assistée par Jack Douglas. Son apport semble primordial, réussissant à retranscrire assez fidèlement le son des Bostoniens. L'entente est si bonne entre Douglas et les "Dupont Volants" qu'il sera leur producteur exclusif jusqu'en 1978. Son engagement et son implication l'amènent à être alors considéré comme le sixième membre du groupe. Il aurait dû être aussi celui de "Night in the Ruts" qu'il avait pourtant débuté, mais le label, Columbia, mécontent des délais qui ne cessaient de s'allonger, et sans résultat probant, impose un nouveau producteur - en l'occurrence Gary Lyons -. Jack va retrouver Joe Perry deux ans plus tard, pour son premier essai solo. Néanmoins, une fois les mains libres, le groupe le sollicitera à nouveau, en tant que co-producteur, pour quatre autres albums (dont les deux derniers). Son travail pour Aerosmith attire l'attention des labels et des musiciens de Rock, et le fait devenir l'un des producteurs les plus prisés et une référence dans le milieu du Rock lourd pendant une quinzaine d'années.

Face 1

TitreAuteursDurée
1.Same Old Song and DanceS. Tyler, J. Perry3:53
2.Lord Of The ThighsS. Tyler4:14
3.SpacedTyler, J. Perry4:21
4.Woman Of The WorldTyler, Don Solomon5:49
Face 2

TitreAuteursDurée
5.S.O.S. (Too Bad)S. Tyler2:51
6.Train Kept a Rollin'Tiny Bradshaw, Howard Kay, Lois Mann5:33
7.Seasons Of WitherS. Tyler5:38
8.Pandora's BoxTyler, J. Kramer5:43




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