- Boccherini aujourd'hui Claude, on continue dans la musique baroque, quoique ce que j'entends ne me fasse pas vraiment penser à des concertos grosso écoutés ces derniers temps, pendant l'Avent…
- Normal Sonia cette impression. Boccherini n'est pas un homme du baroque mais un compositeur de l'époque classique, né avant Mozart et mort après, un contemporain de Haydn… Entre Vivaldi et Verdi, il y a une vie musicale italienne importante ma belle…
- Je suis bébête… Il y a un petit diagramme très explicite dans l'article de 2019 consacré aux quintettes pour guitare de ce monsieur Boccherini. Waouh très complet la biographie de ce musicien…
- En effet Sonia, on va poser un lien… C'est bien la musique classique pour ça, lesdites biographies n'évoluent plus façon Paris Match ou Voici…
- Ah c'est sûr… Sinon, il y a des passages très émouvants dis donc…
- 1771, Beethoven vient de naître et Haydn compose ses symphonies dites Sturm und Drang… Et si Boccherini n'était pas indifférent aux prémices du romantisme ?
Luigi Boccherini |
On pense parfois que la musique italienne se place en arrière-plan derrière
celle des grands compositeurs allemands et austro-hongrois pendant le siècle
des lumières. Il est vrai que
Bach
en fin de carrière, ses fils comme
Carl Philipp Emanuel,
Mozart
et
Haydn
ont placé la barre très haut par une inventivité et une productivité sans
égales pour leur catalogue d'œuvres… Et pourtant, sans leurs confrères de la
péninsule italienne qui ont une influence considérable sur le style et le
goût du public, la création aurait été sans doute moins riche.
Les lecteurs qui ont vu Amadeus de
Milos Forman se rappellent sans doute cette scène où
Wolfgang annonce devant la cour et un
aéropage de petits maitres fayots et scandalisés son intention d'écrire un
opéra en langue allemande et non en italien comme il est d'usage depuis
l'époque baroque. Les opéras de
Haendel
recourent à l'italien. Quand le genre fera moins recette, il composera des
oratorios en anglais pour satisfaire la religion anglicane. Pour revenir à
Mozart, les livrets de Lorenzo da Ponte pour
Don Giovanni,
Les noces de Figaro et
Cosi fan Tutte, trois des plus essentiels opéras, sont rédigés en italien alors que
L'Enlèvement au sérail
ou la
Flûte enchantée
sont chantés en allemand.
N'oublions pas le bavarois – viennois Christoph Willibald Gluck (1741-1788), immense compositeur d'opéras. Gluck commence à révolutionner l'art lyrique en fusionnant l'air et le récitatif pour assurer une continuité dramatique plus marquée. Il compose une cinquantaine d'opéras, certes en italien pour répondre aux exigences de la Vienne du siècle des lumières mais aussi dans d'autres langues car le personnage voyage beaucoup, en Angleterre et en France pour laquelle il adapte une version d'Orphée et Eurydice en français et… dans laquelle il ajoute le charmant et séraphique menuet pour flûte et cordes titré "Ballet des ombres heureuses", une exclusivité pour cette version francophone… Et je vais vous surprendre peut-être en "spoilant" l'écoute des symphonies de Boccherini : deux thèmes sont les quasis répliques de cette mélodie et de la folle "danse des furies" incluse dans ce même opéra…
Ce chapitre peut paraître hors sujet dans une chronique dédiée à des symphonies. J'insiste justement sur l'effervescence des échanges entre les compositeurs européens de l'époque. Bach transcrit pour l'orgue des concertos de Vivaldi. Il y a peu, je présentais un compositeurs anglais méconnu, Charles Avison, qui composa de jolis concertos grosso à partir de thèmes extraits des sonates pour clavecins de Scarlatti. Depuis la Renaissance, l'art italien influence l'Europe.
Et voici Boccherini qui, on le verra bientôt, parodie Gluck en termes mélodiques et Joseph Haydn sur la forme symphonique classique… Une démonstration sans ambiguïté de "Entre Vivaldi le baroque et Verdi le romantique, il y a une vie musicale italienne" Au hasard : les deux années de pèlerinage en Italie de Liszt et sa Dante symphonie (Index).
Raymond Leppard (1929-2017) |
XXXX |
Boccherini ? Pour des infos sur ce compositeur italien de premier plan, je vous renvoie à la chronique écrite en 2019 concernant des quintettes pour guitare (Clic). La biographie couvrait l'essentiel de "la vie et l'œuvre" du personnage (formule chère aux livres scolaires). Moins célèbre que le géant Vivaldi et sa myriade de concerti grossi pour tous les groupes instrumentaux possibles, dont un carré d'as qui s'appelle je crois Les quatre saisons, un cycle enregistré plus de mille fois 😊. On pensera plus à Albinoni qu'à Boccherini en société à cause d'un inusable et langoureux adagio que le gars n'a d'ailleurs jamais composé (il est de Remo Giazotto - Clic). Par contre, rendez-vous dans quelques temps avec, vraiment de Albinoni, les 12 Concerti a cinque, Op.9 ; du beau, du chouette gorgé du soleil vénitien.
Côté composition, il est admis que
Boccherini
a considérablement œuvré dans le domaine de la musique de chambre en général
et pour les pièces avec violoncelle soliste, instrument dont il était
virtuose. On compte notamment une centaine de
quatuors
et cent cinquante
quintettes
pour violoncelle(s) ou instruments des plus divers dont la guitare pourtant
rarement mise à l'honneur à l'époque. Et là surgit une question. La
profusion n'a-t-elle pas nuit à la fantaisie (je ne parle pas de qualité)
? Beethoven disait "entre plusieurs thèmes, je ne choisis pas par principe le plus beau,
mais celui qui marquera". Mémoriser de nombreux motifs voire des ouvrages entiers de
Mozart,
Beethoven,
Haydn
est assez aisé pour un mélomane ; pour
Boccherini, c'est très difficile malgré les indéniables élégance et sensibilité du
discours musical ; l'éternel conflit entre talent et génie chez les
créateurs. Mais il y a de jolis airs…
- C'est vite dit Claude, le début du Quintette N°4 pour guitare me fait penser à la chanson "Tiens voilà du boudin, voilà…" […]
- Mon dieu Sonia, tu me vires ça du billet ! Enfin !!! (Le pire c'est qu'elle a raison, mais quand même, on a le respect du lecteur).
Gravure supposée de Boccherini |
Boccherini
fut un compositeur prolixe de musiques de chambre, la chose est établie.
Mais sa carrière de 44 ans, assez longue pour l'époque, lui a permis
d'entreprendre des projets dans tous les genres y compris la
symphonie, le
concerto et même la
musique religieuse. Il écrira
27 symphonies entre 1769 et
1792. Son catalogue les a regroupées dans 9 n° d'opus.
Cette période correspond à celle où
Mozart
composera la plus grande partie de son corpus symphonique, de la symphonie N°10
de 1770 à la
N°41 "Jupiter" de 1788. En 1787,
Joseph Haydn
peut se targuer d'avoir déjà écrit un patrimoine inouï de
88 symphonies, dont le groupe des
sturm und drang* ("La passionne", "La funèbre", une demi-douzaine de bijoux préromantiques à la mode en Allemagne vers
1770) et les
six Parisiennes N°82
à
N°87, très orchestrées, et d'inspiration un peu folle voire humoristique.
La structure en quatre mouvements est figée par les deux compositeurs pour
plus d'un siècle (adagio-allegro ; andante ; menuet-scherzo ; allegro).
Beethoven
poursuivra sur ce schéma dès ses deux premières symphonies avant d'exploser
l'esprit classique avec la n°3
"Héroïque", première pierre du romantisme triomphant !
(*) littéralement : tempête et passion, mouvement libertaire et
dramatique à la fin du XVIIIème siècle puisant ses racines
chez Jean-Jacques Rousseau et William Shakespeare.
Les rares exécutions en concert et une discographie encore mince suggèrent
un faible intérêt pour l'œuvre orchestral de
Boccherini. La rareté de thèmes immédiatement attachants n'explique pas tout. Certes,
chacune des
six symphonies opus 12
écoutées ce jour concurrence en durée et par leur forme quadripartite celles
de
Mozart
et de
Haydn. Ajoutons que les deux autrichiens, surtout le second, avait spécifié au
fil du temps une orchestration qui va se maintenir pendant tout le XIXème
siècle :
2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, (3
trombones plus tard), timbales, violons I & II, altos, violoncelles et
contrebasses. Pour
Mozart, seules les
symphonie N°31 "Paris" et
N°40
répondent à cette pseudo-règle, car en ces temps-là les effectifs des
orchestres de cour sont souvent hérités de l'époque baroque et des dépenses
acceptables par les "protecteurs" princiers.
Mozart
et
Haydn
trouvent leur bonheur seulement à Paris et à Londres, le
second pour faire créer
Les 12 londoniennes !
~~~~~~~~~~~~
Si même la sphère germanique ne peut proposer d'orchestres aussi complets à
ses plus grands maîtres, alors, quid de ceux dont pouvait disposer
Boccherini, un compositeur italien travaillant de 1768 à sa mort en
1805, soit 37 ans… en Espagne ? Une situation qui le conduira à tant
composer d'ouvrages chambristes. Mais le diable d'homme fera preuve d'une
inventivité et d'une capacité d'adaptation aux circonstances singulières.
Madrid vers 1770 |
XXX |
L'orchestre de
Boccherini
semble simple : 2 flûtes alternent avec 2 hautbois, 2 cors et le groupe des
cordes. Disposant d'une harmonie réduite,
Boccherini
casse les codes d'emploi des cordes. La lecture des symphonies classique
comme la
symphonie N°32
de
Mozart
dite "Paris"
(partition), bénéficiant pourtant d'une orchestration officielle complète (Merci la
Capitale), affiche une seule portée dédiée aux violoncelles et
contrebasse(s) qui jouent à l'unisson. Il n'y a même pas d'accords donc de
timbres mystérieux dans le registre grave !
Boccherini
dissocie les parties et, en violoncelliste virtuose, confie à un petit
groupe de cordes des rôles solistes. Est-ce le retour du concertino baroque
? Non car l'effectif de cordes permet un vrai dialogue et non un unique solo
soutenu par une basse continue.
Peu d'instrument ? Qu'à cela ne tienne.
Boccherini
insère dans ses partitions des dialogues dans les paires de vents. Ainsi :
Flûte I vs Flûte 2, pareil pour les hautbois ou les cors. Il en ressort une
légèreté, une fantaisie concertante et des jeux de couleurs inattendus et
charmeurs. Quant à la thématique, une ou deux écoutes nous font découvrir un
poète…
Ainsi dans la
symphonie n°2 Opus 12
(G504), l'orchestration devient :
Hautbois 1, hautbois 2, cor 1, cor 2, violon 1,
violon 2, violions I, violions II, altos,
violoncelles I, violoncelles II, contrebasses.
Pour la
symphonie n°3 Opus 12
(G505) :
4 flûtes, 4 cors, Violons I, violons II, altos, violoncelles,
contrebasses. Nous n'allons pas commenter les 6 symphonies, mais je signalerai plus
loin certains passages qui m'ont particulièrement touché voire ému…
Avant tout, retour sur le maestro, compositeur, altiste et claveciniste
Raymond Leppard. Il a été partie prenante par deux fois dans deux articles consacrés à
Haendel,
Water Music
et les
Concertos grosso opus 6
(2012 & 2019).
(Clic)
peu après la publication de la seconde chronique, cet homme sympathique nous
quittait à 92 ans. Adolescent, j'avais découvert Haendel et les
Concerti a due cori
grâce à son enregistrement pour Philips de 1968. Les
symphonies opus 12 de
Boccherini
ont été gravées en 1972 avec le
New Philharmonia orchestra en
petite configuration a priori 😊. Le coffret de 3 LP au son ample et bien
défini portait la mention : "Premier enregistrement intégral". C'est dire si ce chef avait œuvré pour la reconnaissance de la musique
italienne. L'Italie qui lui avait remis une haute distinction pour cette
démarche innovante.
Quelques hits :
Symphonie No. 1 (G503) : L'introduction sereine aux cordes d'où émerge un élégiaque solo de
hautbois nous plonge dans cet art classique où le calme précède la tempête,
à savoir un allegro dans lequel
s'affronte une double thématique [Playlist 1
– 1:32], l'une galante et mélodique, l'autre à la vivifiante scansion. Les
cordes semblent dominer le sujet, mais les cors viennent se rebeller [Playlist 1
- 4:16] pour annoncer le développement, car oui forme sonate rigoureuse il y
a. [Playlist 1 - 5:08] Un guilleret
solo de violon avec des facétieuses trilles apporte son lot de fantaisie
avant la reprise conclusive.
[Playlist 2] L'andantino
a des accents mozartiens par son esprit mélancolique et hésitant.
[Playlist 3] La durée du
menuetto est égale à celle de l'andantino. Dansé par les violoncelles, ce mouvement alterne un dialogue
cors-hautbois avec dans le trio un solo d'oiseleur à la flûte avant une
reprise da capo.
[Playlist 4] Le
presto finale rappelle par son énergie
celle des symphonies sturm und drang de
Haydn…
Symphonie No. 2 (G504 ) : L'allegro introductif est d'une
durée inattendue avec ses 13 minutes et doucement rythmé. [Playlist 5 - 1:46
& 2:37] les cors bénéficient de duos de grandes difficultés techniques
dans l'aigu, [Playlist 5 - 3:37] place à un couple de violoncelles au
dialogue jovial, [Playlist 5 - 3:37]
suit un solo du violon. [Playlist 5 -
10:14] et voici une cadence vertigineuse des violoncelles… Tout cela est
pour le moins fantasque et se développe tel un kaléidoscope sonore de style
galant. Qui a osé parler de musique simpliste de divertissement ?
[Playlist 6] Le mouvement lent noté
Grave est d'une beauté mélancolique
extraordinaire. Il est étonnant qu'il n'ait pas connu le succès isolément
comme certains arias de
Bach. La mélodie ondulante invite à la rêverie. [Playlist 6
- 1:29] Le violon solo entonne une mélopée aux accents funèbres et
pathétiques. Les violons répondent en écho. [Playlist 6
- 2:46] Deux violoncelles en duo chantent un air… Petit à petit un ensemble
de chambre violon-violoncelles s'impose dans le mouvement, montrant bien que
l'ajout par
Boccherini
d'une "harmonie d'instruments à archet", en fait du duo au quatuor, soutient un discours musical que les vents,
ici absents, auraient pu agrémenter…
Symphonie No. 4 (G506) : [Playlist 11] Pour terminer,
l'andante sostenuto - allegro con molto qui termine cette
4ème symphonie. Après un ténébreux andante, à [Playlist 11
- 2:46] jaillit une folie orchestrale qui rappelle indéniablement la danse
des furies de l'opéra
Orphée
de
Gluck… Le discours diabolique dans les premières mesures évolue vers une
ambiance plus festive, moins sauvage, et cela sans transition brutale, du
grand art…
~~~~~~~~~~~~
On s'en doute, difficile de proposer une discographie alternative. La
gravure de
Raymond Leppard
garde ses grandes qualités un demi-siècle après la résurrection très étudiée
par le chef anglais de l'opus 12. Le livret accompagnant le coffret de trois vinyles, rédigé de sa main,
était un modèle d'enseignement et de clarté pour les néophytes. Une réussite
puisque numérisés, ces disques ne quittent pas le catalogue, pour l'instant.
(Philips – 5/6).
Pour ceux que six symphonies pourraient intimider, Chandos propose
un album simple avec trois symphonies de différentes époques : les n° 1 &
n° 2
de l'opus 12 écoutées en entier ce jour et la
n°1
de l'opus 37. Le London Mozart Players
est dirigé par
Matthias Bamert
(Chandos – 4/6)
Enfin pour les fans du compositeur italien-madrilène 😉, le label allemand
très imaginatif CPO propose une intégrale des
28 symphonies
de
Boccherini
par le
Deutsche Kammerakademie Neuss, ensemble fondé en 1978 par le violoncelliste et chef d'orchestre
Johannes Goritzki, sur instruments d'époque mais sans les aigreurs qui seraient mal venues
dans une musique qui regarde vers le préromantisme (CPO – 5/6 – 8 CD
😊) Un Youtubeur héroïque a réuni les 95 mouvements sur une Playlist que
j'ajoute en complément à tout hasard pour les courageux… l'Opus 12 commence à la vidéo N°21.
Playlist des 6 symphonies |
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Symphonie No. 1 en ré majeur 1. Grave - Allegro Assai 2. Andantino 3. Minué Amoroso 4. Assai Symphonie No. 2 en mi bémol majeur 5. Allegro Maestoso 6. Grave 7. Allegro Con Moto Symphonie No. 3 En Ut majeur 8. Allegro Con Moto 9. Andantino Amoroso 10. Tempo Di Minué 11. Presto Ma Non Tanto |
Symphonie No. 4 en ré mineur 12. Andante Sostenuto - Allegro Assai 13. Andantino Con Moto
14. Andante Sostenuto - Allegro Con Molto Symphonie No. 5 en si bémol majeur 15. Allegro Con Spirito 16. Adagio Non Tanto 17. Minuetto 18. Prestissimo Symphonie No. 6 en la majeur
19. Allegro Assai
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