jeudi 22 décembre 2022

Luigi BOCCHERINI – 6 symphonies opus 12 (1771) – Raymond LEPPARD (1972) - par Claude Toon


- Boccherini aujourd'hui Claude, on continue dans la musique baroque, quoique ce que j'entends ne me fasse pas vraiment penser à des concertos grosso écoutés ces derniers temps, pendant l'Avent…

- Normal Sonia cette impression. Boccherini n'est pas un homme du baroque mais un compositeur de l'époque classique, né avant Mozart et mort après, un contemporain de Haydn… Entre Vivaldi et Verdi, il y a une vie musicale italienne importante ma belle…

- Je suis bébête… Il y a un petit diagramme très explicite dans l'article de 2019 consacré aux quintettes pour guitare de ce monsieur Boccherini. Waouh très complet la biographie de ce musicien…

- En effet Sonia, on va poser un lien… C'est bien la musique classique pour ça, lesdites biographies n'évoluent plus façon Paris Match ou Voici…

- Ah c'est sûr… Sinon, il y a des passages très émouvants dis donc…

- 1771, Beethoven vient de naître et Haydn compose ses symphonies dites Sturm und Drang… Et si Boccherini n'était pas indifférent aux prémices du romantisme ?


Luigi Boccherini

On pense parfois que la musique italienne se place en arrière-plan derrière celle des grands compositeurs allemands et austro-hongrois pendant le siècle des lumières. Il est vrai que Bach en fin de carrière, ses fils comme Carl Philipp Emanuel, Mozart et Haydn ont placé la barre très haut par une inventivité et une productivité sans égales pour leur catalogue d'œuvres… Et pourtant, sans leurs confrères de la péninsule italienne qui ont une influence considérable sur le style et le goût du public, la création aurait été sans doute moins riche.

Les lecteurs qui ont vu Amadeus de Milos Forman se rappellent sans doute cette scène où Wolfgang annonce devant la cour et un aéropage de petits maitres fayots et scandalisés son intention d'écrire un opéra en langue allemande et non en italien comme il est d'usage depuis l'époque baroque. Les opéras de Haendel recourent à l'italien. Quand le genre fera moins recette, il composera des oratorios en anglais pour satisfaire la religion anglicane. Pour revenir à Mozart, les livrets de Lorenzo da Ponte pour Don Giovanni, Les noces de Figaro et Cosi fan Tutte, trois des plus essentiels opéras, sont rédigés en italien alors que L'Enlèvement au sérail ou la Flûte enchantée sont chantés en allemand.

N'oublions pas le bavarois – viennois Christoph Willibald Gluck (1741-1788), immense compositeur d'opéras. Gluck commence à révolutionner l'art lyrique en fusionnant l'air et le récitatif pour assurer une continuité dramatique plus marquée. Il compose une cinquantaine d'opéras, certes en italien pour répondre aux exigences de la Vienne du siècle des lumières mais aussi dans d'autres langues car le personnage voyage beaucoup, en Angleterre et en France pour laquelle il adapte une version d'Orphée et Eurydice en français et… dans laquelle il ajoute le charmant et séraphique menuet pour flûte et cordes titré "Ballet des ombres heureuses", une exclusivité pour cette version francophone… Et je vais vous surprendre peut-être en "spoilant" l'écoute des symphonies de Boccherini : deux thèmes sont les quasis répliques de cette mélodie et de la folle "danse des furies" incluse dans ce même opéra…

Ce chapitre peut paraître hors sujet dans une chronique dédiée à des symphonies. J'insiste justement sur l'effervescence des échanges entre les compositeurs européens de l'époque. Bach transcrit pour l'orgue des concertos de Vivaldi. Il y a peu, je présentais un compositeurs anglais méconnu, Charles Avison, qui composa de jolis concertos grosso à partir de thèmes extraits des sonates pour clavecins de Scarlatti. Depuis la Renaissance, l'art italien influence l'Europe. 

Et voici Boccherini qui, on le verra bientôt, parodie Gluck en termes mélodiques et Joseph Haydn sur la forme symphonique classique… Une démonstration sans ambiguïté de "Entre Vivaldi le baroque et Verdi le romantique, il y a une vie musicale italienne" Au hasard : les deux années de pèlerinage en Italie de Liszt et sa Dante symphonie (Index).


Raymond Leppard (1929-2017)
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Boccherini ? Pour des infos sur ce compositeur italien de premier plan, je vous renvoie à la chronique écrite en 2019 concernant des quintettes pour guitare (Clic). La biographie couvrait l'essentiel de "la vie et l'œuvre" du personnage (formule chère aux livres scolaires). Moins célèbre que le géant Vivaldi et sa myriade de concerti grossi pour tous les groupes instrumentaux possibles, dont un carré d'as qui s'appelle je crois Les quatre saisons, un cycle enregistré plus de mille fois 😊. On pensera plus à Albinoni qu'à Boccherini en société à cause d'un inusable et langoureux adagio que le gars n'a d'ailleurs jamais composé (il est de Remo Giazotto - Clic). Par contre, rendez-vous dans quelques temps avec, vraiment de Albinoni, les 12 Concerti a cinque, Op.9 ; du beau, du chouette gorgé du soleil vénitien.

Côté composition, il est admis que Boccherini a considérablement œuvré dans le domaine de la musique de chambre en général et pour les pièces avec violoncelle soliste, instrument dont il était virtuose. On compte notamment une centaine de quatuors et cent cinquante quintettes pour violoncelle(s) ou instruments des plus divers dont la guitare pourtant rarement mise à l'honneur à l'époque. Et là surgit une question. La profusion n'a-t-elle pas nuit à la fantaisie (je ne parle pas de qualité) ? Beethoven disait "entre plusieurs thèmes, je ne choisis pas par principe le plus beau, mais celui qui marquera". Mémoriser de nombreux motifs voire des ouvrages entiers de Mozart, Beethoven, Haydn est assez aisé pour un mélomane ; pour Boccherini, c'est très difficile malgré les indéniables élégance et sensibilité du discours musical ; l'éternel conflit entre talent et génie chez les créateurs. Mais il y a de jolis airs…

- C'est vite dit Claude, le début du Quintette N°4 pour guitare me fait penser à la chanson "Tiens voilà du boudin, voilà…" […]

- Mon dieu Sonia, tu me vires ça du billet ! Enfin !!! (Le pire c'est qu'elle a raison, mais quand même, on a le respect du lecteur).


Gravure supposée de Boccherini

Boccherini fut un compositeur prolixe de musiques de chambre, la chose est établie. Mais sa carrière de 44 ans, assez longue pour l'époque, lui a permis d'entreprendre des projets dans tous les genres y compris la symphonie, le concerto et même la musique religieuse. Il écrira 27 symphonies entre 1769 et 1792. Son catalogue les a regroupées dans 9 n° d'opus.

Cette période correspond à celle où Mozart composera la plus grande partie de son corpus symphonique, de la symphonie N°10 de 1770 à la N°41 "Jupiter" de 1788. En 1787, Joseph Haydn peut se targuer d'avoir déjà écrit un patrimoine inouï de 88 symphonies, dont le groupe des sturm und drang* ("La passionne", "La funèbre", une demi-douzaine de bijoux préromantiques à la mode en Allemagne vers 1770) et les six Parisiennes N°82 à N°87, très orchestrées, et d'inspiration un peu folle voire humoristique.

La structure en quatre mouvements est figée par les deux compositeurs pour plus d'un siècle (adagio-allegro ; andante ; menuet-scherzo ; allegro). Beethoven poursuivra sur ce schéma dès ses deux premières symphonies avant d'exploser l'esprit classique avec la n°3 "Héroïque", première pierre du romantisme triomphant !

(*) littéralement : tempête et passion, mouvement libertaire et dramatique à la fin du XVIIIème siècle puisant ses racines chez Jean-Jacques Rousseau et William Shakespeare.

Les rares exécutions en concert et une discographie encore mince suggèrent un faible intérêt pour l'œuvre orchestral de Boccherini. La rareté de thèmes immédiatement attachants n'explique pas tout. Certes, chacune des six symphonies opus 12 écoutées ce jour concurrence en durée et par leur forme quadripartite celles de Mozart et de Haydn. Ajoutons que les deux autrichiens, surtout le second, avait spécifié au fil du temps une orchestration qui va se maintenir pendant tout le XIXème siècle : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, (3 trombones plus tard), timbales, violons I & II, altos, violoncelles et contrebasses. Pour Mozart, seules les symphonie N°31 "Paris" et N°40 répondent à cette pseudo-règle, car en ces temps-là les effectifs des orchestres de cour sont souvent hérités de l'époque baroque et des dépenses acceptables par les "protecteurs" princiers. Mozart et Haydn trouvent leur bonheur seulement à Paris et à Londres, le second pour faire créer Les 12 londoniennes !

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Si même la sphère germanique ne peut proposer d'orchestres aussi complets à ses plus grands maîtres, alors, quid de ceux dont pouvait disposer Boccherini, un compositeur italien travaillant de 1768 à sa mort en 1805, soit 37 ans… en Espagne ? Une situation qui le conduira à tant composer d'ouvrages chambristes. Mais le diable d'homme fera preuve d'une inventivité et d'une capacité d'adaptation aux circonstances singulières.  


Madrid vers 1770
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L'orchestre de Boccherini semble simple : 2 flûtes alternent avec 2 hautbois, 2 cors et le groupe des cordes. Disposant d'une harmonie réduite, Boccherini casse les codes d'emploi des cordes. La lecture des symphonies classique comme la symphonie N°32 de Mozart dite "Paris" (partition), bénéficiant pourtant d'une orchestration officielle complète (Merci la Capitale), affiche une seule portée dédiée aux violoncelles et contrebasse(s) qui jouent à l'unisson. Il n'y a même pas d'accords donc de timbres mystérieux dans le registre grave ! Boccherini dissocie les parties et, en violoncelliste virtuose, confie à un petit groupe de cordes des rôles solistes. Est-ce le retour du concertino baroque ? Non car l'effectif de cordes permet un vrai dialogue et non un unique solo soutenu par une basse continue.

Peu d'instrument ? Qu'à cela ne tienne. Boccherini insère dans ses partitions des dialogues dans les paires de vents. Ainsi : Flûte I vs Flûte 2, pareil pour les hautbois ou les cors. Il en ressort une légèreté, une fantaisie concertante et des jeux de couleurs inattendus et charmeurs. Quant à la thématique, une ou deux écoutes nous font découvrir un poète…

Ainsi dans la symphonie n°2 Opus 12 (G504), l'orchestration devient : Hautbois 1, hautbois 2, cor 1, cor 2, violon 1, violon 2, violions I, violions II, altos, violoncelles I, violoncelles II, contrebasses. Pour la symphonie n°3 Opus 12 (G505) : 4 flûtes, 4 cors, Violons I, violons II, altos, violoncelles, contrebasses. Nous n'allons pas commenter les 6 symphonies, mais je signalerai plus loin certains passages qui m'ont particulièrement touché voire ému…


Avant tout, retour sur le maestro, compositeur, altiste et claveciniste Raymond Leppard. Il a été partie prenante par deux fois dans deux articles consacrés à Haendel, Water Music et les Concertos grosso opus 6 (2012 & 2019). (Clic) peu après la publication de la seconde chronique, cet homme sympathique nous quittait à 92 ans. Adolescent, j'avais découvert Haendel et les Concerti a due cori grâce à son enregistrement pour Philips de 1968. Les symphonies opus 12 de Boccherini ont été gravées en 1972 avec le New Philharmonia orchestra en petite configuration a priori 😊. Le coffret de 3 LP au son ample et bien défini portait la mention : "Premier enregistrement intégral". C'est dire si ce chef avait œuvré pour la reconnaissance de la musique italienne. L'Italie qui lui avait remis une haute distinction pour cette démarche innovante.

Quelques hits :

Symphonie No. 1 (G503) : L'introduction sereine aux cordes d'où émerge un élégiaque solo de hautbois nous plonge dans cet art classique où le calme précède la tempête, à savoir un allegro dans lequel s'affronte une double thématique [Playlist 1 – 1:32], l'une galante et mélodique, l'autre à la vivifiante scansion. Les cordes semblent dominer le sujet, mais les cors viennent se rebeller [Playlist 1 - 4:16] pour annoncer le développement, car oui forme sonate rigoureuse il y a. [Playlist 1 - 5:08] Un guilleret solo de violon avec des facétieuses trilles apporte son lot de fantaisie avant la reprise conclusive.

[Playlist 2] L'andantino a des accents mozartiens par son esprit mélancolique et hésitant.

[Playlist 3] La durée du menuetto est égale à celle de l'andantino. Dansé par les violoncelles, ce mouvement alterne un dialogue cors-hautbois avec dans le trio un solo d'oiseleur à la flûte avant une reprise da capo.

[Playlist 4] Le presto finale rappelle par son énergie celle des symphonies sturm und drang de Haydn


Symphonie No. 2 (G504 ) : L'allegro introductif est d'une durée inattendue avec ses 13 minutes et doucement rythmé. [Playlist 5 - 1:46 & 2:37] les cors bénéficient de duos de grandes difficultés techniques dans l'aigu, [Playlist 5 - 3:37] place à un couple de violoncelles au dialogue jovial, [Playlist 5 - 3:37] suit un solo du violon. [Playlist 5 - 10:14] et voici une cadence vertigineuse des violoncelles… Tout cela est pour le moins fantasque et se développe tel un kaléidoscope sonore de style galant. Qui a osé parler de musique simpliste de divertissement ?

[Playlist 6] Le mouvement lent noté Grave est d'une beauté mélancolique extraordinaire. Il est étonnant qu'il n'ait pas connu le succès isolément comme certains arias de Bach. La mélodie ondulante invite à la rêverie. [Playlist 6 - 1:29] Le violon solo entonne une mélopée aux accents funèbres et pathétiques. Les violons répondent en écho. [Playlist 6 - 2:46] Deux violoncelles en duo chantent un air… Petit à petit un ensemble de chambre violon-violoncelles s'impose dans le mouvement, montrant bien que l'ajout par Boccherini d'une "harmonie d'instruments à archet", en fait du duo au quatuor, soutient un discours musical que les vents, ici absents, auraient pu agrémenter…

Symphonie No. 4 (G506) : [Playlist 11] Pour terminer, l'andante sostenuto - allegro con molto qui termine cette 4ème symphonie. Après un ténébreux andante, à [Playlist 11 - 2:46] jaillit une folie orchestrale qui rappelle indéniablement la danse des furies de l'opéra Orphée de Gluck… Le discours diabolique dans les premières mesures évolue vers une ambiance plus festive, moins sauvage, et cela sans transition brutale, du grand art…

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On s'en doute, difficile de proposer une discographie alternative. La gravure de Raymond Leppard garde ses grandes qualités un demi-siècle après la résurrection très étudiée par le chef anglais de l'opus 12. Le livret accompagnant le coffret de trois vinyles, rédigé de sa main, était un modèle d'enseignement et de clarté pour les néophytes. Une réussite puisque numérisés, ces disques ne quittent pas le catalogue, pour l'instant. (Philips – 5/6).

Pour ceux que six symphonies pourraient intimider, Chandos propose un album simple avec trois symphonies de différentes époques : les n° 1 & n° 2 de l'opus 12 écoutées en entier ce jour et la n°1 de l'opus 37. Le London Mozart Players est dirigé par Matthias Bamert (Chandos – 4/6)

Enfin pour les fans du compositeur italien-madrilène 😉, le label allemand très imaginatif CPO propose une intégrale des 28 symphonies de Boccherini par le Deutsche Kammerakademie Neuss, ensemble fondé en 1978 par le violoncelliste et chef d'orchestre Johannes Goritzki, sur instruments d'époque mais sans les aigreurs qui seraient mal venues dans une musique qui regarde vers le préromantisme (CPO – 5/6 – 8 CD 😊) Un Youtubeur héroïque a réuni les 95 mouvements sur une Playlist que j'ajoute en complément à tout hasard pour les courageux… l'Opus 12 commence à la vidéo N°21.

Playlist des 6 symphonies
par Raymond Leppard :

Symphonie No. 1 en ré majeur

1. Grave - Allegro Assai

2. Andantino

3. Minué Amoroso

4. Assai

Symphonie No. 2 en mi bémol majeur

5. Allegro Maestoso

6. Grave

7. Allegro Con Moto

Symphonie No. 3 En Ut majeur

8. Allegro Con Moto

9. Andantino Amoroso

10. Tempo Di Minué

11. Presto Ma Non Tanto

Symphonie No. 4 en ré mineur

12. Andante Sostenuto - Allegro Assai

13. Andantino Con Moto

14. Andante Sostenuto - Allegro Con Molto

    Symphonie No. 5 en si bémol majeur

    15. Allegro Con Spirito

    16. Adagio Non Tanto

    17. Minuetto

    18. Prestissimo

    Symphonie No. 6 en la majeur

        19. Allegro Assai
        20. Larghetto
        21. Minuetto Con Molto
        22. Grave - Allegro Assai


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