mercredi 21 décembre 2022

CAPTAIN BEYOND " Sufficiently Breathless " (1973), by Bruno




     Depuis la première formation qualifiée de super-groupe, soit Cream, groupe ô combien majeur, l'appellation a rapidement été associée à un gage de qualité et de succès. Un super-groupe étant constitué de membres forts d'un certain actif, doublée d'une notoriété, on attend généralement beaucoup de ce mariage. Presque certain que la collaboration va forcément donner quelque chose d'encore meilleur que tout ce qu'ont fait précédemment les musiciens concernés. Ce qui est rarement le cas. Les nombreuses désillusions parsemant l'histoire de la musique populaire ont fini depuis longtemps par faire douter, voire par carrément désintéresser, les amateurs avertis. D'autant que quelques cadres filous de maisons de disques, appâtés par le filon potentiel, ont tôt fait d'opérer des montages commerciaux ; et généralement, dans ce cas, cela ne donne jamais rien d'extraordinaire, sinon même d'intéressant. L'alchimie entre musiciens est parfois un insondable mystère.


   Cependant, plus étonnant, il y a aussi des "super-groupes" qui, en dépit d'un bon disque, sont passés à côté du succès. Parce que le projet était éphémère et que les musiciens sont passés à autre chose (s'en mordant parfois les doigts) ; parce que le label et le management se sont roulés les pouces, pensant que seule la notoriété des musiciens serait suffisante ; parce qu'il y avait trop d'ego surdimensionné au mètre carré (probablement la cause la plus répandue) ; sans omettre les problèmes d'addictions courantes d'un ou plusieurs membres (deuxième position au palmarès, mais allant souvent de paire avec la précédente). Bref, les causes sont diverses, engendrant ainsi une multitude de savoureuses galettes émaillant les années depuis soixante ans. 

     Parmi les super-groupes passés à côté du succès, il y a Captain Beyond. Bien que ce groupe soit devenu, bien des années plus tard, un groupe culte que l'on se plait à citer, sa carrière fut des plus tumultueuses et aucun de ses trois disques ne connut véritablement le succès. Les relations avec leur label étant aussi des plus houleuses. Signé par Capricorn Records, qui espérait un preste retour sur investissement, tout en élargissant son catalogue initialement dédié exclusivement au southern-rock, le groupe se retrouve finalement livré à lui-même, dénué de soutien. Sans promotion et avec une distribution des plus aléatoires. Ce qui ne sera pas, hélas, un cas unique ; l'écurie Capricorn prenant l'eau ne fera de réels efforts - ou simplement son travail - que pour ses premiers poulains. D'autres groupes du label feront également les frais d'une gestion bancale.

     Pour ces raisons, le groupe ne fait aucune vague, se perd entre de multiples départs et va-et-vient, jusqu'à sa dissolution définitive, dans l'indifférence générale. Il est vrai aussi que la plupart des musiciens étaient d'anciennes "gloires" de la décennie précédente, et donc parfois considérés comme des "has-been". D'autant qu'au moment de la dernière dissolution, après une troisième mouture, en 1977, une part importante de paires d'esgourdes, et surtout la presse, étaient tournée vers Londres.


     A l'origine, la formation regroupe Rod Evans, le premier chanteur de Deep Purple, Larry "Rhino" Reinhardt et Lee Dorman, respectivement guitariste et bassiste d'Iron Butterfly, et Bobby Caldwell, le batteur du Johnny Winter And. Et c'est Duane Allman himself qui aurait intronisé le groupe au sein de Capricorn Records. Soit quelques mois avant son tragique accident de moto. Un premier album sort en 1972. C'est celui-ci qui finit par être réhabilité et qui, aujourd'hui encore, fait le bonheur des afficionados du Rock des années 70. Cet album éponyme est indéniablement bon, cependant, bien souvent les critiques sont dithyrambiques. Il est intéressant d'y retrouver un Rod Evans qui a su évoluer, ou du moins adapter son registre à une tonalité plus ouvertement "heavy-rock" (sans jamais rivaliser avec la puissance insolente de Gillan). Son éviction de Deep Purple a dû pas mal le chambouler, et il avait une revanche à prendre. Toutefois, la production semble parfois inappropriée. Comme si entre le précédent enregistrement de southern-rock et celui-ci, on n'avait pas pris la peine de poser les doigts sur la table de mixage. 

     Malheureusement, le second opus est souvent dénigré, ou simplement oublié. Pourtant, à l'époque, ce deuxième chapitre s'est bien mieux vendu que le premier. Il faut dire que l'illustration de pochette n'est pas vraiment des plus réussies, avec le patronyme du groupe pratiquement illisible (à moins que cela ne soit le fait de la miniaturisation due au format CD) (1). Mais c'est surtout le changement drastique de style qui se révèle déconcertant. La formation passant subitement, d'un disque à l'autre, d'une tonalité brute, d'un son presque live, à un certain raffinement - d'un heavy-rock rêche aux relents d'acid-rock à un rock-progressif généreusement saupoudré d'ingrédients latins évoquant irrémédiablement Santana - mais pas que.

     L'ouverture, avec le beau et rafraîchissant "Sufficiently Breathless", est une douche froide pour ceux qui étaient certains - et ne voulaient pas autre chose - de retrouver le hard-rock du précédent opus. Carrément à des lieux du hard-rock en général, ce serait bien plus en phase avec America ou Crosby, Stills, Nash & Young. L'enchaînement sur la guitare noyée par un effet de Leslie grabataire sur "Bright, Blue Tango" ne faisant qu'achever l'amateur fidèle aux œuvres sortant des fonderies des divinités du heavy-rock.


   De temps à autre, ce sont même de timides consonnances jazzy qui viennent colorer la musique, en évoquant alors, peu ou prou, Santana. L'ajout de percussions - tenues par Guille Garcia (qui rejoindra Chicago, REO Speedwagon) - renforce cette lourde affiliation. Le volcanique "Drifting Space" en étant le meilleur exemple. Les deux morceaux suivants, "Evil Men" et "Starglow Energy" ne sont pas en reste et auraient pu être insérés sans mal dans les premiers opus de Santana. 

   Toutefois, pour être plus nuancé, on peut légitimement faire aussi le lien avec les premiers disques de Journey, avant que la bande de Neal Schon et Gregg Rolie ne goûte au succès de mélodies plus sucrées. Ainsi, "Evil Men", avec la la guitare irradiée par une wah-wah incandescente, ouvre la voie aux envolées de Neal Schon, telles qu'il les développera, dès 1975, sur l'album éponyme et sur "Look into the Future". Tandis que "Starglow Energy", titre planant aux parfums de Pink Floyd, se déploie lentement, d'abord comme un Space-rock, avant de s'échapper dans des volutes de wah-wah torturée. Plus étonnant encore, sur ce titre, Evans évoque parfois les tonalités de Gregg Rolie - comme si ce dernier avait pu être un modèle. La plongée dans le Jazz-heavy-rock spatial de "Distant Sun" préfigure carrément les premiers essais de Journey. Il a parfois été reproché à "Sufficiently Breathless" de n'être qu'un ersatz de Santana. Remarque cruelle, même si l'on ne peut nier quelques similitudes. D'un autre côté, on pourrait aussi se poser la question de savoir si cet album n'est pas tombé entre les mains de Schon, Valory et Rolie. 

     Pour parfaire la métamorphose, la formation s'est complétée d'un claviériste en la personne de Reese Wynans. qui, du haut de ses 24/25 ans, n'a rien à envier à ses pairs plus expérimentés. Wynans qui, en 1985, connaîtra une notoriété internationale en rejoignant Stevie Ray Vaughan. Vingt ans plus tard, en 2015, à 68 ans, il devient le claviériste attitré de Joe Bonamassa. Entretemps, on le retrouve sur une belle proportion de disques de Blues et de Blues rock des années 90 et 2000, dont Colin James, Buddy Guy, Kenny Wayne Sheperd, Los Lonely Boys, John Mayall, ainsi que quelques artistes de Country. Mais avant tout ça, il jouait avec Dickey Betts et Berry Oakley dans Second Coming avant la fusion qui va donner le Allman Brothers Band. Il n'en fit pas partie car Duane ne souhaitait pas d'un second clavier. Pas réellement une surprise, puisque Reese avait déjà joué avec "Rhino" au sein d'un groupe de club de Sarasota (Floride) - qui jammait parfois avec Duane Allman -, puis dans la seconde et dernière mouture de The Second Coming.


 Cependant, bien qu'omniprésents, contribuant notablement aux teintes jazzy et latines, les claviers restent dans l'ensemble assez discrets, laissant la direction à la guitare de "Rhino" Reinhardt - qui ne cesse de combiner de chatoyantes étincelles multicolores. Une guitare rappelant au passage que "El Rhino" était un musicien émérite et racé, sachant faire fi de toute esbrouffe pour servir la chanson - et non son propre ego. Bien que non crédité en tant que compositeur, à cause de litiges non résolus avec Iron Butterfly, il est très vraisemblablement l'un des architectes fondamentaux du groupe, avec son collègue Lee Dorman. 

     Franchement moins dur et agressif, le nouveau chemin emprunté convient bien mieux au registre de Rod Evans, qui n'a plus alors à râper ses cordes vocales. 

      Rod Evans étant quelque de spécial, de difficile à cerner et d'imprévisible (ce qui aurait contribué à son éviction de Deep Purple), il quitte le groupe sans donner aucune raison. Entraînant ainsi une mort prématurée d'une formation fort prometteuse, auteur de deux très bons disques témoignant de larges capacités. Véritable gâchis. Evans, personnage aux étranges décisions, finalisera le "suicide" de sa carrière le jour où, dans les années 80, il entamera une longue tournée en Amérique-du-Nord avec une nouvelle mouture de Deep Purple, dont le seul membre n'est autre que lui-même. Le mécontentement du public venu assister aux concerts, persuadé de retrouver au moins en partie une des trois moutures originales, traverse l'Atlantique et arrive aux oreilles courroucées des principaux concernés. Certains évènements ont frôlé l'émeute (il y a eu de la casse), et l'arnaque rejaillit sur la réputation du fameux quintet - plutôt sur le management.

  Résultat : après un procès perdu d'avance, il perd ses royalties, et écope d'une interdiction totale d'utiliser le nom du groupe. Une belle connerie, car son pourcentage sur les royalties, que le groupe lui avait concédé dès son départ, et qu'il touchait mensuellement, lui permettait de vivre confortablement sans avoir à travailler. 

     Après cette défection impromptue, Wynans, dépourvu financièrement, se doit d'abandonner le navire afin de prendre un travail sûr, à revenu fixe. Après quelques concerts en quatuor, avec le retour de Bobby Cadwell, le groupe arrête les frais. Dommage. Les quelques pistes dépoussiérées et sorties tardivement, en 2017, sur le disque "Lost & Found 1972 - 1973", laissent le goût amer d'un certain gâchis.  

     Après deux années d'interruption, en 1976, Dorman, Reinhardt et Cadwell remettent le couvert avec un nouveau chanteur et une nouvelle galette. Cette fois-ci, la tonalité est plus typée "hard-rock". Les compositions tiennent la route mais on regrette l'absence de Reese Wynans et de Rod Evans.

Side one
No.Titre
1."Sufficiently Breathless"5:15
2."Bright Blue Tango"4:11
3."Drifting in Space"3:12
4."Evil Men"4:51
Side two
No.Titre
1."Starglow Energy"5:04
2."Distant Sun"4:42
3."Voyages of Past Travellers"1:46
4."Everything's a Circle"4:14


(1) Certainement pas le meilleur travail de Joe Petagno qui va gagner ses galons avec ses nombreuses pochettes pour Motörhead.


 
🎼⚡
Article lié (lien) : Deep Purple " (1969) - avec Rod Evans

5 commentaires:

  1. Ta chronique m'a fait ressortir mes deux cd de Captain Beyond , celui ci et le précédent. C'est le label Capricorn qui m'a mis la puce à l'oreille , car cette maison symbolise pour moi la quintessence de ce que j'ai toujours adoré dans le rock made in USA L'allman , Cowboy (injustement méconnu) Marshall Tucker band Stillwater et tous les autres qui ont fait les grandes heures de ce label. Le nom de Reese Wynans ne m'a pas laissé indifferent , ce type qui travaille toujours dans l'ombre est remarquable et son opus solo paru en 2019 est une petite perle "Sweet Release" ( si tu ne connais pas je te le conseille!) . Pour revenir à Captain Beyon d même si on est assez loin de ce qui se faisait à l'époque chez Capricorn tout ca reste agréable à écouter. Au passage bien que les deux disques soient très différents comme tu le soulignes fort justement je les aime bien tous les deux .
    Les anciens chanteurs de Deep Purple auront donné naissance à deux formations méconnues mais estimables Rod Evans ici et Nick Semper avec Warhorse .
    Joyeuses Fêtes à toute l'équipe du Debloc

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    1. Merci, JP. Joyeuses fêtes à toi également.

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    2. Effectivement, tu dis juste : Reese Wynans est remarquable, bien que travaillant toujours dans l'ombre. Et c'est déjà évident avec cet album de 1973, où son apport est primordial, même si ce sont la guitare et les percussions qui semblent jaillir de prime abord.

      Quant à Capricorn Records, on se demande comment une boîte comportant de tels groupes, ait pu faire faillite si rapidement.

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  2. Un petit hommage à Kim Simmonds de Savoy Brown serait le bien venu! Comme disait Philou récemment ça dégomme sec chez nos musiciens adorés! Dur d'être un boomer!!!!

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  3. Aïe ! Tu m'en apprends une bien triste. Sacré Kim Simmonds, authentique forçat de la scène, toujours resté fidèle au Blues (qu'il soit roots, heavy ou rock).

    Cela fait quelques mois que je voulais consacré une bafouille à l'un de ses disques, mais travail sans cesse remis devant l'embarras du choix. Soit, environ une trentaine de galettes. Rien que ça. Chapeau bas l'artiste.

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