Non
! Haendel n'est pas un compositeur anglais, mais allemand. Certes il sera
naturalisé en 1727. Non ! Haendel n'est pas un Bach au rabais. Oui ! Georg
Friedrich, de son petit nom, est bien l'auteur d'un célébrissime
"Alléluia", clé de voute d'un certain "Messie", et morceau
favori des fins de cérémonies de mariage. Non ! Je ne sais pas s'il tombera de
l'eau le jour de la publication de cet article, le Deblocnot' n'a pas de
rubrique "météo"…
Bienvenue
à Haendel dans le Deblocnot et parlons de son génial et populaire Water Music.
C'est une bonne idée ça ? Non ?
Le
portrait de ce personnage au visage poupin, à l'air un peu guindé, est celui de
Haendel au fait de sa gloire à la cour d'Angleterre.
Georg Friedrich Haendel voit le jour
le 23 février 1685 à Halle en Saxe, soit un mois avant Jean-Sébastien Bach (31 mars). Nul ne
contestera que ces messieurs soient les compositeurs les plus représentatifs de
l'âge d'or de la musique baroque. Hormis cette "gémellité"
historique, ils partagent certains points en commun. Déjà, ils deviendront très
mal voyants à la fin de leurs jours puis totalement aveugles grâce au talent
discutable d'un certain Dr John Taylor,
ophtalmologue de son état. Les deux hommes se connaissent de réputation et
côtoient les mêmes amis. Bach tentera de rencontrer Haendel à Halle,
mais celui-ci, informé de cette visite filera à Dresde prétextant un retard du Cantor… On épilogue encore sur les
raisons de ce comportement : timidité, caprice…
Haendel, comme Bach est un virtuose à l'orgue et au clavecin et un compositeur prolixe et infatigable. De 1703 à 1706, sa carrière débute vraiment à Hambourg. Puis c'est en Italie de 1706 à 1710 qu'il se
forme au style italien très en vogue et rencontre des sommités comme Scarlatti. Haendel se déplace beaucoup
et revient à Hanovre de 1710 à 1712 où il occupe un poste de maître de chapelle, il s'y ennuie
n'ayant que des commandes de musique instrumentale… C'est pour échapper à cela
qu'il fait un premier voyage à Londres
où son opéra Rinaldo fait un tabac !
Enhardi par ce succès, il part pour l'Angleterre en 1712. Il ne reviendra jamais et se fait naturaliser en 1727.
Il va connaître une notoriété et une vie de prince.
Contrairement à Bach, il ne tombera pas dans l'oubli (à ce sujet merci à
Mendelssohn) et sa notoriété s'appuie sur des œuvres célèbres et festives comme
Water Music, les
feux d'artifices Royaux (également sur les CD présentés) et
nombre de très beaux concertos grosso.
Mais Haendel est aussi un amoureux de la voix et des
chœurs. Il abandonne le latin et l'allemand pour composer l'immortel Messie en anglais. N'oublions pas les
oratorios moins connus comme Solomon
et Saul. Toute la fin de sa carrière sera
occupée par la composition d'une quarantaine d'opéras dont la plupart sont
encore joués fréquemment de nos jours : Jules César,
Ariodante ou Xerxes.
Les livrets sont écrits en anglais ou italien ou les deux, Haendel aimait son public, et annonçait Mozart qui adoptera lui l'allemand quitte à être à contre-courant des usages.
Il meurt en 1759
à Londres dans une gloire rarissime pour un musicien.
Water Music
Le célèbre Water
Music, sans doute la partition la plus populaire d'Haendel avec Le Messie,
n'a été publié partiellement qu'en 1733,
et complétement en 1788. Water Music
réunit des pages d'une musique qui aurait été jouée sur la Tamise en 1717 en
l'honneur du roi George 1er.
C'est une conjecture assez vraisemblable, une barque avec à son bord une
cinquantaine de musiciens accompagna le navire royal de Whitehall à Chelsea.
Ce qui n'aurait pu être qu'une musique de circonstance, voire
pire, d'apparat, se révèle un chef-d'œuvre de fantaisie, de couleur et
d'élégance. Il est impossible de connaître de nos jours ce qui fut réellement
interprété, Haendel étant en délicatesse avec le monarque jusqu'à ce soir-là. On
possède 22 pièces (dont 5 sans titres) qui ont été réunies en 3 suites. Ne
disposant d'aucune partition autographe, c'est par tonalités et en cherchant à
alterner les styles que ces suites ont été organisées. Jordi Savall a choisi de répartir les 22 pièces en 2 suites : la
première comprend les 12 pièces en ré et sol majeur, et la seconde les 10
dernières en la majeur. On voit ainsi à quel point les chefs d'orchestres
peuvent se montrer imaginatif avec un capital musical aussi riche. À noter
encore que Haendel, spécialiste du concerto grosso pour cordes, ajoute ici des
bois, des cuivres, des timbales, un théorbe et un clavecin, un effectif
exceptionnel à cet époque.
L'œuvre se nourrit de nombreuses influences européennes,
une ouverture à la française un peu solennelle, de nombreuses danses
rencontrées dans les suites de Bach : gigues, bourrées, rigaudon, menuets. Et
puis surtout, au-delà de cette inventivité, il émane des mélodies une immense
poésie. C'est ce que l'on appelle un "sans faute" !
En 1749,
Haendel récidivera avec le Feux d'artifices royaux construit sur le même principe.
Cette suite, disons un peu plus tapageuse, figure en complément sur les 2 CDs
que je vous propose.
Raymond Leppard et Jordi Savall
Comme
pour toutes les grandes œuvres baroques, nous disposons d'enregistrements
passionnants, interprétés, soit sur instruments modernes, soit sur instruments
anciens, avec un souci d'authenticité dans des reconstitutions destinées à nous
replonger dans le climat sonore de l'époque. Si Neville Mariner a signé pas
moins de quatre versions "modernes" et magnifiques avec son orchestre
de Saint Martin in the Fields, j'ai souhaité réhabiliter un grand chef des
années 70, Raymond Leppard. Pour une
restitution baroque, Jordi Savall, avec
son ensemble "Le concert des
Nations", domine presque sans partage une discographie pléthorique.
Né
en 1927 à Londres, Raymond Leppard étudie le clavecin et
l'alto au Trinity College de Cambridge.
Dès 1952, il fonde son propre
orchestre puis rejoint le futur English
Chamber Orchestra. Plus tard, il dirigera de 1987 à 2001 des
orchestres américains, dont celui d'Indianapolis. Dans les années 60-70, il va
enregistrer quelques merveilles dont un album des rares et pourtant féériques
concertos "a due cori" de Haendel
qui hélas ne sera jamais réédité (je veille jalousement sur mon vinyle). Ce
disque gravé avec l'English Chamber Orchestra sera suivi de l'enregistrement de
Water Music, une vision débarrassée de
tout romantisme, claire et élégante comme on va le voir.
Jordi Savall est bien connu,
ne serait-ce que par le film "Tout les matins
du monde" pour lequel il interprète (invisible) tous les
passages de viole de gambe. Il est né en 1941
et c'est un homme multiple. Comme violiste, il a ressuscité la viole à 6
cordes. Il est également violoncelliste, chef de Chœur et d'Orchestre. Il
épouse et travaille dès 1968 avec la
soprano espagnole Montserrat
Figueras hélas disparue en 2011.
Son apport au renouveau de l'interprétation de la musique baroque est
considérable. Il est de ces artistes qui ne se limitent pas à se comporter en
archéologue de la musicologie de cette époque. Pour Jordi Savall, il n'y a pas
de musique sans vie. Il a redécouvert les manuscrits de Marin Marais (interprété par Guillaume et Gérard Depardieu dans le
film cité) et les a exhumés de la bibliothèque nationale.
La musique baroque avec Jordi Savall, c'est comme le plafond de la
Chapelle Sixtine avant et après restauration, de la grisaille à un univers de
couleurs chatoyantes. Pour cela, il a créé les ensembles Hespèrion XXI, le Concert
des Nations et la Capella Reial de
Catalunya, et aussi son propre label discographique Alia
Vox.
Raymond Leppard (Philips
1970)
Il
n'y a aucune ostentation dans l'ouverture à la française, juste de la
solennité. On imagine facilement la nef musicale sur les eaux de la Tamise. Si Raymond Leppard donne une place de
choix au violon solo, on pourrait juste souhaiter un équilibrer plus affirmé entre
les vents et les cordes. Comme pour me contredire, le solo de hautbois dans le
développement distille la belle lumière de cet été 1717. Leppard adopte un
tempo retenu bien en accord avec l'ambiance de lente croisière fluviale.
L'interprétation
dans son ensemble est un fidèle reflet de cette manière de jouer avant la
révolution baroque. Le phrasé possède un élégant legato, bois et cordes
fusionnent de manière pastorale sans s'affronter. On trouvera de nos jours
cette façon de jouer un rien compassée. C'est licite après avoir entendu la
débauche des timbres éclatants, les ruptures de rythme, les sonorités percutantes
et allègres des cors et trompettes naturels des ensembles d'instruments anciens
"sérieux".
En
fait, une telle approche nous éloigne de l'ambiance festive et ornementale
propre à une fête royale pour un climat plus chambriste. Les suites apparaissent
ainsi déjà proches des grands divertimentos mozartiens comme les sérénades
"Haffner" et "du postillon".
Mais
on ressent un plaisir serein à écouter ces danses où les pas souples des courtisans
frôlent les robes soyeuses des jolies femmes de noble naissance. Dans l'air N°4
de la suite N°1, le chef semble côtoyer la douceur mystique d'un aria du Messie. Cela paraitra complètement hors
sujet à certains. J'en ai conscience, mais comment ne pas savourer la beauté
plastique de l'English Chamber Orchestra
de la grande époque ? Et puis le duo hautbois basson dans l'allegro (N°6 –
suite 1) tendre et malicieux n'est pas sans rappeler l'allégresse des fameux "concerti a due cori" évoqués avant. Le
célèbre Hornpipe (N°2 – suite 3) reconquiert virtuosité et cohésion.
Et
rien que pour ces moments élégiaques, ce disque historique vaut le détour…
surtout pour ceux pour qui les sonorités "anciennes" hérissent le
poil…
Cela
dit, les suites proposées ne comportent que 17 morceaux…
Jordi Savall (Alia Vox
1993)
Jordi
Savall nous convie dès les premières mesures à une "teuf" chez les
grands de ce monde en l'an de grâce 1717. Diable que cette interprétation est
couillue. Le chef, qui a réorganisé en deux suites Water Music, débute par un
court et virulent prélude et non par l'ouverture à la française. L'orchestre
virevolte en grande pompe d'une manière totalement concertante. Savall tourne
le dos à la vision chambriste. Nous sommes en plein air et qui plus est sur la
Tamise. Tous les instruments veulent se faire entendre mais dans la plus
stricte discipline ! Les cors et trompettes naturels sont éclatants et d'une
justesse inouïe.
J'avoue
avoir découvert cet enregistrement récemment. Toutes les interprétations
connues suggèrent un immense concerto grosso. Ici, la rythmique sauvage des
timbales, les coups d'archet vigoureux, l'intervention du clavecin soliste pour
conclure cette énergique mise dans l'ambiance festive, tout concourt à
révolutionner à revoir complètement les émotions habituelles quant à cette
œuvre.
Il n'y a guère d'intimisme dans cette interprétation et les mouvements
lents distillent une jouissance délicate. Dans le premier menuet, cordes et
flûtes se courtisent accompagnés par les notes cristallines du théorbe. Le chef
imprime un legato sur le fil du rasoir sans recourir, en opposition, à un
staccato propice à la sécheresse entendue parfois dans les conceptions
baroqueuses.
Dans le Menuet II et les gigues I et II (plages 7-9), les notes
sautillent, les couleurs des bois tourbillonnent dans un kaléidoscope festif. La
magie de cette interprétation provient de la vitalité communicative qui en
émane.
L'ouverture à la française qui débutait l'enregistrement de Leppard
introduit ici la suite N°2. Le tempo plus vif et le vigoureux solo du violon
éliminent toute emphase inhérente à cette forme musicale. Savall poursuit son
chemin dans ce climat diaboliquement agreste mais aussi infiniment poétique
comme dans le solo de l'allegro suivant.
On arrive à l'écoute de ce joyau discographique à une conjecture.
Haendel a-t-il écrit une musique pour satisfaire une exigence officielle ? Inversement,
et si Haendel avait imaginé bien avant juillet 1717 cette suite féérique,
ardente et tendre, et l'avait utilisée pour l'occasion ? Je penche pour cette
hypothèse. George I reçut un bien beau cadeau et Jordi Savall nous offre
vraiment l'interprétation rêvée…
Discographie alternative
L'iconoclaste
Hermann Scherchen avait abordé
l'œuvre à Vienne avec les mêmes soucis métaphysique que pour ses
interprétations de Bach au début de l'ère stéréophonique. Le menuet final, pris
très lent faisait immanquablement penser à un groupe de courtisans fourbus se
disant au revoir et quittant les lieux de la fête. L'interprétation de Neville Mariner de 1970 (Decca) reste une référence dans le style sur "instruments
modernes". Enfin John Eliot
Gardiner a gravé en 1991
(Philips) la version concurrente de celle de Jordi Savall avec The English Baroque Soloists. Lui aussi
redonne jeunesse et alacrité a cette musique royale.
Vidéo
Jordi
Savall en concert dans la suite N°1 de water Music (C'est le découpage classique
en 3 suites, l'interprétation commence donc par l'ouverture à la française). Des extraits du LP de Raymond leppard.
Raymond Leppard
Jordi Savall
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