- Ah M'sieur
Claude, vous allez faire plaisir à des lectrices fidèles, des fans de cordes,
guitare et musique baroque en général…
- Je l'espère
Sonia. En ces temps troublés parfois haineux, évadons nous vers un univers
ensoleillé venu de l'Italie, plus quelques accents espagnols…
- C'est le
premier article sur Boccherini, un artiste de seconde zone ou une production maigrichonne
?
- Houlà, ce
contemporain de Haydn, donc de l'époque classique, a composé un catalogue
pléthorique. un rien académique, mais très agréable à écouter…
- Hum hum…
Pourquoi est-il peut connu par rapport à Mozart et Haydn que vous citez… ?
- Luigi Boccherini
a essentiellement composé de la musique de chambre pour les cordes. Peu
d'ouvrages symphoniques ou d'opéras qui permettent de prétendre à la renommée.
- Oui je
vois. Narciso Yepes, ça ne nous rajeunit pas m'a confié M'sieur Pat. Par contre
3ème chronique avec le Quatuor Melos…
- Oui, le
grand guitariste, inventeur d'une guitare à dix cordes, aurait 90 ans, un
grand nom dans les années 60-70. Le quatuor Melos débutait et nous offrait ce
beau disque imaginatif…
Luigi Boccherini |
Parcourir Youtube à la recherche d'extraits d'œuvres de
Luigi Boccherini est révélateur : des quintettes,
des quintettes
et encore des quintettes
pour cordes ; et quelques anthologies de concertos pour violoncelle, instrument
que le compositeur maîtrisait à la perfection. J'avais d'ailleurs illustré le
400ème article classique, billet consacré au concerto pour violoncelle RV
400 de Vivaldi, par un portrait de Boccherini jouant du violoncelle tout en
arborant un nœud papillon gigantesque 😃. Ci-contre
un autre portrait du musicien tenant son instrument favori. Il y a profusion d'enregistrements
de musique de chambre pour cordes, ce qui explique que les grands
compositeurs de son époque lui fassent sans difficulté de l'ombre. Quel époque à ce sujet ?
J'évoque Vivaldi, on voit la perruque,
avec le style de la musique, on risque de penser à un énième compositeur baroque
dont l'Italie a été prolixe. Et bien pas du tout ! L'existence de Boccherini coïncide parfaitement avec
l'époque classique. (Je vous propose de regarder le petit diagramme chronologique avant que nous parlions de ce compositeur mal connu, notamment de moi avant de me plonger sur
mon papier…)
On considère que l'âge baroque commence vers 1600 avec
les opéras de Monteverdi et notamment Orféo.
Le compositeur améliorant sensiblement le solfège sommaire de la Renaissance. Ainsi
dans ses opéras, le nombre d'instruments et leur position dans l'orchestre sont
clairement définis. 150 ans plus tard, en 1750, Bach
mettra fin par sa mort à cette longue histoire du baroque en léguant deux apports
fondamentaux dans les règles de l'écriture musicale occidentale : la gamme chromatique définitive
à douze tons déclinée en mode majeur et mineur, soit 24 tonalités et l'art du
contrepoint (fugue, canon, etc.). Deux œuvres magnifiques sur le fond et la
forme témoignent de ce travail musicologique : les deux volumes du clavier bien
tempéré (Clic) et l'art de la fugue, la première
contribution à ce blog (Clic).
L'âge classique durera peu de temps. Je parle de période
historique et non du terme "musique classique", expression un peu académique
qui désigne ce que l'on appelle à tort "musique savante", de la même
manière qu'il existe un théâtre classique… Une période qui prend fin (en
douceur) en 1805 avec la création de la symphonie "Eroica" de Beethoven. Un changement qui porte plus
sur le fond que sur la forme, l’inspiration adoptant un dramatisme qui se
réfère à la littérature philosophique et épique du siècle des lumières (Goethe, Schiller).
Les grands maîtres de l'époque classique sont C.P.E. Bach, Joseph
Haydn et Mozart.
Héritiers des travaux de Jean-Sébastien Bach, ils vont inventer des styles d'œuvres plus codifiés :
la forme sonate (thèmes, reprise, développement…) et figer certains genres
instrumentaux : trios, quatuors, quintettes, concertos et symphonies. Des
"formations" qui sont toujours appliquées. La prochaine révolution dans l'art
de composer viendra d'Arnold Schoenberg qui inventera pour son propre usage le sérialisme
et le dodécaphonisme qui s'affranchissent des gammes chromatiques usuelles sans les
remplacer. Une expérience originale portée par l’École de Vienne mais qui a occulté trop longtemps après la seconde guerre mondiale le but primordial de la
musique : l'expression et la technique au service de l'émotion et non l'inverse.
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Guitare stradivarius "Vuillaume" de 1711 Dix doubles cordes ! |
Je suis stupéfait de l'ampleur de l'article dédié à Luigi Boccherini sur Wikipédia, un volume
d'informations qui n'a rien à envier à ceux offerts à Wagner ou à Schubert
! Limite rébarbatif… D'autant que la discographie reste assez maigre et ne
s'intéresse surtout qu'à la musique de chambre. Plus sommairement :
L'enfant voit le jour à Lucques en Toscane en 1743. Il est le quatrième gamin d'une fratrie
de six enfants. Son père repère les dons musicaux de son fils très tôt, lui
donne les premiers rudiments puis le confie à divers professeurs locaux. Luigi chante comme soprano à la fois dans
les églises et les chœurs d'opéra. L'abbé de la cathédrale San Martino a la
brillante idée de lui proposer de suivre les cours de violoncelle de Giovanni Battista Costanzi (1704–1778). Âgé d'une dizaine d'années, le jeune Luigi se passionne pour cet instrument qui
va s'imposer durablement à la place de la viole et deviendra l'un des grands virtuoses
de son temps. Il étudie avec gourmandise les œuvres de ses ainés italiens de la
renaissance et de la longue époque baroque : Palestrina,
Allegri, Corelli… Luigi
partira étudier à Rome près de dix ans, les informations sur cette période sont
vagues. De 1757 à 1768, la famille et l'adolescent voyagent
beaucoup. Le jeune homme fascine un compositeur d'opéras très en vue, Gluck (1714-1787). Un périple
de Vienne à Paris et dans les cours princières italiennes.
Mais c'est en Espagne que se déroulera la carrière
du compositeur, à Madrid ou hors de Madrid au gré des changements de règne donc de mécènes. De 1799 à 1805, Luigi
Boccherini achèvera sa vie à Paris… Une vie mouvementée à lire
dans cet article du web hyper documenté (pour une fois 😄). J'ai horreur de pratiquer le copier/coller de mise
dans le web… Donc juste ce petit résumé pour préciser dans quels contextes ce musicien va
exercer ses talents.
Narcisso Yepes |
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Boléro par de José Camarón Boronat (1785) |
On attribue à Boccherini
la paternité d'environ 150 quintettes pour cordes (avec un alto ou un
violoncelle supplémentaire) mais aussi pour d'autres associations : le quatuor
se joignant à une flûte, un hautbois ou encore une contrebasse. Je n'ai pas une
discographie prodigieuse pour ce compositeur, mais j'ai choisi de vous faire
écouter trois quintettes avec guitare. Sans doute des transcriptions de quintettes
ou de quatuors pour cordes. On en dénombre 12 pour cet instrument si ibérique.
Le musicologue Yves Gérard né en 1932 a donné son nom à un catalogue cohérent
du corpus de maître italien (G445 - G453). Ok, ça ne fait pas 12, le n° G452 en réunit 4… L'album du jour
propose les N° 4, 7 et 9. Le N° 4 est le plus connu car son dernier mouvement
est un guilleret fandango avec des… castagnettes en prime, forcément😊.
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Si l'article Wikipédia dédié à Boccherini est fort généreux, celui rédigé
en français et présentant Narciso Yepes est
franchement minimaliste (pour rester affable). Nos amis anglais rattrapent le
coup😊.
Le guitariste était originaire de la province de
Murcia à l'est de l'Andalousie où il naît en 1927. Son père l'initie à la guitare dès ses quatre ans. À treize
ans, il entre au conservatoire de Valence, ville où sa famille a déménagé lors
de la Guerre d'Espagne. Il fait ses débuts de concertiste en 1947 par une interprétation remarquée
du concerto d'Aranjuez de Joachim Rodrigo. Narciso
Yepes sera pour beaucoup dans la popularité de cette œuvre qu'il
enregistrera très tôt, à l'époque de la mono…
Dans les années 50, Il séjournera à Paris et suivra
des cours d'interprétation auprès du violoniste et compositeur George Enescu (professeur de Yehudi Menuhin) et du pianiste Walter Gieseking. Il assistera aussi au
cours de composition de Nadia Boulanger.
Fandango de Charles Christian Nahl (1873) |
Narciso Yepes sera
aussi un novateur dans deux domaines : la technique de jeu de la guitare. Il
révolutionne les doigtés suivant des techniques auxquelles je n'entends rien.
Et en 1964, il invente en partenariat avec le luthier José Ramírez une guitare à dix cordes qu'il utilisera toute sa
carrière (Clic).
Pourquoi 10 cordes ? Notre expert Bruno en guitare acoustique, électrique, électronique,
atomique et quantique pourrait sans doute nous éclairer…
Le guitariste commandera de nombreuses transcriptions
et œuvres originales pour étendre le répertoire de son instrument limité, il
faut le dire, à la production ibérique telle celle du Padre Soler. On peut citer : Maurice Ohana et Bruno Maderna parmi les compositeurs
marquants du XXème siècle. Sa discographie est abondante notamment
pour le célèbre label DG de Hambourg, un éditeur pour lequel la guitare n'a pourtant
pas une place importante.
Il décède jeune en 1997 après une difficile lutte contre un lymphome.
Il est accompagné pour cet album Boccherini par l'un des quatuors majeurs
de notre époque : le quatuor Melos
déjà présenté plusieurs fois pour des interprétations d'œuvres de Brahms et de Schubert
(Index).
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Saverio Xavier Della Gatta Femme de Minorque aux castagnettes, 1797 |
Saverio Xavier Della Gatta Femme de Minorque aux castagnettes, 1797 |
1 – Allegro Maestoso : Le
premier thème est très enlevé et…
- Eh M'sieur Claude, ce premier motif me fait penser à l'hymne de la légion
"tiens voilà du boudin, voilà du boudin…". Heuuu… Désolée, je sors…
Je vous laisse…
- Mouais… Ça
vaut mieux Sonia…
… Désolé chers amis, reprenons. Ce thème énergique est formé de groupes
de 3 accords arpégés de 3 puis 6 notes. Ce n'est pas une partition de guitare pour débutant ! On notera
dès cette introduction le rôle important donné au violoncelle. Très logique. Le
second groupe mélodique se présente comme une élégante chorégraphie dans laquelle
le violon joue de manière très scandée. L'osmose est totale entre les cinq
interprètes, nous n'écoutons pas un mini concerto pour guitare et cordes.
Ballade et marche se succèdent de manière poétique et galante. Féérique ! Nous
sommes vraiment très loin du style baroque grâce à un travail rigoureux mais
fantasque sur la forme sonate. [4:31] Une petite coda "éméchée", aux dissonances énigmatiques,
termine l'allegro.
2 – Pastorale : [4:50] le mouvement lent
nous invite à une promenade entre jeunes jouvenceaux. À la mélodie onirique des
cordes égaillée de trilles d'alto, la guitare répond par des suites d'arpèges
allègres, souvent des triolets, pour illuminer ce moment rêveur d'une
rythmique cocasse.
3 – Grave Assai
– Fandango : Le final [10:11] assez long est subdivisé en deux
parties. Une courte introduction élégiaque qui par son tempo retenu permet
une entrée remarquée du final proprement dit écrit sur un motif trépidant de
fandango [11:36]. Si on connaît les pas de cette danse, on se lève
immédiatement… Final joyeux et même malicieux lors de l'émergence de glissandi, une
technique du violon très peu en vogue à l'époque !
[15:32] Des castagnettes (Lucero
Tera) s'élancent dans une joute avec les
cordes et la guitare (nous sommes en Espagne 😄). Je me demande vraiment comment on peut suivre le rythme de double et
triple croches avec des castagnettes. Un quintette vraiment magique…
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Contrairement aux quatuors ou quintettes de Haydn ou de Mozart,
un peu plus imaginatifs et élaborés, le nombre vertigineux d'ouvrages de Luigi Boccherini n'a pas donné lieu à des
gravures d'intégrales. Ce qui, franchement, serait lassant à écouter. On trouve
de belles sélections. Les artistes jouant sur des instruments d'époque ont
révélé les perles de la production prolixe de Boccherini.
Fabio Biondi dirige
du violon un quatuor formé de membres de son orchestre baroque Europe Galante dans un album comportant
quatre quintettes. À la guitare : Giangiacomo
Pinardi. C'est léger, délicat et vif Argent mais la guitare est un
peu en retrait dans l'introduction du quintette "Fandango".
Par contre le quintette
"La
ritrata di Madrid" est très épicé. (Erato – 5/6).
Pour le seul quintette "Fandango" complété
par trois quatuors
à cordes, le CD du Quarteto Casals
avec Carles Trepat à la guitare donnerait la pèche
à un zombie. Les castagnettes sont endiablées, l'articulation mélodique et les
variations de rythme tout autant (HM – 5/6).
Nota : je ne sais pas pourquoi, mais le mouvement pastorale est joué en premier dans ces
deux albums. Du plus nocturne au plus festif donc ; ça se défend…
Un peu hors sujet car ne concernant pas les quintettes avec
guitare, un album de Bruno Cocset
accompagné de l'ensemble Les Basses
Réunies nous fait découvrir l'univers du Boccherini violoncelliste : au programme :
concertos
et sonates.
Enchanteur (α – 6/6)
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Narciso Yepes restera à jamais un géant de la guitare, et de la décacorde (la guitare à dix cordes).
RépondreSupprimerDe mémoire, la décacorde lui permettait d'être au plus proche de tonalités recherchées. Dans une optique émotionnelle bien sûr, trouver le ton et les accords les plus justes suivant ses critères, mais aussi technique afin d'accéder - "plus facilement" - à certaines oeuvres. Ou encore, de donner au besoin plus de force à certaines parties de guitares.
La décacorde est également connue pour faciliter l'accès à la musique baroque.
(quand je pense que certains guitaristes s'enorgueillissent parce qu'ils brutalisent une sept-cordes... )
Merci Bruno pour ces éclaircissements.
SupprimerQuestion : quand tu parles d'accès facilité à la musique baroque, penses-tu au théorbe et à ses deux manches pour une très large tessiture. Instrument qui remplace souvent le clavecin dans le continuo ?
:o)
Non, de mémoire, il s'agissait simplement de luth. Au sens large.
SupprimerToutefois, le théorbe est généralement assimilé à un luth.
J'ai retrouvé une note de Yepes (dans un de ses disques) où il dit : "avec la guitare à 10 cordes, ni le timbre ni la technique ne changent fondamentalement. Il s'agissait plutôt de corriger l'inégalité dans la résonance, ce qui demeure le principal problème à la guitare à 6 cordes"