Cette autobiographie de Raoul Walsh est à l’image de ses films : classique, direct, franc, sans maniérisme. Il commence par ce premier souvenir d’enfance, quand un certain Edwin Booth rend visite à ses parents, que le gamin trouve un peu tristounet. Sa mère lui explique que le frère d’Edwin s’appelle John Wilkes Booth, connu pour avoir assassiné le président Lincoln en 1865… Extraordinaire hasard de la vie : quand Raoul Walsh commencera dans le métier, comme acteur, il jouera le rôle de Booth [photo à gauche] dans NAISSANCE D’UNE NATION (D.W. Griffith, 1915).
Départ tonitruant d’un récit aux milles aventures. Le newyorkais Raoul Walsh (1887-1980) se trouve d’abord un job de cowboy, au Texas. Entre deux convois de bestiaux, il se prend quelques jours de repos, à New York, toujours vêtu de ses frusques de garçon vacher. Avez-vous en tête l’image de John Voight dans MACADAM COWBOY arpentant les rues de Big Apple avec son stetson et ses santiags ? Il ne passe pas inaperçu, est donc repéré par un directeur de théâtre qui cherche un gars capable de monter sur scène… et sur un cheval.
[Walsh à la droite de Chaplin] A cette époque il suffisait de dire « oui je sais faire » pour être embauché aussi sec. Raoul Walsh participe à quelques pièces de cabaret, puis passe au cinéma, dans films de deux bobines produits par le français Emile Couteau. Bah oui, le cinéma est une invention française, et à cette époque tout se passait à NewYork. Son premier film s’appelle THE BANKER’S DAUGHTER (1914). De comédien il passe assistant, autrement dit homme à tout faire, puis réalisateur. Et le hasard aidant, Walsh devient assistant pour DW Griffith.
Là, on change de braquet. Griffith est l’inventeur du cinéma moderne, dans le découpage des plans et le montage, il en invente la grammaire, ne tourne pas dans l’ordre chronologique comme cela se faisait, mais bâti des plans de travail en fonction des décors. Leçon n°1 : toujours tourner la scène la plus difficile au début, pendant qu’il y a encore de l’argent !
Griffith est le précurseur de ce que l’on appelle aujourd’hui des blockbusters. Comme le controversé NAISSANCE D’UNE NATION de 1915, jugé aujourd’hui raciste, d’une durée de 3h10, ou INTOLERANCE (2h50 quand même) reconnus pour être les premières grosses productions hollywoodiennes. Puisqu’entre temps, tout ce petit monde a déménagé de New-York à Los Angeles, pour bénéficier d’un ensoleillement maximal (les premiers studios n’avaient pas de toit) et de terrains en friche où bâtir à moindre de frais des studios.
[Walsh en Pancho Villa] Raoul Walsh raconte des anecdotes de tournage assez croustillantes, comme la manière de recruter de la figuration. Les agences de casting n’existaient pas, il fallait se débrouiller. Le plus simple était de refiler 5 dollars à un maquereau qui ratissait la ville pour rameuter ses prostitués. Pour une scène, il fallait sauter d’un bateau en feu, les demoiselles s’exécutent, la caméra de Walsh filme en contre plongée, et là, horreur ! On découvre à la projection des rushes, qu’elles ne portaient rien sous leurs jupons. Il a fallu peindre des culottes sur la pellicule, image par image, pour contourner la censure.
En 1915, Raoul Walsh est le co-réalisateur de LA VIE DE PANCHO VILLA, il y joue aussi le rôle de Villa jeune. Il s’agit presque d’un documentaire, puisque le révolutionnaire mexicain y apparaît dans son propre rôle, comme ses hommes. Walsh est chargé de filmer les batailles. De vraies batailles, avec des vrais fusils et de vrais morts ! C’est juste hallucinant, quand aujourd’hui on lit au générique de films « aucun animal n’a été blessé sur le tournage »…
[avec Fairbanks] Walsh se lie avec Charlie Chaplin, Mary Pickford et Douglas Fairbanks (qui associés avec Griffith vont créer United Artists). Avec ce dernier il tourne son plus grand succès du muet LE VOLEUR DE BAGDAD (1924) en faisant voltiger ses personnages sur des tapis volant retenus par des câbles entre deux grues. A l’époque, Fairbanks insistait pour avoir du public sur ses tournages, qui manifestait leur enthousiasme à la moindre cascade, c’est l’avantage d’un tournage muet. Entre 1914 et 1929, Walsh réalisera plus de soixante films ! Et presque autant la décennie suivante.
Il raconte avoir découvert un certain Marion Morrison, déménageur capable de porter trois canapés sous le bras, croisé dans la rue. Morrison prendra plus tard le nom de John Wayne. Bien qu’ayant déjà fait quelques figurations pour John Ford, c’est Raoul Walsh qui lui offre son premier grand succès, SUR LA PISTE DES GEANTS (1930). C’est au cours de ce tournage, rentrant de nuit en voiture conduite par un chauffeur soul comme un cochon, provoquant un accident, que Raoul Walsh perd un œil, criblé de morceaux de pare-brise.
Il devient le troisième célèbre borgne d’Hollywood, avec John Ford et Fritz Lang.
Puis viennent les collaborations avec de grands acteurs, James Cagney dans LES FANTASTIQUES ANNÉES 20 (1939) et le chef d’œuvre L’ENFER EST A LUI (1949), puis Bogart avec LA GRANDE EVASION ou LA FEMME A ABATTRE, un Bogart que les tournages horripilaient, trop d'attente, cantine médiocre Sur HIGH SIERRA, Bogart était perché sur une montagne, quand l'heure de déjeuner arrive pour l'équipe. Il vociférait pour qu'on le fasse redescendre, finalement c'est un panier repas qu'on lui a fait parvenir avec un treuil !
Et bien sûr Errol Flynn, avec entre autres LA CHARGE FANTASTIQUE, GENTLEMAN JIM, AVENTURES EN BIRMANIE. Il y a des histoires incroyables avec Errol Flynn, le plus grand pochetron et junkie devant l’Eternel. Walsh était au départ payé pour lui servir de chaperon pendant les tournées de promo, Flynn ayant la désagréable habitude de ruiner les studios en notes de frais (champagne, Guinness, caviar et petites nénettes…).
[avec Bogart et Ida Lupino] Y’a une scène fameuse où Raoul Walsh chaparde le cadavre du grand acteur John Barrymore à la morgue, pour l’installer dans un fauteuil chez Errol Flynn, et lui faire une blague. Le domestique de Flynn lui servait à boire (Barrymore était alcoolique) s'étonnant qu'il ne touche pas à son verre. Au début de la guerre, Walsh a été invité par le magnat Randolph Hearst en Angleterre. De là, L’ambassadeur Von Ribbentrop l'invite à son tour en Allemagne, sous prétexte de visiter les studios, voire d’y réaliser des films. Walsh suspecte un coup fourré, il est sans cesse suivi, on lui met dans les bras deux superbes teutonnes chargées de l’espionner.
En réalité, Goering voulait récupérer un tableau de la collection Hearst, pour l’offrir à Hitler. Walsh se tire de cette situation ainsi : pendant la première guerre mondiale, Hearst avait fait venir de Grèce huit colonnes de marbres pour décorer sa piscine. Un des bateaux avait été coulé par les allemands. Walsh propose aux nazis de renflouer les quatre colonnes qui tapissent le fond de l’Atlantique, en échange du tableau…
[avec Errol Flynn et James Cagney] Ce qui est étonnant, c’est la manière dont Walsh raconte sa carrière, toujours lucide : « cette année-là j’ai expédié quatre films, avec Kirk Douglas, Robert Mitchum, Alan Ladd… » comme nous autres expédierions des lettres à la poste. Hollywood est devenu une industrie, les réalisateurs sont salariés, font le job, le public veut des films alors on en fabrique à la chaîne. Ne surnagent que quelques titres fameux.
Ce bouquin a été écrit en 1974. En plein Nouvel Hollywood, qui voit les règles changer, inspirées du modèle européen. Raoul Walsh est un vieil homme, nostalgique de l’époque bénite. Et sans doute un peu conservateur, quand il fustige ces nouveaux films « sans scénarios » qui versent dans la « pornographie ». On ne sait pas qui il vise en particulier, il sauve de la nouvelle génération Peter Bogdanovich, mais que pense-t-il des Penn, Coppola, Scorsese, ce dernier lui devant tant ? C’est un peu triste de lire les dernières lignes, ça fait vieux con, mais il faut remettre tout cela dans son contexte.
Celui d’un type qui est né avec le Cinéma, qui en a connu toutes les évolutions administratives et techniques, un témoin de premier choix, qui raconte avec enthousiasme et gouaille son parcours fabuleux de cowboy à réalisateur star, honoré dans toutes les cinémathèques du monde. Il en est le premier surpris.
Ramsay Poche - 350 pages
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