lundi 12 décembre 2022

Charles AVISON – 12 Concerti Grossi d'après Scarlatti – Neville MARRINER - par Claude Toon


- Hihi Claude… Charles Avison et Domenico Scarlatti sont dans un bateau… Avison pousse Scarlatti […]

- Heu oui Sonia, on se calme. Ok Noël, tes pantoufles au pied du sapin, et patati et patata… J'avais promis un programme diversifié de musique baroque et classique sans morosité ni intellectualisme, mais attendons le champagne pour les blagues à deux balles…

- Oui Claude… désolé… Je connais Domenico Scarlatti, les chroniques à propos de ses 555 sonates pour clavecin, mais pas du tout Charles Avison…

- Pas grave Sonia. Charles Avison est un petit maître anglais héritier du baroque tardif et précurseur de l'époque classique au milieu du siècle des lumières…

- Elle est belle cette jaquette du coffret du temps du vinyle… A-t-il été réédité ? Quant à Neville Marriner, le maestro avait vraiment assuré une discographie prolifique mais inventive, il n'y a pas de lézard…

- Je confirme et oui réédition il y a eue… À propos, il y a un gros lézard sous ta chaise !

- HIIIIIIIIIIIIIIIIIII ! Mais où cela ???? Pff, même pas drôle !


Charles Avison
XXXXX

Sacrée Sonia, toujours ce mélange entre passion pour son job, étendre sa culture générale, et la joie de vivre… Elle a juste oublié de poser la question essentielle, quel rapport entre le compositeur Italo-espagnol et, un obscur compositeur anglais dont la carrière se déroule après celle de Haendel et en parallèle de celle de Carl Friedrich Abel, deux allemands à la cour british… (Clic) ? Le second a été écouté il y a peu, encore une première dans le blog dans la catégorie "les compositeurs injustement oubliés".

Petit maître, le mot est juste tant la production de Charles Avison sera modeste. On n'ignore presque tout de sa jeunesse et donc de sa formation qui en musique classique influence grandement le parcours ultérieur d'un compositeur. Le très chouette coffret illustrant l'en-tête de ce billet a bien été réédité dans la collection DUO aux temps où Philips s'intéressait encore à faire vivre son riche patrimoine discographique… On trouve des exemplaires CD par-ci par-là… Le coffret LP de 1979 a franchi les années lui aussi… Les uns ou les autres à des tarifs raisonnables pour les amateurs de musique baroque insolite et détendante…

Charles Avison est né en 1709 à Newcastle upon Tyne (Newcastle tout court en langage courant). 1709 : Bach, Telemann, Haendel, Vivaldi et bien d'autres travaillent à construire ce que l'on nomme le baroque tardif ; le contrepoint s'enrichit, les instruments se perfectionnent. Certes on compose encore beaucoup pour l'opéra ou pour la liturgie, mais la musique instrumentale pour soliste ou orchestre prend son essor, certes principalement pour le divertissement, mais l'âge classique se nourrira dès 1750 de ces évolutions.

Ses parents Richard et Anne Avison sont musiciens. Il est le cinquième d'une fratrie de onze gamins… On évoque sans vraiment de document à l'appui un voyage en Italie, ce qui pourrait expliquer l'intérêt prononcé de Charles pour le style italien et les relations fortes entretenues avec les compositeurs du pays de soleil…

Il y aura moins de soleil à Londres où il poursuivra ses études. Son professeur s'appelle Francesco Geminiani, compositeur originaire de Toscane (1687-1762) mais dont la carrière sera très britannique, comme celles de Haendel ou de Abel. Geminiani, était un élève de Corelli. En un mot, le monde est petit, même à l'époque de la diligence et de la marine à voile 😊.


Domenico Scarlatti

Charles Avison est à l'évidence casanier et, à l'inverse des maîtres navigant entre le continent et la perfide Albion, très attaché à sa ville natale de Newcastle. Il occupe la tribune de l'orgue de l'église Saint-Nicolas dès 1736, un orgue moderne venant d'être installé. Il doit s'y plaire car malgré des propositions plus prestigieuses, même en Angleterre, il ne quittera jamais son poste. Ses fils Edward et Charles prendront le relai face aux mêmes claviers. Avant de partir définitivement pour Newcastle en compagnie du compositeur du jour, soulignons que Avison avait donné un concert de ses premiers concertos écrits à la manière de son professeur Geminiani à Londres en 1734.

Charles Avison adoptera une carrière polyvalente : organiste, professeur, compositeur et président de la Newcastle Musical Society. Ces sociétés proposant des concerts en abonnement devenaient très à la mode dans l'Angleterre du siècle des lumières (voir les concerts Bach-Abel créés par C.F. Abel et J.C. Bach et évoqués récemment – Clic.)

Avison enseigne en privé : le clavecin, la flûte et le violon. Les revenus en tant qu'organiste, enseignant et organisateur de concert, activité rentable, assurent un confort matériel très correct à sa famille de neuf enfants issus de son mariage en 1737 avec Catherine Reynolds… seulement trois atteindront l'âge adulte 😥. La mortalité infantile à l'époque donne des frissons, même dans un milieu privilégié…

Par ailleurs Avison s'avère par ses écrits un théoricien très en avance sur son temps. Son Essai sur l'expression musicale publié en 1752 aborde ces sujets : l'effet de la musique sur nos émotions et notre humeur (hihi, la musique adoucit les mœurs, exemple La Marseillaise 😊), les relations entre musique et peinture ; je le cite : "un accord complet frappé, ou une belle succession de sons uniques produits, n'est pas moins ravissant pour l'oreille, qu'une simple symétrie ou des couleurs exquises pour les yeux." Autre partie : des règles pour utiliser prioritairement tel ou tel instrument dans les concertos suivant l'exaltation recherchée chez le mélomane… Avison ou un romantique avant l'heure !? Il déclenchera aussi une polémique en soutenant la suprématie de la musique d'influence italienne (ses maîtres et amis, et… la sienne) face aux œuvres reflétant le style allemand, comme celles de Haendel considéré comme un dieu en ce temps-là…

Son catalogue restreint comprend : six cycles de six à douze concertos grosso, quatre cycles de sonates et des pièces liturgiques dont un oratorio. La discographie comporte plusieurs gravures intégrales de l'opus 9 écouté ce jour, des albums de sonates pour clavecin et des pièces isolées…


Saint Nicolas de Newcastle

Ah les riches heures du Concerto grosso de l'époque baroque, oublié pendant le romantisme puis revenu au goût du jour au XXème siècle. Le genre apparaît sous la houlette de Arcangelo Corelli qui en fige la forme vers 1670. Il semble que Stradella ait eu l'idée d'en proposer les prémisses dans l'une de ses cantates… Alessandro Stradella, un baroqueux (1643-1682) dont nous écouterons la cantate de Noël le 24 décembre. Stradella, un drôle de tricheur, épicurien, gredin et homme à femmes (rarement la sienne) qui finira poignardé par un tueur à gage ! Même dans l'univers classique, il y a de beaux assassinats aurait chanté Brassens. Attendons Noël…

Wikipédia ressence quarante compositeurs de l'époque baroque qui ont écrit des milliers de concerti grossi. Pour mémoire : un petit ensemble instrumental, concertino, dialogue avec un orchestre de cordes coloré par une basse continue et le soutien d'un clavecin. Il comporte de 2 à n mouvements (7 chez Haendel), en général. La forme donnera naissance au concerto classique et romantique avec un soliste unique (rarement 2 ou 3) qui impose sa loi, piano, violon, violoncelle principalement, mais aussi des vents. J'y vois aussi la genèse de la symphonie dont la structure se consolidera en quatre mouvements : adagio-allegro / andante / menuet-scherzo / allegro. De Haendel et ses concertos a due cori à Vivaldi et ses quatre saisons, en passant par Corelli, l'index invite à l'écoute de dizaines de ces concertos par maints compositeurs plus ou moins célèbres. Les concertos Brandebourgeois de Bach s'apparentent au genre.

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Neville Marriner

Qu'apporte d'original les douze concertos opus 9 de Charles Avison de 1744 ? élément de réponse : leur thématique empruntée à l'une de ses idoles : Domenico Scarlatti. Comme expliqué plus haut, Avison a un faible pour le style des compositeurs italiens même si celui-ci a fait carrière essentiellement en Espagne. La célébrité lui échappa de son vivant, mais de nos jours quelle revanche ! Quel claveciniste ou pianiste n'a pas inscrit l'une de ses 555 sonates pour clavier à leurs concerts ou en bis. Le regretté Scott Ross en a gravé l'intégrale ! À ma connaissance aucune version géniale ne la concurrence de nos jours (Clic). Mais comment Avison avait pu dénicher les partitions de Scarlatti ? Seconde question, seconde réponse : Thomas Roseingrave, un original comme seul l'Angleterre sait nous les offrir, voyage en Italie vers les années 1730 et entend des Essercizi de Domenico à Venise… Il rapporte à Londres ces sonates en un mouvement et les publie sous le titre Essercizi per gravicembalo. Avison sélectionne des motifs mélodiques dans cette trentaine de sonates. Huit autres mouvements lents qui circulaient à l'époque officieusement seront également retenus. Ils sont notés (?) dans le tableau ci-dessous.

Quid des numéros indiqués comme (91a). Il s'agit des références attribuées par le claveciniste et musicologue américain Ralph Kirkpatrick (1911-1984) dont le catalogue complet des œuvres de Scarlatti date de 1953. Mon dieu quel travail ! Si vous voulez vérifier, moi je renonce 😊.

Et grâce à ces parodies mélodiques (on ne parle ni de plagiat ni de piratage à l'époque), ces douze concertos ne manquent pas de charme. Quand Avison affirmait haut et fort sa passion pour la mélodie italienne, il en profitait avec habileté. Il y a un ou deux violons solos voire un violoncelle ; l'orchestration se limite aux cordes et au clavecin.

Neville Marriner est un habitué du blog. Ce grand chef disparu en 2016 fût un producteur de disques aussi assidu que Herbert von Karajan ou Antal Dorati. Merci à lui d'avoir exhumé ces concertos pour la première fois, sur instruments modernes certes mais avec son élégance de jeu toujours appréciée (Clic). Il dirige un petit groupe de son orchestre l'Academy of St Martin in the Fields ; il tient une partie de violon lui-même.

Les concertos sont repartis sur deux playlists.

N°1 en la majeur [Playlist 2]

1.      Adagio (91a)

2.      Allegro (24)

3.      Amoroso (?)

4.      Allegro (26)

N°2 en sol majeur [13:23]

5.      Largo (91c

6.      Allegro  (13)

7.      Amoroso (4)

8.      Allegro (2)

N°3 en ré mineur [24:38]

9.      Largo - Andante (89c)

10.   Allegro (Allegro Spiritoso) (37)  

11.   Vivace (38)

12.   Allegro (1)

N°4 en la mineur [35:11]

13.   Andante (12)

14.   Allegro (3)

15.   Largo (?)

16.   Vivace (36)

N°5 en ré mineur [46:32]

17.     Largo (?)

18.     Allegro (11)

19.     Andante Moderato (41)

20.     Allegro (5)

     N°6  en ré majeur [57:20]

21.     Largo (91c)

22.     Con Furia (13)

23.     Adagio (4)

24.     Vivacemente (2)

    N°7 en sol mineur [Playlist 2]

1.        Adagio (88a)

2.        Allegro (19)

3.        Adagio (88d)

4.        Allegro Affettuoso (17)

     N°8  en mi mineur [12:32]

5.        Adagio (81a)

6.        Allegro (20)

7.        Amoroso (81d)

8.        Vivace (15)

 

N°9 en ut major [22:45]

9.        Largo - Con Spirito (31)

10.     Siciliano (?)

11.     Allegro (7)

       N° 10 en ré majeur [35:02]

12.     Grazioso - Allegro (?)

13.     Giga (Allegro) (9)

       N°11 en sol majeur [42:14]

14.     Con Affetto- Allegro (28)

15.     Andante Moderato (25)

16.     Vivacemente (6)

        N°12 en ré majeur [56:18]

17.     Grave Temporeggiato -
Largo Tempo Giusto (
?)

18.     Allegro Spiritoso (23)

19.     Lentemente (15)

20.     Temporeggiato (?) -
Allegro (15)

21.     Allegro (33)

 

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Pour les amateurs d'instruments d'époque aux couleurs plus âpres, il existe deux enregistrements qui, par l'absence de bois ou cors naturels, ne font pas nettement de l'ombre à la poésie sonore de Neville Marriner.

Un double album est paru en 2007 sous le label Hyperion. Roy Goodman dirige The Brandbourg Consort. Une intégrale de bon aloi quasi impossible à trouver ou à écouter hélas…

De son côté, l'Ensemble Avison créé en 1985, placé sous la direction du chef et violoniste britannique Pavlo Beznosiuk, a réalisé une intégrale en 2008 pour le label Divine Art. l'Ensemble Avison a enregistré la majorité des œuvres du compositeur anglais pour Naxos ou Divine Art Company offrant à Avison une place non négligeable dans la discographie consacrée au baroque tardif… (Deezer).




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