jeudi 24 novembre 2022

SCHUBERT – Symphonie N°9 "La Grande" D 944 – Günther WAND (1995) - par Claude Toon


- Voyons Claude, si je compte bien, nous avons déjà les chroniques des symphonies 1 à 8 de Schubert, sauf la 7 qui… n'existe pas je crois ?

- Oui Sonia, on commence à numéroter par 7 la célèbre "Inachevée" et donc par 8 la dernière symphonie dite 'La grande"… Des détails…

- Pourquoi la "grande" ? "Il y a une "petite" ou elle est plus longue que ses copines ?

- Ben… les deux Sonia, la 6 et la 9 sont en do majeur – la 6 sera jouée à la place de la 9 de la création, les musiciens la trouvant la 9 trop difficile. C'est pour les différencier.

- Tu m'avais confié un jour ne pas trop aimer cette méga symphonie… Pourtant tu écris ce papier… L'interprétation de Günter Wand t'a séduit ?

- Je l'ai très souvent écoutée dans diverses interprétations, regrettant à mes oreilles des effets appuyés, mais là, la grandeur du vieux chef reflète une certaine noblesse… alors je me lance… 


Schubert vers 1828
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Le sentiment d'entendre d'éternelles reprises des motifs et redites dans un discours au ton martial, y compris dans le mouvement lent, explique une certaine frustration de ma part à la fin de chaque écoute depuis la découverte de la "grande" symphonie de Schubert, un compositeur que par ailleurs j'idolâtre. Certes l'inspiration du compositeur privilégie le lied, les pièces pour pianos et la musique de chambre. Ses sept premières symphonies ne font pas si pâle figure que cela face à celles de Mozart ou de Haydn dernière manière, et bien entendu de Beethoven. Il est vrai que l'Héroïque, première symphonie réellement romantique, d'une durée inconnue jusqu'alors de cinquante minutes et créée en 1805 laissait la concurrence dubitative quant à ce que l'on pouvait faire de mieux. La 9ème symphonie de 1824 avec son choral Ode à la joie aggravait cette appréhension au point que Brahms attendit l'âge de quarante-trois ans pour oser coucher sur la partition sa première symphonie, un chef-d'œuvre soit dit en passant…

Et oui, j'appréciais, sans plus (Böhm à Berlin ou à Dresde, des références stéréo des années 60-70, de temps en temps). Mais, une apparente grandiloquence du propos, des thèmes rugueux, voici les deux impressions déroutantes qui me troublaient par rapport à la si poignante "Inachevée" pourtant composée de deux mouvements de durée similaire à ceux initiaux de la 9ème.

Et puis il y a la rencontre d'une œuvre et d'un interprète et sans doute de la sensibilité du mélomane, rencontre qui change la donne. J'ai souvent évoqué ce phénomène, par exemple la musique de Paganini, génie révolutionnaire de la technique violonistique un peu folle qui me hérissait le poil jusqu'à la découverte des deux premiers concertos sous l'archet de Alexander Markov. (Clic)

Et puis pour la symphonie du jour, merci à Günter Wand en live et en 1995 qui montre que derrière les "divines longueurs" pour citer Mendelssohn créateur de la partition après la mort de Schubert se cachent non pas des répétitions académiques, mais une foultitude de variantes tant dans le traitement thématique que dans l'orchestration. D'apparemment rude, la symphonie révèle une fantaisie fort poétique alliant un climat trépidant et une certaine bonhomie et les soi-disant longueurs s'estompent…



Günter Wand (1912-2002)

La symphonie D944 apparaît comme le point final de la carrière symphonique de Schubert, voire son testament orchestral alors qu'il s'agit sans doute de l'unique monument d'une seconde phase créatrice dans le genre. Sa mort prématurée mettant fin à la révélation de sa maturité dans l'écriture enfin maîtrisée de grandes symphonies, tardivement hélas.

Remontons le temps. En 1822 Schubert compose les deux premiers mouvements d'une symphonie ambitieuse. La découverte de sa syphilis a sans doute perturbé l'achèvement (scherzo et final) de la partition qui végétera jusqu'en 1865, date où, redécouverte et créée dans la foulée, elle révèle le génie de Schubert et acquiert le statut d'œuvre symphonique très populaire par la richesse de sa thématique et son climat pathétique, l'Inachevée, et reçoit le numéro 8.

Entre 1813 et 1818, six symphonies ont vu le jour. Elles témoignent des influences de Mozart, Haydn et des deux premières symphonies de Beethoven, n'échappant pas à un certain classicisme. Soyons objectif, elles ne rivalisent pas en termes de puissances expressives avec les symphonies 3 à 8 de Ludwig van. On les joue peu hormis la charmante mozartienne 5ème et il faudra attendre la seconde partie du XXème siècle pour que des enregistrements passionnent les maestros qui les inscriront aussi aux programmes des concerts. (Böhm, Kertesz).

Entre 1825 et 1826, la correspondance de Schubert évoque un projet de symphonie mais il est quasiment certain qu'aucun manuscrit substantiel ait vu le jour. Elle aurait été la vraie 8ème, celle en si mineur de 1822 étant bien la 7ème comme on la numérote de nos jours.

En 1822, Schubert avait donc pris le virage d'une écriture orchestrale ambitieuse. La dépression liée à la découverte de la maladie qui l'emportera l'oblige à abandonner ce travail. En 1828, la Symphonie n°9 en Ut sera la première pierre complète de son parcours en tant que grand symphoniste romantique, une pierre unique.   

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Robert Schumann ami de Ferdinand

Fin 1827 (année de la mort de Beethoven) et 1828, Schubert s'épuise dans le travail et ses plus grands chefs-d'œuvre s'enchaînent : des lieder, bien sûr, nombreux, les trios pour piano et cordes avant Noël 1827, puis la 9ème symphonie en mars 1828, le quintette avec violoncelle pendant l'été, la 6ème messe en juin, les trois dernières immenses sonates en septembre, sonates achevées deux mois avant sa mort à 31 ans. Quel mélomane n'a pas rêvé trente ou quarante ans de vie supplémentaires qui auraient offert bien des chefs-d'œuvre.  

Quel était l'état d'esprit de Schubert pendant la composition ? Mystère ! Schubert travaillait très vite en général. Le manuscrit porte la date finale "mars 1828". Des matériaux thématiques imaginés précédemment ont-ils permis de doper la rédaction ? Il n'existe aucune preuve épistolaire, mais on le suppose tant la symphonie se révèle riche et novatrice sur le plan solfégique. Par ailleurs, des tests scientifiques sur le papier donnent des résultats en faveur d'ébauches datant de 1825.

Aucun orchestre viennois n'acceptera de créer la partition jugée trop longue et trop difficile. En décembre, à titre posthume on jouera à la place la 6ème symphonie également en ut majeur. Par miracle, son frère Ferdinand Schubert conserve le manuscrit qu'il soumet à son ami Robert Schumann en 1838. Celui-ci cherche un chef de talent et le trouve à Leipzig, Felix Mendelssohn la joue avec quelques simplifications un an plus tard. L'accueil est favorable. L'œuvre devient un modèle pour d'autres compositeurs du XIXème siècle comme Bruckner.



Ferdinand Schubert (1794-1859)

L'orchestration est typique de la période romantique depuis la 5ème de Beethoven, mais Schubert ajoute une petite fantaisie en changeant les tonalités des clarinettes, trompettes et timbales dans le second mouvement, donc : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes en ut (en la dans le 2ème mouvement), 2 bassons, 2 cors en ut, 2 trompettes en ut (en la dans le 2ème mouvement), 3 trombones (ténor, alto et basse), timbales en ut et sol (en la et mi dans le 2ème mouvement), groupe des cordes. La symphonie comporte quatre mouvements.


Günter Wand a 83 ans lors de la captation de ce concert à la Philharmonie de Berlin. Il y est souvent invité et d'année en année, il réalise sa quatrième intégrale des symphonies de Bruckner qui restera inachevée… Son interprétation de la 5ème symphonie en 1996 reçut un prix mondial du disque et fût au centre de ma première chronique consacrée au symphoniste autrichien en 2012 (Clic). Wand préférait les gravures issues de concert plutôt que des captations en studio. Il a principalement occupé les postes de directeur de l'orchestre de Cologne et de la NDR de Hambourg. Cette lecture au scalpel et très vivante de la symphonie en UT de Schubert m'a réconcilié avec l'œuvre et est jugée comme une référence de la discographie, un consensus. La durée de seulement 52 minutes d'exécution (et non 55'-1H comme souvent) influe grandement sur le panache ressenti, un style brillant et sans pesanteur 😊.

Cette fluidité dans la direction et l'équilibre entre les interventions des pupitres participent à la découverte de l'inventivité déployée par Schubert, surtout en feuilletant la Partition.

En résumé, une interprétation qui chante, très nettement dans le processionnaire andante con moto. Articulation indispensable dans cet andante, sinon comme dirait Jean, le majordome des tontons flingueurs (Robert Dalban) "On pourrait se méprendre, entendre la marche funèbre de l'héroïque".


Mendelssohn le créateur

1 - Andante - Allegro ma non troppo (en ut majeur, à 2/2) : Je ne vous cacherai pas que de nombreuses analyses ont déjà été rédigées par des musicologues professionnels de cette œuvre d'une stupéfiante inventivité formelle, voire déroutante. En un mot je n'apporterai rien de majeur à ce sujet hormis des milliers de mots que mes lecteurs bouderont sans doute, à juste titre.

Néanmoins, grâce à Günther Wand, je découvre enfin une construction et un imaginaire romantique exemplaires donnés à sa partition par Schubert, et non une symphonie perçue comme longuette et grandiloquente. J'ai souvent rencontré des mélomanes que la "Grande" rebutait pour les mêmes raisons. Donc j'essaye de proposer un petit guide simple…

Huit motifs de cors arpégés et arythmiques sur quatre temps nous plongent dans les bruissements des forêts viennoises - légèrement decrescendo p>pp - est-ce un groupe de chasseurs qui s'éloigne ? Cette thématique indépendante car jamais reprise ne joue pas le rôle de l'introduction adagio chère à Haydn ou à Mozart dans ses concertos ou encore dans les symphonies de jeunesse de Franz… Non, [0:31] cette mélodie bucolique aux cors se métamorphose sans réelle transition en une très longue phrase chantée par les bois et les cordes et rythmée par des pizzicati sauf aux altos, le tempo demeure andante. 

Trois motifs secondaires se succèderont dès [1:31]. L'orchestre s'épanouit de pupitre en pupitre, crescendo. La sonorité âpre est accentuée par le mugissement des trombones ténor et alto. Surgit ainsi une première phrase itérative (trois cellules concertantes confrontant deux mesures aux cuivres vs une troisième aux bois). [1:56] Suit une seconde phrase de séquencement inverse (une mesure des cuivres, deux des bois, quatre cellules sont ainsi répétées).

Le récit musical évoque la grandeur épique de la nature et le mystère auréolant le but du voyageur parcourant les sombres ramures (le voyageur : un idée chère à Schubert, tel dans le célèbre lied Der Wanderer D 489 - voyageur en allemand) ! Inutile de préciser que la transparence de la direction, et une prise de son aérée seront des atouts majeurs pour mettre en évidence les excentricités révolutionnaires de l'orchestration dans ce passage qui bouleverse l'architecture sonate traditionnelle, sans la renier… Sinon, elle sera bien lourde… la marche militaire obtenue, très éloignée d'une balade à grands pas en forêt… 

Koloman Moser : Forêt de pins en hiver (1906)

À noter que les premières mesures aux cors trouvent une parenté avec l'ouverture du Freischütz de Weber et en aval dans l'introduction de la symphonie n°4 "Romantique" de Bruckner. Ce second exemple montre l'influence que la symphonie en Ut aura chez les rares symphonistes de génie du XIXème siècle et même chez Wagner.

[2:34] Troisième phrase plus libre, moins scandée, trois cellules de deux mesures n'opposant pas les groupes de l'harmonie, mais les réconciliant chaleureusement. [3:05] Une section mélodique et crescendo marquée par le jeu vivifiant des violons conclut l'andante. [3:47].

Le thème A de l'allegro apparait enfin. Son écriture s'inspire de celles des phases rythmées de l'andante : le discours prend la forme d'une alternance de motifs vents vs cuivres soutenus par les cordes. Attention, rien à voir avec le maître de la musique répétitive Philip Glass, quoique… Les variantes narratives s'enchaînent de manière fantasque. [4:37] Apparition du Thème B (C si on prend en compte le matériau musical de l'introduction), hautbois et basson l'énoncent entouré d'un décor orchestral, À l'évidence un refrain de chanson traditionnelle. Schubert conserve le principe rythmique et enjoué qui domine depuis le début, mais à travers une forme sonate chorégraphiée. Merci maître Wand pour la régularité de la battue et le souci des équilibres entre pupitres d'une lisibilité qui nous suggère une randonnée festive de joyeux lurons. Je ne connais rien désormais de comparable en termes d'orgie orchestrale depuis la 9ème de Beethoven de 1824.

Cinq minutes à peine d'écoute étudiée sur une heure, et déjà un grand chapitre 😊. En bref, les développements jusqu'à la coda seront de la même veine : hallucinés. Je ne prolonge pas et vous laisse savourer jusqu'à [13:18] la noble coda qui n'est autre que le motif initial entonné par les cors solos de l'andante mais acclamé par tout l'orchestre. Au tragique de la symphonie en si mineur "Inachevée", Schubert renoue avec un tempérament volontaire, paradoxe chez cet homme qui devait se savoir condamné.


Klimt : Forêt de hêtres (1905)

2 - Andante con moto (en la mineur, à 2/4) : Les premières mesures adoptent un ton similaire à celui de l'andante introductif du premier mouvement. Un prélude processionnaire (la signature de Schubert dans toute la symphonie) aux cordes, au rythme obsédant et goguenard. [00:15] Le thème A est chanté, au sens propre, par le hautbois qui caracole, voltige serait aussi approprié, autour de notre ou nos voyageurs empressés de l'allegro, un chant pastoral plein d'allant. [00:30] Une seconde exposition se termine de façon élégiaque pour nous préparer à l'entrée du thème B plus énergique. [1:04] La marche devient inéluctable et se poursuit, plus véhémente et martelée par les timbales. Le groupe des bois se réunit pour entonner un motif viril. Les cuivres interviennent pour colorer ce thème très riche et ce premier développement.

Schubert applique de nouveau la forme sonate dans toute sa rigueur mais dans un degré de sophistication qui peut expliquer les craintes des créateurs potentiels. [2:47] Le premier thème initie le développement qui perd alors toute scansion. Rêve, intimité et secret dominent ce passage dans lequel l'écriture insuffle un ton très concertant entre les pupitres de bois. Un passage dont le discours imaginatif voire féérique rappelle ceux des moments de grâce beethovénien comme la Scène au bord du ruisseau de la symphonie "pastorale". Nous partageons une forme de liturgie, d'abandon à son destin par le compositeur. [6:16] Une reprise du bloc A et B nous éveille de ce climat onirique. [8:18] Néanmoins, Schubert énergise l'orchestration par petite touche pour porter un crescendo aussi inattendu que pathétique avec des appels déchirants des cors et des trompettes. Un crescendo s'achevant dans une rage démoniaque fff ! Comment peut-on passer de la quiétude à la terreur par une si brève ascension instrumentale sans cacher les tourments de l'âme ? 

Il faudra attendre quarante ans et le gigantisme brucknérien pour entendre de nouveau un climax pulsant une telle force tragique.


Ferdinand Georg Waldmüller : fête villageoise
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[9:24] Et si la difficulté ressentie pendant si longtemps à l'écoute ne trouvait pas sa source dans ce sentiment perturbant de dislocation mélodique inconnue même chez Beethoven, hormis l'allegro de la 9ème symphonie peut-être. Assistons-nous à une réinvention de la symphonie, notamment lors de cette transition d'une telle brutalité de la part du sage Schubert qui donne l'impression d'un enchaînement surnuméraire dans la forme sonate usuelle. La furie laisse place à un serein duo violoncelles et hautbois. L'atmosphère orchestrale est donc résolument nouvelle à mi-parcours : trille, mélodie bucolique, dialogue galant entre pupitre de la petite harmonie. [11:40] Une tentative de relancer des accents violents échoue. Un petit développement ludique enrichi de pizzicati conduit à une dernière reprise quasi en variation des thèmes fondamentaux jusqu'à la coda émaillée de quelques tuttis dans son infinie tendresse.


3 - Scherzo : Allegro vivace (en ut majeur, à 3/4, trio en la majeur, à 3/4) : Un scherzo, un vrai, copieux. L'intermède imposé entre le mouvement lent pour distraire le mélomane encore subjugué par la force émotionnelle de l'andante se limitait depuis l'âge classique à un bref menuet à la thématique parfois indigente, exceptions faites de réjouissants menuettos de la plume de Mozart ou Haydn. Des exceptions aussi chez Beethoven, notamment dans la 7ème et la 9ème symphonie.

On dit souvent que Schubert peinait à terminer ses ouvrages. Mouais… La symphonie N°8 est restée inachevée. On peut le déplorer car les deux premiers mouvements sont de la même ambition que ceux de cette "grande" symphonie en Ut. Schubert n'était-il pas complètement prêt en 1822 à composer ce que l'on entendra ici en 1828, une œuvre dans l'œuvre ?


F. G. Waldmüller : ramassage du bois

Le scherzo s'articule autour de trois idées thématiques et non pas deux, Schubert se révèle décidément généreux et enflammé dans sa composition qui atteint une douzaine de minutes. La première idée est exposée d'entrée, héroïque avec ses traits vaillants aux cordes et, plus insolite, les trilles de flûte dans l'extrême aigu, instrument peu sollicité depuis le début. [0:24] La seconde plus mélodique mais non moins dansante donne la parole aux bois dans une ambiance de ländler. [0:44] Reprise du groupe introductif. Attention, dans un scherzo au rabais, le Trio pourrait s'enchainer directement, déséquilibrant totalement le mouvement par sa brièveté syncopée. [1:30] Mêlant rythmique et mélodie, Schubert introduit une troisième idée fantaisiste, là encore l'usage de la technique des variations très utilisée par le compositeur est patente mais sans rigueur solfégique.

[3:54] Suivant l'incontournable reprise des motifs initiaux, les cors nous invitent dans le ravissant trio, une ballade d'essence bucolique à l'orchestration très concertante et scandée ici avec douceur. L'esprit de la valse ou du ländler étant les fondements de ce passage, le trio échappe à tout schématisme simpliste et s'achève par une mélopée au bois [7:08].

[7:20]. Toujours imaginatif, Schubert laisse les cors seuls relancer le scherzo qui devient assez peu da capo. Jamais Bruckner dans ses imposants scherzos très charpentés n'osera faire preuve d'une telle audace dans le non-conformisme. Je disais une œuvre dans l'œuvre… Je maintiens.

Le scherzo deviendra au fil du siècle une forme à part entière ; exemple : le scherzo capriccioso de Dvorak.


F. G. Waldmüller : la femme attendue
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4 - Finale : Allegro vivace (en ut majeur, à 2/4) : au moment d'aborder un commentaire sur le final, je me demande si Schubert n'avait pas découvert le dopage ; les amphétamines n'existant pas en 1828, le mystère demeure ; le café ? Je m'explique : la partition du final comporte 1154 mesures noires de notes (d'après les Massin ; je n'ai pas compté). L'allegro est noté vivace, la durée d'exécution de l'allegro par maître Wand est de 12'12". Le gigantesque final de la 8ème symphonie de Bruckner aligne en moyenne 750 mesures suivant les éditions et Wand l'interprètera en 26'11" en 2001, également à la Philharmonie Berlin soit plus du double 😊! Ne jouons pas au musicologue chronométreur, mais admettons que Franz fait fort et pourtant ne matraque pas notre audition si le maestro respecte sans sourciller les tempos indiqués ; un rubato narcissique pour "faire genre" sera l'ennemi de cette énergique folie. "Et dire que je ne devais proposer qu'un petit guide…"

Depuis le début de l'œuvre, une rythmique affirmée s'impose dans tous les mouvements. Dans le final, Schubert ne déroge pas à cette règle qu'il s'est imposée et apporte une vitalité pétulante à sa musique. On s'aperçoit que le traditionnel mouvement lent n'existe pas réellement (andante con moto pouvant se traduire par tempo modéré mais enlevé). Avec l'indication vivace, il joue son va-tout, une folie trépidante. Au climat martial obtenu par les répétitions cadencées de motifs courts, Schubert ajoute une autre dimension à ce style envoûtant en jouant sur des alternances abruptes de nuances, de pp à fff. Au sujet de l'influence ultérieure de cette écriture, réécoutez les débuts des symphonies n°0 et n°1 de Bruckner (Clic) & (Clic), la similitude stylistique est flagrante… Commentons ce final, succinctement, j'espère…

La nouvelle donne concernant les nuances fuse dès la première section : un motif en tuttis de tout l'orchestre sur 2 mesures ff> auquel répond une mesure soupir + triolet pp aux cordes seules ; la section est répétée et suivie d'une péroraison haletante également aux cordes. Des groupes thématiques se succèdent et se superposent avec fougue. Schubert maintient un étonnant suspens par une musique qui semble improvisée, et pourtant subit de nombreuses relances sur des motifs clairement identifiables. Une analyse fine sera d'autant plus complexe et de peu d'intérêt qu'au jeu des alternances rythme saccadé vs mélodie et nuances piano vs fortissimo, Schubert ajoute des changements de tonalité et une légère pincée de chromatisme… 😲

[1:40] Quatre blanches pointées aux cors introduisent la seconde cellule thématique tout autant enlevée, les trombones apportant une solennité ironiquement mélodramatique au discours. [2:03] Un développement suivra avec son ludique chant du hautbois. [3:56]  Schubert explore toute la diversité des éléments présentés en amont, libère les bois et cordes de toutes contraintes dans de versatiles contrechamps. Günther Wand conduit son orchestre en lui imposant un staccato-legato implacable pour ne manquer aucune des franches attaques. [6:02] Bien entendu, il y a une reprise de cette marche éperdue vers la coda. Pour découvrir les secrets cachés dans ce qui semble répétitif, l'attention portée aux facéties orchestrales est importante… [10:41] Des suites d'accord arpégés descendants et rugissants des cordes graves marquent le début d'une impétueuse coda…

 

Trois vidéos de bonne qualité :

1)   Vidéo A {Playlist 1 à 4} Philharmonie de Berlin – Günther Wand – 1995

2)   Vidéo B {Playlist 1 à 4} l'Orchestre de l'Âge des Lumières - Charles Mackerras - 1987

3)   Vidéo B {Playlist 5 à 8} Philharmonie de Vienne - Itsán Kertész - 1964


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Pas facile d'établir une discographie alternative. En dehors des empoignades des écoutes en aveugle de la presse spécialisée ou des radios orientées classique, je propose trois coups de cœur. Rédiger cette chronique a pris un temps certain et j'aime enfin cette symphonie… Et quand j'aime, je choisis le menu gastronomique à sept plats, boisson et café pour compléter mes connaissances du sujet 😊.

Evidement, le nom de Wilhelm Furtwängler revient toujours, surtout pour le live de 1942. Le son est vraiment mauvais, les cuivres ont des couleurs de bétonnières, difficile d'adhérer, même si incontestablement spiritualité il y a… Document historique plus que musique enregistrée motivante au sens strict. Moins engagée, la version studio en mono de 1951 captée à la Jesus-Christus-Kirche de Berlin avec la Philharmonie berlinoise pour DG reste un must pour les aficionados du maestro (1886-1954) (You tube).

Je préfère de loin le style granitique de l'exact contemporain de Wilhelm Furtwängler, Hermann Abendroth (1883-1956) dirigeant l'Orchestre de la radio de Leipzig en live en 1949. Réputé pour ses interprétations fiévreuses et ardentes, le chef allemand ne cherche pas les rubatos sulpiciens et convainc pourtant pleinement dans son approche métaphysique. Je la retiens… Prise de son monophonique de bon aloi (Berlin – Classics – 5/6). (You tube).

L'interprétation tardive de Karl Böhm à Dresde vieillit mal, tout comme son intégrale réalisée à Berlin… Celle contemporaine de István Kertész (Clic) disparu tragiquement à 43 ans ne prend pas une ride, grâce à des tempos comparables par leur alacrité à ceux de Wand, à la beauté des timbres de la philharmonie de Vienne et à la prise de son aérée des années 60 de Decca. Toujours une des références (Decca – 6/6).

Enfin un peu de nouveau. Sir Charles Mackerras sur sa fin de carrière décide de tenter une interprétation sur instruments d'époque en dirigeant en 1987 the orchestra of the Age of Enlightenment (Fondé en Angleterre en 1986, l'Orchestre de l'Âge des Lumières joue sans chef attitré). Les avis sont partagés, moi j'adore. Ok, le chef fait toutes les reprises (1 heure, c'est long) et certains ont entendu quelques asynchronismes dans cette musique rythmée. Peut-être, mais la chaleur de l'harmonie, la rugosité des cuivres, la finesse de la mise en place dans un ensemble où les cordes ne masquent rien, bien des choix permettant de découvrir les milles détails de la partition (Virgin – 6/6) 




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