mercredi 23 novembre 2022

LANCE KELTNER " Lance Keltner " (2002), by Bruno



   Qui est-ce encore que ce Lance Keltner ? Personne ne connait ! Jamais passé à The Voice ou truc-muche grand talent quelque-chose. Jamais passé à la télé ! Y'a des clips ? Ouais ? Jamais vu ! Jamais un article dans la presse ! 

     Effectivement, Lance Keltner fait partie de ces musiciens maudits - en partie -, qui, en dépit d'un immense talent, sont de parfaits inconnus en dehors des frontières américaines. Il est pourtant venu en Europe mettre le feu lors de deux festivals, mais qui s'en souvient ?

Promo, 1992

   Lance, fils de militaire, est né à Lawton, en Oklahoma, où il débute la guitare à dix ans et dirige son premier groupe seulement deux ans plus tard. Le groupe de Heavy-(southern) rock phare de la ville, Two Gun (auteur d'un unique mais réputé album) est sa première grosse influence, et c'est ce groupe qui indirectement éveille sa curiosité envers le Blues. Son jeune âge ne l'empêche pas de se produire dans les bars de la ville et de ces environs. Des soirées chaudes et animées qui lui donnent une autre image de la vie, à travers les expériences personnelles, des amateurs de bières et de musique, mais aussi des bikers, des militaires - dont des vétérans (l'Oklahoma comporte trois bases aériennes - et, historiquement, quelques forts pour "protéger" les camps amérindiens), mais également des Amérindiens. L'Oklahoma est aussi connu pour une certaine concentration de communautés indiennes (de réserves...). Il clame d'ailleurs que la culture amérindienne a eu une influence sur sa musique. Ce qui est tout à fait probable à l'écoute de certains morceaux.

     A 19 ans, il part pour le Texas, et s'installe à Austin où il devient une figure de la scène musicale locale (bien fournie en musiciens de tous horizons), avec son gros hard-rock nimbé de Blues. En plus d'avoir ses entrées dans divers clubs, il ouvre pour des cadors du pays, dont Eric Johnson. Sa réputation arrive aux oreilles d'East-West et un premier album éponyme sort en 1992. Malgré la vague du grunge, ce premier essai, qui fait le lien entre le Glam-rock californien et le rock à la Bryan Adams - quelque part entre Kill The Will, "Hepfidelity" de Johnny Diesel et Arc Angels - reçoit un accueil favorable et encourageant de la presse. Cependant, la production est un peu à la ramasse, avec ces guitares à l'aspect anémié - rien à voir avec ce qu'elles donnent sur scène. Toutefois, en dépit de cette bonne presse, discographiquement, rien ne se passe pendant près de sept ans. Possible que les notes internes du disque mentionnant Leonard Peltier et sa double condamnation à perpétuité, sans preuves tangibles (de l'aveu même du procureur ayant officié au premier procès - et qui, depuis les années 80, écrit en vain aux présidents américains successifs pour qu'on lui accorde la clémence), et du dur combat de Quanah Parker, chef Comanche métis (1), n'aient pas plu en haut lieu. Qui sait ? D'autant qu'il nomme "true American" les Amérindiens.


   Quoi qu'il en soit, ce n'est qu'en 1999, grâce au label Hollandais Provogue, qu'arrive une seconde fournée avec "Empty V" (petit jeu de mot entre MTV et télé vide). Ce dernier marque une évolution dans le son, peut-être aidé en cela par le producteur, Andy Johns, avec qui Lance va créer de solides liens. Son décès en 2013, sera pour Lance un véritable coup de massue. Cette fois-ci, sa musique en s'orientant vers un heavy-boogie-rock-blues, est plus marquée par la scène du Lone Star State. Deux ans plus tard, avec "Last of the Cowboy Vampires", Lance continue son évolution. Un développement le menant à une musique plus aérée et hypnotique, plus personnelle et habitée.

     Entre-temps, il est devenu un musicien qu'on sollicite pour son aide.  Parmi les musiciens ayant fait appel à ses services, Phil Lewis de L.A. Guns et Mike Tramp, ex-White Lion, sont souvent cités 

    En 2001, sur le label allemand UlfTone  (le même que celui de Mike Tramp), Lance Keltner sort son quatrième disque, - second éponyme -. Probablement pour marquer un nouveau départ, ou sinon une apogée. Effectivement, Lance a encore franchi une étape, amenant sa musique dans une nouvelle dimension. Comme si les précédents n'étaient que des phases nécessaires pour parvenir à ce degré musical. Désormais, sa musique l'érige en authentique sorcier du son. Plutôt que de déballer des gammes sur des suites d'accords éculés, il travaille à créer une véritable dimension sonore. Une chaude et moite ambiance où rodent à la tombée de la nuit de "fringants prédateurs", en quête de rencontres charnelles, de boissons capiteuses et d'enivrantes vibrations. Où de vieilles âmes solitaires sont sorties du bois - ou du bayou -, venant occasionnellement goûter à la proximité des êtres humains, dans une convivialité générée par la musique. Une dimension aux consonnances plutôt sudistes, entre clubs d'Austin et de Nashville surchauffés par la concentration d'humains et d'amplis, et ambiance fiévreuse des soirs de fêtes de New Orleans. Comme une matière première extraite du bayou, par quelques sorcières les nuits de pleine lune, puis lourdement transformée à coup d'électricité par de jeunes mages bidouilleurs des studios du Sud - carburant au Southern Comfort et au Sazerac. Pratiquement une rencontre entre Chris Whitley et Billy Idol. Comparaison par si farfelue que ça puisque pour parvenir à ce quasi état de grâce, Lance a profité de l'aide de Mark Younger-Smith ; le guitariste et compositeur qui était aux côté de Billy Idol du temps des "Cyberpunk" et "Charmed Life", soutenant le peroxydé lors des tournées des années 90. Références pour un raccourci bien approprié, auxquelles il convient de rajouter une petite cuillère d'Aerosmith (années 90).


   L'album s'ouvre pourtant sur un "Way of the People" à l'aspect de road-song assez consensuel, cependant le morceau a l'avantage de chatouiller agréablement les synapses et de s'incruster dans la boîte crânienne. La grosse caisse est mixée en avant, imposant de façon autoritaire son tempo, donnant  parfois la fausse impression d'une boîte à rythme. Effet renouvelé sur plusieurs morceaux. "Street of New Orleans" véhicule quelque chose de plus sulfureux - on y parle d'ailleurs de fantômes, de Marie Laveau, de Santeria et de cimetières. "Dirty Knees" porte aussi en elle de sombres substances, entre sa basse qui cavale et ses larges traits de slide, il y a une sensation de fuite nocturne ; une débandade non pas effrénée mais incessante - se poser reviendrait à capituler et à se laisser absorber par ce qui nous hante, nous poursuit. "Devil and the Deal" reste aussi dans cette niche, même si le titre est plus orienté hard-blues et Glam US. "Prends garde à tes souhaits", prévient Lance dans cette chanson où il fait aussi référence à lui-même. "Quand j'avais 10 ans, j'ai donné de ma personne pour un groupe de rock'n'roll. J'ai pris un train de fret et ne me suis pas retourné. Pas d'arrêt jusqu'à la fin de la ligne, car mon sort est scellé. Je parle de l'accord avec le diable"

   "Ride the White Horse" et "Welcome Back" mettent en exergue ses longues années à s'user les doigts sur du boggie-rock torride à la mode texanne. "Groove Thang" aussi, dans une certaine mesure, bien que plus moderne, un poil sidéral - à l'image d'un ZZ-Top recyclant son Hard-blues à l'aide de motifs électroniques

   "Voodoo Doll", un peu perdu, est la pièce la plus marquée par le Glam-rock US, celui exsudant des ingrédients Blues - pas loin d'un Hanoï Rock ayant pris du gras. Blues qui fait un retour pour le final avec "When the Road is Cold" qui débute comme un guilleret folk-blues avant de prendre de l'ampleur avec l'arrivée des copains qui réenclenche le transfo, et d'un chœur de gospel venu s'encanailler dans un pub de Congo Square.


   Le son de Keltner ? Un subtil et onctueux mélange d'Univibe et de wah-wah capiteuse, d'effet Leslie et de Fuzz mesurée (une nette préférence pour la Tone Bender), d'overdrive crémeuse et de sobre octavia, et profonde reverb. Un régal pour les esgourdes. A force d'être continuellement en quête d'un perfectionnement du son, Lance a fini par lancer sa propre chaîne de testeur de matériel - d'amplis, de guitares et d'effets -. Il a une préférence pour le matériel boutique, les guitares de luthiers. Ce qui l'a amené à fonder aussi une petite entreprise de confection d'amplificateurs à lampes et de pédales d'effets, Smart Belle, qui privilégie la qualité à la quantité (un combo, une tête, une cabine 4x10 et deux pédales). Le tout à des prix vraiment raisonnables.

     Un disque qui incite à sans cesse monter le son, pour s'en imprégner totalement, jusqu'à irradier nos cellules. Avec ce second opus, Lance Keltner délivre une véritable mixture pouvant guérir tous les maux psychologiques - ou du moins les atténuer.

     En 2021, après avoir bien cru qu'il allait passer l'arme à gauche à cause du Covid (ou de la), il se ressaisit, revient à la musique et travaille sur album devant sortir... cette année, en 2022 (avec le bassiste-choriste, Michael Moyer, déjà présent sur "Lance Keltner" deuxième du nom, et Cole Hanson, vieux compagnon de route présent sur les deux premiers disques). A l'hôpital, il aurait eu une expérience semblable à celle de Frank Marino (qui n'était qu'un gros coup de marketing du management, au grand dam du principal intéressé). Lance aurait été le sujet d'une expérience spirituelle qui lui aurait apporté sérénité et apaisement. Il n'allait pas passer à trépas dans cet établissement, mais il devait ne plus toucher à l'alcool et refaire sérieusement de la musique. Fruit d'une forte fièvre qui n'aurait fait que rendre tangible une profonde culpabilité ? Fort possible et qu'importe, l'important est que ce gaillard si talentueux, qui a gâché tant d'années, puisse de nouveau faire chanter ses guitares. S'il a bien repris la scène, on attend toujours l'album. Un premier extrait fort prometteur, "Train of Misery" (un vieux titre actualisé, avec un son plus moderne, proche de cet album), est déjà disponible. 


(1) La mère de Quanah, Cynthia Ann Parker, était une Européenne, née en Illinois. Elle a été élevée par les Comanches qui l'avaient emmenée avec eux, avec une partie de sa famille, après ce que la presse américaine a appelé le "Massacre de Fort Parker". La famille fut libérée après paiement de rançon. Sauf Cynthia, qui devint la femme du chef Peta Nocona, avec qui elle eut trois enfants, dont Quanah. Elle vécut plus de vingt ans avec les Comanches avant d'être récupérée par des Texas Rangers, contre son gré. Elle essaya de s'échapper pour retourner dans la tribu. Devant sa détermination, certains Rangers hésitèrent à la ramener à sa tribu Comanche - ou du moins, ce qu'il en restait. Cynthia Ann Parker est devenue l'un des symboles d'espoir de ceux qui avaient perdu un proche, capturé par les Amérindiens ; pourtant, elle ne put jamais se réadapter au mode de vie européen, et regretta jusqu'à la fin de ces jours de n'avoir pu rejoindre ses enfants, son clan, sa famille d'adoption.


P.S. : Une fois n'est pas coutume, mais les photos présentées ne sont pas en correspondance avec l'année de sortie de l'album, ou même des chapitres. La faute à une bien maigre disponibilité sur la toile des photos du monsieur - sinon, celles de 2021 et 2022.



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