C’est un classique du Film Noir. Qui se démarque pourtant des canons du genre. Et ce dès le premier plan du générique, où on voit un jeune couple s’embrasser en gros plan, se tourner vers la caméra, avec cet insert : « ce garçon et cette fille n’ont jamais été préparés à vivre dans le monde qui est le nôtre ».
Cette phrase pourrait résumer toute l’œuvre de Nicholas Ray. LES AMANTS DE LA NUIT est son premier film, un coup de maître. Ray a d’abord fait des études d’architecture, puis change de registre, écrit et réalise des dramatiques pour la radio. Il s’essaie au théâtre, son prof s’appelle Elia Kazan (y'a plus mauvais) qui le choisira comme assistant quand il réalisera son premier film.
Le scénario de THEY LIVE BY NIGHT (en VO) est une commande du producteur John Houseman, qui avait apprécié les programmes radio de Ray. Il lui demande d’adapter un bouquin d’Edward Anderson en lui confiant aussi les essais pour le futur casting. Nicholas Ray pense alors être en bonne position pour réaliser le film. La RKO, un peu fébrile à l’idée de confier un budget à un débutant, le laisse pourtant faire à sa guise. Le film est tourné en 1947 mais ne sortira que deux ans plus tard, non qu’il soit mauvais, mais parce que le milliardaire Howard Hughes prend le contrôle de la RKO, désorganise tout, c’est le dawa.
Nicholas Ray souhaite confier les rôles principaux à deux débutants, Cathy O’Donnell et Farley Granger. Ça ne plaît pas trop à la RKO puisque les comédiens sont sous contrat à la MGM. Granger apparaîtra entre temps dans LA CORDE (1948) d’Hitchcock. Ce sont eux que l’on voit s’embrasser au générique, un plan digne d’un épilogue de comédie romantique, que Ray enchaîne avec un plan aérien, heurté, filmé par hélicoptère, sur une voiture en fuite. La transition est saisissante. Ray utilisera à plusieurs reprise l’hélico – et non une grue – qui confère aux images un aspect tragique immédiat, comme aujourd'hui ces fuyards poursuivis et filmés par la télé.
Il n’y a pas de scène d’exposition. On est immédiatement dans l’action sans trop comprendre ce qui se passe, qui est qui. La voiture s'arrête, un des passagers se fait tabasser. Plus loin on abandonne le véhicule, on poursuit à pieds, un des gars se foule la cheville, doit se planquer et attendre la nuit pour être récupéré par les autres. Magnifique plan où un camion vient le chercher, avec au volant un conducteur qui cache son visage sous un chapeau trop grand. Un habile jeu de lumière sur son profil permet d’identifier une femme. Tous les protagonistes se retrouvent chez un vieux garagiste, Mobley.
Ce n’est qu’après cette longue séquence que l’on comprend la situation. Le jeune gars blessé s’appelle Arthur Bowers, dit Bowie, avec ses complices T-Dub et Chikamaw (le frère de Mobley) ils viennent de s’évader d’un pénitencier. Sans ressource, ils organisent un hold-up. Bowie compte aussi sur ce fric pour se payer un avocat.
On a déjà un aperçu du tableau, deux vieilles crapules et un jeune innocent qui ne cherche qu’à plaider sa cause. Mobley a une fille qui travaille au garage, Keechie. Un physique androgyne, mal dégrossie, violentée. L’actrice Cathy O’Donnell est à peine maquillée, le teint blafard, les sourcils gommés, elle compose un personnage mutique, effacée. Elle soigne Bowie, on comprend que c’est son premier contact physique avec un homme. Il lui demandera : « Les hommes ne t'intéressent-ils donc pas ? », elle répond : « Pas plus que les filles ».
Et pourtant ces deux-là vont se trouver, se comprendre, chercheront à fuir ce monde qui n’est pas le leur. Le film raconte le passage à l’âge adulte. L’évolution de Keechie passe d’abord par l’image, le physique - la scène où elle se brosse les cheveux - elle se coiffe à la Lauren Bacall, les sourcils sont surlignés, la voix plus assurée, la transformation et le jeu de Cathy O’Donnell est spectaculaire !
Il y a deux scènes magnifiques qui montrent le rapprochement des personnages. Avant le hold-up, Bowie achète une montre à Keechie (prétexte pour entrer dans la banque avec le bijoutier et repérer les lieux). Il s’amuse à lui demander l’heure. Elle répond « je ne sais pas, il n’y a aucune pendule ou horloge qui me permettrait de régler l’heure ». Plus tard dans le film, c’est elle qui achète une montre à Bowie, qu’elle pourra synchroniser avec la sienne. Merveilleuse idée, les voilà unit, semblables, fusionnels. Et ils se marient.
La scène est fameuse et pitoyable. Mariage en cinq minutes chrono par un juge de paix véreux. Embrassez la mariée ça vous fera vingt dollars, cinq de plus pour l’alliance. Bowie sort une liasse (le pécule du hold-up), le juge louche dessus et leur en prendra une poignée de plus pour leur fourguer une voiture d’occase. Quand Bowie et Keechie se rendent chez le juge, ils sont filmés marchant côte à côte, en travelling avant, comme des mariés marchant vers l’autel d’une église.
Pour leur lune de miel, ils se trouvent un bungalow dont le proprio est aussi bavard que curieux. Une petite parenthèse bucolique avant que le monde réel ne les rattrape, le soir de Noël. Chikamaw les retrouve, il a dépensé tout son fric, force Bowie à refaire un hold-up. Le bonheur du couple est de nouveau contrarié. Incapables de vivre leur amour, leur destin semble scellé par avance. Dans une scène on entend un shérif dire : « Tôt ou tard ils seront pris ». Dès ce générique glamour*, on savait que le couple irait droit dans le mur. Plus ils avancent en maturité, plus ils doivent faire avec les règles d’un entourage violent, un monde qui leur est étranger.
On le voit dans la scène du restaurant qui commence dans la joie et l’insouciance et sombre en cauchemar. Ils sont encore une fois rattrapés par leur destin, et pire, ils sont trahis, dénoncés tour à tour par d'autres protagonistes.
Nicholas Ray utilise les ellipses pour dynamiser son
récit. Par exemple, il ne filme pas le second hold-up. Fallait oser éluder une scène d'action dans un polar. C’est par la radio (premier job du réalisateur) que les gangsters
écoutent en voiture qu’on en apprend l'issue. D'autres bulletins radio permettent d'informer le spectateur sur le développement de l'intrigue. Et ça commence sérieusement à craindre pour le jeune Bowie...
Comme dans ses œuvres les plus célèbres, JOHNNY GUITAR, LA FUREUR DE VIVRE, TRAQUENARD, Nicholas Ray filme un amour impossible, un élan brisé par l’entourage violent d’un monde absurde. Plusieurs scènes renvoient au futur BONNIE AND CLYDE d’Arthur Penn, comme l’épilogue tragique.
Nicholas Ray est toujours resté fidèle au cinéma de genre : western, polar, péplum, drame. LES AMANTS DE LA NUIT appartient au genre phare de l’après-guerre, le Film Noir, il en a les caractéristiques visuelles, la photo contrastée, le montage percutant, la nuit, l’obscurité, la trame criminelle. Le réalisateur utilise ce genre pour mieux le tordre, y injecter ses propres thèmes, il se focalise davantage sur le couple que sur les péripéties, les scènes d’actions sont souvent off.
Une manière de traiter une histoire qui va profondément influencer d’autres réalisateurs. Nicholas Ray fait partie de ceux qui ont modifié la manière de faire des films à Hollywood en introduisant la figure de l’anti-héros, comme son mentor Kazan. Il injecte du tragique et du romantisme, sans jamais tomber dans le mélo. Les sentiments sont exacerbés, l'amour ou la haine, voir la fulgurance et les couleurs flamboyantes de JOHNNY GUITAR.
Dans la catégorie mon premier film est devenu un classique, ça se pose là !
*********************
* Je pense aussi au générique du LOLITA de Kubrick, gros plan glamour des orteils de la gamine dont on vernit les ongles, suivie de la scène très sombre du meurtre de Clare Quilty.
LES
AMANTS DE LA NUIT est un des films préférés de notre ami Freddie Jazz (ancien compagnon de route du Déblocnot), comme disait Drucker : Freddie, si tu nous écoutes... c'est pour toi !
Relire l'article sur : Traquenard et Johnny Guitar
Relire l'article vers : Bonnie and Clyde
Vous aurez remarqué la qualité des photos qui illustrent l'article, issues donc d'un film réalisé il y a quasiment 75 ans. C'est vous dire ce que peut donner la pellicule 35mm lorsqu'elle est utilisée par des gens compétents, opérateurs, directeurs photo, étalonneurs... Alors qu'on vienne pas m'emmerder avec la magnificence du numérique 4, 6, 8, 16, 32 K...
- Heu m'sieur Luc, ché pas pourquoi vous râlez tout seul, tout le monde est parti...
- Arfff...
Pas de bande annonce disponible, je vous propose le tout début, et une des premières scènes.
Il y a une erreur, le film avec Bowie, il est de nicolas roeg ... sinon, jamais vu celui-là ...
RépondreSupprimerL'erreur est surtout que tu n'aies pas vu ce film là !!
RépondreSupprimer