[ci-contre, les vrais Bonnie & Clyde] BONNIE
AND CLYDE marque une étape dans le cinéma américain. Il y avait un avant, il y
aura un après. Ce film d’Arthur Penn est considéré comme l'acte de naissance du Nouvel
Hollywood, en termes de succès et d’influence. Le réalisateur pressenti au
départ était François Truffaut. A cause du ménage à trois constitué de Bonnie, Clyde et CW Moss qui
rappelle JULES ET JIM ? Ou parce qu'il était tout simplement le
réalisateur le plus admiré à Hollywood dans les 60’s ? Le français apprécie l'offre mais la décline, faute de temps, envoie le scénario à Godard, qui refuse. Truffaut contacte Warren Beatty, conscient du potentiel du scénario écrit par Robert Benton (et revu par Robert Towne)
L’acteur se laisse convaincre, rachète le scénario, décide de le produire, et choisit comme réalisateur Arthur Penn avec qui il avait tourné MICKEY ONE (1965). A cette époque Warren Beatty pèse dans le milieu, c'est un des acteurs-producteurs les plus influents du Nouvel Hollywood. Et pour celui qui a la réputation d’avoir pécho plus de filles que Rocco Siffredi, fallait oser jouer le rôle d’un impuissant… Car si on retient le plus souvent la violence du film, son sous-texte sexuel a aussi son importance.
C’est en cela que BONNIE AND CLYDE a marqué son temps, un film fait par des jeunes qui parle des jeunes. Des gamins qui au mitan des 60’s n’ont qu’une envie, s’extraire du carcan familial, social, tracer la route, être libres. EASY RIDER enfoncera le clou deux ans plus tard. Les gamins n’ont qu’une trouille, partir combattre au Vietnam avant même d’avoir goûté aux joies de la vie. Le sexe est très présent dans le film, on met les pieds dedans dès la première séquence.
Texas, début des années 30. La jeune Bonnie Parker se prépare pour son boulot de serveuse, à poil dans sa piaule. Elle surprend par la fenêtre un gars qui tourne autour de sa voiture et l’apostrophe crânement. Lui c’est Clyde Barrow, beau gosse sapé comme un lord, médusé par l’impudeur de cette fille. Il l’invite à descendre boire un Coca. Remarquez qu’Arthur Penn prend soin de montrer que Bonnie est nue lorsqu’elle saisit à la volée une robe qu’elle boutonne en se précipitant dans l’escalier. Le doute n’est pas permis : elle ne porte rien d’autre que sa robe… Faye Dunaway se promènera à longueur de bobines en pull moulant, sans soutien-gorge, comme plus tard Jane Fonda dans KLUTE [clic ici].
Voyez comment Bonnie Parker boit son Coca à la bouteille, lèvres ouvertes, petits coups de langues sur le goulot. Quand Clyde Barrow sort son calibre (son .38) pour l'épater, visez comment elle caresse le canon et rêve de le voir tirer avec. Il s’exécute en braquant l’épicerie. Une fois à l'abri, dans leur voiture, elle lui saute dessus, mais la fièvre retombe : « Les filles c’est pas trop mon truc… mais heu, ça veut pas dire que j’aime les garçons » se défend Clyde. On trouvera à s'exciter autrement, avec les holp-up et des vols de voitures. Clyde ne s’y entend pas trop non plus pour mettre les mains sous le capot (pour rester dans les fines allusions) d’où le recrutement de CW Mose, un garagiste qui s'y connaît en clé de douze. Le duo devient un trio.
La situation rappelle BUTCH CASSIDY ET BILLY THE KID (George Roy Hill, 1969) où les deux gangsters rêvant de liberté partageaient leur toit avec la même femme. A l’origine le personnage de Clyde devait être bisexuel, ayant Bonnie et CW Mose comme amants. Mais l’idée n’est pas passée auprès des Studios. Le brave garçon sera donc frappé d’impuissance par les scénaristes. « Je t’aime mal » se désole Clyde. Dans une scène assez explicite pour l’époque, au pieux, Bonnie tente de rallumer la flamme en glissant sous les draps... en vain. Ce n’est qu’à la fin du film, après une énième tentative, qu'elle lui dira « Tu as été parfait » semblant démontrer que l’étendard s’est enfin redressé…
L’autre aspect du film qui surprend, c’est ce ton humoristique, soutenu par un thème folk trépidant joué au banjo, qui donne aux poursuites en voitures des airs de Keystone Cops, ces petits films burlesques produits par Mack Sennett. La longue séquence où Gene Wilder (son premier rôle à l’écran) est enlevé avec sa fiancée par le gang, relève avant tout de la comédie. La fiancée avoue avoir « 33 ans » sous le regard éberlué de Wilder qui la pensait plus jeune, il roule des yeux comme chez Mel Brooks.
On peut parler aussi du hold-up foiré car la banque ciblée a fait faillite trois semaines plus tôt. Ou lorsque CW Mose, le chauffeur du gang, est incapable de fuir, sa voiture trop étroitement garée le long du trottoir. Des aspects propres à la comédie, qui contrastent avec la noirceur d’autres scènes.
Comme celle du pique-nique dans les dunes avec la famille Parker, parenthèse presque onirique, où Bonnie sapée en dimanche, une vraie femme du monde, fière de présenter son amoureux à sa mère, entendra cette funeste prédiction : « Il faut fuir, ils vont vous tuer ». Des ruptures de ton qui font aussi la spécificité de ce film, que certains jugent hétéroclite.
Il y a cette superbe scène où le duo passent la nuit dans une maison abandonnée. Au matin, ils tombent sur les ex-propriétaires entassés avec leurs meubles dans un camion, image qui renvoie aux RAISINS DE LA COLÈRE de John Ford. Ils se sont faits spoliés par une banque. Clyde Barrow tend au père de famille son pistolet pour qu’il tire sur le panneau "à vendre" de la bicoque. Le couple se présent désormais ainsi : « On s’appelle Bonnie et Clyde, et nous volons les banques ». Dans un autre hold-up, Barrow dira à un client « C’est ton argent ? Alors garde-le… ».
Un aspect Robin des Bois qui a fait la légende du couple meurtriers, dont les médias narraient les exploits avec gourmandise*. Le couple se photographie souvent (géniale scène avec le ranger, contraint de rouler une pelle à Bonnie devant l’objectif de Buck Barrow). On voit aussi des plans filmés à la manière de reportage TV montrant des victimes du gang (banquier dévalisé, policiers) fières de faire la une de l’actualité. Bonnie enverra aux journaux un long poème retraçant leur carrière qui commence par ces mots « Vous connaissez l’histoire de Jessie James, comment il vécut, comment il est mort, et bien voici l’histoire de Bonnie and Clyde »… qui sont les premiers vers de la chanson de Serge Gainsbourg.
Les gangsters ont souvent été des héros médiatiques, dès les années trente les films de la Warner montraient des bandits à l’écran qui étaient encore en activité, que le public plébiscitait, au grand dam des autorités. On se souvient que John Dillenger s’est fait choper par la police alors qu’il sortait d’un cinéma qui diffusait un film à sa gloire ! C’est dire si le film d’Arthur Penn est d’une grande richesse, au-delà du simple polar, il s’inscrit à la fois dans les époques 30’s (la grande Dépression) et 60’s (émergence de la contre-culture) et dans la tradition des films de gangsters qui préfigurent le Film Noir.
Faye filmée par Godard ? |
D’autres images inoubliables parsèment le film, Faye Dunaway et son béret, clin d’oeil à Lauren Baccall chez Hawks, Anna Karina chez Godard, que reprendra Bardot chez Gainsbourg. L’actrice est magnifique, magnétique, jouant de sa sensualité, affichant une sexualité insolente, capable en une seconde de vous fusiller de son regard noir. On découvre aussi l’immense Gene Hackman qui joue Buck Barrow, le frère de Clyde, qui rejoint le gang flanqué de sa femme Blanche, horriblement enquiquinante avec sa voix criarde.
Et puis ce plan incroyable. Clyde poursuit Bonnie dans un champ de maïs, la caméra cadre très large, s’élève à la grue, quand un nuage vient cacher le soleil, projetant une ombre qui glisse, maléfique, sur le couple. Effet minuté, ou heureux hasard de la météo ? L’image est glaçante.
Venons-en à ce qui fait (aussi) la réputation du film, les fusillades, qui ont bénéficié d’une nouvelle technique d’effets spéciaux, les petites poches de sang dissimulées sous les vêtements des comédiens, activées à distance par des fils fins comme des cheveux, invisibles à l’image. L’effet est tellement réaliste que les spectateurs pensaient que Beatty et Dunaway avaient réellement été flingués ! Le Sam Peckinpah de LA HORDE SAUVAGE s’en souviendra. La violence du film n’est pas édulcorée (en France le film fut interdit au moins de 18 ans), même si joyeusement emballée dans du picaresque et du cocasse.
Les scènes d’action sont d’une brutalité folle, comme l’étaient celles de SCARFACE (1932, Howard Hawks). L’image de Clyde Barrow, mitraillette Thompson en pogne, à la fenêtre du bungalow cerné par la police, en est un clin d’œil appuyé. Le carnage final est un modèle de mise en scène et de montage, une des scènes les plus iconiques du cinéma, à croire que tout le film n'a été fait que pour elle.
Une alternance de plans larges, silencieux, une route au petit matin, un camion en panne, un autre qui arrive au loin (un p’tit côté LA MORT AUX TROUSSES), et de plans très courts, l'envol des oiseaux, le buisson, et ce dernier échange de regard entre les deux amants maudits. Un champs/contre-champs ultra rapide (4 plans en deux secondes) où on lit tour à tour incrédulité, défi, tendresse, dépit, qui leur offre une mort très romantique. Quatre caméras furent nécessaires pour filmer la tuerie, tournant à des vitesses différentes, pour jouer sur les ralentis. Le dernier plan est un travelling circulaire qui vient cadrer les policiers à travers les vitres de la voiture criblées d’impacts.
Ils étaient jeunes et beaux, voulaient être célèbres. C’est réussi. Bonnie Parker et Clyde Barrow ont eu leur film**, et leur chanson, ils sont entrés dans la légende. Un mythe entretenu (fabriqué ?) par la vision romantique du film d’Arthur Penn, avec ce générique fait des photos vieillottes, alors que le lettrage vire du blanc au rouge (sang). Si on peut préférer dans la filmographie d’Arthur Penn MIRACLE EN ALABAMA, LITTLE BIG MAN ou LA POURSUITE IMPITOYABLE, c’est bien BONNIE AND CLYDE qui fera date, ouvrira les vannes de l’hémoglobine, et fera passer les héros de l’autre côté de la loi***.
* Faye Dunaway raconte que sur le tournage de la dernière scène, des badauds venaient la voir pour lui dire qu'ils se souvenaient de la réelle arrestation des gangsters. Comme certains parisiens ont assisté en 1979 à l’exécution de Mesrine, porte de Clignancourt.
** A l’écran on avait déjà vu The Bonnie Parker story, réalisé en 1958 par William Witney. Dans le même esprit amants criminels & road movie, on peut évoquer le superbe La Balade Sauvage (1973) de Terrence Malick, le sympathique Sugarland Express de Spielberg (1974) ou le pénible Tueurs Nés (1994) d’Oliver Stone.
*** The
Highwaymen (2019) de John Lee Hancock, avec Kevin Costner, rhabille le mythe en
montrant l’affaire du point de vue de la police.
couleur - 1h50 - format 1:1.85
L’image est un peu cra-cra, mais c'est la bande annonce d'origine, qui dit bien le ton du film, ses ruptures de ton entre le fleur-bleue du début au graphisme quasi psychédélique, puis violence brute.
Incontournable, évidemment...
RépondreSupprimerAvec Le Lauréat, et dans un moindre mesure Butch Cassidy, ce film a contribué à tourner une page du cinéma ricain, ce qui n'est pas rien ...
Finis les machins de plus de trois heures (dont certains étaient pas mauvais voire très bons) qui couraient après le succès et le grand spectacle d'Autant en emporte le vent, bienvenue au Nouvel Hollywwod avec une nouvelle génération d'acteurs et de réalisateurs ...
La chanson de Gainsbourg reprend beaucoup de choses, et pas seulement les deux premiers vers du vrai poème que Bonnie avait envoyé à un journal ...
Et Bonnie - Faye Dunaway a fait fantasmer une génération de mecs (et aussi de nanas). Dans ses premières apparitions devant une caméra, elle était brune et plutôt rondelette. C'est Penn qui lui a imposé un régime pour le rôle ... il a eu ô combien raison ...