samedi 1 février 2020

DVOŘÁK – Requiem (1891) – Istvan KERTÉSZ (1969) – par Claude Toon



- B'jour Claude, voyons le sujet du jour pour la publication… Requiem de Dvořák, le compositeur de la symphonie du Nouveau-Monde, il avait écrit çà ?
- Et oui Sonia, fasciné par celui de Verdi et le requiem allemand de Brahms, devenu musicien accompli, il s'est passionné par un ouvrage d'envergure…
- Il avait lancé sa carrière avec un Stabat Mater suite à la mort de ses trois premiers enfants… Triste. Ce Requiem est né suite à un drame ?
- Non pas du tout Sonia, ce n'est même pas une commande. Dvořák souhaitait le composer "par plaisir" et répondre au souhait des organisateurs de concerts…
- István Kertész, un nouveau chef dans le blog, mais dans la collection legends, ancien et pas très connu…
- Si, des anciens, ce chef hongrois puis allemand, promis à une carrière prestigieuse, s'est hélas noyé à 44 ans ! On lui doit de très beaux enregistrements, je vais y revenir…

István Kertész
Peu connu mais pas oublié à en croire la généreuse discographie toujours disponible de ce chef disparu bien jeune. Il faut dire que pour accéder à une notoriété égale à ses compatriotes hongrois comme Fritz Reiner ou Antal Dorati pour les anciens et Georg Solti de la même génération, la courte vie d'István Kertész coïncide aux pires dates de la vie politique, conflictuelle donc artistique du XXème siècle.
István Kertész voit le jour en 1929 à Budapest. Issue d'une famille israélite, il va grandir dans la terreur de la déportation dans un pays où le régent et dictateur Horthy fait cause commune politiquement avec le régime nazi d'Hitler et le fascisme de Mussolini. Le Führer trouve la politique antisémite d'Horthy trop tiède, ce qui conduira à l'invasion allemande du pays en 1944. Eichmann est chargé du problème juif et 450 000 Juifs hongrois seront envoyés avec une rare efficacité dans les camps dont Auschwitz où une grande partie de la famille du jeune István sera exterminée. Sa mère louvoie avec la désorganisation qui commence à impacter la folie nazie en cette période 44-45 et permet à son fils de suivre des études de piano, de violon et de composition. En assistant aux concerts d'une ville parmi les plus mélomanes d'Europe, István décide de devenir chef d'orchestre, complète sa formation et obtient son diplôme en 1947 à seulement 18 ans.
Intégrale des symphonies en LP
En 1948, il donne son premier concert entièrement dédié à Mozart. Il devient directeur de l'opéra de Györ. En 1956, les russes envahissent la Hongrie pour mater une tentative d'insurrection, premier acte marquant du talon de fer soviétique et de la guerre froide. István Kertész fuit en Italie puis en Allemagne où il sera naturalisé rapidement.

Sa courte carrière se révèlera superlative : directeur des opéras d'Augsbourg et de Cologne, mais surtout chef principal de l'orchestre symphonique de Londres de 1965 à 1968 succédant à Pierre Monteux et précédant André Previn et chef invité de La philharmonie de Vienne qui n'a jamais de directeur attitré. Deux phalanges prestigieuses avec lesquelles il enregistre beaucoup pour Decca. Il existe deux coffrets de 12 et 21 CD des gravures avec chacun de ces orchestres. Coffrets qui comportent des intégrales ou anthologies dédiées à Mozart, Brahms, et les grands romantiques, les hongrois comme Bartók ou Kodály et bien entendu le tchèque  Dvořák dont l'intégrale des symphonies rivalisa dans les années 60-70 avec celles de Kubelik ou de Rowicki… À noter qu'à l'époque où les symphonies de jeunesses de Schubert sont encore peu appréciées, le chef grave une belle intégrale à Vienne concurrente de celle de Böhm à Berlin. Une chronique sur la fraîche 2ème symphonie d'un jeune Franz sera envisagée…
Le style d'István Kertész se caractérise comme souvent avec les maestros hongrois par une direction franche, dynamique et colorée ; les fabuleuses prises de son DECCA des années 60 participent grandement à cette réputation.
Le 16 avril 1973, le chef est en tournée en Israël, il se noie lors d'une baignade en mer. Il a 44 ans. La philharmonie de Vienne enregistrera sans son chef les variations sur un thème de Haydn de Brahms exemplaires qu'elle devait enregistrer sous la direction du maestro.
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Dvořák en 1891
Phénomène étrange : les messes de Requiem les plus élaborées et jouées sont le fruit de compositeurs guère réputés pour leur piété intensive ; leurs ouvrages n'ayant de fait guère d'accents sulpiciens. Je cite : Mozart le franc-maçon, Berlioz le libertaire, Verdi l'anticlérical, pour chacun un requiem suivant le texte de la liturgie latine, et enfin Brahms, pas très assidu aux prédications protestantes, il recourt à un texte en allemand pour une œuvre plutôt destinée au concert qu'aux offices… Quant à Fauré l'agnostique, il assemble à sa manière les éléments les moins cataclysmiques possibles dans un ouvrage court et chambriste baignant dans une musique de vitrail… Bizarrement, Bruckner, homme très pieux, composera un Requiem assez mineur, aussi sulpicien qu'ennuyeux ! Hormis celui de Bruckner, toutes ces "messes des morts" ont été commentées dans le blog (Index).
Les articles précédents montraient qu'Anton Dvořák ne fut pas un compositeur reconnu immédiatement. Il n'aura pas le génie précoce d'un Mozart, d'un Schubert ou d'un Mendelssohn. Ses premiers quatuors d'une durée excessive  dépassant l'heure ne sont guère passionnants. Même constat pour les quatre premières symphonies qui ne figureront à son catalogue qu'au milieu du XXème siècle. István Kertész sera donc l'un des pionniers de l'enregistrement intégrale de ces symphonies parfois grandiloquentes hormis l'attachante 3ème d'esprit pastoral. La maîtrise de la composition, un souci de concision et de clarté dans le contrepoint n'apparaitront qu'en 1877, Dvořák a 37 ans, qu'avec le Stabat Mater écrit après un drame personnel très douloureux (Clic).
L'homme est sincèrement croyant mais écrira peu de musique religieuse : ce Stabat Mater, premier ouvrage d'importance, le Requiem en 1891, une messe en ré majeur (1887-1892) et quelques autres pièces moins imposantes comme les chants bibliques.
1890-1891, le musicien connaît enfin la reconnaissance et le succès tant attendus. Dvořák est nommé Docteur Honoris Causa de l'université de Prague et professeur au conservatoire. Enfin, on lui propose le poste de directeur du conservatoire de New-York qui prendra effet en octobre 1892 jusqu'en 1895 et son salaire sera multiplié par 25 ! La fameuse période américaine qui achèvera de construire la légende du grand maître, époque associée au quatuor N°12 "Américain" et à la symphonie N°9 "du Nouveau-Monde" (écrite dès son retour en Bohème, sa chère terre natale).
1890, Dvořák vient d'achever sa 8ème symphonie, l'un des trois chefs-d'œuvre qui concluront son parcours pour le genre. Une symphonie pleine de joie festive, différente en cela de la 7ème symphonie de 1887 tout aussi réussie mais plus sombre, deux œuvres qui sont créées à Londres en février 1890. La cinquantaine : l'âge où un créateur du XIXème siècle commence à faire le point sur sa vie, voire à se poser des questions philosophiques sur son propre trépas. Enhardi par ces succès et après avoir découvert les Requiem de Verdi et de Brahms, Dvořák désire à son tour composer un œuvre de même envergure, mais moins lyrique (au sens scénique) et expansive que celle de son confrère italien. Par ailleurs, le comité d'organisation du festival triennal de Birmingham souhaite de sa part une grande pièce chorale, festival où, en 1885, sa longue cantate profane La fiancée du spectre avait connu un franc succès… C'est l'éditeur de ladite cantate, Alfred Little, qui lui suggéra l'idée d'un Requiem plutôt qu'un oratorio.
La première eut donc lieu à Birmingham le 9 octobre 1891 sous la direction du compositeur. L'accueil fut favorable avec des réserves de la part du critique George Bernard Shaw qui, de toute façon, détestait la musique chorale si chère aux anglais. Quelques coupures auraient pu être envisagées ? Oui pas faux, mais c'est Dvořák qui décidait, quand même !     
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Mise au tombeau (Picasso)
La discographie de ce Requiem fait moins le buzz que celes de Verdi et de Brahms. Il suit le rituel Latin du premier mais en adoptant à sa manière la rigueur spirituelle du second. On trouve de belles versions régulièrement rééditées. J'ai choisi de vous faire écouter celle d'István Kertész ; la distribution est celle en vigueur à l'époque romantique : quatre solistes, chœur mixte et orchestre :
Pilar Lorengar : soprano espagnole ; Erszébet Komlóssy, alto hongroise ; Robert Ilosfavy, ténor hongrois et Tom Krause, baryton-basse finlandais. Si les deux chanteurs hongrois sont peu connus, Pilar Lorengar et Tom Krause sont des grandes voix du siècle dernier, des complices notamment du chef hongrois (décidément) Georg Solti. Le chœur britannique Ambrosian Singers et L'orchestre Symphonique de Londres sont réunis pour cet enregistrement.
L'orchestration est classique à cette époque : 2 flûtes et 1 flûte piccolo, 2 hautbois et 1 cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 4 trompettes, 3 trombones, 1 tuba, timbales, tam-tam, cloches, 1 harpe, 1 orgue et le groupe des cordes. Nous sommes loin cependant de Berlioz avec ses quatre fanfares, ses huit timbaliers et cymbales dans le Ttuba Mirum ; ah Hector ne reculait devant rien pour les "trompettes du jugement dernier" 😁.
Je n'analyse pas dans le détail cette œuvre profondément spirituelle. Tous ceux qui sont familiarisés avec les symphonies de Dvořák retrouveront cette habile fusion entre les mélodies sensibles, presque intimistes, et celles plus âpres du robuste bohémien. Le compositeur ne cherche guère les effets musicaux faciles mais plutôt une opposition entre la dévotion secrète et l'extase. Il y a des surprises. Comme le Dies Irae qui débute dans la colère, mais un tuba mirum qui ne rugit pas la damnation éternelle et une reprise du dies irae en majesté, une rupture de ton inhabituelle mais très originale. Les couleurs dans l'orchestration sont plutôt sombres mais le discours jamais lugubre. Dvořák conclut par l'Agnus Dei en remplaçant le "donnez-nous la paixDona nobis pacem" par une citation sur le repos éternel (dona es requiem) qui évite une répétition plus triste qu'à l'accoutumée. Dans la fin du Graduale, seuls les hommes chantent avec un timbre sépulcrale et sur une thématique vraiment slave ! Le recordare chanté par le quatuor seul est porté par une mélodie aux accents bucoliques. Le sanctus est l'une des pièces maîtresse de l'œuvre par la richesse du dialogue vocal, mais pourquoi un benedictus finissant hurlé ?! Je n'aime pas du tout (- oui Sonia, Dvořák se fiche de mon opinion). Sérénité et sublime solo de flûte dans le Pie Jesu. (Partition)
L'ouvrage comprend 13 séquences regroupées en deux parties :

Partie I
  1. Introitus : Requiem aeternam. Poco lento
  2. Graduale : Requiem aeternam. Andante
  3. Sequentia : Dies irae. Allegro impetuoso
  4. Tuba mirum. Moderato
  5. Quid sum miser. Lento
  6. Recordare, Jesu pie. Andante
  7. Confutatis maledictis. Moderato maestoso
  8. Lacrimosa. L'istesso tempo

Partie II
  1. Offertorium: Domine Jesu Christe. Andante con moto
  2. Hostias. Andante
  3. Sanctus. Andante maestoso
  4. Pie Jesu. Poco adagio
  5. Agnus Dei. Lento


[10:43]
[15:51]
[18:00]
[26:42]
[32:37]
[39:36]
[43:50]


[50:02]
[1:01:16]
[1:12:32]
[1:18:25]
[1:23:39]

Quatuor vocal et chœur
Soprano et chœur
chœur
Quatuor vocal sauf soprano et chœur (Tam-tam + cloches)
Quatuor vocal et chœur
Quatuor vocal
chœur
Quatuor vocal et chœur


Quatuor vocal et chœur
Quatuor vocal et chœur (clarinette basse)
Quatuor vocal et chœur
Quatuor vocal sauf baryton et chœur
Quatuor vocal et chœur



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À l'opposé du Requiem de Verdi, les interprétations concurrentes de celle d'István Kertész ne sont pas légions. En 1959, le maestro tchèque mythique Karel Ančerl (1908-1973) réunit un plateau de rêve : Maria Stader, Sieglinde Wagner, Ernst Haefliger, Kim Borg. Il conduit la philharmonie tchèque qu'il dirigea 18 ans dans une interprétation granitique réputée, son goût pour la transparence servant bien un ouvrage à l'orchestration disons… opulente. Hélas, la prise de son Supraphon de 1959 gâche l'écoute, ce n'est pas un scoop… Cette enregistrement a été réédité par de nombreux labels notamment DG que l'on préconise pour la qualité du report (DG - 5/6). Il existe un remake de 1964 avec des chanteurs en vue comme Peter Schreier (ténor) et Theo Adam (basse) ; mais seule une publication MP3 est disponible.
Il existe d'autres disques qui restent anecdotiques même avec des géants comme Wolfgang Sawallisch là encore trahi par un son étriqué made in Supraphon.
Le renouveau nous vient comme souvent de Pologne et du chef Antoni Wit qui ne fait pas que promouvoir la musique moderne de son pays et au premier chef Krzysztof Penderecki. Ce double disque de 2014 est une réussite totale, y compris la prise de son Naxos en progrès constant (Naxos – 5/6).

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