Le réalisateur anglais Sam Mendès commence à
avoir un joli palmarès à son actif. Entre deux mises en scène de théâtre, il
trouve le temps de tourner quelques films, jusque-là plutôt bien
accueillis : AMERICAN BEAUTY
(1999), LES SENTIERS DE LA PERDITION
(2002) LES NOCES REBELLES
(2008) puis il est embauché pour relooker James Bond, avec SKYFALL et SCEPTRE.
Il revient avec un projet un peu dingue, un film de
guerre en (presque) temps réel, en un seul plan de 2h00 à l’écran. Bon,
redisons encore que depuis l’ère du numérique au cinéma, la notion de plan
séquence ne veut plus dire grand-chose, techniquement. Gaspar Noé
s’était prêté à l’exercice avec ENTER THE
VOID (2010), Alfonso Cuaròn use magnifiquement du procédé
dans LE FILS DE L’HOMME ou GRAVITY, Alejandro Iñárritu
en fait l’idée centrale de son film BIRDMAN
(2015). Mais là où Hitchcock dans LA
CORDE était contraint par le changement de pellicules de trouver
des idées de transitions toutes les 10 minutes, Sam Mendès peut, plus ou
moins discrètement, monter deux plans en semble à coup de palette graphique, et
faire croire qu’il a vraiment tourné non-stop.
Le procédé est habile et permet une immersion
totale du spectateur dans l’action. Il y a pourtant de ou trois choses qui
coincent, on y reviendra. 1917, première guerre mondiale, en France, près
d'Arras. Deux soldats, William Schofield
et Tom Blake sont chargés de
transmettre un message au colonel Mackenzie
qui s’apprête à faire mouvement avec ses troupes. Le quartier général a
eu vent d’un piège tendu par les allemands. Il faut donc empêcher Mackenzie d’envoyer ses hommes à une mort
certaine. 1917 s'ouvre et se
referme sur une même image : le soldat adossé à un tronc d'arbre, paisible,
endormi. Entre ces deux images, c'est juste l'enfer sur Terre !
La caméra va rester braquer sur Schofield et Blake,
depuis leur convocation chez un général, très long travelling arrière qui
précède les deux hommes marchant à toute allure dans des kilomètres de
tranchées. Une fois le message en main, ils vont devoir passer le no man’s
land, traverser les lignes ennemies, rejoindre le village d'Écoust à 15
kilomètres de là, et trouver Mackenzie.
Comme on ne peut pas non plus regarder ramper, courir, grimper, plonger Schofield et Blake
pendant deux heures, le scénario prévoit quelques rebondissements. Une tranchée
allemande abandonnée, mais piégée, un combat aérien qui aura de lourdes
répercussions sur la mission, la rencontre d’une jeune française et son bébé,
terrés dans la cave d’une maison abandonnée, on croisera aussi d’autres troupes
anglaises…
Sam Mendès réalise de
très belles séquences, sous tension constante, comme les deux soldats filmés en
travelling latéral longeant un cratère de bombe rempli d’eau, à la surface de
laquelle flottent des cadavres putréfiés. Autre bonne idée, ne pas rechercher
le réalisme à tout prix, notamment dans les décors. Granges ajourées,
poutrelles métalliques tordues, fumigènes de couleurs (impressionnante scène de
l'incendie) comme l'abstraction de FULL
METAL JACKET de Kubrick qui reconstituait son champ de
bataille vietnamien dans une usine électrique désaffectée de la banlieue de
Londres, jusqu’à la scène du sniper à la fenêtre d’une maison…
Dans ce type de projet qui repose davantage sur la
prouesse technique que sur la subtilité du scénario (qui tient sur un post-it)
y’a intérêt à faire vraiment gaffe aux raccords et à la cohérence dans la
continuité de temps. Je disais : temps réel, ou presque. Car l’intrigue
commence dans l’après-midi pour se conclure le lendemain matin. Il y a donc un
passage jour/nuit/jour plutôt surprenant. Mais il y a surtout deux trois
moments où je suis resté coi. Quoi ? Coi.
Schofield tombe sur une garnison anglaise motorisée qui le prend en stop. Le pont
qui devait permettre de traverser une rivière a été bombardé. Schofield doit continuer seul à pied, mais il
est immédiatement pris sous le feu d’un sniper, sur la rive opposée. Temps à
l’écran entre la descente du camion et les premiers tirs, moins d’une minute.
Aucun soldat anglais, à 10 mètres de là, ne réplique. Ils n’ont pas entendu les
coups de feu. Et pour cause, ils ont disparu du film, par le même coup de
baguette magique qui les avait fait apparaitre ! Attirés par le bruit du crash
de l'avion ? Impossible puisqu’on en voit plusieurs pisser contre un mur, donc
ils étaient déjà là au moins depuis deux minutes... Typique de scènes tournées
indépendamment les unes des autres, puis (mal) reliées entre elles.
Même chose lorsque Schofield
se retrouve la nuit dans une ville détruite par des bombardements et infestée
de soldats allemands. Comment imaginer que cette ville apparaisse comme par
magie dans le paysage. On se dit aussi que ce jeune soldat qui crapahute bardé
de 30 kilos de matos depuis une journée sans barre vitaminée ou canette de RedBull,
a une sacrée endurance ! Le mec c'est Indiana Jones ! Il survit à une
chute dans un torrent, euh... des chutes d'eau de 20 mètres dans le
Pas-de-Calais ?? Je cours dans la boue marron, et hop au détour d'une butte, le
sol est blanc crayeux ? Quant à trouver des plaines d'herbes bien verte après 3
ans de pilonnage intensif... Je chipote, mais du coup ça plombe un peu la
fête..
On touche ici les limites du procédé. Suivre qu’un
seul personnage empêche d’en montrer d’autres, ou trop rapidement. J’aurais
aimé en savoir plus sur ce colonel Mackenzie,
dont on prévient Schofield qu’il ne
faut jamais lui parler sans témoin. Pourquoi ? Mackenzie
est joué par Benedict Cumberbatch, qui n’a que trois répliques dans le
film. Donc on ne saura pas.
On ergotera sur ces soldats coiffés et rasés de près 24h/24h, ces uniformes un peu trop bien repassés, on notera l'absence de commandement ou soldats français (certes la bataille de Bullecourt en avril 17 fut lancée par des anglo-australiens) et surtout aucune toile de fond ni vision politico-historique, qu'est ce que Sam Mendès a à nous dire de la guerre, à part filmer un gars qui court ? i
Il faut mettre à l’actif de Sam Mendès
d’avoir voulu évoquer cette guerre (le film est tiré des souvenirs de son grand
père) en se différenciant des autres productions, un film sans star, avec un
parti-pris filmique osé, qui fait souvent mouche dans sa première heure, mais
répétitif, et qui au final de rend pas compte de la réalité de terrain. Mais
était-ce le but ?
1917 est un film spectaculaire - on imagine le temps de préparation de
chaque plan pour coordonnées les innombrables figurants - qui joue dans la
catégorie grosse artillerie, avec une musique hollywoodienne
assourdissante, qui souligne au gros feutre rouge les moindres rebondissements
dramatiques. Dramatique surtout pour nos oreilles.
- M'sieur Luc, vous en dites plus de mal que de bien j'ai l'impression, et vous notez 4/6 ?
- Sonia mon petit, si on se place du point de vue divertissement, ça vaut vraiment le coup d'oeil. Faut juste ne pas trop creuser ni regarder les détails...
- Bof, moi les détails... D'ailleurs, pourquoi on appelle ça la guerre 14-18 alors qu'elle s'est finie en 1945 ?
- (soupir...)
Bien d'accord sur le fond, il y a des gonades dans le potage.
RépondreSupprimerSur la forme, je trouve l'exercice du faux plan séquence unique particulièrement virtuose et impressionnant: j'en ai oublié les faiblesses pour être plongé dans le film jusqu'à la truffe !
(oui, c'est bien "LE" Big Bad Pete... salutation à vous tous !)
Salutation à toi, Big Bad Pete, tu as retrouvé le chemin depuis le temps, tu as trouvé le raccourci contrairement à David Vincent qui tourne encore en bagnole... Merci de ta visite, et de tes nombreux commentaires !
RépondreSupprimer